1 L’Héritage Inattendu
Deborah Miller avançait d’un pas rapide, enfoncée dans son épais manteau d’hiver, bonnet enfoncé sur la tête et bottes fourrées aux pieds, alors que de gros flocons de neige tombaient autour d’elle. Le ciel était gris et chargé, et une fine couche de neige recouvrait déjà les voitures et le trottoir. Malgré le froid piquant, un léger sourire flottait sur ses lèvres. Il y avait quelque chose de réconfortant dans ces flocons qui dansaient sous les réverbères, lui rappelant les jeux d’enfance sous la neige avec ses frères et sœurs : les batailles de boules de neige, les bonshommes aux nez de carotte… des souvenirs lointains mais chaleureux.
Elle se gara prudemment sur le parking enneigé devant le bâtiment en briques rouges qui abritait le cabinet du notaire. Glissant un rapide coup d’œil à ses pieds, elle veilla à ne pas marcher sur les plaques de glace qui commençaient à se former. En sortant de sa voiture, elle serra son sac contre elle, les épaules légèrement crispées, non pas à cause du froid, mais de la nervosité. Chaque pas qu’elle faisait était effacé presque aussitôt par la neige qui continuait de tomber, comme si sa présence même dans ce lieu devait rester discrète, fugace.
Arrivée à l’ascenseur, elle monta jusqu’au troisième étage, essayant de comprendre encore une fois ce qui se passait. Son parrain, John Carter, était décédé après une longue maladie. Elle avait été présente lors des derniers mois, et pourtant, elle n’avait jamais imaginé qu’elle serait convoquée pour son héritage. À 22 ans, recevoir ce coup de fil la semaine passée l’avait profondément étonnée. Qu’avait-il bien pu lui laisser, et pourquoi à elle plutôt qu’à ses frères ou sœurs ? John s’entendait pourtant très bien avec toute la famille.
Depuis ce fameux coup de fil, elle ne cessait de tourner la question dans sa tête. Était-ce un acte de bienveillance ou y avait-il autre chose, une sorte de piège ? John avait toujours été imprévisible, capable de gestes inattendus. Elle espérait simplement qu’il ne lui réservait pas une mauvaise surprise, lui qui savait si bien dissimuler des intentions complexes sous une apparence avenante.
Deborah ne pouvait s’empêcher de se souvenir de leur relation particulière. Au départ, John avait été comme un second père, prenant son rôle de parrain très à cœur. À chaque fois qu’elle venait voir son père après une mauvaise note ou une remontrance, John était là pour en rajouter une couche, la taquiner sur ses erreurs. Mais un jour, alors qu’elle avait 17 ans, quelque chose avait changé. Après une énième leçon, elle avait craqué, fondant en larmes dans ses bras, confessant qu’elle se sentait incomprise par ses parents. Elle ne voulait pas suivre le chemin tout tracé par sa famille, ni celui de sa sœur aînée. C’est ce jour-là qu’elle avait commencé à tomber amoureuse de lui, sans vraiment s’en rendre compte.
Ce sentiment avait grandi en elle, la poussant à passer plus de temps chez lui, à chercher son attention, espérant secrètement qu’il céderait à ses avances. Mais John, bien qu’amusé par son comportement, n’avait jamais franchi la ligne. Il riait souvent de ses tentatives maladroites, la traitant comme la gamine qu’elle était à l’époque. Pourtant, une fois, lors d’une séance photo anodine, elle avait réussi à lui voler un baiser. Il l’avait laissée faire, un sourire dans les yeux, mais rien de plus. Malgré leurs nombreuses sorties ensemble et la complicité qu’ils partageaient, John restait toujours à distance. Il l’avait même encouragée à sortir avec des garçons de son âge, repoussant ainsi doucement ses tentatives de séduction.
