AlexanderLe dîner est terminé, et l’addition est réglée – une formalité que je gère d’un geste mécanique, glissant ma carte noire au serveur sans même regarder le montant. Le restaurant du Mandarin Oriental est presque vide à cette heure, les chandelles vacillent faiblement sur les tables, et le murmure des derniers clients s’efface dans l’ombre des boiseries sombres. Laurie est assise en face de moi, ses doigts triturant la serviette qu’elle a pliée et dépliée une bonne dizaine de fois. Elle n’a presque pas touché son dessert, une mousse au chocolat qui fond lentement dans son assiette. Moi, j’ai fini mon verre de Bordeaux, et la brûlure du vin me réchauffe la gorge, mais pas assez pour chasser ce malaise qui s’est installé entre nous depuis que j’ai mis les choses au clair.« Le passé, c’est fini. On peut pas le laisser foutre en l’air ce qu’on a maintenant. » Mes propres mots résonnent dans ma tête, tranchants, définitifs. Je les ai dits pour couper court à cette tension, pour rem
LAURIEJe m'approche des portes vitrées de Knight Enterprises, et mon cœur cogne si fort sous ma veste que je me demande si quelqu'un peut l'entendre. Deux entretiens déjà dans la poche, passés haut la main, mais aujourd'hui, c'est une autre guerre. Le grand face-à-face. Alexander Knight, le PDG en personne, celui qui tient ma vie entre ses mains. Il peut me propulser dans ce monde de luxe ou me balancer dehors comme une vieille chaussette. Cette pensée me hante depuis des jours, me réveille la nuit, trempée de sueur. Je ne peux pas foirer. Pas maintenant, pas après tout ce que j'ai traversé.J'ai pas eu une vie en cadeau. Rien n'a été facile, chaque pas a été une bataille. Je m'appelle Laurie Brunel, j'ai 26 ans, et si je tiens encore debout, c'est parce que j'ai appris à encaisser les coups dès le berceau. Née dans une bagnole qui s'est fracassée sur une route glissante, ma mère a clamsé quelques minutes après m'avoir poussée dans ce monde. Mon père, brisé par l'accident, cloué dans
LaureiL'hôtesse m'a lâché son « dernier étage » comme un ordre, et je pivote vers le couloir, le cœur qui cogne toujours aussi fort sous ma veste. Pas le temps de traîner. Je traverse le hall, mes escarpins claquants sur le marbre, chaque pas un défi lancé à ce monde qui me hurle que je ne suis pas à ma place. Mais je suis là, et je vais pas me dégonfler. Pas maintenant. Pas face à lui – Alexander Knight, le nom qui fait trembler les murs de cette tournée, celui qui va décider si je grimpe ou si je m'écraser.Je jette un coup d'œil autour de moi, juste assez pour ajuster mon armure. Mon tailleur noir, mon miracle à dix euros, tient le coup, mais je sens la sueur perler dans mon dos. Mes cheveux châtains sont tirés en un chignon si serré qu'il tire sur mon cuir chevelu – strict, pro, peut-être un peu trop sévère pour mes 26 ans. Mes yeux bleus, soulignés d'un trait discret de mascara, brillent d'une lueur que j'espère assurée. Je passe une main sur mes lèvres, vérifiez la teinte rouge,
LaurieAlexander Knight se plante devant moi, et je me sens violer d'un coup. Il doit faire plus d'1m90, une tour humaine qui me domine malgré mes talons. Mes yeux grimpent pour croiser les siens, et je prends toute sa carrure en pleine face – épaules larges, posture droite, un mur de muscles moulés dans un costume sombre taillé au scalpel. On dirait qu'il passe autant de temps à soulever de la fonte qu'à diriger son empire. Minuscule, voilà ce que je suis à côté de lui, une fourmi face à un géant.Son visage me frappe encore plus. Des traits durs, angulaires, une mâchoire carrée qui lance l'autorité. Sa peau, légèrement bronzée, trahit des heures dehors, pas le genre de mec cloîtré dans un bureau à longueur de journée. Ses cheveux bruns, presque noirs, sont coupés court, impeccables, pas une mèche qui dépasse – tout chez lui respire le contrôle. Mais ses yeux… Putain, ses yeux. Gris acier, froids comme une lame, ils me transpercent sans pitié. Ils analysent tout – mes lunettes, mon ta
