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Le lendemain de l’enterrement fut un jour très flou pour Colleen. Le premier geste qu’elle fit, ce fut de prendre son téléphone sur la table de chevet la plus proche pour voir si Aidan lui avait donné des nouvelles de sa réunion d’hier. Mais l’appareil était éteint et ne voulait pas s’allumer. Elle le branche et décide d’aller visiter Marco Polo pour lui dire bonjour. Il se lève toujours tôt, lui. Mais en arrivant devant l’aquarium, celui-ci était vide. A côté, il y a une boîte d'allumette peinte en noire. Tout lui revient d’un seul coup, ce qui lui cause un soudain mal de tête. 

Tout ne pouvait pas être vrai, non? Aidan n’aurait pas pu rompre avec elle de cette manière. Par message? Et avec des mots aussi durs? Son cerveau a dû tout inventer. C’est possible. Mais, c’est vrai que Marco est mort. Le pauvre. L'idée lui fit mal au cœur. 

En attendant son téléphone, Colleen passe a la douche, et se lave. Une dizaine de minutes plus tard, elle ressort de sa chambre vêtue d’un autre pyjama. 

Son téléphone a assez de batterie pour qu’elle puisse l’utiliser. Elle passe par son Twitter, puis l’application des nouvelles. C’est bien une chose que son père lui a appris: de toujours savoir ce qui se passe autour. “Vaut mieux prévenir que guérir". Même si rien n’est jamais assez important pour s'alarmer, Colleen considère ce petit geste comme un souvenir de plus de son père. Son ordinateur était dans la cuisine, le nouvel épisode de Magnum venait de sortir, elle devait le regarder avant que Aidan ne décide de la spoil parce qu’elle prend son temps. 

Alors qu’elle lisait un article sur un vaccin contre la grippe développé en Angleterre, elle reçoit un message de Ida. Bizarre. Elle ne lui a pas parlé depuis plusieurs mois et maintenant elle l'écrit de nulle part. Elle ouvre la conversation et au fur à mesure qu’elle lit le message, l'incompréhension se peint de plus en plus dans ses traits. 

Ida: Salut ma belle. Comment tu te sens aujourd’hui? Mateo te salue et te demande de tenir bon. Avant que tu ne le vois quelque part, je t’envoie ça. Je sais que ça fait mal. Tu veux venir manger à la maison plus tard? Tu es la bienvenue. On serait ravis de te revoir. Bisous. 

Le lien attaché au message mene a une page I*******m qu’elle n’avait jamais vu avant. Le propriétaire était Aidan. @Aidancho0822. Le problème avec cette page est que ça ne pouvait pas appartenir à Aidan, il n’avait aucun compte. Ni sur I*******m, F******k ou Twitter. En descendant vers les photos, son cœur se serre. Chaque photo lui procure une nouvelle douleur. Une d’entre elles est la photo de sa télévision ouverte sur une chaîne de sport. Lorsqu’il venait chez elle, c’est ce qu’il faisait le plus souvent. La légende de la photo fait qu’avaler sa salive soit une tâche douloureuse: “Football avec les amis!!”. Avec les amis? Il masquait donc ses journées avec lui par un mensonge. Et tous les gens qu’elle a rencontrés au cours de leur relation? Ses soi-disant “amis”? Savaient-ils que Aidan l’a mené en bateau pendant tout ce temps? Deux ans, presque, à la poubelle. Comme un vieux souvenir inutile. 

Elle va sur sa conversation et découvre le message d’hier qui finit par confirmer ce qui était pourtant évident: Aidan a rompu avec elle par message. 

Aidan: Salut Colleen. Désolé pour Marco. C' était un joli poisson. Écoute, je crois qu’on devrait tout arrêter. Ça a été très bien avec toi, je t’assure. Mais j’ai d’autres projets. Je compte me marier dans quelques mois et je veux tout bien faire. Porte toi bien.

Il croit qu’ils devraient tout arrêter. Ça a été bien avec elle MAIS il a d’autres projets. Et comme si ce n'était pas assez sadique, il compte se marier dans quelques mois ET, il veut tout bien faire. Oh le salaud. 