Dans l’ascenseur, Deborah jeta un regard furtif dans le miroir. Ses cheveux châtains ondulés, attachés en queue de cheval, s’étaient légèrement décoiffés lorsqu’elle avait retiré son bonnet. Un peu de rimmel soulignait ses grands yeux bleus, mais son visage trahissait la fatigue accumulée de ces dernières semaines. Entre le décès de John, un stage qui ne la passionnait pas, et son petit ami David qui insistait de plus en plus pour qu’ils emménagent ensemble, Deborah se sentait sous pression. D’ailleurs, elle n’avait même pas pris le temps de prévenir son bureau qu’elle risquait d’être en retard.
Alors qu’elle sortait de l’ascenseur, elle soupira. Elle espérait que cette rencontre avec le notaire serait brève et sans complication, car ses pensées étaient déjà bien assez encombrées.
Elle ne se sentait pas prête à vivre en couple, sachant qu’elle ne l’aimait pas assez pour ça.
Elle cherchait son « John », et cela, elle en était consciente.
Elle était sûre qu’après son installation avec David, il lui demanderait un enfant, et c’était hors de question pour le moment !
Elle arriva dans le petit cabinet de chez Berthaud et Lonoux, s’annonça à la secrétaire qui la dirigea vers la salle d’attente.
Dans la salle d’attente, elle reconnut immédiatement le regard du fils de John, JonathanCarter, un petit con prétentieux. Qu’il soit là ne l’étonnait pas, c’était son fils, mais se retrouver seule dans la même pièce la mettait mal à l’aise.
Elle ne prit même pas la peine de lui dire bonjour et s’assit sur une chaise. Elle attrapa un magazine qu’elle plaça devant ses yeux, puis leva doucement les yeux vers lui, curieuse de voir s’il continuait de la fixer. Dean, exaspéré, leva les yeux au ciel, se leva, s’approcha d’elle et lui prit le magazine des mains.
– À l’endroit, c’est mieux !
Elle se redressa d’un coup, lâchant magasine.
Deborah sentit une chaleur envahir son visage, ses joues s’empourprant sous l’effet de la gêne. Ses mains tremblaient légèrement alors qu’elle tentait de reprendre contenance, mais l’agitation à l’intérieur d’elle restait vive. Le regard de JonathanCarter, ce prétentieux de 27 ans, la frôlait à peine, mais elle le ressentait comme une brûlure. Grand, musclé, avec des cheveux châtains coupés court et des yeux bleu acier, il était sans doute l’un des hommes les plus beaux qu’elle ait jamais croisés. Et pourtant, chaque fois qu’elle le voyait, ce n’était pas son physique qui captait son attention, mais son arrogance, cette façon de toujours la mettre mal à l’aise ou de la provoquer, comme s’il se nourrissait de sa gêne.Cela faisait des années qu’il avait ce pouvoir sur elle, depuis l’incident qu’elle aurait préféré oublier. Elle n’avait que 15 ans à l’époque, naïve et pleine de confiance en ses premiers amours. Elle n’aurait jamais cru que ce moment intime, cette première expérience, se
Jonathan rendit le dossier au notaire, qui regardait Deborah avec un air consterné.Le notaire apposa son sceau, appela sa secrétaire pour faire des copies et enregistrer le contrat. Deborah, figée, était à peine consciente de ce qui se passait autour d’elle. Ce n’était pas possible. Cela devait être une blague. Mais lorsqu’on lui apporta la copie, elle enfila précipitamment ses lunettes et se jeta sur le paragraphe en question.“Mademoiselle Miller Deborah s’engage pour une durée de cinq ans avec obligation de donner un descendant à Monsieur Carter. Passé ces cinq ans, elle sera libre de partir et touchera la seconde partie de l’héritage, la somme dite plus haut, mais elle pourra faire le choix de rester auprès de son mari et de son enfant. L’enfant restant avec le père si la mère prend la décision de partir. Si Mademoiselle Miller revient sur sa décision avant les cinq ans, elle devra verser à Monsieur Carter l’équivalent de trois fois l’héritage perçu à la date de la signature.”–
