Aïda
Le soleil brûlant écrasait les champs de canne à sucre, peignant la plantation de Bellefontaine d’une lueur dorée et trompeuse. Sous cette beauté apparente, la souffrance suintait à travers chaque sillon de terre retournée, chaque cri étouffé dans l’air saturé de moiteur.
Je sentis la sueur couler le long de mon dos, traçant une ligne humide entre mes omoplates. Mon corsage léger, déjà collé à ma peau, n’absorbait plus rien depuis des heures. La faucille était lourde dans ma main, son manche rugueux entaillant la paume de mes doigts fatigués. Pourtant, je ne ralentissais pas. Personne ne ralentissait. Ici, on travaillait au rythme du fouet, et mieux valait ne pas être celui ou celle qui attirait l’attention.
Le bruissement des tiges de canne coupées, le cliquetis métallique des lames contre les tiges épaisses, les respirations sifflantes de ceux qui peinaient sous la chaleur : tout cela formait une symphonie oppressante, un chant de douleur et de résignation. Je l’entendais chaque jour, et chaque jour, je me répétais que mon tour viendrait. Qu’un jour, je briserais ces chaînes invisibles qui nous retenaient ici, même si cela devait me coûter la vie.
Mais pas aujourd’hui. Pas maintenant.
Un hennissement brisa l’habituelle monotonie du champ. Instinctivement, je relevai légèrement la tête. Un cavalier approchait, son cheval soulevant des volutes de poussière sur le chemin bordé de chênes noueux. Je plissai les yeux sous l’éclat du soleil. Ce n’était pas un contremaître. Ni un planteur ordinaire.
— « Gabriel de Montreuil est revenu », chuchota une voix à ma gauche.
Je ne bougeai pas, mais mon cœur manqua un battement. Gabriel de Montreuil. Un nom que tout le monde ici connaissait. L’héritier des Montreuil, fils du maître, parti depuis des années en France. On disait qu’il avait étudié dans les plus grandes écoles, qu’il avait vu des choses bien au-delà des marais et des champs de canne de Bellefontaine. Un homme du Nord, qui ne comprenait rien à la terre du Sud ni aux lois du sang.
Je l’avais déjà aperçu autrefois, mais c’était un garçon à l’époque. Il venait parfois dans les champs avec son père, curieux, mais jamais assez longtemps pour voir ce qui se passait quand le regard des blancs se détournait. J’avais grandi, moi aussi. Je n’étais plus l’enfant qui tremblait sous les coups, ni celle qui baissait toujours les yeux par peur de mal faire.
Son cheval s’arrêta non loin de moi. Il balaya le champ du regard, ses yeux clairs se posant sur la file d’esclaves courbés sous le soleil. Puis, par un caprice cruel du destin, son regard croisa le mien.
Je sus immédiatement que j’aurais dû détourner les yeux. Mais il y avait en moi cette flamme qu’on n’avait jamais réussi à éteindre. Une seconde de trop. Une seconde où je soutins son regard avant de me forcer à me baisser de nouveau.
Trop tard.
Je sentis la brûlure de son attention sur moi, comme une chaîne invisible qui venait de se refermer autour de ma gorge.
Je repris mon travail, les gestes automatiques, le cœur battant plus fort que je ne l’aurais voulu. Derrière moi, j’entendis la voix du contremaître s’élever, rude et grave.
— « Monsieur Gabriel. »
Le Montreuil n’aîné. L’homme qui possédait tout ici.
Je n’écoutais pas la conversation, je ne voulais pas savoir. Mais je savais que quelque chose avait changé.
Plus tard, bien plus tard, alors que la nuit enveloppait Bellefontaine, je restai assise devant ma cabane, une étoffe usée entre les doigts. Mes mains, douloureuses après la journée de labeur, caressaient machinalement le tissu, un vieux reste d’un temps que je peinais à me rappeler.
Des pas feutrés s’approchèrent. Je relevai lentement la tête.
