Home / Romance / LES CHAÎNES DU DESTIN / Chapitre 6 – L’Heure des Choix

Share

Chapitre 6 – L’Heure des Choix

Author: Déesse
last update Last Updated: 2025-02-25 16:12:25

Gabriel de Montreuil

La brume du matin recouvrait Bellefontaine d’un voile fantomatique lorsque je quittai ma chambre. Mon esprit était agité, tiraillé entre l’ombre menaçante de mon père et l’écho des paroles de la veille.

"Jusqu’où êtes-vous prêt à aller ?"

La question me hantait.

Je traversai la cour, longeant les cabanes où les premiers travailleurs s’activaient déjà. Des silhouettes fatiguées, habituées à l’oppression, s’efforçaient de ne pas croiser mon regard. Pourtant, je sentais leur attention peser sur moi.

Ils attendaient.

Attendaient de voir si mes actes suivraient mes paroles.

☾☾☾

Un domestique vint me chercher en fin de matinée.

— « Monsieur votre père vous demande à son bureau. »

Je savais ce qui m’attendait.

En entrant dans la pièce, je découvris que mon père n’était pas seul.

Charles Beauregard était là, confortablement installé dans un fauteuil, un sourire presque amusé sur les lèvres. À ses côtés, Carter, debout, bras croisés, me jaugeait avec un mépris à peine voilé.

Mon père se tenait derrière son bureau, visage fermé.

— « Entre, Gabriel. »

Je pris une grande inspiration et m’avançai, retenant le frisson d’alerte qui me parcourait l’échine.

— « Messieurs. »

Mon regard croisa celui de Beauregard, et son sourire s’élargit.

— « Vous avez fait beaucoup parler de vous, jeune Montreuil. On raconte que vous avez empêché une punition. »

Je haussai les épaules.

— « C’est exact. »

Carter grogna.

— « Et vous ne regrettez pas votre geste ? »

— « Non. »

Le silence se fit plus dense.

Mon père se massa les tempes, exaspéré.

Beauregard, lui, se pencha légèrement, son regard perçant.

— « Vous êtes un homme intelligent, Gabriel. Vous avez étudié en France. Vous connaissez le monde. Alors dites-moi… Qu’est-ce qui vous fait croire que vous pouvez renverser un système qui fonctionne depuis des siècles ? »

— « Fonctionne pour qui ? » répliquai-je sans détour.

Un silence pesa sur la pièce.

Puis Beauregard rit doucement, mais ses yeux étaient froids.

— « Votre fils est un idéaliste, Auguste. Un rêveur. Et les rêveurs finissent souvent pendus à un arbre. »

Mon père se leva brusquement.

— « Assez ! »

Sa voix claqua dans la pièce, et même Beauregard perdit son sourire.

— « Gabriel, écoute-moi bien. Je t’ai laissé une chance de comprendre comment fonctionne Bellefontaine. Mais au lieu de ça, tu fais preuve d’insubordination. Tu mets en danger l’équilibre de cette plantation. »

Il s’approcha, plantant son regard dans le mien.

— « Tu as un choix à faire. Soit tu acceptes ton rôle, soit tu es mon ennemi. »

Un ultimatum.

Je savais que ce moment arriverait, mais l’entendre de sa bouche donnait à ces mots une gravité nouvelle.

Je sentis le regard de Beauregard et Carter peser sur moi, attendant ma réaction.

Mon père voulait me briser.

Mais il ne comprenait pas que j’avais déjà fait mon choix.

Je redressai les épaules et répondis d’une voix ferme :

— « Alors, nous sommes ennemis. »

Un silence glacial s’abattit dans la pièce.

Mon père me fixa comme si je venais de le trahir de la pire des manières.

Beauregard, lui, secoua la tête avec un sourire narquois.

— « Une bien mauvaise décision, garçon. »

Lorsque je sortis du bureau, je sentis une tension nouvelle peser sur mes épaules.

Carter m’attendait dans le couloir.

