Les étages de la Pyramide défilaient, interminables. Le vent giflait le visage de Veil, lui soufflant ses cheveux dans les yeux. Contre toute attente, il faisait preuve d’un calme inébranlable. Une certaine sérénité devant la mort, inévitable, que seul un homme qui se savait condamné pouvait avoir.Toi qui tenais tant à retrouver les Gutters, tu vas avoir que ce que tu voulais. Il était dos au sol, fixant le point de sa fenêtre s’éloigner de plus en plus. La forme sombre, restée assister à son trépas, disparut.Il eut une dernière pensée pour sa mère. Il espérait que Liv puisse lui fournir les moyens de se soigner, c’était la seule à qui il avait confié sa condition.La chute semblait s’éterniser. Il nota certains détails autour de lui. Par exemple, le nuage d’orage qu’il aurait juré être absent quelques secondes plus tôt. Sa main se mit à brûler. Il lâcha un cri et l’ouvrit. Elle contenait le pendentif auquel il s’était accroché avant de basculer dans le v
Une silhouette traversait le grand hall du Concil. Ses cheveux noirs, hérissés à la mode grunge du vingtième siècle, soit trois cents ans de retard, sautaient sur ses épaules. Certaines mèches se démarquaient des autres par les teintes écarlates qui les parsemaient. Ses yeux ne se posaient pas sur les chefs-d’œuvre qui s’étalaient autour d’elle. Pas la moindre lueur d’émerveillement face au fouillis organisé de la Serre, chef-lieu du Subsidium où fleurissaient les plus brillantes idées, tant qu’elles concernaient l’environnement. Non, ils étaient rivés droit devant, déterminés. Elle se mouvait avec aisance entre des groupes agitant les mains avec véhémence pour ponctuer leur discours, évitait sans difficulté le flux humain qui se déversait sans interruption dans les couloirs. Elle se sentait chez elle, à sa place.Au loin, elle aperçut un homme, la cinquantaine avancée, qui semblait tomber du ciel. L’ascenseur le déposa en même temps que deux femmes. Il était presque rabougri, l
Barth frotta ses mains et les rapprocha du feu pour les réchauffer. Un filet de vapeur s’éleva de sa bouche. L’air était particulièrement vif, ce soir. Les premières chutes de neige isotopiques étaient même tombées dans cette région du monde. Quelle qu’elle soit.Il ouvrit son sac et sortit une petite fiole, la regarda, hésitant à la déboucher, et soupira avant de la reposer. Il avait déjà passé suffisamment de temps l’esprit embrumé. Ça faisait un mois qu’il déambulait, sans but, son sabre blanc au dos. Le Sang ressurgit, voilant sa vision, comme à chaque fois, qu’il posait les yeux sur lui. Après le Sang, c’est l’image du corps sans vie de Zane qui revenait toujours hanter sa mémoire. Aujourd’hui, seul le désir de trouver un chemin sans violence lui permettait de continuer à avancer. La nature, sauvage, était loin de lui faciliter la tâche. Il lui avait fallu tuer pour se nourrir, parfois uniquement pour survivre. Mais jamais, il n’avait dégainé le magnifique sabre à son épaul
Des bougies parfumées diffusaient une douce odeur de cannelle dans le salon. Les lumières éteintes, c’étaient une dizaine de cierges et de guirlandes rayonnantes qui se chargeaient d’éclairer la pièce. C’était la première fois que je voyais l’appartement d’Elias ainsi. Cadeau de Lyna, assurément.—Ah, on parlait de ton sujet favori justement, s’exclama l’intéressée, en me sautant au cou.Je lui rendis son baiser. Son odeur était enivrante.—Lequel?—Eh bien, toi!Je ne m’abaissai même pas à répondre. Sans compter qu’elle n’était pas loin de la vérité.—Après la présentation magistrale d’Elias, je pensais que tu pouvais prendre ta retraite, se moqua Richard.—Eh bien, vous avez un style incomparable pour me souhaiter un bon anniversaire!—Je ne vois pas de quoi tu parles, c’est le sien aussi.Lyna déposa un nouveau baiser sur mes lèvres.—C’est mieux?
