Gabriel de MontreuilL’Aube d’un Nouveau MondeLorsque le soleil se leva, le bayou était calme.Nous avions gagné.Nous étions libres.Mais nous savions que d’autres viendraient.D’autres maîtres, d’autres soldats, d’autres chaînes.Alors nous nous préparâmes.Car nous n’étions plus des esclaves.Nous étions une armée.Et le monde allait apprendre à craindre notre nom.L’aube teintait encore le bayou d’or et de pourpre lorsque nous avons quitté le champ de bataille. Les corps des hommes de Beauregard disparaissaient sous l’eau sombre, offerts aux alligators et aux marais qui n’avaient jamais trahi les leurs.Nous avions gagné.Mais une victoire ne faisait pas une révolution.Et la Louisiane n’avait pas encore tremblé sous notre colère.Les Cendres du PasséNous avons marché longtemps avant d’atteindre un camp sûr, dissimulé au cœur de la forêt. Les marrons nous avaient offert un refuge, mais ce n’était pas suffisant. Nous ne pouvions pas simplement fuir et espérer que le monde nous ou
Gabriel de MontreuilL’air nocturne de la Nouvelle-Orléans est chargé de parfums sucrés et d’ombres menaçantes. Dans les rues pavées, des rires s’élèvent depuis les salons dorés, tandis que plus loin, dans les ruelles sombres, la misère se tapit sous des porches effondrés.Je marche aux côtés d’Aïda, la tension pesant sur nos épaules comme une menace invisible. La proposition du gouverneur résonne encore dans mon esprit.— « Que vous rejoigniez le bon camp. »Il croit pouvoir me recruter.Il croit que je suis achetable.Il ignore que je suis venu ici pour détruire tout ce qu’il défend.— « Tu es trop calme, » murmure Aïda en scrutant les ombres autour de nous. « Ça m’inquiète. »— « Ce n’est pas le calme. C’est la réflexion. »Elle esquisse un sourire amer.— « Tu réfléchis à quoi ? À accepter son offre ? »Je m’arrête, la fixe.— « Tu sais très bien que non. »— « Alors pourquoi cette hésitation ? »Je prends une inspiration.— « Parce que s’il m’a fait cette offre, c’est qu’il me co
Gabriel de MontreuilLa fumée de l’incendie flotte encore dans l’air alors que nous regagnons l’auberge où nous avons trouvé refuge. Chaque pas résonne dans le silence tendu des ruelles, comme si la ville elle-même retenait son souffle après notre attaque contre l’entrepôt du gouverneur.Aïda marche à mes côtés, silencieuse, ses doigts crispés sur le manche de son poignard. Samuel ouvre la marche, toujours sur le qui-vive, et M’bala ferme la marche, jetant des regards en arrière.Derrière nous, la Nouvelle-Orléans s’éveille au chaos que nous avons déclenché.Quand nous poussons la porte de notre repaire, Elena est déjà là, une bouteille de rhum à la main. Elle lève son verre en guise de salut.— « Vous avez survécu. Félicitations. »— « Tu en doutais ? » répond Samuel, essoufflé.Elle hausse les épaules.— « Je préfère ne pas trop m’attacher aux hommes qui jouent avec le feu. »Aïda s’approche, lui arrache la bouteille et en boit une longue gorgée avant de la reposer brutalement sur l
Gabriel de MontreuilJe saisis une épée accrochée au mur et pare un coup.Beauregard recule, furieux.— « Tuez-les ! »Le gouverneur, lui, reste immobile, observant le carnage avec un intérêt froid.Je sais que nous ne pouvons pas gagner ici.— « Aïda, la fenêtre ! »Elle comprend immédiatement.Nous nous précipitons vers les vitraux et les brisons d’un coup de pied.Le vide nous attend en contrebas.Sans hésiter, nous sautons.Le Début d’une RévolteNous nous écrasons dans un chariot de foin en contrebas et roulons sur le sol pavé.Des cris s’élèvent derrière nous.Nous courons dans la nuit, nos cœurs battant à tout rompre.Lorsque nous atteignons la sécurité de notre repaire, Samuel nous accueille avec un regard incrédule.— « Par tous les diables, qu’est-ce qui s’est passé ? »Je reprends mon souffle.— « Le gouverneur a fait son choix. »Aïda essuie son poignard et ajoute :— « Et nous avons fait le nôtre. »Nous sommes officiellement des hors-la-loi.Mais nous ne sommes plus seul