— « Je savais que vous étiez stupide, mais pas à ce point. »

Je le contournai sans un mot, mais il attrapa mon bras avec une force brutale.

— « Vous venez de signer votre arrêt de mort, Montreuil. »

Je le repoussai violemment.

— « Et vous, Carter, vous venez de perdre toute mon estime. »

Il ricana.

— « Je vais dormir tranquille malgré ça. »

Je ne lui répondis pas et quittai la maison.

La nuit était lourde lorsque je rejoignis les cabanes des esclaves.

Le groupe m’attendait près de la rivière. Cette fois, ils étaient plus nombreux. Des visages tendus, inquiets.

Samuel me fixa longuement.

— « Vous avez choisi votre camp, Montreuil ? »

Je hochai la tête.

— « Oui. »

Samuel échangea un regard avec Aïda, puis se tourna vers les autres.

— « Alors il est temps d’agir. »

Je pris une grande inspiration.

— « Que devons-nous faire ? »

Samuel s’approcha, sa voix plus basse.

— « Les punitions deviennent plus dures. Carter et ses hommes sont plus violents. Certains d’entre nous veulent fuir. Mais nous avons aussi entendu parler d’une révolte qui s’organise, plus loin vers le nord. »

— « Une révolte ? »

Aïda hocha la tête.

— « Ils disent que dans quelques mois, il y aura un soulèvement. Pas juste quelques fuites isolées. Un vrai combat. »

Je sentis mon cœur accélérer.

C’était un pas de plus dans l’engrenage.

Samuel me jaugea.

— « On pourrait attendre et voir ce qui se passe. Ou bien… on peut commencer à préparer notre propre action ici, à Bellefontaine. »

Je déglutis.

J’étais prêt à défier mon père.

Mais étais-je prêt à prendre les armes ?

Aïda me regarda avec intensité.

— « Vous voulez vraiment aider, Gabriel ? Alors vous devez comprendre une chose : les mots ne suffiront pas. »

Un silence tomba sur le groupe.

Puis Samuel hocha la tête et me tendit un couteau.

— « Il est temps de décider qui vous êtes vraiment. »

Je fixai la lame.

J’avais franchi une ligne en défiant mon père.

Mais cette nuit, je me rendis compte qu’il y avait encore une autre ligne à franchir.

Et qu’une fois

passée, je ne pourrais plus jamais revenir en arrière.

Au loin, dans l’obscurité, le vent s’était levé.

La tempête approchait.

Et cette fois, je serais prêt à la déclencher.

Continue to read this book for free
Scan code to download App

Related chapters

  • LES CHAÎNES DU DESTIN    Chapitre 7 – Les Braises du Soulèvement

    Gabriel de MontreuilLa nuit était lourde, chargée d’électricité. L’air sentait la terre humide et la cendre, comme si la tempête approchait déjà.Je fixai le couteau que Samuel m’avait tendu. Son poids était dérisoire dans ma main, mais sa signification pesait des tonnes.— « Il ne s’agit pas de tuer, » murmura Samuel. « Mais il faut être prêt à se défendre. »Je levai les yeux vers le groupe. Des visages tendus, inquiets, mais résolus. Aïda me scrutait, cherchant à lire ma réaction.— « Alors nous frappons les premiers, » déclarai-je.Un murmure parcourut l’assemblée.☾☾☾Cette nuit-là, nous n’attendîmes pas.Par petits groupes, nous nous glissâmes entre les cabanes, avançant vers l’entrepôt où étaient stockées les armes des contremaîtres.Le plan était simple :1. Neutraliser le garde.2. Prendre les fusils et les munitions.3. Saboter les chevaux et les charrettes pour empêcher une poursuite immédiate.Si nous réussissions, Bellefontaine ne serait plus sous contrôle au lever du so

    Last Updated : 2025-02-26
  • LES CHAÎNES DU DESTIN    Chapitre 8– L'Incendie des Âmes