Alexandre )Je laisse Mademoiselle Brunel passer devant moi, et son stress me saute aux narines comme une odeur de sueur froide. Elle tremble sous son tailleur ajustée, mais elle le cache bien – presque. Son CV est une surprise, pourtant. À même pas trente ans, elle aligne plus de diplômes que moi, des lignes de prestige qui brillent sur le papier. Moi ? J'ai jamais eu besoin de ça. Amadeus Knight m'a ramassé, modelé, et martelé une seule vérité : je serais son héritier, son bras droit, le prochain à tenir les rêves de son empire. L'école, c'était juste un moyen, pas une fin. Lui, il a bâti tout ça à la force des poings, avec du culot, un peu de chance, et des deals pas toujours nets. Il m'a jamais caché les ombres de son jeu.Gamin, je voyais des types louches défiler à la maison. Des soirées poker au sous-sol, des fumées épaisses qui montaient jusqu'à l'étage, pendant que ma mère adoptive me collait devant un film avec du popcorn trop salé. Ou des réunions dans son bureau, portes
AlexanderElle entre dans mon bureau, Mademoiselle Brunel, et je lui fais signe de s'asseoir d'un geste sec. La chaise en face de moi l'attend, froide, comme tout le reste ici. Je vais pas tourner autour du pot – quelques questions, directes, précises, puis je trancherai dans un jour ou deux. Mon père n' est plus là pour tenir les rêves, mais son ombre plan encore. Je lui balancerai mon ressenti, comme toujours, avant de signer quoi que ce soit. Un CV, ça se truque, mais pas chez nous. Mes détectives fouillent tout – stages, écoles, passés louches. Rien ne passe entre les mailles. Elle a tenu le coup jusque-là, mais on verra si elle craque face à moi.« Voulez-vous un café ? » je lâche, histoire de briser la glace – ou de la tester encore. Elle hésite, une seconde de trop, puis se redresse d'un coup, ses yeux bleus plantés dans les miens. « Volontiers. »Un coin de ma bouche tique – pas vraiment un sourire, juste une réaction. Elle se détend, croit que je baisse la garde. Erreur. J
Laurie Je sors de Knight Enterprises, et mes jambes pèsent comme du plomb, comme si j'avais laissé un bout de moi là-dedans. Les portes vitrées claquent derrière moi, un bruit sec qui cogne dans ma tête. Je jette un œil à ma montre – moins de vingt minutes. Vingt putain de minutes pour torpiller mes espoirs. Je savais que ça allait mal se passer, mais aussi rapide, aussi brutal ? Ça me laisse un goût amer, une truc qui gratte la gorge et refuse de partir.La déception s'infiltre, sournoise, et mes épaules s'affaissent d'un coup. Une brise froide me frôle le visage, mais je la sens à peine, coincée dans ce brouillard de stress et de frustration. Mon souffle s'alourdit, mes yeux piquent – des larmes que je ravile, parce que hors de question de craquer ici, sur ce trottoir glacial. Tant pis. À quoi je m'attendais, franchement ? Un miracle ? Ce poste, c'était trop beau, trop grand. Knight Enterprises, un rêve que je traîne depuis des années, un mirage qui s'éloigne encore plus maintenan
Laurie Je décroche, et ma voix s'allège un peu, presque familière. « Salut, Carter ! » À l'autre bout, son ton claque, ensoleillé, comme toujours. Peu importe les kilomètres, les années, il est là, intact, mon ancre dans ce merdier.« Alors, comment vas-tu ? L'entretien, c'était comment ? »Je soupire, un souffle lourd qui charrie toute la crasse de cette journée. « Comme d'hab, Carter. Tribunal. Terrain trop court. J'ai rien senti passer, et franchement, j'ai l'impression d'avoir foiré. Je m'attendais à… plus. »Silence. Il encaisse, puis reprend, doux mais ferme. « T'inquiète pas, Laurie. Ça va payer un jour. C'est fait pour ça. Laisse pas un petit accroc te faire douter. Celui-là est raté ? Tant mieux, tu trouveras mieux ailleurs. »Un sourire m'échappe, invisible mais réel, un baume sur mes nerfs à vif. « J'espère. Mais là, j'ai l'impression de patauger dans cette ville. J'ai fait des études, des tas, et pour quoi ? Rien à ce sujet, rien ne bouge. Je suis démoralisée, Carter. »
AlexanderLe dîner est terminé, et l’addition est réglée – une formalité que je gère d’un geste mécanique, glissant ma carte noire au serveur sans même regarder le montant. Le restaurant du Mandarin Oriental est presque vide à cette heure, les chandelles vacillent faiblement sur les tables, et le murmure des derniers clients s’efface dans l’ombre des boiseries sombres. Laurie est assise en face de moi, ses doigts triturant la serviette qu’elle a pliée et dépliée une bonne dizaine de fois. Elle n’a presque pas touché son dessert, une mousse au chocolat qui fond lentement dans son assiette. Moi, j’ai fini mon verre de Bordeaux, et la brûlure du vin me réchauffe la gorge, mais pas assez pour chasser ce malaise qui s’est installé entre nous depuis que j’ai mis les choses au clair.« Le passé, c’est fini. On peut pas le laisser foutre en l’air ce qu’on a maintenant. » Mes propres mots résonnent dans ma tête, tranchants, définitifs. Je les ai dits pour couper court à cette tension, pour rem
