St Gaudens2018La soirée tirait à sa fin. Yannis avait depuis longtemps supprimé les consonnes de ses mots. Sandrine, qui avait le vin triste, fondait en larme pour la troisième fois depuis le café gourmand. Damien commençait à regarder le sol pour chercher une ligne droite qui le mènerait dignement à la sortie. Frédo, en vieux briscard, observait ses amis d’un œil amusé et bienveillant. Après la première bière, il avait décidé de jouer à Sam. Depuis, il tournait au Schweppes citron.La qualité du repas ne leur laisserait pas un souvenir indélébile, mais ils avaient bien ri des anecdotes de Sandrine, leur racontant son parcours du combattant. La plus croustillante relatait ses échecs répétés au franchissement du mur d’assaut de deuxmètres, lors de son stage en école de police. La troisième fois qu’elle avait essayé de le passer, elle avait pris un peu trop d’élan, posé son pied d’appel juste 20cm trop loin... Une toute petite erreur de réglage et de timi
St Gaudens2017La brune n’avait jamais su comment elle avait été recrutée par Damien. Ce n’était pas un secret, simplement, elle ne l’avait jamais demandé. Après une première expérience de trois ans en commissariat comme gardienne de la paix, elle avait fait sa requête pour passer le concours d’OPJ. Elle le réussit brillamment à la première tentative.Dans le même temps, Damien Sergent essayait de stabiliser depuis deuxans un petit groupe de police judiciaire en poste de Saint-Gaudens. Il s’était vu proposer par le commissaire Pichery, aux alentours de juin 2017, le nom de Sandrine Martin… pour êtreprécis, elle lui avait quasiment été imposée. Pichery avait été clair :–Sergent, pour votre groupe, vu que votre numéro trois vous plante, j’ai un profil à vous soumettre. J’aimerais que vous l’essayiez !En moins de deux, le chef de groupe sans groupe s’était retrouvé dans le couloir avec le dossier Sandrine Martin dans les doigts… ce que
Labo IML St Gaudens2018Leds était dans son laboratoire, perplexe. L’analyse interne était terminée, Irina Kolienko était encore ouverte comme un livre sur la table d’autopsie.L’examen du bol alimentaire faisait état d’un cocktail détonant. La danseuse ne devait pas être en super forme avec tout ceci... La dose de psychotropes était forte. Suffisamment pour la faire planer, mais non létale. L’observation du corps présentait un sujet en forme: bon tonus musculaire, cœur, poumons semblant parfaitement sains. L’état hépatique, par contre, n’était pas brillant! Son foie était en mauvais état. Les prises de drogues avaient laissé des traces. Sans doute avait-elle contracté une infection lors d’échanges de seringues, les analyses étaient en cours.Au niveau de ses avant-bras, le légiste avait examiné les plaques verdâtres, la peau présentant des traces de nécroses importantes. Elle avait les mêmes exulcérations à l’intérieur des cuisses, en haut près d
St Gaudens2018Damien était en cours de réveil, la bouche pâteuse et les 4cavaliers de l’apocalypse au grand galop qui tambourinaient pour sortir de son crâne. Il prit un doliprane, un jus de citron, et se jura de ne plus se faire avoir. Pourtant, il était certain de ne pas avoir abusé... Il fallait qu’il se rende à l’évidence, il ne tenait pas l’alcool !Il en était à ces considérations post-cataclysmiques, quand il entendit deux tintements sur son smartphone... Consultation de l’icône; 2nouveaux messages.Premier expéditeur, PS Tlse... pour police scientifique Toulouse:« On a identifié une empreinte, je vous envoie les conclusions sur votre messagerie sécurisée. »Deuxième expéditeur, Leds:« Viens quand tu as ce message, faut qu’on cause. »Les deux SMS lui firent l’effet d’une douche vivifiante. En montant dans sa voiture, il envoya un SMS commun au groupe:« RDV bureau, 15min.