Elle retira délicatement ses bottines, qui faisaient un bruit de plus en plus insupportable. Elle entendit les pas de Jonathan descendre, et elle se remit en mouvement, collée aux marches glissantes. Il ne manquerait plus que ça, qu’elle tombe. Elle jeta un coup d’œil à sa montre, inquiète d’être en retard. C’est alors qu’elle perdit l’équilibre, manqua la dernière marche et s’écrasa violemment au sol.Elle se redressa avec difficulté, le visage rougi par la douleur et la honte. En jetant un coup d’œil à son collant, elle remarqua qu’il avait filé. Alors qu’elle se préparait à redescendre, une main se saisit brutalement de son bras.– Hé, je t’avais dit de m’attendre, faut qu’on parle !– Je n’ai pas le temps, je suis déjà en retard, et enlève tes mains de sur moi !– Je te dépose, mais on doit parler, trouver une date rapidement.Elle plongea son regard dans le sien, ses yeux bleus, plus glacés que jamais. Il n’allait pas la déposer, elle avait sa propre voiture qui l’attendait sur l
La voix autoritaire de Jonathan résonna dans la cage d’escalier, un écho grave et tranchant qui semblait vibrer contre les murs froids. Elle sentit ses jambes trembler sous l’effet de cette intonation impérieuse, comme si le son seul avait le pouvoir de la clouer sur place. Elle s’immobilisa instantanément, la mâchoire serrée si fort qu’elle en ressentit une douleur sourde dans les tempes. Une bouffée de frustration monta en elle, chaude et suffocante, comme une vague qui menaçait de la submerger. Ses poings se crispèrent instinctivement, ses ongles s’enfonçant dans ses paumes, tandis qu’elle luttait pour reprendre le contrôle de son souffle, court et irrégulier.Elle baissa les yeux sur ses bottines, ces maudites bottines dont les talons claquaient à chaque pas, amplifiant le bruit dans cet espace étroit et résonnant. Le son, de plus en plus insupportable, semblait trahir sa présence à chaque mouvement, comme une alarme qu’elle ne pouvait éteindre. Lentement, avec des gestes presque
– Tu préviens tes parents ou j’appelle ton père pour m’inviter ? lança Jonathan depuis le seuil, sa voix joyeuse perçant le silence oppressant, presque criarde dans son assurance insolente.– Va chier ! répliqua-t-elle sèchement, les mots jaillissant de sa gorge comme un venin, sans même se retourner. Des larmes brûlantes commencèrent à couler sur ses joues, traçant des sillons chauds dans la peau gelée de son visage. Elle accéléra le pas, trébuchant presque, ses mains tremblantes cherchant à tâtons la poignée de sa petite Twingo bleue. Elle se glissa à l’intérieur en claquant la porte derrière elle, verrouillant immédiatement les portières comme pour ériger une barrière entre elle et le monde extérieur. Elle était terriblement en retard, et cette pensée tournait en boucle dans son esprit, amplifiant son désespoir. Épuisée, elle se laissa tomber contre le volant, son front appuyé sur le plastique froid, son visage noyé dans un flot de larmes qu’elle ne pouvait plus retenir.Elle se se
Deborah rentra chez elle vers 18 heures après avoir terminé sa journée et rattrapé son retard du matin. Depuis sa sortie du notaire, elle n’avait presque pas desserré la mâchoire. Elle entra comme une tornade chez elle et crut mourir en voyant Jonathan Carter dans le salon en train de boire un verre avec son père.– Ah, la voilà, ma petite cachottière ! s’exclama son père.Son père, un homme qui approchait les 55 ans mais en paraissait facilement 5 de moins, avec des cheveux grisonnants et un début de barbe lié à la crise de la cinquantaine qu’il avait attrapée tardivement, se jeta presque sur elle et la prit dans ses bras. Elle jeta un regard rempli de haine à Dean, qui lui répondit par un grand sourire. Son père la serrait si fort qu’elle crut qu’il allait l’écraser.– Je suis tellement content pour toi, Jonathan en gendre, j’ai cru que tu allais épouser cette andouille de David, déclara-t-il.Sa mère arriva à ce moment-là et se jeta dans ses bras. Sa mère, comme son père, ne faisai
