Chapitre 7 : L’Instinct de Jude

Naïla savait que son jeu était risqué, mais c'était ce qui la rendait vivante. Chaque sourire, chaque mot qu'elle échangeait avec Jude était calculé pour faire tomber ses défenses. Mais au fond, elle savait que ce n'était qu'une question de temps avant qu'il ne commence à la soupçonner. Ce n'était pas un homme comme les autres. Il avait une intuition aiguisée, un sixième sens qui lui permettait de percevoir le moindre faux pas.

Ce soir-là, Jude l’avait invitée à un dîner privé dans son penthouse, surplombant la mer. Le cadre était parfait : des bougies, des plats raffinés, une ambiance intime. La table était dressée pour deux, et la vue était à couper le souffle. Mais Naïla savait que l’odeur du luxe, de l’exclusivité, et la chaleur de l’endroit ne l’empêcheraient pas de voir clair dans son jeu.

Elle s’installa face à lui, un sourire en coin, ses yeux pétillants d'une lueur séduisante. Elle portait une robe rouge, simple mais élégante, qui mettait en valeur sa silhouette. Elle savait que Jude l'observait, son regard s'attardant sur elle, analysant chaque détail, chaque mouvement. Il ne laissait rien au hasard.

— Tu as pensé à tout, dit-elle en effleurant le rebord de sa coupe de champagne. C’est magnifique.

— J’apprécie les détails, répondit-il calmement. Et les gens qui savent les remarquer.

Il parlait doucement, mais ses mots avaient du poids. Il n’était pas du genre à complimenter sans raison. Chaque phrase était une évaluation, un test dissimulé derrière un sourire charmant.

Le dîner débuta, et alors que les premières minutes passaient, Naïla engagea la conversation, s’intéressant à ses affaires et à ses projets. Jude, toujours aussi impassible, répondait avec calme et assurance, mais Naïla remarquait la tension dans son corps. Il ne voulait pas se dévoiler, pas encore.

— Tu sembles toujours sur tes gardes, Jude. C’est fatigant de garder le contrôle en permanence, non ? demanda-t-elle d’un ton léger, tout en jouant avec la tige de sa coupe de champagne.

— Le contrôle, c’est ce qui empêche le chaos, répondit-il en plantant son regard dans le sien. Et dans mon monde, le chaos peut coûter des millions.

Naïla sourit, amusée. Il venait de lui ouvrir une petite porte sur son esprit. Elle savait que l’homme derrière la façade n’était pas aussi calme qu’il le laissait paraître. Elle décida de pousser un peu plus.

— Tu n’as jamais eu envie de tout lâcher ? Juste… partir, oublier ce monde de chiffres et de pouvoir ?

Il prit un moment avant de répondre. Son silence était calculé. Jude ne laissait jamais une question l’emporter sans la dominer.

— Peut-être. Mais ce n’est pas dans ma nature de fuir. Je préfère dompter mes ennemis… ou les séduire, ajouta-t-il avec un éclat dans les yeux.

Naïla rit doucement, comme si la phrase l’avait flattée. Mais elle sentait l’avertissement derrière le compliment. Il jouait aussi, et il jouait bien.

Ils finirent leur repas, les plats devenant une simple excuse pour la proximité qui s’installait doucement entre eux. Jude se leva alors pour lui offrir un verre, et Naïla, sans perdre une seconde, se leva également. Elle se rapprocha de lui avec une lenteur calculée. Il la regarda dans les yeux, un léger sourire aux lèvres, mais quelque chose dans ses yeux trahissait une prudence, une suspicion. Naïla, elle, feignait l’innocence, mais son cœur battait légèrement plus vite. Il la testait, comme elle le testait lui.

Alors qu’il lui tendait son verre, elle laissa sa main effleurer la sienne, un contact qui semblait anodin mais qui laissait une étrange tension dans l’air. Jude, cependant, ne détourna pas le regard. Il ne se laissait pas facilement avoir, et Naïla pouvait sentir que la bataille se jouait dans son esprit. Elle se pencha alors légèrement en avant, ses lèvres effleurant les siennes dans un baiser doux mais chargé de sous-entendus.

Les secondes s’égrenaient lentement. Quand leurs lèvres se séparèrent, Naïla observa Jude, cherchant à déceler le moindre signe de doute. Il la regarda, son expression neutre, mais ses yeux brillaient d’une lueur nouvelle. Il savait que quelque chose n’allait pas, que cette rencontre était trop parfaite, trop orchestrée. Il ne pouvait pas se permettre d’être pris dans un piège, surtout pas par une femme aussi intrigante et dangereuse.

— Tu n’es pas comme les autres, Naïla, murmura-t-il d’une voix grave, un léger sourire sur les lèvres.

Naïla, prenant une inspiration discrète, répondit avec une fausse naïveté :

— Je n’ai jamais prétendu l’être.