AlexanderOn arrive dans le hall du Mandarin Oriental, et je lui donne rendez-vous pour 20h au restaurant de l’hôtel, un automatisme qui me permet de reprendre le contrôle. Elle acquiesce, ses lèvres esquissant un sourire hésitant, puis elle s’éloigne vers sa chambre, ses pas légers résonnant sur le marbre. Je reste là, planté comme un idiot, les mains enfoncées dans les poches, à regarder son ombre disparaître derrière les portes de l’ascenseur. Le hall est un ballet de luxe discret – le murmure des réceptionnistes, le tintement des verres au bar, le parfum entêtant des lys dans un vase gigantesque. Mais tout ça passe au second plan. Mon esprit est ailleurs, coincé entre deux mondes : celui que j’ai construit et celui que j’ai laissé derrière.Laurie. Maman Laurie. Putain, ça fait quoi, vingt ans ? Vingt ans que j’ai enfoui cet orphelinat au fond de ma tête, avec ses murs gris, ses cris, ses odeurs de soupe froide et de décontamination bon marché. Et elle, avec ses cheveux en bataill
AEXANDERJe m’assieds sur le bord de la table, les bras croisés sur ma poitrine comme une barrière, une armure improvisée pour tenir mes émotions à distance. Parce que sinon, je ne sais pas ce que je pourrais faire. Lui dire la vérité ? Lui balancer que je me souviens d’elle, de chaque détail, de ses éclats de rire qui perçaient le silence oppressant de cet endroit maudit, de ses pleurs étouffés quand elle ratait un tir au foot et qu’elle pensait que ça faisait d’elle une ratée ? Ou peut-être lui avouer que, quand Amadeus m’a emporté ce jour-là, avec ses promesses de richesse et de pouvoir, j’ai eu l’impression de la trahir, elle plus que n’importe qui d’autre ? Cette gamine qui devait se hisser sur la pointe des pieds pour atteindre mon épaule, qui me regardait avec des yeux pleins d’espoir comme si j’étais son héros.Mais je ne dis rien de tout ça. Pas encore. Je suis Alexander Knight, pas un gamin paumé qui pleurniche sur ses souvenirs. J’ai bâti un empire sur le contrôle, sur la c
laurieLa salle de conférence est encore imprégnée de l’odeur du café tiède, un arôme âcre qui se mêle à l’électricité statique des écrans plats alignés contre les murs. Les néons bourdonnent légèrement, un bruit discret mais persistant qui accompagne le claquement sec de ma mallette que je referme d’un geste brusque. Hargrove et son assistant viennent de quitter la pièce, leurs voix étouffées s’éloignant dans le couloir, leurs pas résonnant sur le marbre poli comme un écho de leur défaite. Je sens cette satisfaction familière m’envahir – celle d’une bataille bien menée, d’un contrat qui n’attend plus que ma signature pour sceller son destin. Mes doigts effleurent le cuir usé de la poignée, et je prends une seconde pour savourer cette victoire, ce moment où tout semble s’aligner comme les pièces d’un échiquier que j’ai manipulé avec soin. Mais ce n’est pas ça qui fait pulser mon sang dans mes veines à cet instant précis. Ce n’est pas le triomphe professionnel, ni l’adrénaline d’avoir
LAURIELa réunion s’étire sur deux heures, un ballet de questions techniques, de négociations sur les coûts et de démonstrations. Je joue mon rôle du mieux que je peux, passant des documents, prenant des notes, répondant à quelques questions simples quand Alexander me les renvoie. Mais à chaque fois que nos regards se croisent, je sens cette tension sous-jacente, ce fil invisible qui relève nos passés potentiels. Il le sait, j’en suis presque sûr maintenant. Mais pourquoi il ne dit rien ?Quand Hargrove et Daniel se lèvent enfin pour serrer la main d’Alexander, le contrat semble dans la poche. Ils promettent une résolution définitive sous quarante-huit heures, mais le ton est optimiste. La porte se referme derrière eux, et je m’effondre presque dans mon fauteuil, épuisée mais électrisée par l’adrénaline.— Bien joué, Laurie, dit Alexander, rangeant ses affaires avec une précision méthodique. C’est assuré.— Merci, murmuré-je, un sourire sincère éclairant mon visage pour la première fo
