Raphael - Le choix

Il s’était toujours demandé pourquoi son papa était si souvent absent. Ils ne manquaient de rien, la maison était confortable, chaleureuse, et sa maman préparait de merveilleux cookies. Mais il y avait cette pièce interdite et l’odeur étrange, rance, métallique, que dégageait papa lorsqu’il rentrait. Puis, un jour le petit garçon devint grand, et il ouvrit la porte de la pièce.

Il avait tout d’un jeune homme ordinaire. Des amis l'entourant en riant joyeusement, des livres sous le bras, une attitude polie et courtoise en croisant quelqu’un dans un couloir, un air mutin quand un professeur lui posait une question et de grands yeux verts irrésistibles. Raphael était le petit roi de son école, sans qu’il abuse de ce privilège. Cependant, contrairement à ce que les gens normaux pouvaient bien penser, ils n’avaient pas été d’écoles privées en écoles privées pour élites. Non, depuis ses 5 ans il étudiait à l’Académie des Braves, nichée en plein cœur de Paris. Il connaissait ses camarades depuis toujours, surtout ceux de sa promotion, une quinzaine de jeunes qui jouissaient du privilège unique d’être au côté du pressenti futur chef de leur organisation. 

Raphael aurait préféré ne pas être le fils de son père. Cette pression constante d’être à la hauteur avait tendance à le rendre profondément anxieux, et il ne pouvait en parler à personne, tant les autres l’enviait et l’admirait. Il se devait d’être parfait à chaque instant, sans jamais montrer la moindre faiblesse. Au final, il n’y avait qu’à l’extérieur de ces murs que le futur inquisiteur pouvait souffler. Sortant son téléphone portable, Raphael envoya un message à Diane, son amie d’enfance. Il mourait d’envie de boire un verre avec elle, une fois que la cérémonie serait passée. Elle qui était si simple et si normale… Une vraie bulle de sérénité. 

- Raphael mon garçon ! Venez me voir un instant !

Une voix grave, vibrante, aux accents lointains des pays de l’Est, venait d’interpeller le rêveur. Obéissant, le jeune homme se dirigea vers le bureau de Igor, le maître d’armes de l’académie, qui venait de le héler avec force. Ce n’était pas le genre de personne à qui on refusait audience et il l’admirait sincèrement. Après tout, c’était ce colosse de deux mètres qui lui avait tout appris. 

- Maître.

Salua-t-il avec déférence tout en fermant la porte du bureau, n’appréciant pas que ses camarades puissent tenter de surprendre une conversation privée. 

- Alors c’est aujourd’hui la cérémonie du Choix pour vous n’est-ce pas ?

- Oui, c’est exact. 

- Que vous a conseillé Lord Egon ?

Une micro-grimace traversa le visage du brun en entendant le nom de son père. Il savait très bien ce que son géniteur attendait de lui mais son coeur n’était pas d’accord. Cependant, il n’osait pas se rebeller ouvertement face à l’autorité parentale et hésitait depuis des semaines. 

- Il veut que je suive ses pas évidemment. Il aimerait que je devienne un Exalté. 

- Mmmh. Je vois. 

Igor croisa ses bras massifs sur son torse et dévisagea son élève le plus prometteur avec sévérité. Il ne pouvait lui dire les choses directement, car Raphael devait trouver les réponses par lui-même. Cependant, il pouvait essayer de le mettre sur la bonne voie. 

- Rappelez-moi ce que sont nos spécialisations jeune homme. 

- Eh bien… Les Guerriers sont les meilleurs combattants de notre Ordre. Ils peuvent renforcer leurs alliés, se guérir et lorsqu’ils atteignent le sommet de leur art plus personne ne peut les égaler dans l’art du combat. Quand ils font leurs preuves ils reçoivent l’arme divine de leur choix. Ils sont même capables de blesser des êtres divins. 

- Il n’est pas anodin que vous parliez de nous en premier. Continuez. 

- Les Sages sont les érudits de notre Ordre. Ce sont eux qui repèrent les pratiquants des arts obscurs qui essayent de se fondre dans la masse. Ils peuvent deviner leurs pouvoirs et nous permettre d’intervenir en sécurité. Ils s’infiltrent, gagnant la confiance de nos cibles. Certains savent même priver une Sorcière de son pouvoir. En général, un Guerrier et un Sage sont en binôme pour leurs missions. 

- Et les Exaltés ?

- Ils sont rares, imprévisibles. Ils inspirent la crainte où qu’ils aillent, peuvent contraindre les autres à révéler tous leurs secrets. Leurs mains brûlent les êtres maléfiques et… Ils possèdent d’autres capacités bien étranges. 

Des souvenirs affluaient. Raphaël avait vu son père commettre des actes sordides à la fois fascinants et terrifiants. Le Chef de l’Inquisition ne reculait devant rien pour faire perdurer l’Ordre et le jeune homme ne savait pas s’il serait capable un jour d’égaler l’aura écrasante de Lord Egon. Il se sentait si petit à côté de lui. 

- Si vous n’étiez pas le fils de votre père, qu’auriez-vous choisi Raphaël ?

- Guerrier évidemment. C’est au combat que je brille le plus Maître. 

- Je serai honoré de vous avoir dans la classe supérieure Raphaël. Si je puis me permettre un conseil, Lord Egon est au sommet de son art. Si vous persistez à vouloir l'imiter, vous ne serez qu’une copie toute votre vie. Vous avez un talent incommensurable dans la maîtrise des armes alors servez-vous-en. Brillez à votre manière. Bien entendu, la décision finale vous appartient. 