Gabriel de Montreuil se tenait là, juste devant moi.
Je ne bougeai pas, mais mes doigts se crispèrent légèrement sur l’étoffe. Il n’avait rien à faire ici.
— « Vous ne devriez pas être ici. »
Ma voix était calme, posée. Pas une menace. Pas un ordre. Juste un fait.
Il hésita, puis s’accroupit face à moi, un coude posé sur son genou.
— « Comment t’appelles-tu ? »
Je soutins son regard cette fois. Je vis de la curiosité dans ses yeux, quelque chose d’autre aussi, mais je n’avais pas le luxe d’y réfléchir.
— « Aïda. »
Il répéta mon nom doucement, comme s’il le découvrait pour la première fois, comme s’il goûtait une langue interdite.
— « Aïda… »
Un silence s’étira entre nous. Pesant. Rempli de quelque chose d’invisible mais indéniable.
Et c’est à cet instant que je compris : cet homme all
ait bouleverser tout ce que je pensais savoir sur mon monde.
La nuit enveloppait la plantation de Bellefontaine d’un voile de silence trompeur. J’entendais le bruissement des feuillages, le chant lointain des grenouilles, le craquement du bois sous le vent. Même endormie, la terre respirait encore.Accroupi devant Aïda, je la regardais, absorbant sa présence comme un naufragé accroché à une vérité qu’il ne pouvait encore comprendre. Elle, immobile, m’observait avec une distance mesurée, pesant sans doute déjà le danger que représentait cette conversation.— « Pourquoi me regardiez-vous aujourd’hui, dans les champs ? » demanda-t-elle enfin.Je marquai un silence. J’aurais pu mentir, détourner la question, prétendre que je ne l’avais pas remarquée plus qu’une autre. Mais je savais que ce serait faux.— « Parce que je n’avais jamais vu quelqu’un comme toi. »Un sourire amer se dessina sur ses lèvres.— « Quelqu’un comme moi ? Une esclave ? Une femme que votre famille possède comme du bétail ? »Je serrai les dents.— « Ce n’est pas ce que je voula
L’aube teintait le ciel de Bellefontaine d’un gris pâle lorsque je quittai ma chambre. L’air du matin portait encore la fraîcheur de la nuit, un contraste saisissant avec la chaleur étouffante qui s’abattrait bientôt sur la plantation. J’avais à peine dormi. Les paroles de mon père résonnaient encore dans ma tête, et le visage d’Aïda hantait mes pensées.Je descendis silencieusement l’escalier de bois poli et traversai le grand hall, évitant les domestiques qui commençaient déjà leur journée. J’avais besoin d’air, d’espace, de quelque chose pour étouffer la colère qui me rongeait.Dehors, les champs s’étendaient à perte de vue, baignés d’une lumière timide. J’aperçus les esclaves en train de se rassembler, leurs silhouettes sombres se découpant contre la brume matinale. Ils se préparaient pour une autre journée de labeur, une autre journée d’épuisement sous le regard de surveillants armés de fouets.Mon regard chercha Aïda.Je la trouvai près d’une charrette, parlant à une vieille fem
Gabriel de MontreuilLa nuit était lourde, presque suffocante, tandis que je regagnais Bellefontaine. Chaque pas résonnait dans l'air tiède comme un avertissement silencieux. Je savais que je venais de commettre une erreur—non pas d’avoir parlé, mais d’avoir laissé transparaître ce que je ressentais réellement.Le regard de Charles Beauregard me hantait encore. Cet homme n’était pas un simple propriétaire de plantation. Il était un pilier du système esclavagiste, un homme dont les mains étaient couvertes du sang de ceux qu’il considérait comme des « biens ». En le provoquant, je ne m’étais pas seulement attiré des soupçons : je venais de signer mon entrée dans un jeu dangereux.Lorsqu’enfin j’arrivai au manoir, je trouvai mon père debout sur le perron, une lampe à huile à la main.— « Tu étais au village. »Ce n’était pas une question, mais une accusation.Je retins un soupir.— « J’avais besoin de réfléchir. »Auguste de Montreuil m’observa un instant, ses traits figés dans une expre