LAURIELaurieLe café brûlant glisse dans ma gorge, son amertume me réveille à peine alors que l’ascenseur descend vers la salle de conférence privée du Mandarin Oriental. Alexander est à mes côtés, silencieux, son regard fixé sur les chiffres lumineux qui défilent au-dessus des portes. Il tient une mallette en cuir noir dans une main, et son costume gris anthracite semble taillé pour lui donner une aura encore plus imposante – si c’est possible. Moi, je tripote nerveusement la lanièreInto de mon sac, implique de me concentrer sur la réunion à venir plutôt que sur la question qui tourne en boucle dans ma tête depuis hier soir : Est-ce qu’il sait qui je suis ?Les portes s’ouvrent avec un ding discret, et nous pénétrons dans une salle aux allures futuristes. Une table longue en verre domine l’espace, entourée de fauteuils en cuir noir. Les murs sont tapissés d’écrans plats éteints pour l’instant, et une baie vitrée offre une vue plongeante sur les gratte-ciel de Manhattan, baignées dan
LAURIEIl disparaît dans sa chambre, la porte se refermant avec un clic discret, et je m’effondre sur mon lit, le cœur lourd comme une pierre. Se souvient-il de moi ? Sait-il que c’est moi, cette petite fille qu’il a connue il y a si longtemps ? Je fixe le plafond, les lumières de New York filtrant à travers les rideaux, projetant des ombres dansantes sur les murs. Ses paroles tournent en boucle dans mon esprit : « Si tu as quelque chose à me dire, demain sera le moment. » Est-ce une invitation à ouvrir mon cœur, ou un défi voilé ? Je me demande si je devrais lui parler de l’orphelinat, de ces jours où nous riions ensemble malgré la faim et le froid, mais la peur me retient. Et s’il ne se souvenait pas ? Ou pire, s’il se souvenait mais que cela n’avait aucune signification pour lui, un détail oublié dans sa vie de luxe ? Cette pensée me serre la poitrine, et je me retourne dans les draps, cherchant un sommeil qui me fuit.Les heures s’étirent, et je finis par sombrer dans un sommeil a
LAURIEJe pénètre dans ma chambre, mon sac toujours sur l’épaule, et suis immédiatement frappée par l’opulence qui m’entoure. Deux énormes valises trônent près du lit, imposantes et impeccablement alignées, accompagnées d’un bouquet de roses rouges éclatant, orné d’une petite carte. Curieuse, je pose mon sac et prends les fleurs, les portant à mon nez pour en respirer le parfum doux et enivrant. Puis, avec précaution, j’ouvre la carte. Les mots y sont écrits d’une main élégante : « Bienvenue chez Knight Enterprises. A. »Touchée par ce geste inattendu, un sourire timide se dessine sur mes lèvres. Je pose les roses sur la table de nuit et me tourne vers les valises, hésitant un instant avant de les ouvrir. À peine les fermoirs cèdent-ils que des vêtements magnifiques s’échappent en cascade : des robes de soie aux coupes raffinées, des tailleurs impeccables aux tissus luxueux, chacun plus somptueux que le précédent. C’est comme si Noël avait décidé de frapper avant l’heure, et je reste
Laurie)Je pousse la porte de ma chambre, mon sac pesant sur l’épaule, et le luxe me percute de plein fouet. Deux valises massives squattent près du lit, droites comme des soldats, impeccables, flanquées d’un bouquet de roses rouges qui éclate dans la lumière tamisée. Une petite carte dépasse, discrète mais intrigante. Je lâche mon sac, le cœur battant un peu trop fort, et m’approche. Les pétales frôlent mes doigts, veloutés, leur parfum sucré me monte à la tête – un mélange entêtant de douceur et de promesse. Je saisis la carte, l’ouvre d’un geste prudent. L’écriture est fine, assurée : « Bienvenue chez Knight Enterprises. A. »Un sourire timide me trahit, un truc fragile qui tremble sur mes lèvres. Touchée, ouais, plus que je veux l’admettre. Je pose les roses sur la table de nuit, leur rouge tranchant contre le bois sombre, et me tourne vers les valises. Mes mains hésitent, suspendues au-dessus des fermoirs. Un clic, puis un autre, et c’est l’avalanche : robes de soie qui glissent