Diane - La curiosité

Elle était sur un petit nuage doux et confortable, semblable à de la guimauve. Un sourire béat sur les lèvres, elle se brossait les dents depuis plus de cinq minutes en chantonnant bêtement. Diane se sentait stupide et heureuse, se replongeant dans son adolescence, à l’époque de ses premiers émois. D’ailleurs c’était Raphael, cela avait toujours été Raphaël. 

Comme à son habitude, elle se cogna le petit doigt de pied dans le pied du lavabo et pesta, crachant du dentifrice partout sur le miroir. Miss catastrophe c’était son surnom depuis toujours. Elle n’était qu’une gentille fille maladroite. 

- Et une soi-disant sorcière.

Marmonna-t-elle avec hargne, les précédents événements venant ternir sa joie. A l’aide d’une éponge, elle essuya ses bêtises sur le miroir et regarda son reflet. Diane avait une peau rebondie, sans imperfections, un teint éclatant. Ses yeux bleus profond ressemblait à l’océan lorsqu’il était paisible et ses cheveux avaient la chaleur d’un champ de blé. Elle était jolie et en bonne santé, elle ne faisait pas peur. Diane imaginait les sorcières comme des créatures laides et mesquines, comme dans les contes pour enfants. Toute cette histoire n’avait donc aucun sens. Pourtant… Elle avait vu le démon, son regard apparaissait encore dans ses songes. 

Agacée, la jeune femme termina de se préparer et sortit de son appartement en claquant la porte. Elle comptait bien oublier tout ça aujourd’hui. Elle n’irait plus au salon de thé, tant pis pour l’argent que ça lui rapportait. Mais, en ouvrant sa boîte aux lettres, l’étudiante eut la mauvaise surprise de découvrir un petit livre à la couverture noire et aux écritures argentées. Après avoir vérifié que personne n’arrivait dans le hall d’immeuble, elle s’en empara et grimaça en lisant le titre “Journal d’Ephraria”. Son instinct lui soufflait déjà que cet ouvrage n’avait rien d’innocent et elle en eut la confirmation en découvrant un petit mot glissé à l’intérieur.

“En espérant que tu y trouves quelques réponses - Delphine “

Sa première idée fut de le reposer dans la boite aux lettres et faire comme si elle ne l’avait pas vu. Toutefois, sa curiosité prit évidemment le pas et elle l’ouvrit doucement, comprenant qu’il s’agissait plus d’un carnet que d’un livre, recouvert d’une belle écriture ronde et féminine. Les pages étaient jaunis et menaçaient de se déchirer par endroit, si bien que la jeune femme prit tout son temps pour les tourner, craignant d’abimer le journal. Elle se contenta alors de lire une page au hasard, en plein milieu du carnet, afin de ne pas trop le manipuler. 

“Notre Reine était la seule à ma connaissance à manier plusieurs magies, révélant là l’incroyable destinée que lui avait octroyée les Anges. Je n’avais de cesse de l’admirer et de tenter de découvrir tout ce dont elle était capable. Ce terrible soir de la messe brumeuse, je la vis tuer les hommes de l’Inquisiteur Dorio d’un simple regard. C’est là que je compris qu’elle maniait un des pouvoirs les plus rares qui soit, celui de la Mort.”

- Ridicule. Murmura Diane dans le hall d’immeuble, ne résistant pas à l’envie d’en découvrir plus. Elle tomba alors sur un autre passage, un dessin représentant différentes femmes altières et puissantes, ainsi que ce qui paraissait être un rite d’initiation. 

“Ce jour, j’ai atteint le statut de Serpent de la Reine. Mes années de dur labeur ont enfin porté leurs fruits. La cérémonie aura lieu ce soir, juste après celle des apprenties. J’ai hâte de voir toutes ces jeunes filles découvrir leurs pouvoirs. Quant à moi, je devrai faire la démonstration de ma magie. J’espère que la Reine reconnaîtra mes efforts, car je n’ai pas la prétention de vouloir l’impressionner ce soir. Tout ce qui compte c’est qu’en cas de conflit je pourrai enfin me tenir aux côtés de mes Soeurs. Avant, j’étais trop faible. Louée soit la sagesse de notre Reine”.

