Chapitre 3 : Une Cible de Rêve

Port-au-Prince était en effervescence ce soir-là. Les rues, habituellement pleines de vie et de bruit, semblaient s’être calmées sous la lueur argentée de la lune. Le Karibe Hotel, bien qu’illuminé de l’extérieur, était un tout autre monde à l’intérieur : un lieu d’élégance où les règles de la haute société s’appliquaient, où les sourires étaient calculés et les alliances, précieuses.

Naïla, vêtue d’une robe longue de velours de couleur noire, se fondait dans la foule comme une ombre, observant sans être vue. Ses yeux scrutaient la pièce, cherchant des signes, des indices, une faiblesse. Ce gala de charité, organisé pour collecter des fonds en faveur des enfants défavorisés de la capitale, était l’endroit idéal pour ce genre de repérage. Ce n’était pas une soirée comme les autres, et elle n’était pas là pour faire de la charité. Elle était là pour se rapprocher des personnes influentes, comprendre leurs faiblesses et, surtout, trouver celle qui pourrait devenir sa prochaine cible.

Elle savait qu'elle devait se jouer de tous ces gens trop sûrs d’eux, cette classe sociale qui pensait que l’argent et le pouvoir les mettaient à l’abri de tout. C’était un jeu dangereux, mais c’était son jeu.

Elle s’arrêta près d’un grand vase de fleurs pour observer un petit groupe qui semblait discuter avec animation. Des hommes d’affaires et des politiciens, des personnes dont elle avait entendu parler, mais jamais rencontrées. Un de ces hommes, grand et corpulent, rigolait bruyamment, attirant son attention. Il s’appelait Bertrand Saint-Rémy. Un magnat de l’immobilier, réputé pour son ambition dévorante. Il avait aussi une réputation pour ses transactions douteuses, mais il n’était pas encore assez puissant pour intéresser Naïla.

Elle se détourna de lui et s’avança plus près du centre de la salle, où les couples dansaient sur la musique envoûtante de l'orchestre local. C’était là que la cible de Naïla, un homme dont elle avait entendu des rumeurs dans les cercles privés, allait bientôt apparaître : Jude Bélizaire.

Le Karibe Hotel, symbole de luxe et de prestige à Port-au-Prince, s'était paré de ses plus beaux atours pour l'occasion. Des luminaires étincelants pendaient du plafond tandis que des hôtes élégants servaient des cocktails raffinés sous un air de musique douce. C'était un gala de charité, un événement mondain fréquenté par les grands noms de la société haïtienne. Mais pour Naïla, c'était bien plus qu'une simple soirée mondaine : c'était l'opportunité de repérer sa prochaine cible.

Assise à une table dans un coin sombre de la salle, Naïla observait l’assemblée avec attention. Les conversations animées, les rires feints et les regards calculés ne l’intéressaient pas. Elle n'était pas là pour les petites affaires. Elle était là pour le plus gros poisson.

C’est alors qu’elle le vit.

Jude Bélizaire. L’homme qui se dressait à l’autre bout de la salle semblait être l’incarnation du pouvoir. À plus de 1m90, il avait une silhouette imposante, enveloppée dans un costume sombre parfaitement taillé. Son regard, intense et perçant, balayait la salle d’un air distrait, comme s'il ne voulait pas être là, mais savait qu’il devait l’être. Son visage, aux traits ciselés, était impassible. Mais ce qui captiva le plus Naïla, c'était son aura de danger. L’homme n’avait pas l’air d’un simple investisseur. Il dégageait une présence froide, inébranlable.

Elle se leva, faisant glisser sa robe noire de velours contre ses jambes. Son regard ne se détacha pas de Jude Bélizaire, tandis que ses instincts aiguisés de fraudeuse entraient en mode stratégique. Elle savait que chaque geste, chaque mouvement devait être précis. Jude Bélizaire n’était pas un homme comme les autres. Il était différent, et pour la première fois depuis longtemps, Naïla ressentit une certaine admiration pour sa cible.

Le bruit des verres tintant et des conversations se mêlait aux battements de son cœur. Elle savait qu'elle devait d'abord obtenir des informations sur lui. Il serait trop tôt pour s'attaquer directement à lui.

Naïla attendit que Jude prenne place au bar, s’assurant de ne pas être trop évidente dans ses mouvements. Elle se leva lentement de sa table et se glissa entre les invités, feignant de chercher une personne dans la foule. Elle s’approcha du bar, où Jude venait de s’arrêter pour se resservir un verre. Elle prit une profonde inspiration et, avec un sourire nonchalant, s’avança légèrement vers lui.

— Excusez-moi, monsieur, je crois que nous nous sommes déjà rencontrés, dit-elle, en glissant doucement sa main sur la surface du bar, juste pour attirer son regard.

Jude, qui semblait perdu dans ses pensées, tourna lentement la tête vers elle. Ses yeux sombres, perçants, la scrutèrent de haut en bas comme s’il était en train d’évaluer chaque détail de sa présence. Un silence s’installa entre eux, chargé de tension. Puis, il esquissa un sourire, mais celui-ci était aussi froid que le reste de son comportement.

— Il me semble vous connaître aussi, répondit-il d’une voix grave, comme une caresse glacée. Mais je ne me souviens pas où.

Naïla se pencha légèrement vers lui, un sourire énigmatique aux lèvres, tout en repliant un peu les cheveux qui tombaient sur son épaule. Elle savait que l’art de la conversation était une danse subtile. La moindre imperfection, le moindre faux pas pouvait tout gâcher.

