Gabriel de MontreuilLe silence après la bataille était presque aussi oppressant que le combat lui-même.Autour de moi, la fumée flottait encore dans l’air du matin, teintée d’odeurs de poudre et de sang. Les cadavres gisaient sur le sol, visages figés dans la peur ou la douleur. Certains des nôtres pleuraient les leurs, d’autres fouillaient les corps ennemis à la recherche d’armes ou de provisions.Samuel passa une main sur son visage en sueur, son regard sombre balayait le carnage.— « Ils vont revenir. Avec plus d’hommes, plus de fusils. »Aïda, debout près de la palissade en partie effondrée, hocha lentement la tête.— « On a gagné cette fois, mais la Louisiane entière va apprendre ce qui s’est passé ici. Ils ne laisseront pas passer ça. »Je le savais déjà.Carter mort, la milice locale humiliée, nous venions de déclencher quelque chose qui nous dépassait. Nous n’étions plus seulement des esclaves en fuite. Nous étions une révolte. Une menace.Et ils allaient faire tout leur poss
Gabriel de MontreuilLa nuit était plus noire que l’encre lorsqu’ils nous retrouvèrent.Nous avions quitté le fort depuis trois jours, avançant sans relâche à travers le bayou. La boue, l’eau stagnante et les insectes nous ralentissaient, mais l’instinct de survie nous poussait à continuer.Nous ne laissions que peu de traces. Les anciens esclaves connaissaient la forêt mieux que n’importe quel soldat. Pourtant, ce n’était pas suffisant.Le silence de la nuit fut brisé par le hurlement d’un chien.Puis un autre.Mon cœur se serra.Aïda, qui marchait à mes côtés, se figea.— « Ils sont là. »Samuel, boitant légèrement à cause de sa blessure, jura entre ses dents.— « Combien de temps avant qu’ils nous tombent dessus ? »Un nouveau hurlement résonna, plus proche.— « Une heure, peut-être moins, » soufflai-je.Nous étions cernés par la nature hostile, mais nous connaissions le terrain. Si nous restions unis, si nous frappions au bon moment, nous avions une chance.Je me tournai vers les
Gabriel de MontreuilJe m’assis en face d’elle, le regard perdu.Nous avions survécu.Mais à quel prix ?Le combat ne faisait que commencer.Et la Louisiane allait brûler.La pluie tombait en rideau serré sur le bayou. L’odeur de terre humide et de végétation pourrissante emplissait l’air tandis que nous avancions dans l’obscurité. Nous avions fui toute la nuit, naviguant à travers les eaux noires, glissant entre les cyprès aux racines tortueuses. Chaque mouvement était un défi. Chaque bruit nous faisait tressaillir.Derrière nous, Bellefontaine et ses chaînes. Devant nous, un avenir incertain.Aïda était silencieuse. Assise à la proue d’un canot, elle scrutait les ombres du marais. Malgré la fatigue, son regard restait vif, prêt à capter le moindre signe de danger.— « On est bientôt arrivés, » murmura Samuel en pagayant à mes côtés.Il indiqua un îlot à peine visible entre les arbres. Là-bas, sous un couvert de feuillage, un groupe nous attendait.Des visages émergèrent de l’obscuri
Gabriel de MontreuilLe silence du bayou était trompeur. Cachés sous les feuillages denses, nous écoutions les bruits qui montaient du sentier. Des sabots frappant la terre humide. Des voix basses échangées entre hommes. Le cliquetis des mousquets chargés.Beauregard n’avait pas perdu de temps. Moins de vingt-quatre heures après notre attaque, il envoyait ses chasseurs pour traquer les marrons et venger son honneur. Mais nous ne serions pas des proies faciles.— « Ils sont au moins vingt, » murmura Samuel à mes côtés.Aïda, perchée sur une branche basse, tendit l’oreille.— « Ils ne savent pas exactement où nous sommes, mais ils fouillent méthodiquement. »M’bala, accroupi dans l’ombre, serra le manche de son coutelas.— « Alors nous allons leur apprendre que le bayou n’appartient pas aux esclavagistes. »Il fit un signe et les ombres se mirent en mouvement.La traque allait commencer.☾☾☾Les Ombres du BayouLes chasseurs progressaient lentement, leurs fusils pointés devant eux. Ils
