1LES PLAIES DU CŒURLes heures défilaient puis les jours qui devinrent des semaines et sous le regard impuissant de ses compagnons de l’Élite, alors que le nuage maléfique s’étendait sans ménagement à travers tout le royaume, Léa restait cloîtrée et passait son temps à pleurer.Elle n’avait pas quitté sa chambre depuis le départ de Kalon, partagée entre l’amour qu’elle lui portait et ce sentiment pourtant familier d’avoir été abandonnée encore une fois. L’Élite quant à elle était divisée face à son état ; certains faisaient preuve de compassion et de compréhension tandis que l’autre moitié n’admettait pas son attitude qu’elle jugeait indigne au regard de son statut. D’aucuns ne comprenaient pas qu’il leur faille subir les caprices d’une princesse en plein chagrin d’amour. Le seul point sur lequel tous étaient d’accord était qu’il devenait urgent de la faire réagir, car sans elle, leur mission était vouée à
2INCONTRÔLABLELa substance aqueuse qui fuyait depuis le sommet de la plus haute tour d’onyx de la forteresse répandait sa fureur dans le ciel de Sgathân qui s’obscurcissait un peu plus chaque jour.À des lieues à la ronde, certaines contrées n’avaient pas revu le soleil ni une once de ciel bleu depuis le jour de la réunification des nouveaux Dieux de l’Ombre.De Minandas jusqu’à l’autre bout de Sgathân, ceux qui furent jadis des alliés loyaux envers Gabriel, se terraient à présent dans la peur.La force maléfique déployée par lady Anya et ses acolytes était si puissante que tous avaient pu la ressentir. Chacun d’eux avait été instantanément frappé par d’horribles visions qui laissaient deviner l’issue de ce qui se tramait. Alors qu’ils avaient tous soutenu Gabriel dans son délire destructeur, se souvenant de ce qui les avait poussés à vouer leur vie à serv
3L’ÂME DU GRIMOIRELes évènements terrifiants qui se déroulaient à l’extérieur n’assombrissaient plus la grande salle des Trônes. L’Élite était à nouveau réunie et ce plaisir partagé se lisait sur presque tous les visages, car malgré les apparences, vraisemblablement trompeuses, Satine comme Neimus, n’étaient pas dupes. L’attitude rayonnante de Léa leur était suspicieuse. Elle donnait l’impression, ou tout au moins c’est ce qu’elle voulait leur faire croire, de s’être totalement remise du départ de Kalon. Les stigmates de son état dépressif de ces dernières semaines avaient complètement disparu et cela, Satine n’y croyait pas. Avec le temps elle avait appris à la connaître et le petit jeu de Léa ne fonctionnait pas avec elle. Satine décida alors secrètement de l’avoir à l’œil.Une fois les équipes formées, Léa s’éclipsa quelques instants et revint avec son grimoire sous le bras. Elle ne s’étonna pas de con
4L’ENTRÉE SE TROUVE À LA SORTIEDrarion resta coi et ses traits trahissaient son incompréhension quant aux derniers mots de Léa. « Elle t’embrasse ».De qui parlait-elle ?L’Élite était rassemblée autour de la fontaine sur la petite place déserte du village. Quelques volets s’entrouvrirent ; leur présence, malgré toute cette terreur qui se mouvait au-dessus de leur tête, suscitait une certaine curiosité. L’eau de la fontaine qui jaillissait des naseaux du dragon sculpté dans la pierre prit une place importante à cet instant, presque envoûtante. Les remous du bassin qui l’entourait étaient comme une douce musique qui venait briser le silence oppressant qui s’était installé dans le bourg. Une certaine inquiétude s’emparait de chacun. Drarion observait son fidèle compagnon, Tan, aux côtés de Gwénaël. Tous les deux étaient assis sur le rebord de la fontaine, ils toisaient le dragon et
