Chapitre 3

À peine la famille d’Elena avait-elle quitté la chambre qu’une autre présence vint alourdir l’atmosphère. Le bruit des talons de Clarisse Carter résonnait dans le couloir comme un glas funèbre. Son parfum sucré envahissait déjà l’espace avant même qu’elle ne franchisse le seuil de la chambre. À ses côtés, Damian Carter, son fils, avançait d’un pas mesuré, les mains dans les poches, le visage faussement endeuillé.

Martha et Isabella, qui se tenaient encore à côté du lit d’Alexander, échangèrent un regard furtif. Elles connaissaient trop bien ces deux-là pour croire à leur prétendue compassion.

Clarisse s’approcha la première, affichant une mine douloureusement affligée.

— "Oh, mon pauvre Alexander…" souffla-t-elle d’une voix feinte, larmoyante.

Elle s’approcha du lit, posant une main délicate sur l’épaule d’Alexander comme si elle partageait sincèrement sa souffrance.

— "Quelle tragédie… Je n’arrive pas à y croire… Elena était une femme si merveilleuse."

Alexander ne répondit pas. Son regard noir et vide était rivé sur un point invisible du mur.

Damian s’approcha à son tour, soupirant théâtralement.

— "Vraiment, c’est injuste, frère…" dit-il en posant une main sur l’accoudoir du fauteuil à côté du lit. "Tu ne méritais pas ça. Personne ne mérite de perdre une épouse de cette façon."

Son ton était calculé, mesuré, chaque mot pesé comme s’il répétait un texte appris à l’avance.

Clarisse essuya une larme inexistante du coin de l’œil et soupira.

— "Tu es si jeune pour devenir veuf… Et avec un enfant en route… Oh mon Dieu, quelle douleur insurmontable."

Martha, qui observait la scène en silence, serra les lèvres et croisa les bras sur sa poitrine. Elle connaissait Clarisse depuis des années. Elle savait pertinemment que cette femme ne pleurait que pour elle-même et non pour Elena.

Isabella, quant à elle, ne pouvait cacher son mépris. Ses doigts se crispèrent sur le drap du lit d’Alexander. Elle se mordit l’intérieur de la joue pour ne pas exploser.

— "Mais ne t’inquiète pas, mon cher," poursuivit Clarisse en inclinant légèrement la tête. "Damian et moi serons toujours là pour toi. Tu es notre famille, après tout."

— "Quelle belle famille…" murmura Isabella d’un ton sarcastique, à peine audible.

Damian la regarda brièvement, mais ne releva pas. Il continua son jeu, hochant la tête avec un sourire compatissant.

Martha, elle, ne put s’empêcher de lâcher un rire bref, amer.

— "Quelle compassion soudaine…" lâcha-t-elle, les yeux rivés sur Clarisse.

Clarisse se tourna lentement vers elle, faignant l’indignation.

— "Voyons, Martha, tu ne peux pas penser que…"

— "Oh, mais je pense bien des choses." coupa Martha d’un ton froid. "Et je connais les gens mieux qu’ils ne le croient."

Isabella croisa les bras, défiant Damian du regard.

— "Vous êtes incroyables. Vous détestiez Elena, vous l’avez méprisée du temps où elle était en vie, et maintenant, vous venez jouer les âmes en peine ? Vous n’avez pas honte ?"

Clarisse battit des cils, feignant l’incompréhension.

— "Mais voyons, Isabella, tu es bouleversée… Nous sommes tous sous le choc. Il faut se soutenir, et non s’accuser les uns les autres."

Alexander, jusque-là silencieux, ferma les yeux. Il ne voulait pas entendre ces faux-semblants. Il n’avait pas la force pour un conflit.

— "Sortez."

Sa voix, rauque et tranchante, claqua dans la pièce.

Clarisse cligna des yeux, prise de court.

— "Alexander, mon chéri—"

— "Sortez." répéta-t-il, plus dur cette fois.

Damian serra les dents, visiblement contrarié.

— "Très bien." lâcha-t-il en levant les mains.

Clarisse poussa un soupir dramatique avant de se tourner vers son fils.

— "Allons-y, Damian. Nous reviendrons plus tard."

Elle s’inclina légèrement vers Alexander.

— "Je t’aime comme mon propre fils, Alexander. N’oublie jamais ça."

Elle quitta la chambre avec Damian à ses trousses.

Mais à peine eurent-ils franchi la porte qu’un changement radical s’opéra. Leur air affligé disparut, remplacé par une expression froide et calculatrice.

Ils marchèrent dans le couloir, leurs pas résonnant dans l’air pesant de l’hôpital.

— "Nous avons raté notre cible, Damian." murmura Clarisse d’une voix sèche.

Damian passa une main nerveuse dans ses cheveux.

— "Je sais, mère. Mais on va rectifier ça."

Clarisse esquissa un sourire glacé.

— "Il va tomber. Bientôt."

Ils disparurent au bout du couloir, tandis que dans la chambre, Martha et Isabella tentaient de contenir leur colère face à l’hypocrisie dont elles venaient d’être témoins.

Le soir. La pièce était plongée dans une pénombre pesante, uniquement éclairée par la lueur vacillante d’une lampe de table et la braise rougeoyante d’une cigarette consumée entre les doigts tremblants d’Ethan. L’air était saturé de l’odeur du tabac froid et de l’alcool renversé.

Assis sur son canapé en désordre, il tenait un verre de whisky à moitié vidé dans une main, son autre main serrant sa cigarette. Ses yeux, injectés de sang, étaient rivés sur une photo posée devant lui sur la table basse.

Elena.

Son sourire éclatant, figé à jamais sur cette image, le transperçait comme une lame en plein cœur.

— "Je suis désolé..." murmura-t-il d’une voix rauque, brisée par la douleur.

Une larme roula lentement sur sa joue, suivie d’une autre, jusqu’à ce qu’un flot incontrôlable s’échappe de ses yeux fatigués.

Il porta son verre à ses lèvres tremblantes et avala une gorgée brûlante, mais même l’alcool ne suffisait pas à anesthésier la souffrance qui lui rongeait l’âme. Il inspira profondément, tirant une longue bouffée de sa cigarette avant d’écraser rageusement le mégot dans un cendrier débordant.

Ses mains vinrent se crisper dans ses cheveux alors qu’il fermait les yeux, sa respiration devenant erratique.

— "J’aurais dû être là… J’aurais dû la protéger !"

Sa voix se brisa en un sanglot étouffé. Son poing frappa brutalement la table, faisant trembler la photo d’Elena.

Il se pencha en avant, son front venant toucher le dos de sa main posée sur la table, laissant son chagrin s’exprimer pleinement.

Il était seul avec sa douleur. Seul avec le poids insupportable du secret qu’il ne pourrait jamais révéler.