Jonathan se redressa légèrement, son sourire s’effaçant pour laisser place à un ton plus grave.— Ce genre d’insultes, il va falloir que tu les oublies quand on sera mariés. Il marqua une pause, ses yeux ne la quittant pas. D’ailleurs, j’ai fixé la date au 20 janvier… à moins que tu veuilles qu’on fasse ça plus tôt.Elle soupira en levant les yeux au ciel, puis reprit son téléphone, décidée à couper court à la conversation.— Écoute, chéri, je te rappelle plus tard. J’ai un truc urgent à régler.Jonathan la fixait toujours, son regard perçant ne la quittant pas. Elle raccrocha, sans un mot, mais elle sentait sa présence pesante derrière elle.— C’est aussi quelque chose que tu devras oublier une fois que nous serons mariés, dit-il, d’un ton ferme. Je ne partage pas.Un sourire moqueur étira ses lèvres alors qu’elle s’approchait de lui.— Je n’ai pas vu de clause sur la fidélité dans ce contrat, répliqua-t-elle, provocante.Son sourire s’effaça aussitôt. D’un geste brusque, il lui sais
Deborah serra les dents, ne répondant pas. Elle tenta de passer, mais Dean, dans son éternel jeu de provocation, la saisit par la taille et la plaqua contre lui, un sourire satisfait aux lèvres.— Ah bon, tu me détestes ? dit-il en se moquant d’elle, rapprochant sa joue de ses cheveux. On dirait que tu caches bien ton jeu !Deborah réprima l’envie irrésistible de lui envoyer un coup de tête bien mérité. Mais, avec sa taille imposante, c’est son torse qui aurait pris le choc. Ludovic, amusé, se contenta de sourire.— Eh, j’espère que je serai ton témoin, Jonathan ! lança-t-il, tout excité.— Bien sûr, Ludo ! répondit Jonathan avec un clin d’œil complice.Mais Deborah, incapable de contenir sa rancœur, murmura avec un venin calculé :— En tout cas, tu n’auras pas pleuré ton pauvre père longtemps. Ça fait quoi ? Deux jours que tu l’as enterré ?Jonathan se figea, ses yeux se durcirent, et il murmura entre ses dents serrées :— Petite saleté.Il la lâcha immédiatement, la tristesse envahi
Après ce moment tendu, ils se retrouvèrent dans un silence pesant. Flocon, sentant le malaise, s’assit entre eux, ses yeux ronds allant de l’un à l’autre, ses oreilles soyeuses légèrement inclinées comme s’il tentait de décrypter l’atmosphère. Sa queue, habituellement frétillante, reposait immobile sur le sol, trahissant son incertitude. Deborah fixait le sol, ses doigts crispés autour de la tasse vide, ses jointures blanchissant sous la pression. Chaque inspiration lui semblait lourde, comme si l’air de la cuisine s’était épaissi. Elle se mordilla la lèvre, un geste inconscient, tandis que son esprit s’emballait, oscillant entre la colère et une étrange vulnérabilité qu’elle refusait d’admettre. Le souvenir du baiser de Jonathan, ardent et insistant, lui brûlait encore les lèvres, et elle serra les dents pour chasser cette sensation.Jonathan, de son côté, s’appuya contre le comptoir, ses bras croisés sur son torse nu. Son visage, d’ordinaire si assuré, laissait entrevoir une ombre d
