Alba
Bien sûr. Monsieur est trop fier pour avouer qu’il souffre. Je récupère une pince, approche la plaie. Il serre les dents quand je touche la peau, mais ne bouge pas. Lentement, méthodiquement, je sonde la blessure. La balle est profonde. Mon regard remonte vers son visage. Son front est perlé de sueur, mais il ne détourne pas les yeux.
— Tu peux encore faire marche arrière, Moretti.
— Et me traîner jusqu’à un hôpital pour qu’on me finisse ? Non merci.
Je soupire et pince les lèvres. Il ne me facilitera pas la tâche.
D’un geste précis, je fais glisser la pince et accroche le projectile. Gabriel se tend, ses muscles se contractent sous ma main. Il respire lentement, profondément, contrôlant la douleur. Je tire. Un frisson le parcourt, un son rauque s’échappe de sa gorge, mais il ne crie pas.
La balle tombe dans le plateau en métal dans un tintement sourd.
Je prends des compresses, nettoie le sang. Mon esprit me hurle de ne pas m’attarder sur sa peau brûlante sous mes doigts. Ce n’est qu’un patient. Juste un autre patient.
— Tu vas t’en sortir, dis-je en commençant à suturer.
— Je sais.
Bien sûr qu’il sait. Il ne conçoit même pas une autre option.
Le silence s’installe, seulement troublé par le bruit du fil que je tire à travers sa peau. Son regard est fixé sur moi, intense, pesant. Je refuse de lever les yeux.
— Pourquoi moi ? je finis par demander.
— Parce que t’es la seule en qui j’ai confiance.
Je m’arrête un instant, mon cœur ratant un battement. C’est un mensonge. Je le sais. Gabriel Moretti ne fait confiance à personne.
Et pourtant, il est là.
Blessé, vulnérable. Dans mon espace.
Peut-être que le mensonge n’est pas pour moi. Peut-être qu’il est pour lui-même.
Gabriel Moretti
La douleur pulse dans mon épaule, un battement sourd qui martèle ma peau à chaque mouvement. Mais ce n’est pas ça qui retient mon attention.
C’est elle.
Alba.
Ses doigts sont précis, rapides, aussi efficaces qu’ils l’étaient quand elle opérait dans les salles aseptisées des hôpitaux. Sauf qu’ici, il n’y a pas d’assistants, pas de moniteurs, pas de protocole. Juste elle et moi, dans la lueur tamisée de son appartement, le métal froid de ses instruments et la chaleur de ses mains contre ma peau.
Je la regarde travailler. Son front est plissé par la concentration, ses lèvres pincées. Elle fait tout pour m’ignorer, pour rester focalisée sur son rôle de médecin clandestin, mais je vois les ombres dans ses yeux. L’agacement. L’inquiétude.
— C’est pas la première fois que tu te fais tirer dessus, hein ?
Je souris. Un sourire paresseux, calculé, juste assez pour l’exaspérer.
— Trop de balles pour les compter.
— Et toujours en vie.
Elle tire sur le fil de suture avec un peu plus de force que nécessaire. Je ne bronche pas.
— J’ai l’impression que la mort n’a pas encore décidé ce qu’elle veut faire de toi, Moretti.
— Et toi, t’as décidé ce que tu veux faire de moi ?
Cette fois, elle s’arrête. Ses yeux rencontrent les miens.
— Te rafistoler et te foutre dehors.
Je ricane.
— Adorable.
Elle ne répond pas et reprend son travail, mais je vois la tension dans sa mâchoire, la façon dont ses doigts se crispent une fraction de seconde avant de retrouver leur précision chirurgicale. Alba Ricci est une énigme. Un mystère que je n’ai pas encore résolu.
Je l’ai cherchée pendant longtemps. Avant même qu’elle ne sache qui j’étais, je connaissais déjà son nom. Elle était l’héritière d’un empire, la fille de Don Ricci, un pion stratégique dans un jeu de pouvoir où elle refusait de jouer. Et maintenant, elle est là, face à moi, à me recoudre comme si je n’étais qu’un patient de plus.
— C’est terminé.
Sa voix tranche le silence. Elle coupe le fil, range ses instruments et s’écarte, comme si elle voulait mettre le plus de distance possible entre nous.
— T’auras mal pendant quelques jours. Évite de faire des mouvements brusques.
Je hoche la tête, mais je ne bouge pas.
Elle croise les bras.
— Quoi ?
— Tu m’as manqué, Ricci.
Elle lève les yeux au ciel, mais je ne rate pas le léger tremblement de ses doigts.
— Sors de chez moi, Moretti.