Gabriel de MontreuilLa chaleur du matin écrasait déjà Bellefontaine lorsque je quittai le manoir. Mon père n’avait rien dit du scandale de la veille, mais son silence en disait long. Il attendait. Il observait. Il voulait voir si j’allais plier ou persister.Je savais que j’avais attiré l’attention, pas seulement celle des contremaîtres, mais aussi celle des esclaves. Un geste comme celui d’hier ne s’oubliait pas. Il semait quelque chose. Une rumeur, un espoir. Ou un avertissement.Lorsque je rejoignis les champs, Carter m’attendait, assis sur une barrière de bois, un brin d’herbe coincé entre ses dents.— « On dirait que vous avez fait sensation hier, Montreuil. »Je ne répondis pas. Il sauta de son perchoir et s’approcha.— « Votre père ne vous a pas encore mis dehors ? Étonnant. Mais vous devriez faire attention. Tout le monde parle de vous. Et pas en bien. »Je levai un sourcil.— « Vraiment ? Et qu’est-ce qui se dit ? »— « Que vous êtes trop tendre. Que vous n’avez pas la poign
Gabriel de MontreuilLa brume du matin recouvrait Bellefontaine d’un voile fantomatique lorsque je quittai ma chambre. Mon esprit était agité, tiraillé entre l’ombre menaçante de mon père et l’écho des paroles de la veille."Jusqu’où êtes-vous prêt à aller ?"La question me hantait.Je traversai la cour, longeant les cabanes où les premiers travailleurs s’activaient déjà. Des silhouettes fatiguées, habituées à l’oppression, s’efforçaient de ne pas croiser mon regard. Pourtant, je sentais leur attention peser sur moi.Ils attendaient.Attendaient de voir si mes actes suivraient mes paroles.☾☾☾Un domestique vint me chercher en fin de matinée.— « Monsieur votre père vous demande à son bureau. »Je savais ce qui m’attendait.En entrant dans la pièce, je découvris que mon père n’était pas seul.Charles Beauregard était là, confortablement installé dans un fauteuil, un sourire presque amusé sur les lèvres. À ses côtés, Carter, debout, bras croisés, me jaugeait avec un mépris à peine voil
Gabriel de MontreuilLa nuit était lourde, chargée d’électricité. L’air sentait la terre humide et la cendre, comme si la tempête approchait déjà.Je fixai le couteau que Samuel m’avait tendu. Son poids était dérisoire dans ma main, mais sa signification pesait des tonnes.— « Il ne s’agit pas de tuer, » murmura Samuel. « Mais il faut être prêt à se défendre. »Je levai les yeux vers le groupe. Des visages tendus, inquiets, mais résolus. Aïda me scrutait, cherchant à lire ma réaction.— « Alors nous frappons les premiers, » déclarai-je.Un murmure parcourut l’assemblée.☾☾☾Cette nuit-là, nous n’attendîmes pas.Par petits groupes, nous nous glissâmes entre les cabanes, avançant vers l’entrepôt où étaient stockées les armes des contremaîtres.Le plan était simple :1. Neutraliser le garde.2. Prendre les fusils et les munitions.3. Saboter les chevaux et les charrettes pour empêcher une poursuite immédiate.Si nous réussissions, Bellefontaine ne serait plus sous contrôle au lever du so