5THE COAST GUARDD’ordinaire à cette saison, le soleil inondait les plaines autour de Faralonn et à travers tout Sgathân, mais la substance aqueuse qui envahissait à présent leur monde contraignait l’Élite à s’orienter dans l’obscurité. Hors de question pour eux de se munir de torches, les flammes seraient visibles de loin et auraient mis leurs vies en danger.Leurs montures étaient solides et ils progressaient au rythme des flashs qui bombardaient le ciel et illuminaient la vallée. Durant tout leur voyage, ils ne croisèrent personne. Plusieurs jours et de longues nuits sans même croiser âme qui vive, provoqua une angoisse supplémentaire dont ils se seraient volontiers passés. Leur monde semblait déjà mort. Lorsqu’ils pénétrèrent dans ce que fut Minandas avant l’invasion par l’armée de Hurgals commandée par Lord Wallamzen, une profonde tristesse les enveloppa. Le souvenir de ce qu’avait été leur village fa
6UNE REINE POUR UNE CLÉAvant de se rendre au pub, elles s’empressèrent de nettoyer au mieux leurs tenues et Léa ôta sa veste qu’elle noua autour de sa taille ; un frisson la parcourut lorsqu’elle sentit le vent frais sur ses épaules. Son bustier brodé aux armoiries de Faralonn mettait en valeur ses formes et la rendait plus femme, son pantalon de cuir lui donnait un côté rock qui, elle l’espérait, n’attirerait pas trop les regards. Satine la copia, son manteau long noué sur ses hanches traînait presque sur le sol et Léa lui fit remarquer que son corset aux armatures métalliques ne passerait pas inaperçu, mais n’ayant rien d’autre de plus discret à se mettre, elles n’eurent pas trop le choix.Plus elles avançaient et se rapprochaient de la terrasse du pub, plus elles sentaient les regards fixés sur elles. Tête baissée, elles traversèrent la terrasse et déjà elles purent entendre quelques murmures les conce
7BUCKINGHAMUne fois qu’elles eurent rejoint leurs compagnons au pied de la falaise, Léa leur proposa de faire une pause sur les galets à l’abri des regards. Sur la plage ils déplièrent la carte que l’homme derrière le bar leur avait offerte. D’après leur position, ils réalisèrent que la route serait longue pour rejoindre la capitale. Londres était à environ 140 kilomètres. Au loin, les deux garçons jouaient toujours avec leur chienne.—Nous ne pouvons pas faire tout ce chemin à pied, cela prendrait beaucoup trop de temps.—Tu as raison, Léa, mais il faut également que nous trouvions des habits plus adaptés à ce monde.—Ce n’est pas le plus important, Rus’Och.L’Huspalim la dévisagea, que pouvait-il y avoir de plus impor
8L’ARMÉE DE FARALONNDans les ruelles du palais de Faralonn, tous les habitants, et ce malgré la menace qui planait au-dessus de leur tête, étaient sortis de chez eux pour encourager et souhaiter bonne chance à Drarion et son équipe. Ils partaient pour une mission de la plus haute importance et avaient pour ambition de rallier à leur cause un maximum de personnes. Drarion s’était mis en tête de convaincre ceux qui furent, il y avait peu encore, les alliés des Déusumbraé. Les nouvelles allant bon train, le bruit courait que les alliés des forces de l’ombre, d’ordinaire si sûrs d’eux, se terraient à présent, cachés dans les recoins les plus infâmes de Sgathân. Eux pourtant si fiers, eux qui scandaient leur dévotion aux forces de l’ombre, désormais, craignaient le courroux de leur nouveau maître.Tout comme l’Élite, personne ne savait ce qui se tramait au sein de la forteresse, seul le nuage sombre qui envahi