La colère l’envahit alors qu’elle relit encore et encore les quelques mots qui s’affichent devant elle. Au même moment, un message de… il fallait bien se l’avouer, son ex, fit monter le reste de la conversation. 

Aidan: Salut Colleen, Sarah veut bien que tu viennes au mariage. Je t’enverrai une invitation. Tu pourras venir avec quelqu’un si tu veux. A plus!! ;) 

Elle s'appelait Sarah. Colleen se souvient donc de sa plus récente photo sur I*******m. Elle retourne sur l’application et clique sur la photo. Pour une quelconque personne, ce ne serait qu’un homme qui prend la photo d’un thermos fait de matière réflective, avec les gratte-ciels de Seattle en fond. Mais pour Colleen qui connaissait plutôt bien Aidan, elle a remarqué l'objet de sa peur.

Aidan n’a jamais aimé les bijoux. Pas de collier, pas de bracelet, même pas une montre. Il disait qu’il se sentait enchaîné. Même si c'était un peu fou, Colleen l’a accepté comme il est, elle l’aimait après tout. Au fur et à mesure, il fait en sorte que même elle, abandonne les siens. Quoi de plus normal que de faire comme l’homme qu’on aime? 

Voir sur cette photo, Aidan, puisque c’est bien lui qui apparaît dans le reflet du récipient, portait à sa main droite non seulement un bracelet mais aussi une bague en argent, finit par réduire en cendre toute colère que Colleen avait en elle. 

Pleurer, debout au milieu de sa cuisine, n'était dans aucun de ses livres romantiques. Encore moins lorsqu’elle sentit des gouttes d’eau tomber sur son crâne. Lorsqu’elle lève la tête, son plafond est taché d’une couleur marron. Son voisin d’en haut avait une fuite. Superbe. 

Sa situation est pire qu’elle ne l'espérait maintenant. Elle est celibataire, par message, il fallait le préciser, son appartement coule, et elle est au chômage. Ou plutôt, sans travail; puisqu’elle n’en cherchait pas vraiment ces derniers jours, pour ne pas dire ces dernières années. 

Colleen prit son ordinateur et tomba sur une photo d’eux en fond d'écran. Les larmes coulent silencieusement sur ses joues et les retirer voudrait dire qu’elle accepte sa défaite, sa solitude. Pas encore. Elle voulait encore s'accrocher à Aidan pendant quelque temps. Mais elle savait que personne ne la laisserait tranquille maintenant que le conte de fée est fini et a explosé en mille morceaux. 

Elena est la plus proche. Elle viendrait sans doute toquer à sa porte chaque jour jusqu'à ce qu’elle aille mieux. Jack passerait de temps en temps pleurer avec elle devant un film romantique. Elle se demande parfois si Elena et lui n’ont pas changé de tempérament sans le vouloir. Mais elle se rappelle qu’il a toujours été comme ça et que Gabriel, son père, était exactement pareil. Heureusement que sa mère et Emmett étaient là pour tenir le bateau à flot et hors des larmes inutiles du chef de famille et du dernier de la fratrie. Emmett, Colleen, Jackson. Le trio des Smith. 

Emmett. Elle se rappelle, en cherchant un film dans le catalogue de Netflix, que ce dernier rentre de sa résidence dans trois semaines. Il est parti en Angleterre il y a quelques années, pour ses études de médecine et maintenant il rentre pour de bon, dans trois semaines. “Oh non.” se dit-elle, réalisant ce que cela signifiait. 

Depuis tout petit, Emmett était toujours celui qui prenait la défense du plus faible. Surtout de ses frères et sœurs. De par son gabarit on aurait pu penser qu’il est le mechant mais sous son air intraitable et plutôt froid, il n'hésitera jamais à venir en aide aux autres. Maintenant, savoir qu’il rentre dans trois semaines après sa rupture tragique avec Aidan, elle espère que ce dernier ne pointera pas le bout de son nez de si tôt. La douleur est encore fraîche et il lui manquerait des dents au moment même où Emmett percevait sa silhouette à l'autre bout de la ville. 