Mais au fond, elle savait qu’il commençait à la scruter plus attentivement. Il était sur le point de franchir une ligne invisible. Jude Bélizaire, le millionnaire discret, n’était pas un homme facile à manipuler. Naïla le savait, mais c’était précisément ce défi qui la poussait à continuer.

Il s’éloigna légèrement, s’approchant de la grande baie vitrée. Son regard se perdit sur la ville illuminée. Derrière lui, Naïla prit une gorgée de son verre, l’observant en silence. Elle n’avait pas prévu qu’il soit si attentif, si résistant à ses charmes. Pourtant, quelque chose en elle refusait de reculer.

— Pourquoi moi ? demanda-t-il soudain, sans se retourner. Il y a des dizaines d’hommes prêts à tout pour toi. Pourquoi avoir accepté mon invitation ?

Naïla s’approcha lentement, posant une main légère sur son épaule.

— Parce que tu es différent, souffla-t-elle. Et peut-être… parce que j’ai envie de te connaître.

Jude se retourna, son visage proche du sien. Il la fixa, les mâchoires légèrement contractées.

— Tu vois, Naïla, j’ai appris à ne jamais faire confiance à ce qui semble trop beau. Et toi… tu es magnifique. Mais tout ce qui brille n’est pas forcément de l’or.

Le silence s’installa. Naïla ne répondit pas tout de suite. Son regard restait ancré dans le sien, mais derrière ses prunelles brillait une lucidité glacée.

— Et si tu te trompais ? murmura-t-elle enfin. Et si, cette fois, ce n’était pas un piège ?

Jude sourit, sans chaleur.

— C’est ce qu’on va voir.

Le dîner s’acheva dans une atmosphère plus tendue que prévu. Les mots s’étaient faits plus rares, les regards plus pesants. Naïla sentit que le moment de partir était venu, avant que Jude ne commence à poser les mauvaises questions ou à creuser trop profondément. Elle se leva avec élégance, ramassant doucement son sac, son regard brièvement croisé au sien.

Mais à peine eut-elle fait quelques pas vers la porte que Jude se leva à son tour. Il la suivit, silencieux, jusqu’à ce qu’il brise enfin le silence de sa voix grave et posée.

— Tu veux que je te raccompagne ?

La question, apparemment banale, était teintée d’une nuance différente cette fois. Moins distante, plus personnelle. Une curiosité perçait dans son ton, une envie d’en savoir plus. Peut-être même une mise à l’épreuve.

Naïla se retourna lentement, un sourire énigmatique étirant ses lèvres. Son regard accrocha le sien avec une assurance troublante.

— J’aimerais bien, mais… je suis sûre que tu n’es pas prêt à me laisser partir si facilement.

Un battement de silence suivit, chargé de non-dits. Puis, sans attendre sa réponse, elle tourna les talons, sa démarche calculée, sensuelle, parfaitement maîtrisée. 

Il resta planté là quelques secondes, ses mains dans les poches, le regard perdu dans l’obscurité.

— Elle joue un jeu, murmura-t-il pour lui-même.

De retour dans son penthouse, Jude servit un whisky sec, s’installa face à la baie vitrée et sortit son téléphone. Il ouvrit un message crypté, réservé à ses hommes de confiance.

"Surveillez discrètement Naïla. Déplacements. Communications. Tout. Aucun contact direct. Faites en sorte qu’elle ne soupçonne rien."

Il n’était pas naïf. Il avait vécu dans un monde où les sourires cachaient des lames, où les compliments précédaient les coups bas. Et Naïla, avec ses airs désinvoltes et ses touches de sensualité, en savait bien trop pour être innocente.

Il alluma un cigare, ses pensées tournant comme la fumée. Tout en elle l’attirait. Son esprit, son audace, même ses silences. Mais il avait cette impression persistante… cette anomalie dans l’équation. Des détails qui ne collaient pas. Une énergie fuyante. Des absences inexpliquées. Des réponses trop prêtes.

Son instinct, affûté par des années dans les affaires les plus dangereuses, refusait de se taire.

— Tu veux jouer ? On va jouer.

Ce n’était plus seulement une affaire de séduction. C’était devenu un affrontement, feutré mais réel. Elle voulait gagner sa confiance. Elle l’avait presque eue ce soir. Presque.

Mais Jude Bélizaire ne baissait jamais la garde sans raison. Et surtout, il ne laissait jamais quelqu’un l’approcher sans savoir pourquoi.

Derrière elle, elle savait qu’il la regardait encore. Qu’il analysait ses gestes, qu’il se demandait qui elle était réellement. Et dans l’ombre silencieuse de la nuit haïtienne, alors que les vagues murmuraient au loin, Naïla, elle, pensait déjà à son prochain coup.