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CHAPITRE 2

Besançon novembre 1995

Youri Kolienko serrait sa petite Anka contre lui dans la salle d’attente de l’hôpital public. Il était inquiet, le bébé allait arriver avant le matin. Le prénom était choisi depuis le début de la grossesse.

– On l’appellera Irina, comme maman ! avait déclaré Youri, en riant.

– Non ! Décréta Aksana, ce sera Sergei, comme papa. Je ne vais pas te faire une nouvelle fille, mon Youri, ce sera un beau garçon, le descendant des Kolienko que tu attends. Il sera beau et fort, comme toi.

À la troisième échographie, ils durent renoncer à Sergei. Les derniers mois d’aménorrhée furent très compliqués et pénibles. Les contractions avaient commencé dès le sixième mois. Le terme était quasiment atteint. Demain matin, cet épisode douloureux ne serait qu’un mauvais souvenir. Sauf que…

La veille, Youri et Aksana Kolienko étaient arrivés à l’hôpital avec leur fille Anka, aux alentours de sept heures trente. La poche des eaux venait de se rompre. Toute la journée, les contractions étaient trop espacées pour déclencher un réel travail. Le crépuscule venu, la future maman connut un peu de répit. Vers 19 heures, les douleurs devinrent supportables, elle finit même par s’endormir paisiblement.

L’obstétricienne vint plusieurs fois visiter Aksana et la famille Kolienko.

 

– Alors jeune fille, es-tu heureuse d’être bientôt une grande sœur ?

-Oh oui, je suis contente, madame. Mais il va falloir partager les câlins de maman, maintenant.

– Ne t’inquiète pas, les mamans sont des êtres magiques. À chaque naissance, elles doublent leur quantité d’amour. Ta maman va t’aimer encore plus, tu verras, et elle pourra faire quand même quelques câlins à ta petite sœur. Tu as quel âge, Anka ?

Les gens n’avaient jamais eu de mal à mémoriser son prénom, il était très rare en France. Anka n’aimait pas ça, les maîtresses se souvenaient d’elle, dès le premier jour d’école.

– J’ai 10 ans, madame.

– Eh bien, Anka, tu parais bien plus grande que ton âge ! Et pour le reste, ne te fais pas de souci. À tout à l’heure et n’oublie pas de faire des câlins à ta maman.

Vers vingt trois heures, elle se réveilla en sursaut.

– Youri, ça arrive, notre Irina arrive... appelle du monde.

Il n’eut besoin de rien faire, l’alarme du monitoring avait sonné dans la salle de garde, le personnel présent approchait déjà.

La sage-femme souleva les draps, jeta un bref coup d’œil, se saisit du lit d’un geste plein d’autorité, le poussant vers le couloir. Youri demanda inquiet :

– Quelque chose ne va pas ?

– Monsieur Kolienko, Anka va avoir une petite sœur, répondit la dame d’un air enjoué.

Youri posa tendrement un baiser sur le front de sa bien-aimée, Anka lui embrassa les doigts. Ce fut la dernière fois que le père et la fille la voyaient en vie.

Le lendemain, Youri, ivre de chagrin, dut répondre à la pire question que sa fille ne lui poserait jamais dans sa vie.

– Deda, c’est Irina qui a tué maman ?

– Non ma fille, ne dis pas ceci, ne le pense même pas ! Irina est un ange, c’est un cadeau de Dieu ! Youri murmurait en caressant les cheveux d’Anka : les anges ne tuent pas les mamans. Ta maman était très fatiguée, elle n’a pas supporté l’accouchement.

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