Totalement absorbée, l’étudiante fit demi-tour et remonta dans son appartement, se laissant tomber sur son lit et oubliant qu’elle devait se rendre aux courses. Au fur et à mesure de sa lecture, elle comprit plusieurs choses. Premièrement cette "Ephraria" se désignait comme une sorcière de l'Air, et avait tenu un journal pour parler de la découverte de ses pouvoirs et de sa vie de sorcière. Deuxièmement, elle parlait sans cesse d'une femme "La Reine", avec une véritable vénération. Cette Reine semblait avoir les mêmes pouvoirs que Diane. Enfin, Ephraria évoquait de nombreux conflits et batailles contre les Inquisiteurs, un groupe qui semblait les traquer sans relâche. Cependant, quelque chose était étrange dans ce journal. Les évènements relatés semblaient s'étendre sur des décennies, voire même un siècle et pourtant, les protagonistes étaient toujours les mêmes. Malgré cette incohérence et son coté rationnel, Diane sentait que ce qu'elle lisait n'était pas de la fiction.

"Les Sorcières de la Mort sont très peu nombreuses certainement en raison de leur puissance. Elles sont pourtant sous-estimées car leur éveil est relativement discret et leur magie peu utile au départ. Les apprenties que j'ai croisées étaient souvent découragées car, durant des années, elles n'arrivaient qu'à voir les derniers instants d'un défunt. Je leur disais souvent...".

Diane posa brusquement le journal dans le tiroir de son bureau et se leva, le coeur battant. C'était exactement ce qu'il lui était arrivé avec la voisine. Elle n’avait pas cru Delphine quand elle lui en avait parlé, pensant que la propriétaire du salon de thé s’était contenté d’épier sa conversation avec Chloé. Mais sa patronne ne pouvait avoir falsifié ce journal, tant il était ancien. Une phrase ajoutée plus tardivement lui aurait immédiatement sauté aux yeux. Elle avait tellement de questions qui se bousculaient dans sa tête mais se sentait trop honteuse pour en parler à Delphine. Après la scène qu’elle avait faite la dernière fois… Diane gémit et se tint la tête entre les mains. Ces émotions étaient bien trop changeantes dernièrement. Une partie d’elle voulait oublier toute la nouvelle partie surnaturelle de son quotidien. Mais cela était désormais impossible, elle le sentait. 

- Bon sang…

C’était décidé, elle retournerait au salon de thé. Mais pas maintenant. Elle voulait goûter à quelques heures de normalité. Dégainant son téléphone portable, la blonde composa un numéro qu’elle connaissait par cœur et essaya d’empêcher sa voix de trembler comme une idiote. 

- Allo ? Raphaël ? 

***

Il était beau comme un ange, avec ses yeux verts, son sourire éclatant, ses cheveux noirs bouclés qui tombaient négligemment sur son front et son teint hâlé. Il était vêtu d’un simple t-shirt blanc et d’un jean alors que Diane s’était donné mal au crâne pour trouver comment s’habiller. Il était si naturellement charmant qu’il n’avait visiblement besoin de faire aucun effort. Quelle injustice. Constatant qu’elle l’épiait, Raphaël lui adressa un sourire en coin et haussa un sourcil.

- Pourquoi tu me fixes comme si tu voulais me dévorer ?

Diane se sentit rougir et le maudit intérieurement. Il était si confiant et sûr de lui qu’elle avait l’impression qu’il menait le jeu constamment. Il était venu la chercher en voiture, ils avaient roulé de longues minutes pour sortir de la ville et trouver un coin de verdure agréable. Ouvrant les portières, ils savouraient le soleil et le chant des oiseaux. Cette parenthèse paisible était tout ce dont avait besoin la jeune femme. Néanmoins, Raphaël attendait une réponse et elle ne pouvait fuir cette discussion éternellement. 

- J’ai réfléchi à ce que tu as dit la dernière fois. Je suis d’accord.

- Tu es d’accord pour quoi exactement ?

Demanda-t-il d’une voix plus grave que d’habitude en se penchant vers elle. Prenant son courage à deux mains, Diane planta ses yeux océan dans les siens et lui répondit sérieusement.

- D’accord pour sortir avec toi. Je me suis voilée la face et tu avais raison. Je n’ai jamais supporté de te voir sortir avec une autre mais j’étais dans le déni. Et à chaque fois que je fréquentais quelqu’un je me disais qu’il avait des défauts que tu n’avais pas et aucune de tes qualités. C’est pour ça que ça ne fonctionnait jamais. 