    Gabriel de MontreuilJe pris une grande inspiration et appuyai sur la gâchette.Le coup partit avec un fracas assourdissant.Le cheval de Carter se cabra violemment. L’animal hennit, désarçonnant son cavalier.— « À couvert ! » hurla un contremaître.Le chaos éclata.Des balles fusèrent dans tous les sens.Aïda surgit d’un buisson et lança une pierre sur un des hommes, lui fracassant le crâne.Samuel fonça sur un autre, le projetant au sol dans une lutte acharnée.Je rechargeai rapidement, me décalant derrière un tronc pour éviter un tir.Carter se releva, une rage pure dans les yeux.— « Montreuil ! » hurla-t-il.Je pivotai juste à temps pour voir son poing filer vers mon visage.L’impact me projeta en arrière, ma tête heurtant le sol violemment.Le monde vacilla.Je vis Carter lever son fouet, prêt à l’abattre sur moi.Un coup de feu retentit.Carter s’effondra, son bras ensanglanté.Aïda, le fusil encore fumant, se tenait là, le souffle court.Elle me tendit la main.— « Debout, Ga

    Last Updated : 2025-02-26
  • LES CHAÎNES DU DESTIN    Chapitre 9– Le Poids des Cendres

    Gabriel de MontreuilL’odeur de fumée imprégnait encore l’air lorsque nous quittâmes Bellefontaine.La plantation n’était plus qu’un champ de ruines calcinées. Le feu avait tout dévoré : les champs, les entrepôts, et même une partie du manoir. Seule la structure principale avait tenu bon, mais elle était noircie, mutilée, vidée de sa splendeur d’autrefois.Mon père n’avait pas reparu depuis la veille. Il n’était ni mort ni captif, et quelque part, cela m’inquiétait plus que s’il avait péri dans l’incendie.Le combat était gagné, mais la guerre ne faisait que commencer.L’ExodeNous étions une trentaine maintenant. Certains esclaves libérés avaient décidé de partir vers le nord, mais d’autres nous suivaient, cherchant un refuge, une cause.Nous ne pouvions pas rester là.Samuel et Aïda marchaient à mes côtés tandis que nous nous enfoncions dans le bayou. La végétation humide nous enveloppait, et les moustiques nous assaillaient sans relâche.— « On ne peut pas juste errer dans les mara

    Last Updated : 2025-02-26
  • LES CHAÎNES DU DESTIN    Chapitre 10 – L’Heure des Loups

    Gabriel de MontreuilL’aube peignait le ciel de rouge et d’or lorsque nous prîmes position.Dans le silence du matin, seuls les bruissements du bayou nous accompagnaient. Un vent tiède soulevait la brume au-dessus des eaux stagnantes, et les oiseaux, comme s’ils pressentaient l’orage, s’étaient tus.Je me tenais sur le rempart à demi effondré du vieux fort, mon fusil à la main, scrutant l’horizon.Ils arrivaient.À travers la brume, une colonne de cavaliers se dessinait lentement, avançant avec la certitude des chasseurs ayant déjà acculé leur proie.Carter menait la charge, le visage dur, les yeux plissés par la détermination. À sa droite, un homme portait le drapeau du régiment de la milice locale. Et derrière eux, une vingtaine de soldats, montés, armés, prêts à écraser la rébellion que nous étions devenus.— « Ils sont plus nombreux qu’on ne pensait… » murmura Samuel à mes côtés.— « Ils le sont toujours, » répondit Aïda.J’expirai lentement, resserrant ma prise sur mon fusil.Il

    Last Updated : 2025-02-26
  • LES CHAÎNES DU DESTIN    Chapitre 11 – L’ombre et la braise