Je me lève lentement, testant mon bras. La douleur est toujours là, mais supportable. Je récupère ma chemise déchirée et l’enfile sans me presser. Ses yeux me suivent, méfiants.
— Qui a tenté de te tuer ? demande-t-elle finalement.
— T’as dit que tu voulais pas savoir.
— Je veux pas savoir si ça met ma vie en danger.
Je souris.
— T’es déjà en danger, Alba. Depuis le jour où t’as décidé de ne plus être la fille de ton père.
Elle se fige. Ses doigts se crispent sur le bord de la table.
— Sors.
Je ne bouge pas.
— Tu sais qu’il te cherche, pas vrai ?
Ses yeux s’assombrissent.
— Je gère.
— Non. Tu fuis. C’est pas pareil.
Son souffle est court. Son masque d’indifférence vacille. Un instant, je crois qu’elle va exploser. Mais elle ne le fait pas. Elle serre les dents, encaisse, comme elle l’a toujours fait.
Je m’avance vers elle, réduisant la distance entre nous. Elle ne recule pas, mais je sens sa tension, son refus de me laisser voir ce qui se passe derrière ses yeux.
— T’as un choix à faire, Alba.
Elle rit, un rire amer.
— Ah oui ? Et quel serait ce choix, Gabriel ?
— Arrêter de courir.
Elle secoue la tête, passe une main dans ses cheveux, visiblement épuisée.
— Et faire quoi ? Me jeter dans la gueule du loup ? Travailler pour toi ?
— C’est une option.
Elle le savait. Elle savait que ça viendrait. Que tôt ou tard, je lui ferais cette proposition. Pas seulement parce qu’elle est douée, pas seulement parce qu’elle peut m’être utile. Mais parce que je ne veux pas la perdre.
Elle me fixe, longtemps. Puis elle murmure :
— J’ai déjà été enfermée dans une cage, Moretti. J
’en veux pas d’une autre.
Elle tourne les talons et disparaît dans l’ombre de son appartement, me laissant seul avec le goût amer de sa vérité.
Alba RicciJe referme la porte derrière lui.Mes doigts restent crispés sur la poignée, les jointures blanchies par la tension. Je ferme les yeux un instant, inspire profondément. L’air de mon appartement est chargé d’un mélange de désinfectant et de sang séché. L’odeur s’accroche à ma peau, à mes vêtements, à mes pensées.Gabriel Moretti.Il est venu ici, blessé, vulnérable, et pourtant, il a réussi à prendre le contrôle. Toujours lui. Toujours ce fichu pouvoir qu’il exerce sans même essayer.Je relâche lentement la poignée et me détourne. Mon appartement est minuscule, un refuge sans luxe, sans attache. Juste un lit, une table d’examen, une étagère surchargée de fournitures médicales volées ou achetées sur le marché noir. Ce n’est pas une maison. Ce n’est qu’un abri.Mais ce soir, il est devenu quelque chose d’autre. Un champ de bataille invisible, où les mots ont tranché plus profondément que n’importe quelle lame.Je m’approche du lavabo, tourne le robinet et laisse l’eau couler s
Alba RicciJe me dirige vers la porte, enfile ma veste en cuir et récupère mon arme sous l’oreiller. Un simple Glock, léger, fiable. Je ne sors jamais sans.Les rues sont désertes à cette heure. Juste quelques âmes errantes, des ombres silencieuses qui ne cherchent pas d’ennuis.Je marche sans destination.Jusqu’à ce que je sente un frisson dans mon dos.Un instinct, une alerte viscérale. Quelqu’un me suit.Je ralentis légèrement, tendant l’oreille.Les pas sont feutrés, discrets, mais je les entends.Je m’engage dans une ruelle plus sombre, resserre ma prise sur mon arme.Puis je me retourne d’un coup, le canon pointé droit sur l’inconnu.L’homme s’arrête net. Un sourire narquois se dessine sur son visage.— Toujours aussi réactive, Ricci.Je reconnais immédiatement la voix.Mon sang se glace.— Toi.L’homme fait un pas en avant, son sourire s’élargit.— Ça faisait longtemps.Son ombre s’étire sous les réverbères.Je ne m’attendais pas à le revoir.Pas si tôt.Et surtout pas ici.La
Alba RicciJe déteste cette sensation.L’impression d’être acculée, enfermée dans une cage dont je ne vois pas encore les barreaux, mais dont je devine la forme.Gabriel Moretti se tient devant moi, imposant, imperturbable. Son regard brûle d’une intensité qui me cloue sur place, comme s’il avait déjà scellé mon sort avant même que je n’ouvre la bouche.— Pourquoi Carlo Ricci te cherche ?Son ton est calme, presque indifférent. Mais je ne suis pas idiote. Derrière cette façade impassible, il analyse chaque battement de mes cils, chaque tressaillement de mes doigts.Je croise les bras, me forçant à soutenir son regard.— Ça ne te regarde pas.Un silence. Puis un rictus étire ses lèvres.— Mauvaise réponse.Il fait un pas vers moi. Instinctivement, je recule d’un cran, mais je me heurte à la table derrière moi. Erreur. Son sourire s’élargit, comme un prédateur sentant la panique de sa proie.— Tu es dans ma ville, Alba.Sa voix est basse, menaçante.— Et tu es sous mon toit.Il pose une