Inaya sentit un frisson d’excitation courir le long de son échine. Enfin, pensa-t-elle.Elle posa le pied au sol, doucement, savourant chaque seconde. Après avoir passé sa vie entière à Orancia, le simple fait de toucher la terre ferme, était en soi un plaisir. Les rayons du soleil sur sa peau. Respirer de l’air frais, non recyclé. Le voyage pouvait débuter.Elle était suivie par une dizaine de soldats de la garde présidentielle–dont Lharin–et les Élyséens. Plus précisément, Elio et Maya. Tom, quant à lui, avait décidé de rester à Orancia. Enfin décidé, pensa Inaya. Il a surtout suivi sa rouquine. Elle ne connaissait pas l’étendue des liens tissés entre ces Élyséens. Elle avait compris qu’un certain «Elias» était important, puisqu’il était souvent revenu dans la conversation. Mais malgré l’importance de cette relation qu’elle trouvait étrangement fusionnelle, Tom s’était décomposé quand, à la surprise gén
Les jours suivant notre fuite d’Elysia furent une succession de mauvaises idées. Elias et moi n’étions pas particulièrement d’accord sur laquelle fut la première. Pour lui, c’était assurément s’engager dans un road-trip avec un bureaucrate. Même si je m’y attendais, les premiers instants furent durs. Vraiment durs. La nature reprenant ses droits, se développant à une vitesse décuplée. Une myriade d’espèces plus résilientes émergeant pour résister aux modifications du biotope imposées par la concentration radioactive ambiante. Le savoir, c’était bien. Le vivre? C’était autre chose. La première impression que je gardais de notre première nuit était quelque peu… déplaisante. Elias insista pour que nous nous éloignions au maximum d’Elysia «au cas où», disait-il. Ce qui impliqua de s’enfoncer dans une végétation incontrôlée, sans avoir la moindre idée de ce sur quoi nous allions tomber, à l’aide d’Elias comme seule lumière. C’était une sensation purement étouffante. J’avai
Droite, pas en avant, fente. Gauche, parade, envolée. La sueur ruisselait sur le front de Veil, lui piquant les yeux. Pourtant, il ne ralentissait pas. Il continua à s’entraîner jusqu’à ce que, de fatigue, ses pieds s’enlisent dans le sable de l’arène et qu’il trébuche.—Ton centre de gravité est mauvais mon garçon.Veil se retourna. Tharis l’observait, assis sur l’estrade de pierre.—C’est pourtant ce que mes maîtres d’armes m’ont appris, répondit Veil, perplexe, en se laissant tomber au sol.—Des amateurs. Bon pour un soldat, pas pour affronter un Paladin comme Xander.—Vous avez une meilleure méthode? soupira Veil. Honnêtement au point où j’en suis, je prends tout.—Moi? s’amusa Tharis. Non, je ne suis qu’un vieillard. Les seules passes que je fais aujourd’hui sont entre deux livres. Mais c’est bien, déjà. Tu acceptes la critique. C’est le premier pas pour faire mieux.—La fierté ne m’am
—Dépêche-toi, Tom!Ce dernier courut et sauta dans le Sverdrup. Il serra ses bras le long de son corps et rattrapa Claire. La vibration familière au creux de sa main ne se fit pas attendre. C’était ici qu’était implantée la «banque» de chaque Orin, un système nanotechnologique permettant les échanges fiduciaires. À Orancia, autant dire vivre. Étonnamment, le dispositif s’était ajusté parfaitement à sa physiologie unique et à ses circuits magnétiques. Une action s’évapora à l’instant où il franchit le portail menant au courant marin exploité par les Orins pour se déplacer.—Plus que quelques millions, murmura-t-il.S’il s’était adapté facilement à la vie d’Orancia, ce n’était que pour la simple et bonne raison qu’Inaya leur avait créé, à lui et Claire, un compte commun largement fourni.—Tu n’aurais pas survécu longtemps dans ce pays, toi, se moqua-t-elle. Tu imagines? Tu aurais dû travailler.Les mots lui parv
