Chapitre 4

Un vent glacial balayait le cimetière, soulevant les robes noires et les manteaux épais des invités venus rendre un dernier hommage à Elena Carter. Le ciel était lourd de nuages, comme s’il pleurait en silence la perte d’une âme innocente. L’odeur de la terre humide et des fleurs fraîches se mêlait aux sanglots étouffés, créant une atmosphère pesante et suffocante.

La famille d’Elena était en première ligne, anéantie. Sa mère, une femme au visage marqué par les années, s’effondra à genoux près du cercueil, son cri de douleur brisant le silence pesant du cimetière.

— "Elena ! Ma fille ! Pourquoi toi ? Pourquoi ?" hurlait-elle en agrippant le bois du cercueil, comme si elle pouvait encore la retenir parmi les vivants.

Son père, un homme pourtant fort d’ordinaire, avait le regard vide, les traits creusés par le chagrin. Il serrait le poing, la mâchoire crispée, le corps secoué par des sanglots silencieux.

— "Qui a fait ça ?!" gronda-t-il entre ses dents. "Qui a osé lui prendre la vie ?!"

Sa douleur était une vague brûlante qui envahissait tout autour de lui.

Les frères et sœurs d’Elena, en larmes, se soutenaient les uns les autres, maudissant l’assassin de leur bien-aimée.

— "Que ce monstre souffre comme elle a souffert ! Que la justice le rattrape !" sanglota sa sœur cadette, la voix brisée par l’émotion.

Mais au milieu de ce déferlement de douleur et de colère, Alexander restait de marbre.

Ses yeux étaient rivés sur le cercueil qui descendait lentement dans la tombe. Son visage, d’habitude si expressif avec Elena, était figé dans une froideur implacable. Son corps était tendu, ses mains serrées en poings.

Il ne pleurait pas. Il refusait de pleurer.

Derrière lui, Isabella était en larmes, accrochée au bras de Martha, qui avait du mal à retenir ses propres sanglots.

— "Pourquoi il ne réagit pas ? Pourquoi il ne pleure pas ?" murmura Isabella, la voix tremblante.

Martha secoua la tête, la gorge nouée.

— "Il est brisé, ma chérie… Il est en train de sombrer."

Ethan, en retrait, était méconnaissable.

Adossé à un arbre loin de la foule, il observait la scène, une cigarette à moitié consumée tremblant entre ses doigts. Ses yeux rougis par la fatigue et la tristesse fixaient la tombe.

Il aurait dû la protéger. Il aurait dû empêcher ça.

Mais il n’avait rien pu faire.

Les larmes coulaient librement sur son visage tandis qu’il murmurait pour lui-même :

— "Je suis désolé, Elena… Je suis désolé."

Clarisse Carter s’avança aux côtés de son fils Damian, leurs visages faussement endeuillés.

Clarisse, en femme théâtrale, laissa échapper un long soupir avant de poser une main dramatique sur son cœur.

— "Quelle tragédie… Une si belle femme partie trop tôt."

Damian secoua la tête en soupirant.

— "C’est une perte immense… Vraiment…" dit-il d’un ton mielleux, ses yeux cherchant le regard d’Alexander, espérant déceler la moindre faille dans son armure.

Martha et Isabella échangèrent un regard assassin. Elles voyaient clair dans leur jeu.

— "Hypocrites…" souffla Isabella entre ses dents.

Martha posa une main protectrice sur l’épaule de la jeune femme.

— "Ne leur donne pas ce plaisir, ma fille."

Alexander ne daigna même pas regarder Clarisse et Damian. Il était ailleurs, déjà perdu dans les ténèbres qui l’engloutissaient.

À cet instant, une main forte se posa sur l’épaule d’Alexander.

— "Je sais que tu souffres, mon garçon."

C’était Monsieur Donovan, l’ami proche de son défunt père. Son regard compatissant semblait sincère, mais derrière cette façade bienveillante, un esprit calculateur œuvrait déjà.

— "Tu es un homme fort, Alexander, ton père aurait été fier de toi."

Les mots d’Alexander étaient tranchants lorsqu’il répondit :

— "Je ne ressens rien."

Donovan eut un sourire léger, presque imperceptible.

— "C’est normal… La douleur viendra après. Et quand elle viendra, elle te rendra plus fort."

Alexander ne répondit rien. Ses yeux revinrent sur la tombe. Il était ailleurs.

Puis, alors que le dernier mot du prêtre était prononcé, Alexander avança d’un pas. Il fixa l’endroit où reposait Elena et, d’une voix basse mais glaciale, il fit sa promesse.

— "Je te le jure, Elena… Celui qui t’a pris la vie regrettera d’être né."

Sans un mot de plus, sans un regard pour personne, il se détourna et marcha vers sa voiture, laissant derrière lui une foule stupéfaite et un avenir teinté de vengeance.

Alexander roulait à vive allure sur la route sinueuse qui menait au manoir où il avait vécu avec Elena. Les phares de sa voiture fendaient l’obscurité, illuminant brièvement la forêt dense qui bordait le chemin. Les branches noueuses se courbaient sous le vent, projetant des ombres mouvantes sur l’asphalte détrempé par la pluie.

Le silence de l’habitacle était pesant, seulement troublé par le vrombissement du moteur et sa respiration profonde et irrégulière. Chaque inspiration lui semblait brûlante, comme si l’air lui-même lui était hostile.

Ses mains, crispées sur le volant, étaient blanches sous la pression. Il aurait dû être en colère, hurler, frapper quelque chose… Mais il ne ressentait rien.

Il était vide.

Les souvenirs l’assaillaient malgré lui. Elena, assise à côté de lui sur ce même siège passager, son rire cristallin résonnant dans la voiture.

— "Tu conduis trop vite, Alex." disait-elle parfois en posant une main douce sur son bras.

Mais aujourd’hui, il pouvait rouler à n’importe quelle vitesse, personne ne lui dirait plus jamais de ralentir.

Le froid s’infiltra dans sa peau comme une lame de rasoir. Il n’alluma pas le chauffage. Il voulait ressentir cette morsure, cette douleur physique qui, au moins, lui rappelait qu’il était encore vivant.