Igor lui offrit un rare sourire, qui donnait à son visage une expression plus carnassière que rassurante et lui indiqua la porte d’un geste de la main, signifiant la fin de leur entretien. Raphaël retourna dans les couloirs de l’Académie le cœur battant. Il devait maintenant choisir entre suivre sa propre voie ou se plier aux désirs de son père.

***

Les élèves se pressaient les uns contre les autres en murmurant avec excitation. Ils allaient enfin atteindre les Classes Supérieures et œuvrer pour la sécurité des citoyens. Ils avaient tout appris à l’Académie, les mathématiques, l’histoire, la biologie et bien d’autres matières non conventionnelles. Les différents types de poison, comment lutter contre les arts obscurs, comment invoquer des anges, se battre avec les mains liées dans le dos (Igor était vraiment un étrange pédagogue)... Et dans quelques minutes ils feraient leur choix et continueraient d’apprendre sur le terrain, en se confrontant enfin au monde. Ils avaient été élevés pour ça et tremblaient d’excitation. 

Lise adressa un regard franc de camaraderie à Raphaël. Dans l’école, personne ne pouvait l’ignorer. Elle était la seule femme à y être admise depuis 20 ans et ses débuts avaient été très compliqué. Lord Egon l’avait découverte enfant, alors qu’il recherchait un objet divin. La petite était abandonnée dans un squat, sale, maigre et malade. Voyant que l’Inquisiteur s’affairait avec dégout pour fouiller la pièce, elle lui avait pointé du doigt un bibelot étrange sur une étagère, comme si elle comprenait ce qu’il était venu chercher. Il s’agissait là de ce qu’il était venu trouver. Lord Egon avait été profondément bouleversé à l’idée qu’une enfant d’à peine 3 ans détecte plus vite que lui la présence du divin. Il l’avait donc emmenée et soumise à de multiples tests. Lise avait une profonde connexion avec ces objets et les ressentait parfois à plusieurs kilomètres. Elle avait donc été accueillie au sein d’un orphelinat géré par l’Exalté et avait fait sa rentrée à 5 ans comme les autres. Sa présence avait été mal perçue, dans ce monde typiquement masculin. Mais Lise n’avait jamais négligé ses efforts et avait finalement réussi à gagner le respect d’une partie de ses camarades. 

Raphaël était toujours gentil et prévenant à son égard, puisque son père lui avait dit de bien l’accueillir à l’époque. Il agissait par devoir uniquement et était parfois mal à l’aise face à la reconnaissance qu’éprouvait la jeune femme. Il avait parfois l’impression d’être face à un cocker larmoyant lorsqu’elle le regardait. 

Une cloche retentit dans le couloir et tout le groupe se redressa, prenant une posture droite et guindée. Les lourdes portes de la salle ronde s’ouvrirent et ils s’avancèrent dans un silence total, contrastant avec leur joyeuse agitation précédente. Ils se placèrent en deux files égales et Raphaël se positionna au sommet des deux, prenant sa place de Major de Promotion, titre qu’il gagnait chaque année. Le jeune homme commençait à avoir chaud mais aucune trace de son malaise ne pouvait se voir de l’extérieur. Ils attendirent alors encore quelques minutes puis trois hommes entrèrent par la porte du fond avant de grimper sur l'estrade. Igor, son père et Michele. Les trois responsables des classes supérieures. 

Lord Egon posa ses yeux froids sur son fils et sur le reste de la promotion. Il plaça sur la table quinze brassards rouges, quinze brassards verts et quinze brassards noirs. Ils étaient dans un tissu de la plus haute qualité et délicatement brodés. Tous savaient ce que cela signifiait. 

- Procédons. 

Se contenta de déclarer laconiquement le Chef de l’Inquisition. Raphaël avança, descendant les escaliers vers l’estrade. A chaque pas, il sentait son coeur battre dans ses oreilles et sa respiration s'accélérer. Le trajet lui parut interminable et, quand il parvint enfin face aux brassards, il sentit ses jambes vaciller. Le moment tant attendu était arrivé. 

- Raphaël Egon, que seras-tu ?

Le jeune homme tressaillit à l’annonce de son nom et planta ses yeux verts, dans ceux noirs comme de l’encre de son père. Il ne voyait pas d’inquiétude, d’attente, seulement le calme d’un monarque qui n’a rien à craindre. Ecoutant son instinct, le brun tendit alors le bras et saisit le brassard rouge. 

- Un guerrier !

Annonça-t-il avec ferveur avant de retenir sa respiration. Car le Choix était parfois une comédie. Il se pouvait qu’un élève se leurrait sur ses aptitudes et était conseillé vers une autre voie. C’était alors un moment profondément humiliant pour l’apprenti. Lord Egon pouvait très bien imposer sa spécialisation à son fils et ce qu’il était en train de redouter. Mais, son père ne prononça pas le moindre mot et Raphaël put se glisser derrière le large dos d’Igor, abasourdi. Il l’avait fait, il avait choisi ce qu’il désirait ! 

Ses camarades passèrent, se répartirent naturellement entre les sages et les guerriers. Lise se présenta en dernière et saisit alors un brassard noir d’une manière triomphante. Son cri résonna dans tout l’amphithéâtre. 

- Exaltée !

Raphaël poussa un discret soupir de soulagement. Il était rassuré que quelqu’un suive la voie de son père malgré tout. Certaines années, il n’y avait même pas d’exalté et son père ne pouvait transmettre son savoir. Le choix de Lise atténuerait peut-être sa déception, du moins, l’espérait-il.