Gabriel de MontreuilLe vent porte encore l’odeur de la poudre et du sang lorsque nous disparaissons dans le labyrinthe des ruelles. L’alarme sonne toujours à la prison du gouverneur, mais nous avons l’avantage : nous connaissons la ville mieux que nos poursuivants.Les prisonniers libérés sont dispersés en petits groupes, guidés par nos alliés. Certains se terrent dans les entrepôts du port, d’autres s’enfoncent dans les marécages. Moi, je cours aux côtés d’Aïda, Diego et Samuel, le cœur battant à tout rompre.— « Ils vont quadriller toute la ville ! » souffle Samuel.— « Alors on disparaît, » répond Diego en ouvrant une trappe dissimulée sous une charrette renversée.Nous nous engouffrons dans un tunnel sombre, un ancien passage utilisé autrefois par les contrebandiers.La lumière des torches danse sur les parois de pierre. L’humidité est suffocante, l’air chargé d’une odeur de terre et de sel. Nous avançons en silence, notre souffle résonnant dans le couloir étroit.Lorsque nous re
Gabriel de MontreuilJe le regarde, puis porte mon attention sur la silhouette imposante du manoir, perché au-dessus des champs de canne à sucre.— « Plus de retour en arrière. »Il hoche la tête.Un cri résonne soudain dans l’obscurité.Puis un autre.C’est le signal.Les esclaves de la plantation se soulèvent.L’instant suivant, nous chargeons.☾☾☾Le Mur de FeuLes premières balles sifflent avant même que nous atteignions la barrière principale.— « Courez ! » hurle Diego.Nous nous engouffrons à travers l’entrée, abattant les premiers gardes dans une mêlée féroce.Aïda se glisse dans l’ombre et tranche la gorge d’un homme d’un mouvement fluide. M’bala, lui, fait exploser la serrure de l’armurerie avec un coup de fusil.Bientôt, les esclaves libérés s’arment à leur tour.La plantation est en feu.Des cris s’élèvent, des coups de feu claquent.Mais alors que nous avançons, une silhouette familière apparaît en haut des marches du manoir.Charles Beauregard.Il tient un fusil à la mai
Gabriel Je relève les yeux, stupéfait.— « Quoi ? »Il soupire.— « Ton soulèvement est une étincelle. Mais la guerre que tu veux mener était déjà en marche, bien avant toi. »Je secoue la tête.— « Alors pourquoi ne rien faire ? Pourquoi avoir soutenu ce système jusqu’à aujourd’hui ? »Son regard se durcit.— « Parce que les hommes comme Beauregard n’auraient jamais accepté cette transition pacifiquement. Ils préfèrent mourir que de perdre leur pouvoir. »Un silence pesant s’installe.Puis il ajoute, plus doucement :— « Je voulais gagner du temps. Protéger Bellefontaine. »Je serre les dents.— « Protéger quoi ? Des champs ? Une maison ? Ce n’est pas un domaine que tu protèges, père. Ce sont des chaînes. »Il me fixe un instant, avant de murmurer :— « Et toi, Gabriel ? Tu crois que tu es libre ? »La question me cloue sur place.La ChuteAvant que je ne puisse répondre, la porte vole en éclats.Des hommes en uniforme envahissent la pièce.— « Par ordre du gouverneur, vous êtes en
Gabriel de MontreuilLa mer s’étendait à perte de vue, d’un bleu sombre, impassible. Le navire tanguait sous un vent capricieux, et les voiles claquaient comme des fouets dans le silence du matin.J’étais seul sur le pont, les mains serrées sur le bastingage.L’exil.Je savais que c’était mieux que la prison, mieux que la corde. Mais chaque vague qui nous éloignait de la Louisiane me rappelait que j’avais perdu Bellefontaine, perdu mon combat.Ou peut-être que tout commençait à peine.— « Tu comptes rester là toute la journée ? »Je me retournai.Diego s’appuyait contre le mât, les bras croisés, un sourire en coin sur son visage buriné par le soleil.Je plissai les yeux.— « Comment as-tu fait pour monter à bord ? »Il haussa les épaules.— « Disons que je connais les bons endroits pour disparaître. Et puis, je n’allais pas te laisser partir seul. »Un silence.Puis je ris. Un rire bref, amer, mais sincère.— « Tu es un fou, Diego. »— « Peut-être. Mais je ne t’abandonnerai pas. »☾☾☾
Gabriel de MontreuilM’BalaJe plante mon coutelas dans la poitrine d’un des spectres.Il ne bronche pas.Ses mains se referment sur mon cou.Je suffoque.Puis, soudain, une lumière jaillit derrière moi.Je tombe à genoux, haletant.Le médaillon.Aïda s’est levée.Son regard est brûlant.Et le médaillon brille d’une lueur qui n’a rien de naturel.Les morts s’arrêtent.L’ombre, elle, avance.Gabriel de MontreuilLa jungle se déchire dans un rugissement de vent et de cendres.La silhouette cachée dans l’ombre révèle enfin son visage.Un visage que je connais.Mon père.Ou du moins, ce qu’il est devenu.Son regard est froid, inhumain.— Tu aurais dû rester en mer, Gabriel.Sa voix est un murmure de tempête, un écho de mille âmes perdues.Je serre les poings.— Pourquoi es-tu encore là ?Un sourire tordu se dessine sur son visage.— Parce que j’ai échoué.Un silence s’abat sur nous.Puis il lève la main.Et la terre tremble sous nos pieds.DiegoLe sol s’ouvre en un fracas assourdissant.