Gabriel de MontreuilLe vent portait encore l’odeur du sang et des cendres quand nous avons quitté Bellefontaine. Derrière nous, la plantation continuait de brûler, dévorée par les flammes comme un symbole d’un monde en train de s’effondrer.Mais ce n’était pas fini.Les esclavagistes ne resteraient pas inactifs. Nous avions frappé fort, mais la riposte viendrait. Et cette fois, ce ne seraient pas quelques chasseurs ou des soldats isolés qui viendraient nous traquer.Non.Beauregard allait rassembler une armée.Et nous allions devoir la briser.La Fuite dans le BayouNous marchions depuis des heures, traversant les marécages à la lueur des torches éteintes pour ne pas être repérés. L’eau noire du bayou montait parfois jusqu’à nos genoux, et chaque pas était un combat contre la boue qui tentait de nous retenir.— « On doit aller plus vite, » murmura Aïda à mes côtés.Elle jetait des regards nerveux derrière elle, comme si elle pouvait déjà sentir les chiens de Beauregard sur nos talons
Gabriel de MontreuilL’Aube d’un Nouveau MondeLorsque le soleil se leva, le bayou était calme.Nous avions gagné.Nous étions libres.Mais nous savions que d’autres viendraient.D’autres maîtres, d’autres soldats, d’autres chaînes.Alors nous nous préparâmes.Car nous n’étions plus des esclaves.Nous étions une armée.Et le monde allait apprendre à craindre notre nom.L’aube teintait encore le bayou d’or et de pourpre lorsque nous avons quitté le champ de bataille. Les corps des hommes de Beauregard disparaissaient sous l’eau sombre, offerts aux alligators et aux marais qui n’avaient jamais trahi les leurs.Nous avions gagné.Mais une victoire ne faisait pas une révolution.Et la Louisiane n’avait pas encore tremblé sous notre colère.Les Cendres du PasséNous avons marché longtemps avant d’atteindre un camp sûr, dissimulé au cœur de la forêt. Les marrons nous avaient offert un refuge, mais ce n’était pas suffisant. Nous ne pouvions pas simplement fuir et espérer que le monde nous ou
Gabriel de MontreuilL’air nocturne de la Nouvelle-Orléans est chargé de parfums sucrés et d’ombres menaçantes. Dans les rues pavées, des rires s’élèvent depuis les salons dorés, tandis que plus loin, dans les ruelles sombres, la misère se tapit sous des porches effondrés.Je marche aux côtés d’Aïda, la tension pesant sur nos épaules comme une menace invisible. La proposition du gouverneur résonne encore dans mon esprit.— « Que vous rejoigniez le bon camp. »Il croit pouvoir me recruter.Il croit que je suis achetable.Il ignore que je suis venu ici pour détruire tout ce qu’il défend.— « Tu es trop calme, » murmure Aïda en scrutant les ombres autour de nous. « Ça m’inquiète. »— « Ce n’est pas le calme. C’est la réflexion. »Elle esquisse un sourire amer.— « Tu réfléchis à quoi ? À accepter son offre ? »Je m’arrête, la fixe.— « Tu sais très bien que non. »— « Alors pourquoi cette hésitation ? »Je prends une inspiration.— « Parce que s’il m’a fait cette offre, c’est qu’il me co
Gabriel de MontreuilLa fumée de l’incendie flotte encore dans l’air alors que nous regagnons l’auberge où nous avons trouvé refuge. Chaque pas résonne dans le silence tendu des ruelles, comme si la ville elle-même retenait son souffle après notre attaque contre l’entrepôt du gouverneur.Aïda marche à mes côtés, silencieuse, ses doigts crispés sur le manche de son poignard. Samuel ouvre la marche, toujours sur le qui-vive, et M’bala ferme la marche, jetant des regards en arrière.Derrière nous, la Nouvelle-Orléans s’éveille au chaos que nous avons déclenché.Quand nous poussons la porte de notre repaire, Elena est déjà là, une bouteille de rhum à la main. Elle lève son verre en guise de salut.— « Vous avez survécu. Félicitations. »— « Tu en doutais ? » répond Samuel, essoufflé.Elle hausse les épaules.— « Je préfère ne pas trop m’attacher aux hommes qui jouent avec le feu. »Aïda s’approche, lui arrache la bouteille et en boit une longue gorgée avant de la reposer brutalement sur l