IML St Gaudens2018–Salut, Pierre, bien dormi? Tes potes t’ont bien tenu compagnie ?–Couillon, va ! Pour la énième fois et au risque de casser le mythe, non, je ne dors pas avec les morts ! Je ne partage avec eux que mes repas ! Tu veux un café ?–Merci, mais j’en suis déjà à mon troisième en deuxheures. Par contre, je t’ai apporté des croissants et chocolatines. C’est Yannis qui régale, il paraît que demain c’est mon tour, mais je ne sais pas encore pourquoi…–Ouh là, ça sent le gros dossier ! Mal à la tête ce matin ? En tout cas, tu le remercieras pour moi ! Vous avancez bien ?Damien le mit au courant pour les empreintes et l’interpellation en cours. Il arborait un sourire radieux, la semaine commençait on ne peut mieux. Leds mangeait son croissant, lentement, il était d’autant plus désolé de ce qu’il s’apprêtait à lui annoncer.–Bon, Dam, je ne vais pas tourner autour du pot. Je n’ai pa
St Gaudens2018TGI lundi après-midi.Dès la première heure lundi matin, le procureur Séverac avait appelé Damien. Ils avaient convenu d’une rencontre de travail l’après-midi même, pour décider de l’orientation à donner à cette enquête. Les éléments du matin étaient plus qu’encourageants. Au cours de la journée, le bel optimisme ne fit que s’effriter !Damien arriva à seizeheures précises, comme prévu.–Bonjour, monsieur le procureur, merci de me recevoir.–Bonjour, capitaine, il n’y a pas de quoi. Tout d’abord, félicitations pour notre affaire, ça avance bien.–C’est justement ce qui m’emmène, vous vous en doutez (sans le vouloir, il tournait autour du pot pour retarder l’explication). Suite à notre conversation de ce matin, je suis allé voir Leds à l’IML de St Gaudens. J’ai à porter à votre connaissance deux évolutions majeures dans notre enquête. Il s’avère que je dois…–Détendez-vous Ser
Besançon2018Le commandant Jarier fouillait dans les archives ; dossier Irina Kolienko. Il devait être dans une de ces boîtes en carton, la petite n’ayant plus fait parler d’elle depuis des années.Effectivement, pour une fois, bien classé dans sa boîte cartonnée de la série des K…Le fichier n’était pas bien épais, mais la trace dans les souvenirs du policier était intacte ! Pauvre gamine ! À l’époque, Tristan Jarier s’était fortement impliqué dans l’histoire de cette ado détruite. Il faut dire qu’elle avait exactement le même âge que Léna, sa nièce, au mois près. Pour compléter la similarité, elles étudiaient dans le même Lycée.Quand le planton lui avait passé le commissariat de Saint-Gaudens, il avait pris l’appel sans arrière-pensée. Machinalement, il avait tapé le nom de la ville et consulté la première occurrence, sa fiche Wikipedia. La géopolitique, sa population, son histoire, rien de tout ceci ne l’intéressait. Il avait tout juste besoin de s
Commissariat de St Gaudens–Monsieur Vasseur, je vous rappelle que vous êtes ici en qualité de témoin. Vous êtes bien Alexis Vasseur, né à Besançon le douzefévrier 1995 ?–Oui, j’ai déjà répondu à ça tout à l’heure à votre collègue.–Je ne suis pas mon collègue, vous n’êtes pas là pour m’expliquer mon boulot, vous répondez à mes questions bien gentiment, c’est tout.Le ton était presque doux, le regard d’accompagnement par contre était sans équivoque. L’équilibriste n’avait pas intérêt à l’emmerder.–Vous êtes, le fils de Céline Vasseur, fonctionnaire territoriale, et né de père inconnu.–Oui, lâcha-t-il dans un soupir qui voulait montrer un ennui profond. Mon enfoiré de géniteur s’est barré avant ma naissance. Une raclure de bidet, comme tous les amis de ma salope de mère.Charmant garçon, pensa Frédo.–Depuis quand connaissez-vous mademoiselle Kolienko ?–On était à l’