Gabriel de MontreuilJe pris une grande inspiration et appuyai sur la gâchette.Le coup partit avec un fracas assourdissant.Le cheval de Carter se cabra violemment. L’animal hennit, désarçonnant son cavalier.— « À couvert ! » hurla un contremaître.Le chaos éclata.Des balles fusèrent dans tous les sens.Aïda surgit d’un buisson et lança une pierre sur un des hommes, lui fracassant le crâne.Samuel fonça sur un autre, le projetant au sol dans une lutte acharnée.Je rechargeai rapidement, me décalant derrière un tronc pour éviter un tir.Carter se releva, une rage pure dans les yeux.— « Montreuil ! » hurla-t-il.Je pivotai juste à temps pour voir son poing filer vers mon visage.L’impact me projeta en arrière, ma tête heurtant le sol violemment.Le monde vacilla.Je vis Carter lever son fouet, prêt à l’abattre sur moi.Un coup de feu retentit.Carter s’effondra, son bras ensanglanté.Aïda, le fusil encore fumant, se tenait là, le souffle court.Elle me tendit la main.— « Debout, Ga
Gabriel de MontreuilL’odeur de fumée imprégnait encore l’air lorsque nous quittâmes Bellefontaine.La plantation n’était plus qu’un champ de ruines calcinées. Le feu avait tout dévoré : les champs, les entrepôts, et même une partie du manoir. Seule la structure principale avait tenu bon, mais elle était noircie, mutilée, vidée de sa splendeur d’autrefois.Mon père n’avait pas reparu depuis la veille. Il n’était ni mort ni captif, et quelque part, cela m’inquiétait plus que s’il avait péri dans l’incendie.Le combat était gagné, mais la guerre ne faisait que commencer.L’ExodeNous étions une trentaine maintenant. Certains esclaves libérés avaient décidé de partir vers le nord, mais d’autres nous suivaient, cherchant un refuge, une cause.Nous ne pouvions pas rester là.Samuel et Aïda marchaient à mes côtés tandis que nous nous enfoncions dans le bayou. La végétation humide nous enveloppait, et les moustiques nous assaillaient sans relâche.— « On ne peut pas juste errer dans les mara
Gabriel de MontreuilAïda s’accroche à la vie.Elle respire difficilement, allongée sur le pont du Pavillon Noir, son sang s’infiltrant entre les planches de bois comme une promesse maudite. Ses yeux sont mi-clos, sa peau, plus pâle que je ne l’ai jamais vue.Je presse ma main contre la plaie, ignorant le chaos qui nous entoure.— Tiens bon, Aïda. Tu m’entends ?Sa main tremble, se referme sur mon bras.— Gabriel…Sa voix est un souffle. Faible. Trop faible.M’Bala s’agenouille à côté de moi, son visage d’ordinaire impassible déformé par l’angoisse.— Il faut la descendre à la cabine. Vite.J’acquiesce, incapable de parler.Je la soulève avec précaution. Son corps est léger contre le mien, mais je sens la chaleur de son sang qui s’imprègne dans ma chemise. Je descends d’un pas rapide l’escalier menant à ma cabine, Diego à mes trousses, son bras toujours serré contre ses côtes blessées.À peine la pose-t-on sur la couchette qu’un cri résonne sur le pont.— L’ennemi revient !Je me fige
Gabriel de MontreuilJe serre la sphère dans ma main. Elle pulse, chaude contre ma paume, comme un cœur qui bat au rythme de la tempête à venir.— Au bateau ! crié-je.Aïda passe devant, Diego s’appuie sur M’Bala, les mâchoires crispées sous la douleur, mais il ne ralentit pas. Il sait que s’arrêter, c’est mourir.Nous dévalons la pente rocailleuse qui mène à la crique où nous avons laissé nos canots. Derrière nous, les premiers coups de semonce retentissent.— Ils tirent du large ! hurle Aïda.Je lève les yeux .Une lueur s’élève dans le ciel nocturne.Un boulet enflammé.Il fend l’air avec un sifflement sinistre avant de s’écraser sur la plage, soulevant une gerbe de sable et de roche.Trop près. Beaucoup trop près.— Plus vite !Nos canots sont là, amarrés sous les hautes falaises, bercés par une mer agitée. Nos hommes nous attendent, armes en main. Lorsque nous bondissons à bord, les rames plongent immédiatement dans l’eau noire, propulsant nos frêles esquifs vers la haute mer.Et
