1ère PartieL'enquête à St GaudensSt Gaudens Haute-Garonne février 2018Tom est surexcité, plus d’un mois qu’il attend ça ! Tom a quatre ans et à son âge, le temps est une donnée abstraite, élastique. Depuis que son papa lui en a fait la promesse, depuis qu’il sait qu’il va aller voir les jongleurs, les clowns, les animaux, tous les soirs au moment du coucher, il demande inlassablement:–Papa, c’est après ce dodo qu’on va au cirque ?–Non Tom, encore 25dodos...........–Papa, c’est après ce dodo qu’on va au cirque ?–Non Tom, encore 7dodos.Enfin, le jour tant désiré arriva. Un après-midi complet au cirque, avec papa ! Depuis leur départ, il est intarissable.–Et les clowns, on va les voir les clowns ? Et les tigres, il y en a des tigres, hein, papa ? Moi j’aime les tigres, ils me font même pas peur les tigres. Moi, ce que je préfère, c’est les zequilibr
Besançon novembre 1995Youri Kolienko serrait sa petite Anka contre lui dans la salle d’attente de l’hôpital public. Il était inquiet, le bébé allait arriver avant le matin. Le prénom était choisi depuis le début de la grossesse.–On l’appellera Irina, comme maman ! avait déclaré Youri, en riant.–Non ! Décréta Aksana, ce sera Sergei, comme papa. Je ne vais pas te faire une nouvelle fille, mon Youri, ce sera un beau garçon, le descendant des Kolienko que tu attends. Il sera beau et fort, comme toi.À la troisième échographie, ils durent renoncer à Sergei. Les derniers mois d’aménorrhée furent très compliqués et pénibles. Les contractions avaient commencé dès le sixième mois. Le terme était quasiment atteint. Demain matin, cet épisode douloureux ne serait qu’un mauvais souvenir. Sauf que…La veille, Youri et Aksana Kolienko étaient arrivés à l’hôpital avec leur fille Anka, aux alentours de sept heures trente. La poche des eaux venait de se
St Gaudens2018Damien Sergent était en poste à Saint-Gaudens depuis un peu plus de quatreans. Il n’avait aucune mémoire pour les noms des rues et des lieux. Il avait entré l’adresse dans le GPS, et le suivait sans réfléchir davantage. En s’approchant du but, il eut une drôle de sensation, il n’y avait plus grand-chose dans cette direction, à part le cirque. Surprenante coïncidence tout de même…–Capitaine Sergent, OPJ. Je viens pour un décès.Le gendarme le regarda avec étonnement ; la voix grave de tout à l’heure, au téléphone, lui avait fourni l’idée d’un homme mûr, solide. Le son contrastait avec l’image. Tudieu pensa que, d’après son grade, le capitaine avait au minimum trenteans. Il ne lui en donnait pas plus que vingt cinq, châtain clair, presque blond. Les traits fins (d’aucuns auraient pu dire féminins), le tout offrant bizarrement une impression de force rassurante. Un contraste étrange ! Le plus frappant venait de son regard, très
St Gaudens2018Le Capitaine Sergent sortit de la caravane. L’intendant et sa femme étaient encore dehors, à discuter derrière le cordon. Il leur fit signe de venir le rejoindre. Au passage, il nota le regard empreint de fierté mal placée que MmeVallier lança à la ronde. Une fois le trio un peu à l’écart, le flic allait entamer la conversation quand, dans leur dos, on entendit une voix s’énerver.–Demande bien quand on peut partir, on a du boulot ailleurs !–Oui, demande bien ! continua une autre.–Ils peuvent pas nous empêcherde bosser !–Ouais, c’est un scandale !Damien ignora la gronde et commença:–MonsieurVallier, connaissiez-vous bien la victime ?L’intendant, un peu surpris, répondit après avoir pris quelques instants de réflexion.–À dire vrai, pas trop. Bien sûr, je la côtoyais au quotidien, pour le job. Il nous arrivait de nous retrouver autour de l