Trois mois plus tard. L’aube pointait son nez, teintant de couleurs froides les rues vides d’Elysia. C’était le moment le plus calme de la journée. Juste entre la fin des Vespers et le réveil de la ville. Je resserrai les pans de ma veste autour de moi. Le temps était encore frais pour ce printemps déjà bien avancé.À la mémoire de Richard Flyn,Homme du peuple, mort pour le servir.L’Ordre ne fait pas la grandeur. Comme chaque matin, je venais fixer la plaque érigée en l’honneur de l’homme exceptionnel qu’avait été Richard Flyn. Je savais ce qu’il aurait pensé en voyant la coûteuse feuille d’argent à la calligraphie sophistiquée ornant l’entrée du Concil. Il se serait moqué.Putain, gamin, une plaque je veux bien, mais devant le Concil?! Mieux vaut encore aux pieds des Vétéris et leurs p’tits vieux en couche-culotte!Je pouvais pr
Elias était perdu au milieu d’une marée de Leukos. Son sabre virevoltait, tranchant, coupant, parant. De l’ichor bleuté fusait dans l’air. Il n’entendait même plus le cri inhumain des Leukos. En se retournant, il s’aperçut qu’il avait taillé lui-même une percée au sein des forces ennemies. Seule Maya arrivait à le suivre. Leurs styles de combats n’avaient rien à voir. Elle était tantôt aérienne, tantôt frontale, fonçant brutalement vers ses adversaires. Lorsqu’ils comprenaient que la petite cible de chair ne fuyait pas devant eux, c’était trop tard. Ses couteaux d’argent s’enfonçaient dans l’albâtre et la lumière s’éteignait dans le bleu glacial de leurs yeux. Sa tenue de cuir était déchirée à d’innombrables endroits laissant entrevoir sa peau mate, mais pas la trace d’une blessure. Elle était sauvage, indomptable… Inarrêtable.Magnifique, pensa Elias.Il esquiva un bras surnaturellement étiré et s’aida du corps d’un Leuko pour se propulser avant de trancher la tête d’un
Je savourais chaque pas en montant le long escalier de marbre menant au Concil. J’aurais aimé que la situation m’offre plus de temps pour en profiter. Mes doigts glissèrent avec plaisir sur la poignée d’or. J’avais attendu suffisamment longtemps avant de remettre le pied ici.Un brouhaha régnait dans la salle centrale du Concil. Le Parlement. Quelque cinq cents Psys débattaient stérilement, s’invectivant, s’apostrophant. Des enfants se battant pour savoir lequel avait le plus gros jouet. Dressée dans l’entrée, à l’exact opposé de moi, je croisai le regard de Lyna. Elle hocha la tête. Je redressai le nœud de ma cravate, et repoussai une mèche de mes cheveux arrivant à ma nuque.—Silence.Tous se turent instantanément sans que j’aie besoin de hausser la voix. S’il y a quatre ans, face à ORGANA, l’élite d’Elysia n’avait été qu’un tas de couards, ils atteignaient un tout autre niveau aujourd’hui.—Je vous ai manqué?Plusieurs remuèrent s
On ne lève pas une rébellion en quelques jours ma fille…Pourtant Claire n’avait pas le choix. Ça faisait deux semaines que la garde Coral avait quitté Orancia. Ils devaient être aux côtes d’Elysia. Elle avait consacré chaque minute de son temps à monter les Abyssaux contre le Pinacle, aller au contact des citoyens, utiliser le réseau des Affranchis, voire du Conseil d’Administration. Elle n’avait trouvé que des gens vidés de leur énergie, qui avait perdu l’envie de se battre. Ils acceptaient leur sort, les épaules baissées. Ils avaient essayé de se rebeller contre Orancia et pour quel résultat? Ils étaient toujours pauvres et même ceux qui luttaient pour eux les avaient abandonnés. Comment les blâmer?Claire n’avait rien d’un leader. Elle le savait. Certaines personnes étaient nées pour diriger. Elle, l’était pour écrire. Elle prit une grande bouffée d’air. Et appuya sur sa montre d’interface. Chaque écran d’Orancia, du Pinacle aux Abysses, devint noir
Diriger en ouvrant la voie.Guider pour protéger.Prestige et chemin mêlés.Mes mots, précisément. Il y a plus de quatre ans, alors que je me tenais face à la silhouette éventrée de l’Étoile d’Elysia. L’image du corps d’Elias écrasé sur les marches de marbre encore en tête. Ces mots s’étaient comme imposés à moi, comme une certitude. Alors je les avais soufflés, avec toute la conviction que je pouvais avoir. Le désir de paver un chemin nouveau pour le futur, d’apprendre de nos erreurs, de ne pas les répéter. De faire en sorte que le sacrifice d’Elias ne soit pas vain.Ce que j’ignorais, c’est que ces mots, ces Serments, étaient bien plus.C’était des portes.*Dans une chambre des étages supérieurs de Concordia, Inaya prononçait son Serment avant de disparaître dans la lumière de la Faille. Au même instant, sa contrepartie du présent, Destiny, murmurait elle aussi les mots qui avaient guidé sa vie depuis. L
