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Colleen s’arme de son parapluie et avance sous la pluie battante qui force les habitants de Seattle d’abandonner leur rêve de voir le soleil se lever depuis une semaine. 

“Putain.”

Une bourasque venait d’arracher le vieux parapluie jaune de ses mains tremblantes. Elle n’a jamais aimé le froid. Encore moins la pluie; enfin, pas quand celle-ci touche sa peau. Courser après un vieil objet avec ce mauvais temps n'était pas ce que Colleen aurait espéré ce matin. Si son frère ne l’avait pas appelé, elle n’aurait peut-être même pas su qu’il pleuvait. Les rideaux de sa chambre sont tirés le matin, sa toilette et sa cuisine n’ont pas de fenêtres. Les autres pièces de son appartement ne sont là que pour amuser ses amis qui viennent la voir, souvent à l'improviste. 

Jackson devait avoir une bonne raison. Lorsqu’elle attrape finalement le parapluie, cela ne servait plus à rien, Colleen est mouillée jusqu’aux os et ses cheveux sont lourds à cause de l’eau. Franchement, Jackson devrait avoir une sacrée bonne raison. La seule bonne décision a été de ne pas prendre son téléphone. Il n’aurait pas supporté ce trajet. 

Prendre un taxi comme elle est ne servirait à rien. Autant marcher et augmenter sa haine contre son frère. Elle doit se souvenir de nourrir Marco Polo quand elle rentre, son poisson rouge. 

On dirait qu’il n’a jamais autant plu dans la ville que lorsqu’elle est dans cette situation. Le parapluie serré dans sa main traîne son bout pointu sur le trottoir ou personne ne se trouvait, ce qui permettait à Colleen de marcher rapidement. 

Lorsqu’elle arrive au coin de la rue de l’appartement de son frère, le débit d’eau qui tombait du ciel s’affaiblit. Ses bottes étaient à jeter après ce trajet. Avec toute la haine qu’elle a pu accumuler, Colleen frappe fort à la porte de son frère. Personne ne répond. Elle réitère l’action mais encore une fois, personne ne vient ouvrir la porte. Si elle avait assez d'énergie, elle aurait ouvert la porte d’un coup de pied comme Derek le faisait souvent quand il entre dans la maison d’un suspect. 

“Excusez-moi”

Elle n’a rien entendu. La colère lui bouche les oreilles et, sans doute, la raison. Du plat de la main, elle tapait contre la porte, espérant que Jackson, son frère, lui faisait une bonne blague. 

“Excusez-moi”

Cette fois-ci l’inconnu lui tape sur l'épaule. Une Colleen folle de rage se tourne, la main levee prete a taper cet ignoble individu qui vient la deranger. Il était à peine plus mince que lui. Les cheveux noirs, courts du jeune homme étaient aussi mouillés que les longues boucles de Colleen. Lui, n'était pas trempé. Pas du tout en fait, sauf ses cheveux, comme s' il venait de prendre une douche. Au moment où elle rencontre les yeux de ce jeune homme, elle a su que quelque chose avait changé. C’est comme si elle n'était plus mouillée de la tête aux pieds, comme si son frère ne lui avait pas posé un lapin, comme si elle venait de découvrir la huitième merveille du monde. 

Le jeune homme eut à peu près la même réaction, sauf qu’il n'était pas aussi passionné qu’elle. Il s’est seulement dit que peut-être, elle serait la bonne. 

“Je peux vous aider?”

Être au meilleur de sa forme n'était plus à l'ordre du jour. Peut-être qu’elle peut sauver son caractère. Alors, elle lui sert son plus beau sourire tout en ayant les commissures de ses lèvres qui tremblent de froid. 

“Je m'appelle Aidan, je viens d’arriver dans cette ville et j’ai besoin du bureau de poste, s’il vous plaît?”