Gabriel de MontreuilMon père me regarde, ou du moins… ce qui reste de lui.Son visage n’est qu’une ombre du souvenir que j’en avais, ses traits mangés par le temps et la mort. Pourtant, dans ses yeux vides, quelque chose brûle encore. Une lueur. Un avertissement.Le médaillon que j’ai ramassé pulse dans ma main, sa surface froide vibrant contre ma peau.Et derrière lui, la jungle change.Les arbres semblent se courber, leurs racines noires s’étirent comme des griffes prêtes à m’engloutir. Le sol lui-même palpite sous mes pieds. Quelque chose… non, quelqu’un m’observe.— Gabriel…La voix de mon père est un murmure brisé, un souffle venu d’un autre monde.Je serre les dents.— Tu es mort.Il incline lentement la tête, et un rictus tord ses lèvres décomposées.— Oui.Un frisson glacé parcourt mon échine.Puis il lève un doigt décharné et pointe mon cœur.— Mais toi… tu es en train de suivre mon chemin.Le médaillon pulse plus fort.Autour de moi, la jungle se resserre.Et soudain, une v
Gabriel de MontreuilLa mer s’est tue.Les derniers vestiges des galions espagnols dérivent entre les vagues, des planches brisées, des voiles déchirées, et des cadavres flottants que la mer n’a pas encore engloutis. L’odeur du sel et du sang se mélange dans l’air. Le Pavillon Noir est toujours debout, mais il tangue, meurtri par la bataille et les fureurs des eaux maudites.Je serre la barre à m’en blanchir les jointures, le regard fixé sur l’horizon voilé d’une brume épaisse.Derrière moi, Diego s’appuie contre le bastingage, la main sur ses côtes blessées. M’Bala surveille le pont d’un œil attentif, prêt à bondir à la moindre menace.Et Aïda…Aïda respire encore.À chaque inspiration laborieuse qui s’échappe de ses lèvres, je sens une étincelle de rage et d’espoir s’allumer en moi.— Terre en vue !Le cri vient du nid de pie.Je lève les yeux.Devant nous, une masse sombre se découpe lentement dans la brume.Une île.Notre seule chance de survie.Mais aussi notre plus grande menace
Gabriel de MontreuilAïda s’accroche à la vie.Elle respire difficilement, allongée sur le pont du Pavillon Noir, son sang s’infiltrant entre les planches de bois comme une promesse maudite. Ses yeux sont mi-clos, sa peau, plus pâle que je ne l’ai jamais vue.Je presse ma main contre la plaie, ignorant le chaos qui nous entoure.— Tiens bon, Aïda. Tu m’entends ?Sa main tremble, se referme sur mon bras.— Gabriel…Sa voix est un souffle. Faible. Trop faible.M’Bala s’agenouille à côté de moi, son visage d’ordinaire impassible déformé par l’angoisse.— Il faut la descendre à la cabine. Vite.J’acquiesce, incapable de parler.Je la soulève avec précaution. Son corps est léger contre le mien, mais je sens la chaleur de son sang qui s’imprègne dans ma chemise. Je descends d’un pas rapide l’escalier menant à ma cabine, Diego à mes trousses, son bras toujours serré contre ses côtes blessées.À peine la pose-t-on sur la couchette qu’un cri résonne sur le pont.— L’ennemi revient !Je me fige
Gabriel de MontreuilJe serre la sphère dans ma main. Elle pulse, chaude contre ma paume, comme un cœur qui bat au rythme de la tempête à venir.— Au bateau ! crié-je.Aïda passe devant, Diego s’appuie sur M’Bala, les mâchoires crispées sous la douleur, mais il ne ralentit pas. Il sait que s’arrêter, c’est mourir.Nous dévalons la pente rocailleuse qui mène à la crique où nous avons laissé nos canots. Derrière nous, les premiers coups de semonce retentissent.— Ils tirent du large ! hurle Aïda.Je lève les yeux .Une lueur s’élève dans le ciel nocturne.Un boulet enflammé.Il fend l’air avec un sifflement sinistre avant de s’écraser sur la plage, soulevant une gerbe de sable et de roche.Trop près. Beaucoup trop près.— Plus vite !Nos canots sont là, amarrés sous les hautes falaises, bercés par une mer agitée. Nos hommes nous attendent, armes en main. Lorsque nous bondissons à bord, les rames plongent immédiatement dans l’eau noire, propulsant nos frêles esquifs vers la haute mer.Et