St Gaudens2018Ils pensaient en avoir pour une partie de la journée, ils finirent aux alentours de 17heures. Juste le temps d’une douche, d’un coup de rasoir pour Damien, et ils se retrouvèrent autour d’une pizza.–Bon, la première tournée est pour moi ! C’est le rôle du chef, non ?Les autres membres du groupe approuvèrent chaudement.–Je pense que la deuxième aussi, crut bon d’ajouter Sandrine en levant sa pression pour trinquer.–Ça m’est égal, de toute façon, on fait un apéro léger et tout le reste sera sans alcool. Tant pis pour vous, fallait pas venir manger avec le chef !Frédo se tourna vers Yannis en lui lançant un clin d’œil bien appuyé.–La dernière fois que le chef m’a dit ça, il a fallu que je le déshabille et que je le borde.–Alors ça, c’est un coup bas! J’étais crevé, ça faisait 3nuits que je n’avais pas dormi.–Et la marmotte, elle met le chocolat
St Gaudens2014Le ministère de la Justice avait eu une lubie de communication. Chaque établissement scolaire devait avoir une présentation des métiers de la police par des policiers. Le commissaire Pichery avait envoyé le seul qui n’avait pas encore le moyen de protester. Tout nouveau chef de groupe, mais sans réelle équipe, celui dont il ne savait pas trop quoi faire. Son caillou dans sa chaussure, tout frais émoulu: Le capitaine Damien Sergent.Damien venait de finir son exposé devant troisclasses de jeunes de terminale. L’auditoire n’était pas le plus concentré qu’il soit. Le flic trouvait tout de même les grands ados assez réceptifs, mais dès que la sonnerie annonça la fin des cours, l’amphi se vida et les élèves partirent... une vraie volée de moineaux. Tous, sauf un. Un seul vint le voir, un jeune beur qu’il avait déjà repéré dans l’assistance.Depuis son arrivée, le capitaine essayait de constituer un groupe de police judiciaire. On l’avait
St Gaudens2018La soirée tirait à sa fin. Yannis avait depuis longtemps supprimé les consonnes de ses mots. Sandrine, qui avait le vin triste, fondait en larme pour la troisième fois depuis le café gourmand. Damien commençait à regarder le sol pour chercher une ligne droite qui le mènerait dignement à la sortie. Frédo, en vieux briscard, observait ses amis d’un œil amusé et bienveillant. Après la première bière, il avait décidé de jouer à Sam. Depuis, il tournait au Schweppes citron.La qualité du repas ne leur laisserait pas un souvenir indélébile, mais ils avaient bien ri des anecdotes de Sandrine, leur racontant son parcours du combattant. La plus croustillante relatait ses échecs répétés au franchissement du mur d’assaut de deuxmètres, lors de son stage en école de police. La troisième fois qu’elle avait essayé de le passer, elle avait pris un peu trop d’élan, posé son pied d’appel juste 20cm trop loin... Une toute petite erreur de réglage et de timi
St Gaudens2017La brune n’avait jamais su comment elle avait été recrutée par Damien. Ce n’était pas un secret, simplement, elle ne l’avait jamais demandé. Après une première expérience de trois ans en commissariat comme gardienne de la paix, elle avait fait sa requête pour passer le concours d’OPJ. Elle le réussit brillamment à la première tentative.Dans le même temps, Damien Sergent essayait de stabiliser depuis deuxans un petit groupe de police judiciaire en poste de Saint-Gaudens. Il s’était vu proposer par le commissaire Pichery, aux alentours de juin 2017, le nom de Sandrine Martin… pour êtreprécis, elle lui avait quasiment été imposée. Pichery avait été clair :–Sergent, pour votre groupe, vu que votre numéro trois vous plante, j’ai un profil à vous soumettre. J’aimerais que vous l’essayiez !En moins de deux, le chef de groupe sans groupe s’était retrouvé dans le couloir avec le dossier Sandrine Martin dans les doigts… ce que
BesançonFrédo semblait septique, et Sandrine aussi.–Quoi ? Demanda le capitaine.Il les regardait alternativement. La brune secouait la tête, dubitative. Elle entama une longue tirage:–J’imagine… Anka arrive dans la caravane, Irina a déjà commencé à fêter la soirée avec son cocktail, vodka-médicament. Sa sœur entre, ou alors Bergeron, ou les deux, peu importe ! Elle est dans les vapes, elle a donc droit à son injection de Xyla machin. Elle pousse son dernier soupir ! Alexis vient à ce moment, Il la trouve inconsciente. Même s’il ne sait pas qu’elle est morte, c’est la bonne occase pour lui de piquer son blé. Alors, pourquoi lui tirer une balle ? Pour la tuer ? Il n’en a pas besoin... conclut-elle avant de continuer : il n’y a que les psychopathes qui tuent sans raison. Et pour l’affaire d’Irina, on peut écarter Anthony... Tout accable Alexis, les empreintes et maintenant, le mobile.Frédo en ajouta une couche.–
