À l’instant où la porte s’ouvrit, un nuage de fumée traversa le palier dans le sens opposé. L’odeur âcre embaumait l’air, masquant les relents d’alcool. Un plissement de nez arracha un sourire à la magnifique blonde qui m’accompagnait. Une demi-tête plus petite que moi, ses cheveux cascadaient sur une robe parfaitement accordée au bleu de ses yeux.Nous détonnions tous deux du reste des occupants du bar. Au-delà de l’élégance de nos tenues respectives, une confiance inébranlable se dégageait de nous. Le même air autoritaire, cette même capacité à évaluer quelqu’un d’un seul regard. Ma main se posa sur le comptoir, poli sous les coups acharnés du torchon de Gavin. Lyna et moi entourions un des clients, avachi sur le bois.—Dix heures du matin, un nouveau record. Même pour toi.L’homme renifla bruyamment. De longs cheveux poisseux tombaient sur ses épaules. À l’odeur, ils n’étaient pas la seule partie de son corps à avoir besoin d’être lavée. Ses traits étaient
Le vent soufflait aux oreilles de Maya, faisant virevolter ses cheveux soyeux dans son dos. Penchée sur la planche mate qui la soutenait une dizaine de mètres au-dessus du sol, elle rivait un regard décidé vers l’horizon. Les deux rotors situés sous l’aéroglisseur, d’ordinaire silencieux, vrombissaient poussés dans leurs derniers retranchements.À quelques mètres d’elle, Elio la survola entraînant son Térésitis dans un looping serré. L’écho d’éclats de rire fut la seule trace de sa présence quelques secondes plus tard. Maya sourit.Heureusement que Chloé a amélioré ces modèles, pensa-t-elle. Ses prototypes, surnommés Teresitis, offraient une vitesse accrue et promettaient une durée de vol augmentée. Elle avait en plus perfectionné les bandes antidérapantes placées à l’avant et à l’arrière de la planche, permettant à Elio ces figures, sans quoi il aurait été projeté dix mètres en contrebas.Ça avait été l’idée d’Elias, au retour de leurs premiers voyages, d’utiliser
Le son des pas de Veil résonnait entre les murs aux boiseries travaillées, surmontées de feuilles d’or et d’argent, suivi de l’écho rapproché de ceux de Liv.—Détends-toi, on voit vraiment que tu ne te sens pas à ta place.Me détendre? Avec tout cet attirail? Ça va être compliqué ma grande. Il avait même une canne. Une canne! Dans le Gouffre, ceux qui en avaient réellement besoin devaient se contenter de bouts de bois et de ferrailles, et les Royaux utilisaient ça comme accessoire.Avant de sortir de ses appartements, il avait croisé son reflet dans une glace. Il s’était arrêté net, stupéfait. Était-ce bien lui, les épaules droites, le torse bombé dans cette tenue? Un costume de soirée avec un pantalon noir, accordé à un gilet de la même couleur, couvrant une chemise bleu clair. Un long manteau de velours pourpre, parfaitement ajusté, associé à un fin nœud papillon pour compléter le tableau. Il en avait voulu à la part de lui q
Elias se sentait vivant. Pour la première fois depuis des semaines.L’adrénaline courait dans ses veines, le Souffle reprenant vie. Puis le Souffle se mua en Éclat.—Elias! Ne te précipite pas, bordel!Il entendit ma voix criant au loin, presque étouffée, mais ne ralentit pas une seconde. Propulsé par le flux de lumière jaillissant de ses mains, il zigzaguait entre les Élyséens hilares ou apeurés qui continuaient de monter dans le ciel.Puis il s’arrêta. La perte de la pesanteur semblait limitée à un rayon d’action réduit autour du bâtiment d’Aaron. Son interface visuelle s’activa et un message apparut sous ses yeux.<Elias! Qu’est-ce que tu comptes faire là, tu m’expliques?><Caine, celui qui produit ces variations gravitationnelles… il est dans l’immeuble. Trouve-le!><Et toi, tu vas faire quoi? Des ronds dans le ciel et des jolies couleurs?&nb