— Je suis juste en face de toi. Regarde-moi.Sa voix claqua doucement dans le silence, une injonction sans colère mais pleine d'attente. Deborah leva les yeux, lentement, comme si son regard pesait une tonne. Il était là, tout près, trop près. Elle sentit son souffle sur sa peau. Un frisson la traversa, aussi imperceptible qu’inattendu.Flocon, qui s’était roulé en boule non loin d’eux, redressa la tête, les oreilles frémissantes. Il s’approcha à pas feutrés, posant son museau contre le genou de Deborah, l'air inquiet.— Alors, tu n’es pas obligée de mentir. Si je ne te plais pas, dis-le.Elle cligna des yeux, la gorge sèche.— Je ne sais pas.— Tu hésites ?Elle secoua légèrement la tête, puis la redressa, le menton plus haut cette fois.— Non… Je me dis qu’au final, tu ressembles beaucoup à John. Ton père.Elle vit son expression changer. Subtilement. Juste un battement de cil un peu plus long, une tension au coin des lèvres. Elle savait que ça piquerait. Et pourtant, elle ne retira
De toute façon, il était plutôt sans filtres. Elle ne répondit pas et but son café d’un trait.— Je vais me doucher ! lui dit-elle en posant sa tasse dans l’évier.Flocon, sentant son départ, trottina derrière elle, mais elle lui fit signe de rester. Le chiot s’assit, la regardant partir avec un air plaintif. Elle prit soin de verrouiller les deux portes à clé.Elle se déshabilla, prit sa douche, se sécha et alla s’habiller dans la chambre. La maison semblait vide, et le silence n’était pas quelque chose qu’elle appréciait. Flocon, qui avait réussi à la suivre discrètement, s’assit au pied du lit, ses yeux suivant ses moindres gestes. Elle refit le lit ; la journée allait être très longue.Elle sortit de la maison et se rendit dans le jardin ; marcher un peu lui fit du bien. Flocon gambadait à ses côtés, reniflant l’herbe et poursuivant une feuille volante. Il ne faisait ni chaud ni froid. Le chiot, plein d’énergie, rapporta un petit bâton qu’il déposa fièrement à ses pieds, espérant
— On a quand même passé des jours ensemble quand tu étais jeune. Tu n’avais aucun avis sur moi ?— Aucun, je te l’ai dit. Tu n’existais pas pour moi !— Je pensais que tu m’évitais car je te plaisais !— Je ne t’évitais pas. Si tu m’avais plu, je ne t’aurais pas évité, crois-moi. Je n’ai jamais évité un homme qui me plaisait.— D’accord, je comprends. Dis-moi, est-ce que tu me trouves attirant physiquement ?— Je ne sais pas, je ne te juge pas vraiment sur ton apparence !— Toi, tu m’attires, Deborah Miller, mais ton caractère un peu moins. On travaillera là-dessus ensemble !Il lui caressa les fesses, et elle crut comprendre le message qu’il essayait de lui faire passer. Flocon, sentant un changement d’humeur, s’assit et les regarda tour à tour, comme s’il attendait une explication.— Tu m’as aussi fait mal, crois-moi, je ne pourrai pas dormir sur le dos ce soir ! Allez, je te laisse dormir.Il déposa un baiser sur sa joue avant de glisser ses lèvres dans son cou. Elle sentit des fri
Dans la nuit, Deborah sursauta. Une main la secouait doucement. Elle ouvrit les yeux, clignant un peu face à la pénombre, et reconnut le visage de Jonathan penché sur elle.À ses pieds, Flocon, petit chiot cocker aux oreilles soyeuses et au pelage crème, battait frénétiquement de la queue. Ses yeux ronds, pleins de lumière, brillaient dans l’obscurité. Il poussa un petit couinement, sautillant d’une patte à l’autre comme s’il sentait qu’il se passait quelque chose d’important.— Il t’est impossible de passer toutes tes nuits ici à dormir, viens ! souffla Jonathan, un demi-sourire aux lèvres.Déborah cligna encore, les yeux mi-clos, la bouche entrouverte, confuse. Elle se redressa lentement, comme tirée de la vase. Flocon trottina joyeusement derrière eux, ses petites pattes martelant le parquet dans un clic-clic discret mais régulier.Elle suivait Jonathan, les sourcils froncés, les bras croisés sous sa poitrine comme pour se protéger du froid... ou de lui. Le chiot la frôla, truffe f