    Gabriel de MontreuilLe silence après la bataille était presque aussi oppressant que le combat lui-même.Autour de moi, la fumée flottait encore dans l’air du matin, teintée d’odeurs de poudre et de sang. Les cadavres gisaient sur le sol, visages figés dans la peur ou la douleur. Certains des nôtres pleuraient les leurs, d’autres fouillaient les corps ennemis à la recherche d’armes ou de provisions.Samuel passa une main sur son visage en sueur, son regard sombre balayait le carnage.— « Ils vont revenir. Avec plus d’hommes, plus de fusils. »Aïda, debout près de la palissade en partie effondrée, hocha lentement la tête.— « On a gagné cette fois, mais la Louisiane entière va apprendre ce qui s’est passé ici. Ils ne laisseront pas passer ça. »Je le savais déjà.Carter mort, la milice locale humiliée, nous venions de déclencher quelque chose qui nous dépassait. Nous n’étions plus seulement des esclaves en fuite. Nous étions une révolte. Une menace.Et ils allaient faire tout leur poss

    Last Updated : 2025-02-27
  • LES CHAÎNES DU DESTIN    Chapitre 12 – La Marque du Sang

    Gabriel de MontreuilLa nuit était plus noire que l’encre lorsqu’ils nous retrouvèrent.Nous avions quitté le fort depuis trois jours, avançant sans relâche à travers le bayou. La boue, l’eau stagnante et les insectes nous ralentissaient, mais l’instinct de survie nous poussait à continuer.Nous ne laissions que peu de traces. Les anciens esclaves connaissaient la forêt mieux que n’importe quel soldat. Pourtant, ce n’était pas suffisant.Le silence de la nuit fut brisé par le hurlement d’un chien.Puis un autre.Mon cœur se serra.Aïda, qui marchait à mes côtés, se figea.— « Ils sont là. »Samuel, boitant légèrement à cause de sa blessure, jura entre ses dents.— « Combien de temps avant qu’ils nous tombent dessus ? »Un nouveau hurlement résonna, plus proche.— « Une heure, peut-être moins, » soufflai-je.Nous étions cernés par la nature hostile, mais nous connaissions le terrain. Si nous restions unis, si nous frappions au bon moment, nous avions une chance.Je me tournai vers les

    Last Updated : 2025-02-27
  • LES CHAÎNES DU DESTIN    Chapitre 13– Le Cœur des Ténèbres

    Gabriel de MontreuilJe m’assis en face d’elle, le regard perdu.Nous avions survécu.Mais à quel prix ?Le combat ne faisait que commencer.Et la Louisiane allait brûler.La pluie tombait en rideau serré sur le bayou. L’odeur de terre humide et de végétation pourrissante emplissait l’air tandis que nous avancions dans l’obscurité. Nous avions fui toute la nuit, naviguant à travers les eaux noires, glissant entre les cyprès aux racines tortueuses. Chaque mouvement était un défi. Chaque bruit nous faisait tressaillir.Derrière nous, Bellefontaine et ses chaînes. Devant nous, un avenir incertain.Aïda était silencieuse. Assise à la proue d’un canot, elle scrutait les ombres du marais. Malgré la fatigue, son regard restait vif, prêt à capter le moindre signe de danger.— « On est bientôt arrivés, » murmura Samuel en pagayant à mes côtés.Il indiqua un îlot à peine visible entre les arbres. Là-bas, sous un couvert de feuillage, un groupe nous attendait.Des visages émergèrent de l’obscuri

    Last Updated : 2025-02-28
  • LES CHAÎNES DU DESTIN    Chapitre 14– La Marée de Sang

    Gabriel de MontreuilLe silence du bayou était trompeur. Cachés sous les feuillages denses, nous écoutions les bruits qui montaient du sentier. Des sabots frappant la terre humide. Des voix basses échangées entre hommes. Le cliquetis des mousquets chargés.Beauregard n’avait pas perdu de temps. Moins de vingt-quatre heures après notre attaque, il envoyait ses chasseurs pour traquer les marrons et venger son honneur. Mais nous ne serions pas des proies faciles.— « Ils sont au moins vingt, » murmura Samuel à mes côtés.Aïda, perchée sur une branche basse, tendit l’oreille.— « Ils ne savent pas exactement où nous sommes, mais ils fouillent méthodiquement. »M’bala, accroupi dans l’ombre, serra le manche de son coutelas.— « Alors nous allons leur apprendre que le bayou n’appartient pas aux esclavagistes. »Il fit un signe et les ombres se mirent en mouvement.La traque allait commencer.☾☾☾Les Ombres du BayouLes chasseurs progressaient lentement, leurs fusils pointés devant eux. Ils