—Trois mois, pas un jour de plus.Tom regarda Elias, la boule au ventre. Le bus l’attendait, de même que tous les autres pensionnaires. Il lança une ultime blague pour se donner une contenance. Qu’avait-il dit déjà? Impossible de s’en souvenir. Et il lui tourna le dos.C’est un au revoir, pas un adieu, tenta-t-il de se convaincre.Mû par un pressentiment, Tom se retourna vers Elias. Derrière le garçon aux yeux d’émeraude, une silhouette menaçante apparut. Au regard sanglant. Au visage grave figé dans le plomb et perdu dans les ombres. Il s’approcha d’Elias…—Tom! Attention!Plongé dans ses songes, Tom leva la tête au dernier moment et évita la branche qui manqua de le décapiter. Instinctivement, il fléchit ses jambes, abaissant son centre de gravité. Louvoyant entre les arbres, sa planche magnétique se redressa et réduisit sa vitesse. Une seconde plus tard, une tignasse rousse fonçant à sa poursuite tel un feu fol
Les étages de la Pyramide défilaient, interminables. Le vent giflait le visage de Veil, lui soufflant ses cheveux dans les yeux. Contre toute attente, il faisait preuve d’un calme inébranlable. Une certaine sérénité devant la mort, inévitable, que seul un homme qui se savait condamné pouvait avoir.Toi qui tenais tant à retrouver les Gutters, tu vas avoir que ce que tu voulais. Il était dos au sol, fixant le point de sa fenêtre s’éloigner de plus en plus. La forme sombre, restée assister à son trépas, disparut.Il eut une dernière pensée pour sa mère. Il espérait que Liv puisse lui fournir les moyens de se soigner, c’était la seule à qui il avait confié sa condition.La chute semblait s’éterniser. Il nota certains détails autour de lui. Par exemple, le nuage d’orage qu’il aurait juré être absent quelques secondes plus tôt. Sa main se mit à brûler. Il lâcha un cri et l’ouvrit. Elle contenait le pendentif auquel il s’était accroché avant de basculer dans le v
Une silhouette traversait le grand hall du Concil. Ses cheveux noirs, hérissés à la mode grunge du vingtième siècle, soit trois cents ans de retard, sautaient sur ses épaules. Certaines mèches se démarquaient des autres par les teintes écarlates qui les parsemaient. Ses yeux ne se posaient pas sur les chefs-d’œuvre qui s’étalaient autour d’elle. Pas la moindre lueur d’émerveillement face au fouillis organisé de la Serre, chef-lieu du Subsidium où fleurissaient les plus brillantes idées, tant qu’elles concernaient l’environnement. Non, ils étaient rivés droit devant, déterminés. Elle se mouvait avec aisance entre des groupes agitant les mains avec véhémence pour ponctuer leur discours, évitait sans difficulté le flux humain qui se déversait sans interruption dans les couloirs. Elle se sentait chez elle, à sa place.Au loin, elle aperçut un homme, la cinquantaine avancée, qui semblait tomber du ciel. L’ascenseur le déposa en même temps que deux femmes. Il était presque rabougri, l
Barth frotta ses mains et les rapprocha du feu pour les réchauffer. Un filet de vapeur s’éleva de sa bouche. L’air était particulièrement vif, ce soir. Les premières chutes de neige isotopiques étaient même tombées dans cette région du monde. Quelle qu’elle soit.Il ouvrit son sac et sortit une petite fiole, la regarda, hésitant à la déboucher, et soupira avant de la reposer. Il avait déjà passé suffisamment de temps l’esprit embrumé. Ça faisait un mois qu’il déambulait, sans but, son sabre blanc au dos. Le Sang ressurgit, voilant sa vision, comme à chaque fois, qu’il posait les yeux sur lui. Après le Sang, c’est l’image du corps sans vie de Zane qui revenait toujours hanter sa mémoire. Aujourd’hui, seul le désir de trouver un chemin sans violence lui permettait de continuer à avancer. La nature, sauvage, était loin de lui faciliter la tâche. Il lui avait fallu tuer pour se nourrir, parfois uniquement pour survivre. Mais jamais, il n’avait dégainé le magnifique sabre à son épaul