Gabriel de MontreuilLe coup de feu éclate.Le commandant espagnol, toujours posté à l’entrée de la crypte, nous observe avec un sourire cruel. Autour de lui, ses hommes s’engouffrent dans la salle, fusils braqués.— Fin de la route, capitaine Montreuil.Il recharge calmement son pistolet, sûr de lui, sûr de sa victoire.Mais il ignore une chose.Nous avons la sphère.Et ce temple est vivant.Je serre l’orbe dans ma main, et dès que mes doigts effleurent les symboles gravés sur sa surface, une onde étrange pulse à travers mes veines.Les murs vibrent.Les fresques illuminées par la lueur des torches s’animent, comme si les figures sculptées s’éveillaient d’un long sommeil.Puis, dans un grondement sourd, la pierre sous nos pieds commence à se fissurer.L’instant d’après, une explosion d’énergie jaillit du cœur de la sphère.Un vent violent balaye la crypte, projetant poussière et éclats de pierre dans toutes les directions.Le commandant espagnol recule d’un pas, pris de court.— Que
Gabriel de MontreuilIls sont là.Aïda, Diego et M’Bala se placent à mes côtés, leurs armes prêtes. Nous échangeons un regard. Il n’y a pas besoin de mots. Nous savons tous ce qui nous attend.Puis la première silhouette émerge de l’obscurité.Un soldat espagnol, fusil en main, la cuirasse poussiéreuse mais l’œil alerte.Derrière lui, d’autres apparaissent, une colonne disciplinée, armée jusqu’aux dents.Et au milieu d’eux, une silhouette plus imposante, drapée dans un manteau noir.Le commandant en charge.Il fait un pas en avant, nous observant comme un prédateur jaugeant ses proies.Puis il sourit.— Gabriel de Montreuil…Sa voix est calme, posée, et pourtant, elle me glace le sang.— L’Empire sait qui tu es. Nous suivons tes traces depuis longtemps. Et aujourd’hui, nous mettons enfin la main sur ce que tu cherchais.Je serre les dents, mon sabre fermement tenu dans ma main.— Si vous êtes venus chercher un trésor, vous vous êtes trompés d’endroit, lancé-je d’une voix glaciale.L’h
Gabriel de MontreuilJe m’approche à mon tour. Les motifs aztèques s’entrelacent avec des inscriptions en espagnol, comme si deux mondes s’étaient affrontés ici. Je lis à voix basse :"Là où dorment les rois, seule la clé ouvrira le passage."Je serre le médaillon dans ma main. Mon père a suivi ces mêmes indices. Il a tenu ce même médaillon. Mais lui… n’est jamais revenu.— On continue, dis-je en avançant.Le couloir s’enfonce dans les entrailles du temple, serpentant entre des colonnes massives et des alcôves remplies de statues de guerriers figés dans la pierre.Puis nous arrivons devant une immense porte de pierre, barrée par une barre de métal rongée par le temps.Je m’approche et examine le centre de la porte.Là, gravé en relief, se trouve le même œil que sur mon médaillon.Je prends une profonde inspiration et pose le bijou contre l’empreinte.Un grondement sourd résonne dans le temple.La pierre tremble.Puis la porte s’ouvre lentement, révélant une salle gigantesque.---Aïda