Le brun écarquilla légèrement les yeux, surpris par cette déclaration. Diane sentit que c’était le moment de reprendre les rênes. Il l’avait bouleversée dans son appartement, lui donnant l’impression d’être une petite souris. Elle réduisit la distance entre leurs deux corps et posa ses lèvres sur les siennes, d'abord timidement puis s’enhardit, haletant doucement contre sa bouche. Raphaël, les muscles tendus, lui répondait avec douceur, semblant comprendre qu’elle désirait mener le jeu. Diane sentait qu’il se retenait et cela lui donnait le vertige. 

- Tu vois ? Là ça fonctionne. 

Minauda-t-elle en lui souriant avec malice, ce qui fit perdre la tête au jeune homme. 

- Ça fonctionne ? C’est tout ? 

Rugit-il en attaquant son cou avec ses lèvres, déclenchant de délicieux frissons chez l’étudiante qui ne put s’empêcher de gémir. 

- On dirait que j’ai trouvé ton point faible. 

Constata Raphael avec satisfaction, continuant ses assauts, faisant monter le plaisir chez la jeune femme qui lui agrippa fermement l’avant-bras, presque irritée de voir le pouvoir qu’il avait sur son corps. 

- Tu triches… Gémit-elle à nouveau, essayant de se soustraire à cette ruse.

- J’arrêterai quand tu me traiteras d’autre chose qu’un homme “fonctionnel”.

- Ce n’est pas ce que je voulais dire. 

- Je t’écoute alors, sois plus éloquente. Ou peut-être que je dois encore te donner un coup de main ?

La main du brun se glissa sous l’étoffe de sa jupe et remonta le long de sa cuisse, la faisant frissonner d’anticipation. Ses longs doigts plongèrent sans hésitation entre ses jambes, écartant sans ménagement sa culotte et la pénétrant avec une douce brusquerie. Diane sentit sa respiration s’emballer et son bassin se mit à remuer contre les doigts de son amant, le poussant à accélérer le rythme. Ivre de plaisir, la jeune femme plongea sa main dans la chevelure de Raphael et lui tira les cheveux avec force, lui arrachant un grognement animal. 

- Incroyable… Murmura-t-elle les yeux mi-clos, s’adonnant au plaisir en oubliant totalement qu’un promeneur pouvait surgir à n’importe quel moment. 

Le jeune homme en profita pour parsemer à nouveau sa peau de baisers brûlants, s’interrompant pour la taquiner à nouveau.

- Incroyable c’est mieux que fonctionnel non ?

Diane poussa un petit cri de frustration et il rit retirant ses doigts avec lenteur, la laissant trempée et frustrée. Sans la lâcher du regard, le brun lécha ses doigts, la goûtant indirectement. Ce geste obscène la rendit encore plus folle et elle ne comprit pas pourquoi il ralluma le contact. Allait-il la laisser comme ça ?

- Qu’est-ce que tu fous ?

Grogna-t-elle avec mauvaise humeur, lui arrachant un sourire narquois. Cependant, il lui répondit avec gravité tout en remettant sa ceinture.

- Oh bébé ne sois pas fâchée. Il est hors de question que notre première fois ensemble se passe dans ma voiture. Plus tard, je te prendrai volontiers contre le capot mais pas pour l’instant.

La blonde rougit de plus belle et se détourna de lui, tentant de se calmer. Il allait la tuer. Depuis quand était-il aussi obscène ? Il avait bien caché son jeu durant toutes ses années. Comme s’il lisait dans ses pensées, Raphaël reprit la parole. 

- Si tu savais le nombre de fois où je t’ai fait l’amour dans mes rêves. Tu as devant toi l’homme le plus patient du monde. 

Diane se mordit la lèvre inférieure et poussa un soupir mêlé de frustration et d’envie. Elle avait encore perdu. Mais peu importe, ils sortaient désormais ensemble et c’est tout ce qui importait. Le futur, malgré cette histoire de sorcellerie, lui semblait tout à fait radieux désormais. Que pouvait-elle craindre en sortant avec un homme qui l’apaisait autant ?

Absolument rien.