— Peut-être lors d’un événement à l’étranger, dit-elle en feignant la réflexion. J'ai souvent voyagé pour des projets d'affaires. C’est toujours une bonne occasion de croiser les bonnes personnes, non ?

Jude ne répondit pas immédiatement, son regard plongé dans celui de Naïla. Il semblait analyser chaque mot, chaque inflexion de sa voix. Naïla attendait patiemment qu'il réagisse, gardant son sourire léger et mesuré, mais un peu plus piqué d'intérêt.

— Peut-être, dit-il enfin, son regard toujours aussi intense. La mondialisation fait de nous des voyageurs constants. Mais j’ai du mal à croire que l’on puisse vraiment se souvenir de tout, avec le nombre de visages que l’on croise dans ces événements.

Naïla haussait légèrement un sourcil. Il était plus astucieux qu’elle ne l’avait imaginé. Mais elle savait aussi que cet homme n’avait pas encore vu le vrai jeu. Elle devait être encore plus subtile, plus proche de lui sans jamais se dévoiler.

— C’est vrai, répondit-elle avec un sourire plus large, mais parfois, certains visages se gravent dans l’esprit. Il y a toujours quelque chose dans l'attitude, dans la façon dont une personne se distingue dans la foule, n'est-ce pas ? Par exemple, je suis certaine que vous avez un charme qui ne passe pas inaperçu.

Elle observa sa réaction, un léger frisson parcourant son propre corps lorsqu’elle sentit l’intensité de son regard. Ce n'était pas un homme qui se laissait facilement flatter. Il savait qui il était.

Jude croisa les bras, jetant un regard furtif à l’assemblée avant de reposer son attention sur Naïla. Il semblait hésiter, comme s’il cherchait à cerner son objectif.

— Vous semblez être quelqu’un d’intéressant, dit-il lentement, son ton plus froid. Mais je dois avouer que ce genre de conversation me semble… trop calculé. Peut-être que je me fais des idées, mais les gens ici sont souvent pleins de faux-semblants.

Le regard de Naïla s’assombrissait lentement, mais elle maintenait son sourire. Cela n’avait rien d’une conversation anodine pour elle. Elle n’était pas là pour se faire de nouveaux amis, et elle n’avait jamais eu peur de la confrontation. Mais il fallait savoir gérer la tempête. Elle laissa passer un silence.

— Peut-être, mais les faux-semblants sont parfois nécessaires pour naviguer dans ce genre de monde, répondit-elle. Nous nous croisons tous dans cet univers où l’image compte plus que la réalité. N'est-ce pas ce qui vous attire, monsieur Bélizaire ?

Le changement dans son regard ne passa pas inaperçu. Ses yeux se durcirent légèrement, et son sourire perdit une fraction de son charme glacé.

— Vous êtes bien renseignée, dit-il, presque avec un léger rictus. Mais sachez que derrière cette image se cache un homme qui n’a jamais eu besoin de faux-semblants pour obtenir ce qu’il veut.

Naïla sentait qu’elle avait touché une corde sensible, mais cela ne l’effrayait pas. Au contraire, cela éveillait sa curiosité.

— Ah, mais c’est là tout le secret, non ? murmura-t-elle, sa voix douce, presque mystérieuse. Vous obtenez ce que vous voulez parce que vous savez manipuler les apparences. Vous êtes… un homme qui maîtrise parfaitement le jeu.

Jude la fixa un moment, scrutant ses intentions, cherchant peut-être une trace de faiblesse. Mais Naïla ne fléchit pas. Elle savait que cette première rencontre n’était qu’un prélude. Les choses sérieuses viendraient plus tard. Et il finirait par jouer son jeu, de son plein gré.

— Je n’ai jamais été un joueur, répondit-il finalement, son regard se durcissant, comme pour conclure la conversation. Juste un homme d’affaires pragmatique.

Naïla s’inclina légèrement, son sourire s’élargissant, et se recula lentement, ne perdant jamais son regard. Elle savait qu’il ne serait pas facile à manipuler, mais cette rencontre avait marqué un premier pas dans le décryptage de sa cible. Et Naïla était patiente.

— Très bien, monsieur Bélizaire. Je ne voudrais pas vous déranger plus longtemps. Mais peut-être que nous aurons l’occasion de nous revoir, dans d’autres circonstances.

Elle tourna les talons, mais pas avant d’avoir entendu sa réponse. Il n’était pas du genre à s’attacher aux gens, mais peut-être qu’elle réussirait à le rendre curieux. Elle en était convaincue.

De retour chez elle, Naïla plongea dans les archives financières qu’elle avait collectées ces dernières semaines. Elle analysa les transferts bancaires, les fonds anonymes, les connexions entre Jude Bélizaire et les sociétés offshore. Elle découvrit que l’homme n’était pas seulement un homme d’affaires. Il était aussi lié à des transactions clandestines et à des réseaux mafieux, mais son savoir-faire lui avait permis de rester invisible aux yeux de la justice.

Mais plus Naïla fouillait, plus elle réalisait que l’homme ne se contentait pas de l’argent. Il voulait autre chose. Il y avait une partie obscure de sa vie qu’il cachait, quelque chose de bien plus dangereux que l’argent. Et ça, Naïla n’arrivait pas à l’ignorer.

Elle sourit en pensant à tout ce qu’elle pourrait exploiter. C’était l’opportunité parfaite pour son prochain grand coup. Mais pour l’instant, elle devait se montrer patiente et se préparer. Les arnaques les plus réussies sont celles qui prennent le temps d’être minutieusement préparées.