Alba RicciIl esquisse un sourire.— Je n’ai jamais dit que je voulais ton obéissance, Alba.Il se lève lentement, son regard sombre rivé au mien.— Je veux ta coopération.Un ricanement m’échappe.— C’est la même chose.Il secoue la tête.— Non.Il s’approche, réduit la distance entre nous.— L’obéissance, c’est suivre sans réfléchir. Toi, tu es trop fière pour ça. Trop têtue.Sa main frôle mon bras, un contact presque imperceptible, mais suffisant pour envoyer une onde électrique dans mon corps.— Mais la coopération… Il se penche légèrement, son souffle effleurant ma peau. C’est choisir de rester, de marcher à mes côtés.Un frisson me parcourt, et je me hais pour ça.Je me hais de sentir cette attraction me tirer vers lui, comme une force gravitationnelle que je ne peux ignorer.Je me recule brusquement, brisant le contact.— Si tu crois que je vais travailler pour toi, tu es encore plus fou que je ne le pensais.Il ne se fâche pas. Il ne s’énerve jamais.Il analyse. Il attend.— T
Gabriel MorettiLe cuir brûlé, l’odeur du sang, la fumée noire qui s’élève dans la nuit.J’ai mal. Une douleur sourde me vrille l’épaule, chaude et poisseuse. Je n’ai pas besoin de baisser les yeux pour savoir : la balle est entrée. Trop propre pour être un simple règlement de comptes, trop précis pour être un avertissement. On voulait me tuer.Je plaque une main contre la blessure et me redresse contre la carcasse éventrée de ma voiture. Le métal est encore tiède, déformé par l’impact de l’explosion. Tout est allé trop vite. Un instant, nous roulions dans la nuit, Matteo au volant, trois de mes hommes en renfort. L’instant d’après, une gerbe de feu, la détonation, le crissement des pneus déchirant l’asphalte. Une embuscade. Millimétrée. Ils attendaient.Mon souffle est court. Mes doigts tremblants glissent sur le cuir de ma veste, poisseux de sang. Je sens le liquide chaud couler lentement le long de mon bras, s’infiltrer sous le tissu. Je serre les dents. Pas maintenant. Pas ici.Ma
Alba RicciIl esquisse un sourire.— Je n’ai jamais dit que je voulais ton obéissance, Alba.Il se lève lentement, son regard sombre rivé au mien.— Je veux ta coopération.Un ricanement m’échappe.— C’est la même chose.Il secoue la tête.— Non.Il s’approche, réduit la distance entre nous.— L’obéissance, c’est suivre sans réfléchir. Toi, tu es trop fière pour ça. Trop têtue.Sa main frôle mon bras, un contact presque imperceptible, mais suffisant pour envoyer une onde électrique dans mon corps.— Mais la coopération… Il se penche légèrement, son souffle effleurant ma peau. C’est choisir de rester, de marcher à mes côtés.Un frisson me parcourt, et je me hais pour ça.Je me hais de sentir cette attraction me tirer vers lui, comme une force gravitationnelle que je ne peux ignorer.Je me recule brusquement, brisant le contact.— Si tu crois que je vais travailler pour toi, tu es encore plus fou que je ne le pensais.Il ne se fâche pas. Il ne s’énerve jamais.Il analyse. Il attend.— T
Alba RicciJe déteste cette sensation.L’impression d’être acculée, enfermée dans une cage dont je ne vois pas encore les barreaux, mais dont je devine la forme.Gabriel Moretti se tient devant moi, imposant, imperturbable. Son regard brûle d’une intensité qui me cloue sur place, comme s’il avait déjà scellé mon sort avant même que je n’ouvre la bouche.— Pourquoi Carlo Ricci te cherche ?Son ton est calme, presque indifférent. Mais je ne suis pas idiote. Derrière cette façade impassible, il analyse chaque battement de mes cils, chaque tressaillement de mes doigts.Je croise les bras, me forçant à soutenir son regard.— Ça ne te regarde pas.Un silence. Puis un rictus étire ses lèvres.— Mauvaise réponse.Il fait un pas vers moi. Instinctivement, je recule d’un cran, mais je me heurte à la table derrière moi. Erreur. Son sourire s’élargit, comme un prédateur sentant la panique de sa proie.— Tu es dans ma ville, Alba.Sa voix est basse, menaçante.— Et tu es sous mon toit.Il pose une