Gabriel de MontreuilAïda s’accroche à la vie.Elle respire difficilement, allongée sur le pont du Pavillon Noir, son sang s’infiltrant entre les planches de bois comme une promesse maudite. Ses yeux sont mi-clos, sa peau, plus pâle que je ne l’ai jamais vue.Je presse ma main contre la plaie, ignorant le chaos qui nous entoure.— Tiens bon, Aïda. Tu m’entends ?Sa main tremble, se referme sur mon bras.— Gabriel…Sa voix est un souffle. Faible. Trop faible.M’Bala s’agenouille à côté de moi, son visage d’ordinaire impassible déformé par l’angoisse.— Il faut la descendre à la cabine. Vite.J’acquiesce, incapable de parler.Je la soulève avec précaution. Son corps est léger contre le mien, mais je sens la chaleur de son sang qui s’imprègne dans ma chemise. Je descends d’un pas rapide l’escalier menant à ma cabine, Diego à mes trousses, son bras toujours serré contre ses côtes blessées.À peine la pose-t-on sur la couchette qu’un cri résonne sur le pont.— L’ennemi revient !Je me fige
Gabriel de MontreuilJe serre la sphère dans ma main. Elle pulse, chaude contre ma paume, comme un cœur qui bat au rythme de la tempête à venir.— Au bateau ! crié-je.Aïda passe devant, Diego s’appuie sur M’Bala, les mâchoires crispées sous la douleur, mais il ne ralentit pas. Il sait que s’arrêter, c’est mourir.Nous dévalons la pente rocailleuse qui mène à la crique où nous avons laissé nos canots. Derrière nous, les premiers coups de semonce retentissent.— Ils tirent du large ! hurle Aïda.Je lève les yeux .Une lueur s’élève dans le ciel nocturne.Un boulet enflammé.Il fend l’air avec un sifflement sinistre avant de s’écraser sur la plage, soulevant une gerbe de sable et de roche.Trop près. Beaucoup trop près.— Plus vite !Nos canots sont là, amarrés sous les hautes falaises, bercés par une mer agitée. Nos hommes nous attendent, armes en main. Lorsque nous bondissons à bord, les rames plongent immédiatement dans l’eau noire, propulsant nos frêles esquifs vers la haute mer.Et
Gabriel de MontreuilLe coup de feu éclate.Le commandant espagnol, toujours posté à l’entrée de la crypte, nous observe avec un sourire cruel. Autour de lui, ses hommes s’engouffrent dans la salle, fusils braqués.— Fin de la route, capitaine Montreuil.Il recharge calmement son pistolet, sûr de lui, sûr de sa victoire.Mais il ignore une chose.Nous avons la sphère.Et ce temple est vivant.Je serre l’orbe dans ma main, et dès que mes doigts effleurent les symboles gravés sur sa surface, une onde étrange pulse à travers mes veines.Les murs vibrent.Les fresques illuminées par la lueur des torches s’animent, comme si les figures sculptées s’éveillaient d’un long sommeil.Puis, dans un grondement sourd, la pierre sous nos pieds commence à se fissurer.L’instant d’après, une explosion d’énergie jaillit du cœur de la sphère.Un vent violent balaye la crypte, projetant poussière et éclats de pierre dans toutes les directions.Le commandant espagnol recule d’un pas, pris de court.— Que
Gabriel de MontreuilIls sont là.Aïda, Diego et M’Bala se placent à mes côtés, leurs armes prêtes. Nous échangeons un regard. Il n’y a pas besoin de mots. Nous savons tous ce qui nous attend.Puis la première silhouette émerge de l’obscurité.Un soldat espagnol, fusil en main, la cuirasse poussiéreuse mais l’œil alerte.Derrière lui, d’autres apparaissent, une colonne disciplinée, armée jusqu’aux dents.Et au milieu d’eux, une silhouette plus imposante, drapée dans un manteau noir.Le commandant en charge.Il fait un pas en avant, nous observant comme un prédateur jaugeant ses proies.Puis il sourit.— Gabriel de Montreuil…Sa voix est calme, posée, et pourtant, elle me glace le sang.— L’Empire sait qui tu es. Nous suivons tes traces depuis longtemps. Et aujourd’hui, nous mettons enfin la main sur ce que tu cherchais.Je serre les dents, mon sabre fermement tenu dans ma main.— Si vous êtes venus chercher un trésor, vous vous êtes trompés d’endroit, lancé-je d’une voix glaciale.L’h
Gabriel de MontreuilJe m’approche à mon tour. Les motifs aztèques s’entrelacent avec des inscriptions en espagnol, comme si deux mondes s’étaient affrontés ici. Je lis à voix basse :"Là où dorment les rois, seule la clé ouvrira le passage."Je serre le médaillon dans ma main. Mon père a suivi ces mêmes indices. Il a tenu ce même médaillon. Mais lui… n’est jamais revenu.— On continue, dis-je en avançant.Le couloir s’enfonce dans les entrailles du temple, serpentant entre des colonnes massives et des alcôves remplies de statues de guerriers figés dans la pierre.Puis nous arrivons devant une immense porte de pierre, barrée par une barre de métal rongée par le temps.Je m’approche et examine le centre de la porte.Là, gravé en relief, se trouve le même œil que sur mon médaillon.Je prends une profonde inspiration et pose le bijou contre l’empreinte.Un grondement sourd résonne dans le temple.La pierre tremble.Puis la porte s’ouvre lentement, révélant une salle gigantesque.---Aïda