Gabriel de MontreuilDepuis que nous avons quitté le San Telmo, une tension sourde s’est installée à bord du Pavillon Noir. L’équipage murmure, certains parlent de malédiction, d’autres de trésor interdit. Mais moi, je garde les yeux rivés sur l’horizon. Je serre le médaillon dans ma main comme si ce simple objet pouvait répondre à toutes mes questions.L’inconnu qui nous a guidés jusqu’ici n’a pas cherché à nous suivre. Il s’est contenté de nous indiquer une direction, quelques coordonnées approximatives, avant de disparaître dans la nuit comme un spectre.Mon père est venu ici. Il a suivi cette même route, il a tenu ce même médaillon… et il a disparu.Je ne ferai pas la même erreur.— Gabriel, dit Aïda en s’approchant.Elle se tient droite, les bras croisés, mais je vois l’inquiétude danser dans ses yeux sombres.— L’équipage murmure, continue-t-elle. Certains disent que nous naviguons vers un piège. D’autres veulent savoir ce qu’on cherche exactement.Je soupire.— Qu’est-ce que tu
Gabriel de MontreuilJe referme le journal de mon père d’un geste sec. Mon cœur bat trop vite, mes pensées s’entrechoquent. Cet homme, ce spectre du passé qui se tient devant moi, sait quelque chose. Il en sait bien plus qu’il ne le laisse paraître.— Ce journal s’arrête brutalement, dis-je en levant les yeux vers lui. Mon père a écrit qu’il allait descendre dans les profondeurs du San Telmo. Alors dis-moi : où est-il allé ? Qu’a-t-il découvert ?L’inconnu me fixe sans ciller. Pendant un instant, j’ai l’impression qu’il savoure mon impatience.— Il a trouvé ce qu’il cherchait, finit-il par dire.— Et c’était quoi ?Il ne répond pas immédiatement. Son regard glisse vers le fond de la pièce, vers une seconde porte, plus discrète, à moitié dissimulée derrière un rideau de toile déchirée.— Si tu veux connaître la vérité, tu dois voir par toi-même.Je serre les dents. Cet homme joue avec moi, et je déteste ça. Mais je ne peux pas ignorer ce qu’il insinue.Je me tourne vers Aïda. Son expre
Gabriel de MontreuilLes mots de l’homme résonnent en moi comme un coup de canon en pleine tempête.— Ton père est déjà venu ici.Je reste figé, mon sabre encore levé, mon souffle court. Autour de moi, mes compagnons sont en alerte, mais personne ne parle. Même Aïda, pourtant si prompte à réagir, semble suspendue à cette révélation.— Tu mens, dis-je d’une voix plus rauque que je ne le voudrais.L’homme sourit, lentement, comme s’il savourait mon trouble.— Pourquoi mentirais-je ? murmure-t-il.Il fait un pas en avant. Je ne recule pas.— Il y a bien des années, ton père a cherché le San Telmo. Il a cru qu’il trouverait ici… quelque chose.Je serre les dents, mon esprit s’emballe. Mon père… ce nom que je n’ai entendu que dans les souvenirs de ma mère, dans les murmures du passé. Il a disparu en mer quand j’étais encore un enfant. Depuis, il n’était plus qu’une ombre, un fantôme emporté par les vagues.Et maintenant, cet inconnu prétend qu’il est venu ici avant moi ?Je veux des répons
Gabriel de MontreuilLe Pavillon Noir fend les vagues, sa coque grinçant sous la pression des vents nocturnes. La brume s’accroche à la mer comme une écharpe funèbre, étouffant tout bruit au-delà du claquement des voiles et du bruissement de l’eau contre le bois. L’équipage est silencieux. L’histoire du San Telmo s’est répandue parmi les hommes, et je sens la crainte s’insinuer comme un poison dans leurs veines.Aïda s’approche de moi, ses yeux sombres fixés sur l’horizon invisible.— Miguel ne plaisante pas avec ces choses-là, dit-elle d’une voix basse.Je ne réponds pas tout de suite. Son souffle est chaud contre le vent glacial.— Ce n’est qu’un navire, murmuré-je enfin.— Un navire qui ne devrait pas exister.Je tourne la tête vers elle. Aïda n’est pas du genre à croire aux légendes. Mais ce soir, une ombre traverse son regard.— Tu as peur ?Elle me fusille du regard.— Je n’ai pas peur des navires fantômes. J’ai peur de ce que l’Empire cherche vraiment.Je hoche lentement la têt