— Taie-toi, Miller ! On a de la compagnie. Merci de ne pas me causer d’embarras.Il la plaqua contre le mur et murmura à son oreille :— Je pourrais recommencer ce qu’il y a eu tout à l’heure !Elle en eut le souffle coupé, un poids au cœur. Parfois, il lui faisait peur, mais cette fois, elle ne ressentait pas seulement de la peur.— Tu as compris ? demanda-t-il.Elle répondit timidement par un petit « oui ».— Je n’ai pas entendu, insista-t-il.— Oui, d’accord, je ne vais pas te mettre dans l’embarras.Il s’écarta d’elle et lui caressa le visage.— Merci, et tant qu’à faire, essaie d’avoir l’air amoureuse !— Ne m’en demande pas trop non plus !— Comment ?Il l’avait recollée contre le mur.— D’accord, mais recule, tu me fais mal ! lui dit-elle.Il recula et la regarda de la tête aux pieds, puis rit.— Ah oui, ton cul qui touche le mur, pardon !Elle eut envie de l’insulter, mais déjà il lui prenait la main pour l’entraîner vers la sortie pour retourner auprès de ses amis.Léa demand
Comme Jonathan lui avait dit, « On n’insulte pas les morts. »— Deborah, qu’est-ce qu’il y a ?Le visage plongé dans l’album photo, elle comprit soudain que les autres étaient revenus.Jonathans’accroupit à côté d’elle et tenta de récupérer l’album photo, mais elle refusait de le lâcher, d’autant plus qu’elle était restée à la page du baiser volé. Il tira plus fort qu’elle, regarda la photo et sembla surpris. Elle n’osa pas lever les yeux vers lui.Elle se releva brusquement, lui prit des mains.— Excuse-moi, dit-elle, j’ai eu un petit coup de blues. Revoir ton père m’a rappelé des souvenirs !Elle avait repris un ton neutre, rangeant l’album à sa place.— Ce n’est pas un problème, déclara Romuald. Il est normal de ressentir de la peine, tu étais proche de lui, c’était presque comme un second père, non ?— Certainement pas ! Pardonnez-moi, je vais juste me rafraîchir le visage un instant !Jonathanla regardait froidement, apparemment, il n’avait plus envie de jouer les copains.La phot
À peine partie, elle se leva et se dirigea vers la grande bibliothèque, cette fameuse bibliothèque qui l’avait toujours fascinée avec tous ses livres. Elle l’ouvrit. C’est sûr que son parrain, là, devait se retourner dans sa tombe, mais bon, c’était quand elle était petite.Elle vit un album photo et l’attrapa, l’ouvrit et tomba sur une photo de la mère de Dean, une femme d’une grande beauté, une brune aux yeux bleus. Elle n’avait pas trop compris leur histoire, mais sa femme l’avait quitté lorsque leur fils était petit ; elle n’avait en fait aucun souvenir de cette femme. Elle tourna la page : il y avait des photos de leur mariage. La mariée avait l’air renfrogné et soudain, elle se demanda si le mariage n’aurait pas été arrangé également. La femme avait l’air tellement triste sur les photos ! Elle continua à tourner les pages, toujours le mariage, toujours le même visage attristé. Ensuite, ce furent des photos de la naissance de leur fils. Elle ne souriait toujours pas. Elle avait à
Deborah était ailleurs, perdue dans un océan de pensées. Flocon, blotti sur ses genoux, ronflait doucement, son pelage chaud un refuge contre la tempête intérieure. Elle avait failli parler, dire ce qui la consumait : son art, ce besoin vital que son père balayait d’un revers de main, un « hobby » indigne de sa lignée. Mais à quoi bon ? Léa, Romuald, Jonathan – ils ne comprendraient pas. Ils voyaient une Deborah sage, celle qui suivait les règles, pas celle qui rêvait en couleurs.— Tu quoi ? demanda Léa, un sourire espiègle.— Rien, murmura Deborah, ravalant ses mots. Laisse tomber.Romuald, intarissable, enchaîna :— T’as entendu ? Diego est de retour ! Il a une boutique d’art en ville. J’y suis passé, il a demandé de tes nouvelles. Il hallucinait qu’on se voie plus !Diego. Le nom claqua comme un coup de fouet. Diego, son premier amour, celui qui lui parlait de Paris, de toiles infinies, de vie sans chaînes. Elle soupira, et Jonathan, sentant son trouble, glissa derrière elle, ses b