Gabriel de MontreuilDepuis que nous avons quitté le San Telmo, une tension sourde s’est installée à bord du Pavillon Noir. L’équipage murmure, certains parlent de malédiction, d’autres de trésor interdit. Mais moi, je garde les yeux rivés sur l’horizon. Je serre le médaillon dans ma main comme si ce simple objet pouvait répondre à toutes mes questions.L’inconnu qui nous a guidés jusqu’ici n’a pas cherché à nous suivre. Il s’est contenté de nous indiquer une direction, quelques coordonnées approximatives, avant de disparaître dans la nuit comme un spectre.Mon père est venu ici. Il a suivi cette même route, il a tenu ce même médaillon… et il a disparu.Je ne ferai pas la même erreur.— Gabriel, dit Aïda en s’approchant.Elle se tient droite, les bras croisés, mais je vois l’inquiétude danser dans ses yeux sombres.— L’équipage murmure, continue-t-elle. Certains disent que nous naviguons vers un piège. D’autres veulent savoir ce qu’on cherche exactement.Je soupire.— Qu’est-ce que tu
Gabriel de MontreuilJe referme le journal de mon père d’un geste sec. Mon cœur bat trop vite, mes pensées s’entrechoquent. Cet homme, ce spectre du passé qui se tient devant moi, sait quelque chose. Il en sait bien plus qu’il ne le laisse paraître.— Ce journal s’arrête brutalement, dis-je en levant les yeux vers lui. Mon père a écrit qu’il allait descendre dans les profondeurs du San Telmo. Alors dis-moi : où est-il allé ? Qu’a-t-il découvert ?L’inconnu me fixe sans ciller. Pendant un instant, j’ai l’impression qu’il savoure mon impatience.— Il a trouvé ce qu’il cherchait, finit-il par dire.— Et c’était quoi ?Il ne répond pas immédiatement. Son regard glisse vers le fond de la pièce, vers une seconde porte, plus discrète, à moitié dissimulée derrière un rideau de toile déchirée.— Si tu veux connaître la vérité, tu dois voir par toi-même.Je serre les dents. Cet homme joue avec moi, et je déteste ça. Mais je ne peux pas ignorer ce qu’il insinue.Je me tourne vers Aïda. Son expre
Gabriel de MontreuilLes mots de l’homme résonnent en moi comme un coup de canon en pleine tempête.— Ton père est déjà venu ici.Je reste figé, mon sabre encore levé, mon souffle court. Autour de moi, mes compagnons sont en alerte, mais personne ne parle. Même Aïda, pourtant si prompte à réagir, semble suspendue à cette révélation.— Tu mens, dis-je d’une voix plus rauque que je ne le voudrais.L’homme sourit, lentement, comme s’il savourait mon trouble.— Pourquoi mentirais-je ? murmure-t-il.Il fait un pas en avant. Je ne recule pas.— Il y a bien des années, ton père a cherché le San Telmo. Il a cru qu’il trouverait ici… quelque chose.Je serre les dents, mon esprit s’emballe. Mon père… ce nom que je n’ai entendu que dans les souvenirs de ma mère, dans les murmures du passé. Il a disparu en mer quand j’étais encore un enfant. Depuis, il n’était plus qu’une ombre, un fantôme emporté par les vagues.Et maintenant, cet inconnu prétend qu’il est venu ici avant moi ?Je veux des répons
Gabriel de MontreuilLe Pavillon Noir fend les vagues, sa coque grinçant sous la pression des vents nocturnes. La brume s’accroche à la mer comme une écharpe funèbre, étouffant tout bruit au-delà du claquement des voiles et du bruissement de l’eau contre le bois. L’équipage est silencieux. L’histoire du San Telmo s’est répandue parmi les hommes, et je sens la crainte s’insinuer comme un poison dans leurs veines.Aïda s’approche de moi, ses yeux sombres fixés sur l’horizon invisible.— Miguel ne plaisante pas avec ces choses-là, dit-elle d’une voix basse.Je ne réponds pas tout de suite. Son souffle est chaud contre le vent glacial.— Ce n’est qu’un navire, murmuré-je enfin.— Un navire qui ne devrait pas exister.Je tourne la tête vers elle. Aïda n’est pas du genre à croire aux légendes. Mais ce soir, une ombre traverse son regard.— Tu as peur ?Elle me fusille du regard.— Je n’ai pas peur des navires fantômes. J’ai peur de ce que l’Empire cherche vraiment.Je hoche lentement la têt