BesançonFrédo semblait septique, et Sandrine aussi.–Quoi ? Demanda le capitaine.Il les regardait alternativement. La brune secouait la tête, dubitative. Elle entama une longue tirage:–J’imagine… Anka arrive dans la caravane, Irina a déjà commencé à fêter la soirée avec son cocktail, vodka-médicament. Sa sœur entre, ou alors Bergeron, ou les deux, peu importe ! Elle est dans les vapes, elle a donc droit à son injection de Xyla machin. Elle pousse son dernier soupir ! Alexis vient à ce moment, Il la trouve inconsciente. Même s’il ne sait pas qu’elle est morte, c’est la bonne occase pour lui de piquer son blé. Alors, pourquoi lui tirer une balle ? Pour la tuer ? Il n’en a pas besoin... conclut-elle avant de continuer : il n’y a que les psychopathes qui tuent sans raison. Et pour l’affaire d’Irina, on peut écarter Anthony... Tout accable Alexis, les empreintes et maintenant, le mobile.Frédo en ajouta une couche.–
BesançonL’arrestation d’Anka Kolienko s’était déroulée sans histoire, à six heures du matin. Ce fut la BRI14 de Besançon qui s’en chargea. Dans la foulée, une perquisition en règle avait été opérée. Le petit juge Kambert était venu en personne pour la superviser. Il espérait sans doute la présence de la presse, même à cette heure matinale ? Coup de chance, les journalistes étaient là. Qui avait bien pu vendre la mèche ? « Je jure de trouver la source qui nuit à la sérénité de l’enquête », avait-il déclamé sur un ton outré. Anka, quant à elle, resta mutique. Elle ne pipa mot durant toute la perquisition, ni après son transfert au commissariat central. Karpof était en retrait, trop d’affects avec la jeune femme. On le laissa seul quelques minutes avec elle. Il essaya bien de la raisonner, mais rien n’y fit.Dans le même temps, la BAC de Pau avait fait une descente dans la caravane d’Alexis Vasseur. Le procureur Séverac du TGI de Saint-Gaudens avait assez d’éléments p
Un mois avant la mort d’IrinaIrina reposa son stylo, pour relire la lettre qu’elle venait d’écrire à Anka ... son Aksora adorée.Elle se grattait l’avant-bras. La plaque rêche fourmillait. La chair verdâtre, craquelée, devenait plus dure à mesure que l’on s’approchait du centre. Par moment, la démangeaison était telle qu’elle avait besoin d’y aller au cutter, d’arracher les lambeaux, de tailler dans le vif. Ses stigmates allaient être bientôt effacés. Elle avait vu un médecin dermatologue. Il envisageait une greffe de peau sur les quatre parties nécrosées. Le principe était d’une simplicité enfantine. On allait lui prélever de l’épiderme et du derme sain plus bas dans la cuisse, avec une sorte de couteau à kebab. Le greffonserait ensuite réimplanté sur la zone préparée et, après deux ou trois opérations, les parties mortes auraient pour ainsi dire disparu, du moins le lui avait-on assuré. Peut-être même pourrait-elle remettre un maillot de bain, d’ici trois o
St GaudensToute la journée avait été consacrée à gérer le loupé magistral du matin. Pichery avait failli en avaler son chapeau, Les flics de l’IGPN étaient bien sûr venus, Damien avait dû rendre son Sig Sauer, pour la forme lui avait-on dit... Tous trois avaient été entendus. Le commandant Batista des Bœufs 13 avait débriefé avec Damien, en fin d’après-midi. Leurs versions concordaient. À première vue, on ne pouvait pas parler de bavure. L’utilisation de l’arme répondait parfaitement aux deux sacro-saintes règles... L’absolue nécessité avérée, ainsi que la réponse proportionnelle. Elles ne pouvaient être contestées. Il y avait d’abord le delta entre la musculature du forcené et la stature de la policière. L’examen pratiqué sur elle était éloquent. Comme écrit sur le rapport de l’urgentiste: « La pression exercée par les menottes a créé un hématome profond proche des voies respiratoires. L’accroissement de cette pression dans cette zone aurait engendré un écras
BesançonBoris Karpof entra dans la C5 noire de son ami. Comme à son habitude, Paul, le chauffeur infirmier, les laissa seuls. Le préfet le rappela. Il lui demanda de s’approcher et luiglissa un mot à l’oreille. Paul acquiesça avec une légère moue de surprise.Georges Bergeron avait la mine pire que jamais. Son teint blafard tirait vers le crayon gris, terne comme un ciel de pluie. Le temps avait enfin décidé d’arrêter sa grisaille coutumière. Oh, ce n’était pas le grand bleu, mais au moins ne pleuvait-il plus, c’était déjà ça. Paul s’éloignait en allumant une cigarette, seul vice que lui connaissait son employeur. Le commissaire ne levait pas la tête. Ce fut lui qui lança les hostilités.–C’est fini Georges. Je suis désolé.–Tu m’avais promis, Boris. Tu nous as trahis !–Je n’ai rien pu faire. Je ne sais pas quoi te dire de plus.–Comment ont-ils su ?–Youri… Il est mort hier soir !Le pr