Lorsqu’on a plusieurs consciences dispersées entre le passé, le présent et le futur, il est parfois difficile de présenter ça sous la forme d’un tout cohérent. Mais je vais faire un effort pour ton esprit limité, Caine.Tout commence, il y a quatre ans. Le jour où Elias Vendavel a pénétré dans ma ville, la tête remplie d’idéaux et de boniments sans comprendre quels sacrifices avaient été nécessaires pour que l’Humanité survive. Le bien. Le mal. Ces notions manichéennes ne devraient même pas rentrer en compte. C’était facile pour lui de juger. Il n’avait pas connu le Cataclysme, la déchéance, la race humaine mourant à petit feu dans d’atroces souffrances. Et ça, de sa propre main. Bref. Les circonstances ont fait qu’en dépit de ma volonté, ORGANA fut détruite, libérant les Élyséens de «mon joug». À mes yeux, précipitant la chute d’Elysia.ORGANA était mon plan de secours. Lorsque j’ai inventé les circuits magnétiques et développé l’intelligence artifici
Liv frémit au contact de la pierre froide sous ses pieds. Elle avançait nue sous sa toge de cérémonie, encadrée par deux dévôtaires, le visage masqué. Avec la Guerre Sainte officiellement lancée par Draconis, le recrutement des Dévots s’était intensifié. Et enfin, c’est à mon tour! se réjouit-elle.Dans quelques minutes, elle serait sacrée par le Triumvirat et rejoindrait ses nouveaux frères et sœurs dans un temple de l’érudition. Sa Foi serait portée vers des horizons inédits.Bien sûr, ses parents et ses amis lui manqueraient. Kal et Veil principalement, la plupart de ses autres compagnons étant des livres. Un sourire moqueur étira ses lèvres. J’espère que Kal trouvera une fille bien pour le garder dans le droit chemin. Pitié, pas une de ces cruches de la cour! Elle se faisait plus de soucis pour Veil. Il était si convaincu qu’une nouvelle Ruine–non, Renaissance–arrivait. Sans compter la Guerre Sainte. Draconis n’était pas par
Le temps nous est compté. C’était avec cette phrase qu’Elias s’endormait chaque soir et qu’il se réveillait le matin. Sauf ce jour. Maya passa ses doigts dans les cheveux d’Elias.—Ils ont poussé, nota-t-elle en désignant les racines blanches qui se démarquaient du châtain du reste de sa crinière.—Difficile de trouver une teinture sur une île déserte, sourit-il.Un doux silence s’installa dans la lumière du matin. Les deux derniers jours avaient été rythmés par un certain flottement. Le bonheur intense qu’il avait ressenti de retrouver Maya et Elio en chair et en os, teinté de chagrin.Son retour avait ravivé le conflit entre Elysia et Concordia, entre supporters et détracteurs des Omégas. Mais il avait aussi soulevé un élan d’espoir dans leurs rangs. Comme il l’avait promis, Elias Vendavel était de retour. Et dans son sillon, l’idée qu’avec lui et Maya à leur tête, ensemble, le pire était derrière eux. Il n’avait pas eu la foi de les décourager
Maya avait un lien avec la Mort. Plus intime que quiconque, si ce n’est Elias peut-être. Elles avaient dansé toutes deux pendant des années, se tournant autour, l’une tendant les bras et l’autre s’échappant toujours de son étreinte. Elle la connaissait si bien, que lorsqu’elle voyait son spectre se profiler, elle se préparait à l’accueillir comme une vieille amie.Elle connaissait bien sa Mort. Celle qui était dans son ombre en toute circonstance, présente, mais sans pouvoir la toucher. Mais s’il y avait une chose qu’elle détestait, dont elle avait peur plus que tout, c’était les autres Morts. Celles qui pouvaient surgir et plonger sur quelqu’un sans prévenir. Anéantir, en un instant, une vie entière de possibilité. Une Mort qu’elle, Maya, ne pouvait repousser.Comme chaque jour depuis un mois, elle était au chevet d’Inaya Tempus. Elles ne s’étaient pas connues longtemps, mais avaient noué un lien d’autant plus fort qu’il s’était brisé brutalement. L’espoir qu’elle repren