BesançonL’arrestation d’Anka Kolienko s’était déroulée sans histoire, à six heures du matin. Ce fut la BRI14 de Besançon qui s’en chargea. Dans la foulée, une perquisition en règle avait été opérée. Le petit juge Kambert était venu en personne pour la superviser. Il espérait sans doute la présence de la presse, même à cette heure matinale ? Coup de chance, les journalistes étaient là. Qui avait bien pu vendre la mèche ? « Je jure de trouver la source qui nuit à la sérénité de l’enquête », avait-il déclamé sur un ton outré. Anka, quant à elle, resta mutique. Elle ne pipa mot durant toute la perquisition, ni après son transfert au commissariat central. Karpof était en retrait, trop d’affects avec la jeune femme. On le laissa seul quelques minutes avec elle. Il essaya bien de la raisonner, mais rien n’y fit.Dans le même temps, la BAC de Pau avait fait une descente dans la caravane d’Alexis Vasseur. Le procureur Séverac du TGI de Saint-Gaudens avait assez d’éléments p
Un mois avant la mort d’IrinaIrina reposa son stylo, pour relire la lettre qu’elle venait d’écrire à Anka ... son Aksora adorée.Elle se grattait l’avant-bras. La plaque rêche fourmillait. La chair verdâtre, craquelée, devenait plus dure à mesure que l’on s’approchait du centre. Par moment, la démangeaison était telle qu’elle avait besoin d’y aller au cutter, d’arracher les lambeaux, de tailler dans le vif. Ses stigmates allaient être bientôt effacés. Elle avait vu un médecin dermatologue. Il envisageait une greffe de peau sur les quatre parties nécrosées. Le principe était d’une simplicité enfantine. On allait lui prélever de l’épiderme et du derme sain plus bas dans la cuisse, avec une sorte de couteau à kebab. Le greffonserait ensuite réimplanté sur la zone préparée et, après deux ou trois opérations, les parties mortes auraient pour ainsi dire disparu, du moins le lui avait-on assuré. Peut-être même pourrait-elle remettre un maillot de bain, d’ici trois o
St GaudensToute la journée avait été consacrée à gérer le loupé magistral du matin. Pichery avait failli en avaler son chapeau, Les flics de l’IGPN étaient bien sûr venus, Damien avait dû rendre son Sig Sauer, pour la forme lui avait-on dit... Tous trois avaient été entendus. Le commandant Batista des Bœufs 13 avait débriefé avec Damien, en fin d’après-midi. Leurs versions concordaient. À première vue, on ne pouvait pas parler de bavure. L’utilisation de l’arme répondait parfaitement aux deux sacro-saintes règles... L’absolue nécessité avérée, ainsi que la réponse proportionnelle. Elles ne pouvaient être contestées. Il y avait d’abord le delta entre la musculature du forcené et la stature de la policière. L’examen pratiqué sur elle était éloquent. Comme écrit sur le rapport de l’urgentiste: « La pression exercée par les menottes a créé un hématome profond proche des voies respiratoires. L’accroissement de cette pression dans cette zone aurait engendré un écras
BesançonBoris Karpof entra dans la C5 noire de son ami. Comme à son habitude, Paul, le chauffeur infirmier, les laissa seuls. Le préfet le rappela. Il lui demanda de s’approcher et luiglissa un mot à l’oreille. Paul acquiesça avec une légère moue de surprise.Georges Bergeron avait la mine pire que jamais. Son teint blafard tirait vers le crayon gris, terne comme un ciel de pluie. Le temps avait enfin décidé d’arrêter sa grisaille coutumière. Oh, ce n’était pas le grand bleu, mais au moins ne pleuvait-il plus, c’était déjà ça. Paul s’éloignait en allumant une cigarette, seul vice que lui connaissait son employeur. Le commissaire ne levait pas la tête. Ce fut lui qui lança les hostilités.–C’est fini Georges. Je suis désolé.–Tu m’avais promis, Boris. Tu nous as trahis !–Je n’ai rien pu faire. Je ne sais pas quoi te dire de plus.–Comment ont-ils su ?–Youri… Il est mort hier soir !Le pr