Lui aussi affiche son plus beau sourire. Il sait qu’il a des atouts physiques qui jouent en sa faveur. Pourquoi ne pas en profiter avec elle? La plupart du temps, il ne parlait même pas qu’il en a déjà une à son bras. “La poste?” La jeune fille demande en plissant les yeux aux passage d’un éclair au loin. “Ouais.” En passant une main sur son front, Colleen répond, “Je crois qu’elle est fermée. On est samedi après-midi.” Le jeune homme ferme les yeux en soufflant, “Ah merde”. 

Il paraissait sérieusement ennuyé. Le pauvre se dit-elle. 

“Vous avez besoin d’envoyer du courrier?”

“Ouais. A ma tante.”

“C’est fâcheux.”

Les deux sont restés là, en silence devant la poste de Jackson, sans réaliser que la pluie avait nettement diminué. Colleen regarde ses chaussures alors que Aidan regarde les cheveux de la demoiselle en face d’elle. Ceux-ci sont bruns, presque noirs et certaines mèches tombent comme libérées de leur emprise. 

“Tu ne m’as pas dit ton nom.”

La jeune fille lève la tête vers son interlocuteur et le voit qui sourit. 

“Colleen, Colleen Smith.”

Elle lui tend une main glacée, qu’il sert. Le contraste entre la main chaude et jeune homme et  froide de Colleen lui donne des frissons. Il garde le contact visuel tout en souriant. 

“Aidan, Aidan Cho.”

Il a un air asiatique, mais maintenant elle en est sûre. 

“Tu viens d'où?”

“Pardon?”

Il était habitué aux questions relevant de son ethnicité mais il n’aimait pas que ce soit une question primordiale de la conversation. 

“Tu as dis que tu viens d’arriver à Seattle, je te demande d'où tu viens.”

“Oh, Boston.”

“Qu’est ce qui t'amène à l’autre bout du pays?”

“Oh, j’avais besoin de changer d’air.”

Quelque chose lui disait que Aidan ne lui disait pas toute la vérité concernant sa venue à Seattle. Mais qui est-elle pour le juger? 

“Je vois.”

A ce moment, elle regarde le ciel et voit que la pluie s’est arrêtée. “Il est temps que je m’en aille.” Aidan fait de même et lui sourit. “Je suis content de t’avoir rencontré à Colleen. A la prochaine.”

Il lui fait un clin d'œil et s’en va dans la direction opposée. Elle s’en va, le sourire aux lèvres, oubliant l’affront que son frère a osé lui faire.  

Deux semaines ne passent pas et la voilà encore une fois, en face de Aidan, au supermarché cette fois. Colleen a deux gallons de lait, un sous chaque bras, un sachet d’ail dans une main et une bouteille de vin dans l’autre. Cette fois-ci, ses habits sont parfaitement secs, et lui, il pousse un chariot rempli de produits alimentaires allant de légumes qu’elle n’a jamais vu avant à différents types de pains dans leur paquets respectifs. 

“Hey! Colleen c’est ça?”

“Colleen, c’est ca?”, elle se retient de ne pas grimacer et encore une fois, lui offre son plus beau sourire. 

“Ouais, Aidan non?” 

“Bien sûr.” 

Elle le savait, qu’il s’appelait Aidan Cho. Elle a même essayé de chercher son nom sur F******k, mais aucun des soixante-dix-huit résultats ne correspondaient à l'homme qui se trouve devant elle.

Lui non plus n’avait pas oublié son nom. Colleen Smith. Pour une raison qu’il ne saurait expliquer, elle revenait souvent dans ses pensées au cours de ces deux dernières semaines. Mais il ne devait pas lui faire voir que c’est le cas. Vaut mieux la jouer distant. 

Ils se sourient encore, debout au milieu de l'allée des produits ménagers. Sans réfléchir, ou plutôt, avec la pensée de ne pas vouloir laisser passer cette opportunité, Colleen lui sert un autre beau sourire et lui propose de venir dîner chez elle le lendemain après-midi. Il en serait ravi. Ils échangent leur numéros et vaquent à leurs occupations respectives.