Un autre point lui vient en tête: elle n’a dit à personne que depuis six mois, elle ne travaille plus. Ou plutôt, elle a résigné de son travail parce qu'à cette époque, Aidan était malade et devait avoir une assistance poussée d’un aide-soignant ou d’une tout autre personne pouvant l’aider. Il avait eu une infection. C’est tout ce qu’elle savait. Il lui a demandé de rester avec lui quelques heures de plus, puis quelques jours et enfin la demande cruciale émerge: “Pourquoi tu ne laisses pas ton travail pour t’occuper de moi?” Il demanda, avec le regard le plus sincère du monde. 

A cet instant, Colleen ne savait pas quoi répondre. Certes, il avait besoin d’une assistance vingt quatre sur vingt quatre mais elle, laisser son travail? “ Tu veux que je laisse la boulangerie?” Il acquiesce. Le visage de la jeune femme se renfrogne pendant quelques secondes. Il ajoute: “Si tu étais dans le même cas, j’aurais laissé mon travail sur le champ.” Il caresse son bras de haut en bas comme pour essayer de la consoler. “Et pour mon appartement? Je ne peux pas emménager chez toi à vie!" Il secoue la tête et lui sourit. “SI c’est ca seulement le souci, ne t’en fait pas. Puisque je suis celui qui a fait la demande, je m’occupe de ton loyer. Tu est en retard?” Elle secoue la tête. “ Non. Je suis en avance de trois mois, j’avais un peu d’argent de côté et je voulais retirer ce poids sur mes épaules pour un temps.” Il hoche la tête et lui colle un baiser sur la tempe. “Je m’en occupe” a-t-il dit. 

Voilà maintenant six mois que cela a été décidé Aujourd’hui, certe son appartement est payé pour peut-être trois ou quatre autres mois mais reste à chercher du travail. Se passant les doigts dans ses boucles, elle ferme les yeux et respire un bon coup. Ses pleurs ont cessé, mais son coeur lui faisait toujours aussi mal. 

Colleen dépose son ordinateur sur la table basse du salon et retourne dans la cuisine ou l’eau du plafond a formé une petite mare au sol. Elle souffle et pose un chaudron pour capter l’eau. Elle devrait parler à son voisin d’en haut plus tard. Alors qu’elle allait ouvrir le réfrigérateur, son attention se porte sur une photo de Aidan et elle, l'hiver dernier, faisant du patin a roulette. Ça a été très bien avec toi, je t’assure. Il a dit. Bien? Ce qu’il ne savait pas c’est que ces dernières années ont été les meilleures qu’elle a passées. Enfin, d’un certain point de vue qui ne plaisait pas à tout le monde. Elle secoue la tête, repoussant les larmes et les souvenirs. La jeune femme ouvre la porte du congelateur, changeant d’avis sur ce qu’elle allait manger aujourd’hui. Elle a le choix entre une pizza pepperoni, fromage surgelée, des œufs, les restes d’un restaurant koreen qu’elle a visité il y a quelques jours… avec Aidan, et les restes des pâtes qu’elle a fait hier avant l’enterrement. 

Elle se souvient qu’il riait beaucoup, le soir ou ils étaient sortis pour aller au resto. Il parlait beaucoup aussi, chose qui arrivait très rarement pendant leurs deux ans de relation, bien qu’il ne le faisait jamais avec elle. Donc ce soir-là, elle se sentait spéciale. Comme s’il se permettait une écharde à son image juste pour elle. Maintenant qu’elle est de l’autre côté de la rivière, Colleen se demande si ce n'était pas la quantité astronomique de Soju qu’il a consommée qui était la source du changement de son tempérament et non une quelconque intimité entre les deux. 

Elle sort le plat gelée de tteokbokki et le dépose sur la table de la cuisine. Cette nuit-là aussi, il était particulièrement charmant, gentil et très gentleman. Il l’a porté dans les escaliers menant à son étage, l'ascenseur a rendu l'âme. Ce soir-là aussi, ils ont fait l’amour comme si c'était la dernière fois. 

Et c'était vraiment la dernière fois. Essuyant les larmes indiscrètes de ses joues rouges, elle ouvre la porte du micro-onde et y insère le plat qui lui rappelle tant de bons souvenirs.