Gabriel de MontreuilLe coup de feu éclate.Le commandant espagnol, toujours posté à l’entrée de la crypte, nous observe avec un sourire cruel. Autour de lui, ses hommes s’engouffrent dans la salle, fusils braqués.— Fin de la route, capitaine Montreuil.Il recharge calmement son pistolet, sûr de lui, sûr de sa victoire.Mais il ignore une chose.Nous avons la sphère.Et ce temple est vivant.Je serre l’orbe dans ma main, et dès que mes doigts effleurent les symboles gravés sur sa surface, une onde étrange pulse à travers mes veines.Les murs vibrent.Les fresques illuminées par la lueur des torches s’animent, comme si les figures sculptées s’éveillaient d’un long sommeil.Puis, dans un grondement sourd, la pierre sous nos pieds commence à se fissurer.L’instant d’après, une explosion d’énergie jaillit du cœur de la sphère.Un vent violent balaye la crypte, projetant poussière et éclats de pierre dans toutes les directions.Le commandant espagnol recule d’un pas, pris de court.— Que
Gabriel de MontreuilIls sont là.Aïda, Diego et M’Bala se placent à mes côtés, leurs armes prêtes. Nous échangeons un regard. Il n’y a pas besoin de mots. Nous savons tous ce qui nous attend.Puis la première silhouette émerge de l’obscurité.Un soldat espagnol, fusil en main, la cuirasse poussiéreuse mais l’œil alerte.Derrière lui, d’autres apparaissent, une colonne disciplinée, armée jusqu’aux dents.Et au milieu d’eux, une silhouette plus imposante, drapée dans un manteau noir.Le commandant en charge.Il fait un pas en avant, nous observant comme un prédateur jaugeant ses proies.Puis il sourit.— Gabriel de Montreuil…Sa voix est calme, posée, et pourtant, elle me glace le sang.— L’Empire sait qui tu es. Nous suivons tes traces depuis longtemps. Et aujourd’hui, nous mettons enfin la main sur ce que tu cherchais.Je serre les dents, mon sabre fermement tenu dans ma main.— Si vous êtes venus chercher un trésor, vous vous êtes trompés d’endroit, lancé-je d’une voix glaciale.L’h
Gabriel de MontreuilJe m’approche à mon tour. Les motifs aztèques s’entrelacent avec des inscriptions en espagnol, comme si deux mondes s’étaient affrontés ici. Je lis à voix basse :"Là où dorment les rois, seule la clé ouvrira le passage."Je serre le médaillon dans ma main. Mon père a suivi ces mêmes indices. Il a tenu ce même médaillon. Mais lui… n’est jamais revenu.— On continue, dis-je en avançant.Le couloir s’enfonce dans les entrailles du temple, serpentant entre des colonnes massives et des alcôves remplies de statues de guerriers figés dans la pierre.Puis nous arrivons devant une immense porte de pierre, barrée par une barre de métal rongée par le temps.Je m’approche et examine le centre de la porte.Là, gravé en relief, se trouve le même œil que sur mon médaillon.Je prends une profonde inspiration et pose le bijou contre l’empreinte.Un grondement sourd résonne dans le temple.La pierre tremble.Puis la porte s’ouvre lentement, révélant une salle gigantesque.---Aïda
Gabriel de MontreuilDepuis que nous avons quitté le San Telmo, une tension sourde s’est installée à bord du Pavillon Noir. L’équipage murmure, certains parlent de malédiction, d’autres de trésor interdit. Mais moi, je garde les yeux rivés sur l’horizon. Je serre le médaillon dans ma main comme si ce simple objet pouvait répondre à toutes mes questions.L’inconnu qui nous a guidés jusqu’ici n’a pas cherché à nous suivre. Il s’est contenté de nous indiquer une direction, quelques coordonnées approximatives, avant de disparaître dans la nuit comme un spectre.Mon père est venu ici. Il a suivi cette même route, il a tenu ce même médaillon… et il a disparu.Je ne ferai pas la même erreur.— Gabriel, dit Aïda en s’approchant.Elle se tient droite, les bras croisés, mais je vois l’inquiétude danser dans ses yeux sombres.— L’équipage murmure, continue-t-elle. Certains disent que nous naviguons vers un piège. D’autres veulent savoir ce qu’on cherche exactement.Je soupire.— Qu’est-ce que tu