Sur la route, à soixante kilomètres de St Gaudens–C’est encore loin ?–Décidément, tu es comme les gosses... Ma sœur a une gamine comme toi. Elle n’a pas le cul dans une bagnole depuis cinqminutes qu’elle demande avec une voix traînante: « c’est quand qu’on arrive » ? Mais elle n’a que six ans ! ajouta Sandrine, gratifiant son jeune collègue d’un clin d’œil appuyé.Tiens, regarde le panneau, jeune padawan impatient... Auch, trois kilomètres: tu as ta réponse.Quelques minutes plus tard, aux alentours de sept heures quarante-cinq, le groupe approcha lentement de la caravane. Damien avait dirigé le briefing. S’ils profitaient de l’effet de surprise, il y avait peu de chance qu’il réagisse.Ils avaient roulé toute la nuit, deux voitures pour trois chauffeurs. Pas vraiment de quoi pouvoir se reposer. Pichery n’avait voulu prendre aucun risque. Le GIPN allait se charger de l’arrestation. Damien avait dû obtempérer
BesançonLe capitaine Sergent attendait qu’on le fasse entrer dans le bureau du juge Kambert. Un petit juge qui ne faisait pas l’unanimité! Il en faisait trop d’après radio SPP... Dans tous les prétoires, il y avait ces bruissements de couloir, ces échanges de rumeurs. Le lieu des petits et grands règlements de compte, radio SPP: radio Salle des Pas Perdus. Il n’y avait pas que les pas qui se perdaient, les mots aussi s’envolaient. Parfois, ils ne s’égaraient pas tout à fait, et allaient se nicher au creux d’une oreille attentive. Damien les avait recueillies, ces petites bribes lâchées en l’air, juste avant que l’huissier ne l’annonce dans le saint des saints. Une petite confidence faite par un flic du coin, un habitué de Kambert ! Il lui avait expliqué à mots couverts que le petit juge avait parfois la langue bien pendue avec la presse… et qu’il pouvait lâcher des infos si ça pouvait lui apporter un peu de lumière. Damien ne savait pas encore ce qu’il allait en fai
BesançonLes deux flics s’apprêtaient à frapper à la porte.–Cette fois s’il me prend pour une demeurée, je lui refais le portrait et je le jette par la fenêtre !–OK, et moi je te filme et je balance ça sur le net, répliqua le jeune geek en cognant à la porte.La porte s’entrebâilla. La puanteur qu’ils avaient oubliée leur sauta à la gorge.–C’est tôt, putain. Vous voulez réveiller l’immeuble ou quoi ?–Police, tu nous remets ? Ouvre !–Et pourquoi je le fera ?–Attention à toi, que je lui donne une raison pour qu’il le fera… lança le flic à l’attention de sa collègue.Il se mit en porte-à-faux arrière pour prendre de l’élan, et lança le plat du piedprès de la poignée. La chaînette capitula sans insister. La porte s’ouvrit en grand. Le nez de Kevin n’eut pas la présence d’esprit de l’entrebâilleur. Il éclata comme une cerise gorgée de soleil. Le pauvre idiot se retrou
BesançonUne dame encore jolie et bien mise vint ouvrir aux deux policiers. Bien sûr, elle fut étonnée par l’heure matinale, il n’était même pas huit heures. « Bien heureuse que j’aie mon cours, sinon ils me trouvaient en peignoir » telles étaient les pensées profondes que lui inspiraient cette visite inattendue.–Oui, bonjour, que puis-je pour vous ?Les deux policiers présentèrent leurs cartes de service.–Bonjour, madame Allard ?–Non il n’y a pas de madame Allard, enfin je l’espère… ajouta-t-elle avec un petit rire. Mon compagnon s’appelle Pierre Allard, mais nous ne sommes pas mariés.–OPJ Sandrine Martin, et mon collègue, Yannis Amraoui. Pouvons-nous lui parler ?–Oui je vous l’appelle, mais moi je ne reste pas. J’ai Tai-chi-chuan!Pierre ! On te demande. Sur ce, au revoir, messieurs dame.Au moment de partir, elle se ravisa et s’enquit soudain avec un brin d