Alba RicciJe me dirige vers la porte, enfile ma veste en cuir et récupère mon arme sous l’oreiller. Un simple Glock, léger, fiable. Je ne sors jamais sans.Les rues sont désertes à cette heure. Juste quelques âmes errantes, des ombres silencieuses qui ne cherchent pas d’ennuis.Je marche sans destination.Jusqu’à ce que je sente un frisson dans mon dos.Un instinct, une alerte viscérale. Quelqu’un me suit.Je ralentis légèrement, tendant l’oreille.Les pas sont feutrés, discrets, mais je les entends.Je m’engage dans une ruelle plus sombre, resserre ma prise sur mon arme.Puis je me retourne d’un coup, le canon pointé droit sur l’inconnu.L’homme s’arrête net. Un sourire narquois se dessine sur son visage.— Toujours aussi réactive, Ricci.Je reconnais immédiatement la voix.Mon sang se glace.— Toi.L’homme fait un pas en avant, son sourire s’élargit.— Ça faisait longtemps.Son ombre s’étire sous les réverbères.Je ne m’attendais pas à le revoir.Pas si tôt.Et surtout pas ici.La
Alba RicciJe referme la porte derrière lui.Mes doigts restent crispés sur la poignée, les jointures blanchies par la tension. Je ferme les yeux un instant, inspire profondément. L’air de mon appartement est chargé d’un mélange de désinfectant et de sang séché. L’odeur s’accroche à ma peau, à mes vêtements, à mes pensées.Gabriel Moretti.Il est venu ici, blessé, vulnérable, et pourtant, il a réussi à prendre le contrôle. Toujours lui. Toujours ce fichu pouvoir qu’il exerce sans même essayer.Je relâche lentement la poignée et me détourne. Mon appartement est minuscule, un refuge sans luxe, sans attache. Juste un lit, une table d’examen, une étagère surchargée de fournitures médicales volées ou achetées sur le marché noir. Ce n’est pas une maison. Ce n’est qu’un abri.Mais ce soir, il est devenu quelque chose d’autre. Un champ de bataille invisible, où les mots ont tranché plus profondément que n’importe quelle lame.Je m’approche du lavabo, tourne le robinet et laisse l’eau couler s
Alba Bien sûr. Monsieur est trop fier pour avouer qu’il souffre. Je récupère une pince, approche la plaie. Il serre les dents quand je touche la peau, mais ne bouge pas. Lentement, méthodiquement, je sonde la blessure. La balle est profonde. Mon regard remonte vers son visage. Son front est perlé de sueur, mais il ne détourne pas les yeux.— Tu peux encore faire marche arrière, Moretti.— Et me traîner jusqu’à un hôpital pour qu’on me finisse ? Non merci.Je soupire et pince les lèvres. Il ne me facilitera pas la tâche.D’un geste précis, je fais glisser la pince et accroche le projectile. Gabriel se tend, ses muscles se contractent sous ma main. Il respire lentement, profondément, contrôlant la douleur. Je tire. Un frisson le parcourt, un son rauque s’échappe de sa gorge, mais il ne crie pas.La balle tombe dans le plateau en métal dans un tintement sourd.Je prends des compresses, nettoie le sang. Mon esprit me hurle de ne pas m’attarder sur sa peau brûlante sous mes doigts. Ce n’e
Gabriel MorettiLe cuir brûlé, l’odeur du sang, la fumée noire qui s’élève dans la nuit.J’ai mal. Une douleur sourde me vrille l’épaule, chaude et poisseuse. Je n’ai pas besoin de baisser les yeux pour savoir : la balle est entrée. Trop propre pour être un simple règlement de comptes, trop précis pour être un avertissement. On voulait me tuer.Je plaque une main contre la blessure et me redresse contre la carcasse éventrée de ma voiture. Le métal est encore tiède, déformé par l’impact de l’explosion. Tout est allé trop vite. Un instant, nous roulions dans la nuit, Matteo au volant, trois de mes hommes en renfort. L’instant d’après, une gerbe de feu, la détonation, le crissement des pneus déchirant l’asphalte. Une embuscade. Millimétrée. Ils attendaient.Mon souffle est court. Mes doigts tremblants glissent sur le cuir de ma veste, poisseux de sang. Je sens le liquide chaud couler lentement le long de mon bras, s’infiltrer sous le tissu. Je serre les dents. Pas maintenant. Pas ici.Ma