32 PEUT-ÊTRE PAS LA FIN Pendant les quelques jours qui suivirent leur réveil, Léa et Drarion durent rester en observation, mais au bout du quatrième jour, Ameline leur annonça qu’ils avaient l’autorisation de faire une sortie dans les jardins de l’hôpital. Un bon bol d’air frais leur ferait le plus grand bien. Leur première bouffée d’oxygène leur tourna un peu la tête et le soleil les aveugla quelque peu, mais la gêne ne dura que quelques secondes. Les jardins étaient fleuris et beaucoup de patients se promenaient tout comme ils s’apprêtaient à le faire. Depuis leur réveil, ils ne parlaient que de ça, et la même question revenait toujours sur le tapis, qu’était-il advenu de cette année qu’ils avaient passée à Faralonn et de leurs amis ? Dans les jardins, la plupart des bancs
31UNE SECONDE CHANCEElle peinait à s’éveiller et sentait que son corps ne répondait plus. De vagues bruits sourds grondaient autour d’elle et lui martelaient le crâne. Elle dut fournir un effort inhumain pour ouvrir les yeux, et ce, malgré la douleur qu’elle ressentait, comme si la lame d’un scalpel glacé lui ouvrait les paupières. Un voile blanchâtre lui gâchait la vision, mais derrière cette brume opaque elle distinguait tout de même quelques formes en mouvance au son de voix méconnaissable.— Léa… elle se… docteur !Des bribes de mots harcelaient ses tympans. Clouée sur son lit, incapable de faire le moindre mouvement, Léa sentit la panique l’envahir.« Qu’est-ce qui m’arrive ? Où suis-je et pourquoi est-ce que je me sens si mal ? » se questionnait Léa.Une puissante lumière blanche transperçait à présent le voile qui lui masqua
30LE CŒUR D’HABASKLorsqu’ils poussèrent les portes de la salle des Trônes, l’émerveillement s’empara d’eux. Ce n’était ni plus ni moins qu’un miracle, pensèrent Léa et Drarion sur l’instant. À l’autre bout de la salle, Elvène les attendait en compagnie des deux gardiens. Celui de la tour du Sud n’était visiblement pas ravi d’avoir été contraint de restituer le dernier fragment du cœur d’Habask qui était en sa possession et son regard en disait long sur ses pensées. Pour lui, Léa et Drarion ne méritaient pas qu’il leur soit restitué de cette manière, il ne les considérait pas dignes d’en être à nouveau les protecteurs, mais de ses états d’âme, les élus n’en avaient que faire.Le morceau de cristal irradiait toute la salle et projetait sa lumière pourpre qui dansait sur les murs de pierre.— Mon fils ! Léa ! Il n’y a plus de temps à perdre !Drarion contempl
29L’ARMÉE DE VEELAL’Invertero était partout, il voyait et entendait tout et c’est sans surprise que Tan et le Simorgh durent éviter ses attaques. Les deux créatures eurent beaucoup de mal à éviter ses assauts et plus d’une fois ils passèrent de justesse à côté d’effluves électriques meurtriers qui leur frôlaient les plumes ou de cette brume maudite qui tentait de les capturer. Mais Tan et le Simorgh n’étaient pas d’humeur à jouer et malgré les contestations de Léa et Drarion, ils voulurent donner à l’exterminateur, une petite leçon. Ils s’apprêtaient à survoler Faralonn et le risque était trop grand, ils ne voulaient pas attirer l’Invertero jusqu’au palais. Depuis le ciel, l’enceinte fortifiée paraissait calme. Les grandes portes étaient fermées, les rues du village étaient désertes et les volets des maisons clos, mais à l’intérieur, tapi dans la peur, battait le cœur de centaines d’innocents qu’ils devaient à tout prix protéger.