    Last Updated : 2025-02-28

Latest chapter

  • LES CHAÎNES DU DESTIN    Épilogue – Ceux que la mer n’oublie pas

    Récit d’un vieil homme, narrateur anonymeOn raconte qu’un jour, un capitaine a fait taire la mer.Pas par la peur. Pas par la guerre.Mais parce qu’il lui a tourné le dos.Parce qu’il a aimé plus fort que la mer ne le permet.Parce qu’il a choisi l’amour au lieu du vent, une main au lieu du sabre.Son nom ?Gabriel de Montreuil.Une légende.Une épine dans le flanc de l’Empire.Un spectre pour les galions espagnols.Un mythe pour les jeunes mousses qui rêvaient de fortune, de gloire, de liberté.Et puis… plus rien.Un matin, le Pavillon Noir n’est plus reparu à l’horizon.Plus de voiles. Plus de feu.Le capitaine s’est tu.Et avec lui, la mer a perdu quelque chose de sauvage, de furieux.Mais moi, je sais.Je sais ce qu’il est devenu.J’étais jeune mousse sur un brick marchand, à l’époque.On croisait au large d’îles sans nom, là où les cartes s’effacent dans le bleu, où le ciel et l’eau se confondent.Et un soir, juste avant que le soleil meure, je l’ai vu.Une barque.Deux silhouet

  • LES CHAÎNES DU DESTIN    Chapitre 195 – Sous la peau du silence

    Gabriel de MontreuilLe San Telmo dort dans le ventre de l’océan.Et nous, on flotte dans l’après.La plage est déserte, battue par le vent. Du sable blanc, du sel sur ma peau. Elle est là, allongée, la poitrine soulevée lentement, les yeux fermés.Je ne dis rien.Je la regarde respirer.AïdaJe sens son regard avant d’ouvrir les yeux.Je le connais. Il me brûle doucement, sans violence.Ses mains sont posées sur ses genoux. Il ne me touche pas. Pas encore.Je me redresse.Ma robe est en lambeaux, mais je m’en moque.Il est là. Et je suis vivante.— Tu comptes me regarder longtemps comme ça ?Il ne sourit pas. Il s’approche. Lentement.Je tends la main. Il l’attrape.Gabriel de MontreuilSon contact me brise.Je tombe à genoux devant elle, le front contre son ventre.— Je t’ai crue morte.— J’ai cru l’être aussi.Ses doigts glissent dans mes cheveux, et tout se tait.AïdaIl a tout perdu. Le navire. Le serment. La légende.Mais il m’a gardée.Ou peut-être que c’est moi qui l’ai gardé.

  • LES CHAÎNES DU DESTIN    Chapitre 194 – La Mer ne Pardonne Pas

    Gabriel de MontreuilJe tombe à genoux. Le pont du San Telmo vacille sous mes mains. L’air est saturé de sel, de magie ancienne, de douleur. Aïda gît là, dans les bras invisibles du navire, comme une offrande vivante, une prière hurlée à l’océan. Son corps est toujours là, mais son âme, je la sens glisser, tirée par des courants plus sombres que la mort elle-même.— Non… non, Aïda…Je me précipite, mais déjà la coque s’ouvre autour d’elle, comme une gueule vivante. Le bois craque, soupire, s’ouvre comme une plaie.DiegoJe m’élance après Gabriel. Il vacille, prêt à se jeter dans l’abîme pour la rejoindre. Je l’attrape par le bras au dernier instant.— Tu fais quoi, bordel ?!Il se débat, les yeux fous.— Elle a pris ma place, Diego ! C’est à moi ! C’était à moi !Il me frappe. Je le retiens. Je le frappe à mon tour. Le chaos autour de nous est si intense que personne ne voit. La mer hurle, la Gardienne récite des incantations dans une langue morte. Mais Gabriel ? Il se brise entre mes