Sur la route, à soixante kilomètres de St Gaudens–C’est encore loin ?–Décidément, tu es comme les gosses... Ma sœur a une gamine comme toi. Elle n’a pas le cul dans une bagnole depuis cinqminutes qu’elle demande avec une voix traînante: « c’est quand qu’on arrive » ? Mais elle n’a que six ans ! ajouta Sandrine, gratifiant son jeune collègue d’un clin d’œil appuyé.Tiens, regarde le panneau, jeune padawan impatient... Auch, trois kilomètres: tu as ta réponse.Quelques minutes plus tard, aux alentours de sept heures quarante-cinq, le groupe approcha lentement de la caravane. Damien avait dirigé le briefing. S’ils profitaient de l’effet de surprise, il y avait peu de chance qu’il réagisse.Ils avaient roulé toute la nuit, deux voitures pour trois chauffeurs. Pas vraiment de quoi pouvoir se reposer. Pichery n’avait voulu prendre aucun risque. Le GIPN allait se charger de l’arrestation. Damien avait dû obtempérer
BesançonLe capitaine Sergent attendait qu’on le fasse entrer dans le bureau du juge Kambert. Un petit juge qui ne faisait pas l’unanimité! Il en faisait trop d’après radio SPP... Dans tous les prétoires, il y avait ces bruissements de couloir, ces échanges de rumeurs. Le lieu des petits et grands règlements de compte, radio SPP: radio Salle des Pas Perdus. Il n’y avait pas que les pas qui se perdaient, les mots aussi s’envolaient. Parfois, ils ne s’égaraient pas tout à fait, et allaient se nicher au creux d’une oreille attentive. Damien les avait recueillies, ces petites bribes lâchées en l’air, juste avant que l’huissier ne l’annonce dans le saint des saints. Une petite confidence faite par un flic du coin, un habitué de Kambert ! Il lui avait expliqué à mots couverts que le petit juge avait parfois la langue bien pendue avec la presse… et qu’il pouvait lâcher des infos si ça pouvait lui apporter un peu de lumière. Damien ne savait pas encore ce qu’il allait en fai
BesançonLes deux flics s’apprêtaient à frapper à la porte.–Cette fois s’il me prend pour une demeurée, je lui refais le portrait et je le jette par la fenêtre !–OK, et moi je te filme et je balance ça sur le net, répliqua le jeune geek en cognant à la porte.La porte s’entrebâilla. La puanteur qu’ils avaient oubliée leur sauta à la gorge.–C’est tôt, putain. Vous voulez réveiller l’immeuble ou quoi ?–Police, tu nous remets ? Ouvre !–Et pourquoi je le fera ?–Attention à toi, que je lui donne une raison pour qu’il le fera… lança le flic à l’attention de sa collègue.Il se mit en porte-à-faux arrière pour prendre de l’élan, et lança le plat du piedprès de la poignée. La chaînette capitula sans insister. La porte s’ouvrit en grand. Le nez de Kevin n’eut pas la présence d’esprit de l’entrebâilleur. Il éclata comme une cerise gorgée de soleil. Le pauvre idiot se retrou
BesançonUne dame encore jolie et bien mise vint ouvrir aux deux policiers. Bien sûr, elle fut étonnée par l’heure matinale, il n’était même pas huit heures. « Bien heureuse que j’aie mon cours, sinon ils me trouvaient en peignoir » telles étaient les pensées profondes que lui inspiraient cette visite inattendue.–Oui, bonjour, que puis-je pour vous ?Les deux policiers présentèrent leurs cartes de service.–Bonjour, madame Allard ?–Non il n’y a pas de madame Allard, enfin je l’espère… ajouta-t-elle avec un petit rire. Mon compagnon s’appelle Pierre Allard, mais nous ne sommes pas mariés.–OPJ Sandrine Martin, et mon collègue, Yannis Amraoui. Pouvons-nous lui parler ?–Oui je vous l’appelle, mais moi je ne reste pas. J’ai Tai-chi-chuan!Pierre ! On te demande. Sur ce, au revoir, messieurs dame.Au moment de partir, elle se ravisa et s’enquit soudain avec un brin d