28L’AUTRE FRAGMENTProtégés derrière les remparts de Faralonn, les plus jeunes et les plus faibles se terraient dans le silence. Le vent qui soufflait portait jusqu’à eux ce douloureux écho qui leur coupait le souffle, l’insoutenable cacophonie de cette guerre qui se préparait. Les Gnomines s’activaient pour calmer ces innocents pris de panique et qui s’inquiétaient pour le père, le fils ou la mère, partis se battre. Dans leur laboratoire, les Bihan-Avel se hâtaient de préparer leurs potions explosives, car pour sûr, les troupes en manqueraient rapidement.Dans la salle des Trônes, Elvène, en compagnie de Doum, se faisait un sang d’encre pour Gabriel et son fils. Elle faisait les cent pas devant les grandes fenêtres d’où elle pouvait imaginer l’enfer qui se déroulait sur la baie et sur les plages de Sgathân. Doum, le mini-troll, faisait de son mieux pour la rassurer, mais toutes ses tentatives étaient vain
27LES ALLIÉS DE NOKKÉL’armée qui unifiait tous les peuples de Sgathân avait envahi les berges qui encerclaient la baie. Depuis leur position, l’Élite ne distinguait que des masses fourmillantes au-dessus desquelles flottaient les étendards de chacun des clans ayant répondu présents à leur appel.Au cœur de cette vaste étendue d’eau glacée que défigurait une houle incessante siégeaient les ruines de la forteresse noire. Au milieu des blocs d’Onyx brisés, le corps de lady Anya continuait inlassablement de cracher son courroux et l’Invertero qui se nourrissait de sa haine, assiégeait les mondes un à un. Qu’attendait Neimus pour donner le signal que tous attendaient ? Ils étaient tous là, fin prêts à se lancer dans cette guerre qui pour beaucoup d’entre eux serait la dernière. Dans les rangs, les rugissements de leur courage, de leur détermination, faisaient trembler le sol. D’où ils se trouvaient, Neimus et
26L’ESPOIR SOUS L’ÉTENDARDLe manteau obscur et nébuleux de l’Invertero devenait de plus en plus menaçant et si sur la terre ferme les troupes étaient fin prêtes, le ténébreux l’était tout autant. L’armée de Faralonn, guidée par l’Élite, avançait au pas cadencé et chaque pas qui frappait le sol faisait résonner l’hymne de leur détermination. Au loin, sur les rives qui bordaient la baie et enclavaient le rocher sur lequel siégeait, il y avait peu de temps encore la forteresse noire, les étendards des peuples ayant répondu à l’appel de l’Élite flottaient sous le vent tels de gigantesques cerfs-volants. Léa eut des frissons lorsqu’elle en aperçut un en particulier. Bien qu’elle fût loin, elle distingua nettement l’emblème qui y était brodé, un désert de dunes. Gabriel qui l’observait lui adressa un sourire qu’elle lui rendit, il avait tenu sa promesse et même si elle ne savait pas encore comment il avait fait, elle lui en était recon
25LE GRIMOIRE NE RÉPOND PLUSC’est peut-être là le propre de cette espèce, être au pied du mur, proche de la fin, au point de non-retour pour que l’humain réussisse à faire table rase du passé. Qu’il oublie sa rancœur et sa colère pour pardonner, mais à quel prix ? Sans aucun doute, sa prise de conscience du temps qui passe et qui restera perdu à jamais. C’est ce que Léa réalisait tandis que Kalon repartait s’occuper d’armer tous ceux qui seraient en mesure de se battre le moment venu, elle lui avait tout pardonné. Avant qu’elle-même ne retourne dans les jardins du palais pour apporter son soutien au plus grand nombre, elle voulut, une dernière fois, prendre conseil auprès de son amie invisible. Sur son lit, dans sa chambre elle ouvrit son coffret et sortit son grimoire qui s’illumina dès qu’elle le toucha.Un instant de nostalgie l’envahit tandis qu’elle tournait les pages ; avec un sourire empli d’émotio
24PRÉPARER LES PLUS FAIBLESDrarion avait besoin de se changer les idées et de mettre de côté ce qu’il venait de vivre dans la chambre de sa mère. Lorsqu’il sortit dans les jardins du palais, il retrouva ses esprits et ses motivations ; celles qui l’avaient poussé à quitter brusquement le chevet d’Elvène reprirent le dessus. Dans les jardins du palais originel, il trouva ce qu’il était venu chercher, ses amis, sa famille. Tous étaient tenus par leurs tâches respectives et Drarion n’attendait plus qu’une chose, leur prêter main-forte, car cela lui éviterait de penser à ce qu’il ressentait. Il s’étonna d’entendre des rires d’enfants et comprit rapidement ce qui les rendait si joyeux. À l’écart, au fond du parc, Gwénaël et Tan faisaient les pitres pour la plus grande joie de ces petits êtres innocents. Tan s’était transformé en Dragon et les laissait jouer sur son dos pendant que Gwénaël bondissait et disparaissait en projetant de fa