  • LES CHAÎNES DU DESTIN    Chapitre 193 – Le Jugement des Profondeurs

    DiegoJe connais Gabriel depuis assez longtemps pour comprendre ce qu’il s’apprête à faire. Ce regard, cette foutue détermination glacée… Il croit qu’il n’a pas le choix. Mais il en a toujours un.— On peut trouver une autre issue, je lance. Il y a toujours un autre moyen.La Gardienne esquisse un sourire triste.— Vous ne comprenez pas. Ce navire ne navigue que sur le serment du sang.AïdaLe serment du sang.Tout s’effondre en moi. Mon souffle se coupe, mon cœur cogne contre mes côtes comme un tambour de guerre. Je comprends avant même que Gabriel parle.— C’est moi, murmuré-je. C’est moi le prix.Il détourne les yeux.Le silence qui suit est pire que n’importe quelle tempête.Gabriel de MontreuilAïda me fixe, les yeux brillants d’un mélange de peur et de rage. Je pourrais lui mentir. Lui dire qu’elle se trompe. Mais elle sait. Elle a toujours su.— Non, souffle-t-elle.Le San Telmo tangue violemment. L’eau noire s’agite sous nous, une houle surnaturelle, impatiente. Mon père reste

  • LES CHAÎNES DU DESTIN    Chapitre 192 – L’Éveil des Ombres

    Gabriel de MontreuilLe pont du San Telmo grince sous mes pas.Le bois est ancien, pourtant il semble respirer. Les voiles noires frémissent comme la peau d’une créature vivante. Un murmure serpente à travers l’air, une prière oubliée, un avertissement peut-être. Mais il est trop tard pour reculer.Je sens la présence de mes compagnons derrière moi. Diego inspecte le gréement, les traits tendus. M’Bala, silencieux, recharge son fusil, prêt à affronter l’inconnu. Aïda garde le médaillon serré dans sa main, son regard brillant d’une inquiétude qu’elle ne dissimule plus.Puis la Gardienne parle.— Le navire t’appartient, Gabriel de Montreuil. Il est le dernier témoin de ton sang, l’ultime vestige de ce qui fut et de ce qui doit être.Je tourne les yeux vers elle. Son voile d’or scintille sous la lueur irréelle qui baigne le vaisseau.— Où nous mènera-t-il ?Elle incline légèrement la tête.— Là où le pacte l’exige.Un frisson court le long de mon échine. Ce pacte… Je l’ai scellé sans en

  • LES CHAÎNES DU DESTIN    Chapitre 191 – L’Offrande du Sang

    Gabriel de MontreuilM’BalaJe plante mon coutelas dans la poitrine d’un des spectres.Il ne bronche pas.Ses mains se referment sur mon cou.Je suffoque.Puis, soudain, une lumière jaillit derrière moi.Je tombe à genoux, haletant.Le médaillon.Aïda s’est levée.Son regard est brûlant.Et le médaillon brille d’une lueur qui n’a rien de naturel.Les morts s’arrêtent.L’ombre, elle, avance.Gabriel de MontreuilLa jungle se déchire dans un rugissement de vent et de cendres.La silhouette cachée dans l’ombre révèle enfin son visage.Un visage que je connais.Mon père.Ou du moins, ce qu’il est devenu.Son regard est froid, inhumain.— Tu aurais dû rester en mer, Gabriel.Sa voix est un murmure de tempête, un écho de mille âmes perdues.Je serre les poings.— Pourquoi es-tu encore là ?Un sourire tordu se dessine sur son visage.— Parce que j’ai échoué.Un silence s’abat sur nous.Puis il lève la main.Et la terre tremble sous nos pieds.DiegoLe sol s’ouvre en un fracas assourdissant.

  • LES CHAÎNES DU DESTIN    Chapitre 190 – L’Appel du Néant

    Gabriel de MontreuilMon père me regarde, ou du moins… ce qui reste de lui.Son visage n’est qu’une ombre du souvenir que j’en avais, ses traits mangés par le temps et la mort. Pourtant, dans ses yeux vides, quelque chose brûle encore. Une lueur. Un avertissement.Le médaillon que j’ai ramassé pulse dans ma main, sa surface froide vibrant contre ma peau.Et derrière lui, la jungle change.Les arbres semblent se courber, leurs racines noires s’étirent comme des griffes prêtes à m’engloutir. Le sol lui-même palpite sous mes pieds. Quelque chose… non, quelqu’un m’observe.— Gabriel…La voix de mon père est un murmure brisé, un souffle venu d’un autre monde.Je serre les dents.— Tu es mort.Il incline lentement la tête, et un rictus tord ses lèvres décomposées.— Oui.Un frisson glacé parcourt mon échine.Puis il lève un doigt décharné et pointe mon cœur.— Mais toi… tu es en train de suivre mon chemin.Le médaillon pulse plus fort.Autour de moi, la jungle se resserre.Et soudain, une v

  • LES CHAÎNES DU DESTIN    Chapitre 189 – Le Cœur des Abysses

    Gabriel de MontreuilLa mer s’est tue.Les derniers vestiges des galions espagnols dérivent entre les vagues, des planches brisées, des voiles déchirées, et des cadavres flottants que la mer n’a pas encore engloutis. L’odeur du sel et du sang se mélange dans l’air. Le Pavillon Noir est toujours debout, mais il tangue, meurtri par la bataille et les fureurs des eaux maudites.Je serre la barre à m’en blanchir les jointures, le regard fixé sur l’horizon voilé d’une brume épaisse.Derrière moi, Diego s’appuie contre le bastingage, la main sur ses côtes blessées. M’Bala surveille le pont d’un œil attentif, prêt à bondir à la moindre menace.Et Aïda…Aïda respire encore.À chaque inspiration laborieuse qui s’échappe de ses lèvres, je sens une étincelle de rage et d’espoir s’allumer en moi.— Terre en vue !Le cri vient du nid de pie.Je lève les yeux.Devant nous, une masse sombre se découpe lentement dans la brume.Une île.Notre seule chance de survie.Mais aussi notre plus grande menace

  • LES CHAÎNES DU DESTIN    Chapitre 188 – Les promesses du sang

    Gabriel de MontreuilAïda s’accroche à la vie.Elle respire difficilement, allongée sur le pont du Pavillon Noir, son sang s’infiltrant entre les planches de bois comme une promesse maudite. Ses yeux sont mi-clos, sa peau, plus pâle que je ne l’ai jamais vue.Je presse ma main contre la plaie, ignorant le chaos qui nous entoure.— Tiens bon, Aïda. Tu m’entends ?Sa main tremble, se referme sur mon bras.— Gabriel…Sa voix est un souffle. Faible. Trop faible.M’Bala s’agenouille à côté de moi, son visage d’ordinaire impassible déformé par l’angoisse.— Il faut la descendre à la cabine. Vite.J’acquiesce, incapable de parler.Je la soulève avec précaution. Son corps est léger contre le mien, mais je sens la chaleur de son sang qui s’imprègne dans ma chemise. Je descends d’un pas rapide l’escalier menant à ma cabine, Diego à mes trousses, son bras toujours serré contre ses côtes blessées.À peine la pose-t-on sur la couchette qu’un cri résonne sur le pont.— L’ennemi revient !Je me fige

Explore and read good novels for free
Free access to a vast number of good novels on GoodNovel app. Download the books you like and read anywhere & anytime.
Read books for free on the app
SCAN CODE TO READ ON APP
DMCA.com Protection Status