Share

9

Author: Fred Godefroy
last update Last Updated: 2021-11-19 16:08:15

Tout est vanité et poursuite du vent, et il n’y a aucun avantage à tirer de ce qu’on fait sous le soleil. (Ecclésiaste – la Bible)

… un bandage épais qui recouvrait son crâne et son œil gauche.

Sur le lit à côté de lui, le client du BibiBar qui n’avait pas disparu dans la lumière, menotté à des barreaux d’acier, continuait à le regarder en se marrant tout seul.

Il n’avait plus que deux dents et quelques touffes de cheveux sur le ciboulot, comme si on lui avait tout arraché par poignées entières. Son cuir chevelu était tout ensanglanté. Les miliciens avaient dû le traîner à même le sol sur des dizaines de mètres par ses cheveux pour obtenir ce résultat spectaculaire !

Merde, qu’il dit ! J’sais pas ce que m’ont donné les docs, mais faut que j’leur demande. C’est la première satanée fois où j’vois un gars disparaître et – pouf de pouf – réapparaître sur son pieu, directos dans ses menottes ! Wahou, gigatrip !

Stan constata qu’effectivement une de ses mains était menottée aux barreaux de son propre lit. Il n’avait qu’une main de libre. Une perfusion lui entrait dans le coude, reliée à des pochettes médicales contenant des liquides transparents accrochés haut en hauteur.

Et ses jambes lui faisaient un mal atroce. Depuis combien de temps n’avait-il pas pris de morphine ? Il se sentait glacé et en sueur, les effets habituels du manque.

Il se trouvait dans la salle vétuste d’un vieux bâtiment parisien aux plafonds élevés, aux fenêtres grillagées, aux murs écaillés. Une trentaine de types au moins gisait dans leur lit à moitié inconscients. Certains gémissaient de douleur, la plupart dormait, un ou deux chialaient quelque part, plus loin.

On est où ? demanda Stan à son voisin qui continuait à rire bêtement.

A la prison du Palais de Justice, mon frère. Procès immédiat pour les révolutionnaires. Paraît qu’ils donnent dix ans ferme à tous ceux qui ont été arrêtés hier soir, ouaips. Pas d’exception. Pas de jugement. Juste une peine. Ils veulent faire un exemple de nous. Pas de pitié, les salopards ! Ça va être ton tour dans pas longtemps. Ils en sont à la lettre I. Toi, c’est Kross, c’est ça ? K- K, pas bon pour toi ! Caca, hahaha !

L’autre fou se marra.

Stan ne répondit pas, encore accroché à des filaments de son rêve qui s’étiolaient petit à petit au fur et à mesure que la salle de soins prenait vraiment réalité.

Moi, c’est P.J., sans dec. Paquet-Jartier. J’sais pas dans quelle lettre y vont m’ranger. Olivier Paquet-Jartier, ça donne O.P.J. J’te dis pas comment ça vanne chez mes potes, mon pote, quand je vais chez mes potes, ah ah !

Stan pensa à ses pauvres parents qui devaient être morts d’inquiétude. A son pauvre père qui devait le chercher partout avec son mal de dos terrible.

Si seulement, pour une fois, pour une seule fois, il les avait écoutés.

Et Bibi. Bibi… est-ce qu’il s’en était sorti ? S’il s’était fait attraper, Stan lui botterait le cul jusqu’à la fin de sa vie. Son rêve lui revint un peu plus en mémoire. C’était bizarre d’avoir vu son pote âgé de quarante ans au moins. Et si gros. Lui qui faisait tant d’efforts pour essayer de perdre ses quarante kilos de trop alors que là il en avait soixante-dix de plus.

Hé, P.J. !

Il interpella de nouveau son voisin qui cherchait sans succès à faire tourner la molette pour augmenter sa dose d’anti-douleur.

Tu peux pas m’aider ? dit-il en se tordant à s’en éclater l’épaule. En tendant ton bras libre, tu peux y arriver, hein !

Tu connais le BibiBar ?

Le BibiBar ? Jamais entendu parler. Alors, tu peux attraper cette saloperie de truc à tourner, là.

Trop loin !

Ce n’était qu’à moitié vrai. Stan n’avait juste pas envie de l’aider.

Dix ans ! Ce n’était pas possible qu’il prenne dix ans ferme. Il était juste sur un toit, à traîner là. Il pourrait jouer sur son handicap pour dire qu’il regardait de là-haut ce qui se passait, qu’être en bas était impossible pour lui… non, dire qu’il ne se sentait même pas concerné mais qu’il voulait juste regarder. Si on venait à prouver qu’il était l’Épervier et que tout le monde se coltinait dix ans de mitards, c’est vingt ans au moins qui l’attendaient.

Et son papy et son anniversaire dans quelques jours… 92 ans. Il ne lui restait plus longtemps à vivre. Et s’il ne le voyait plus jamais de sa vie ?

Un violent désespoir l’envahit. Là, cette fois, il avait bien déconné.

L’idée d’être enfermé dans une prison surpeuplée jusqu’à ses trente-sept ans était… insoutenable. En fait, ce n’était juste pas imaginable. La liberté était le fondement philosophique de sa vie. En être privé revenait à être mort. Autant crever tout de suite !

La porte s’ouvrit en claquant. Des flics entrèrent avec une liste de noms inscrits à la main sur une feuille de carnet déchiré.

Ils réunirent tous ceux dont le nom commençait par J, trois au total et les embarquèrent, menottés et enchaînés comme des chiens.

L’instant suivant, les infirmières désinfectèrent les lits en quatre ou cinq minutes et de nouveaux blessés prirent leurs places.

Une des infirmières lisait un quotidien en passant devant lui. Stan faillit vomir en voyant la première page :

L’Épervier ENFIN arrêté. Le Suprême Leader des Liberty Warriors, Stanislas Kross, sera jugé demain en comparution immédiate.

Des sénateurs réclament sa peine de mort !

Et sous le titre, sur toute la page, la tête de Stan en gros plan, énorme.

Stan, anéanti, n’y comprenait plus rien. Imaginer que toute la France et peut-être même le monde entier connaissait son visage lui donna une chair de poule immédiate.

Les infirmières parlaient de la nuit entres elles :

« … plus de trois cent dix morts au Père-Lachaise, au moins 150 à la Nation… »

« … le plus grand massacre depuis la Libération… »

« … on dit qu’au moins 183 policiers sont décédés… »

« … La loi martiale a été déclarée à dix heures, tout à l’heure… »

« … Sept mille blessés, y’en a qui vont jusqu’à Lyon ou Marseille pour être soignés… »

« … Plus le droit de se réunir dans la rue à plus de 5 personnes… »

« … Plus le droit de sortir entre 23 heures et 5 heures… »

« … Les frontières ont toutes été fermées à minuit… »

Ça tournait et tournait et se retournait dans la tête de Stan.

Qu’est-ce qu’il avait fait ? Est-ce que c’était lui le responsable de tout ça ? Si les 460 morts étaient vrais, c’est qu’il en était la cause ! Il avait conçu la stratégie, il savait exactement ce qui allait se passer. Lui, tout ce qu’il voulait, c’était lutter contre des décisions politiques liberticides et dangereuses.

Jusqu’à maintenant, il n’y avait eu que des blessés, des bagarres classiques entre manifestants et forces de l’ordre. Rien de bien grave.

Un abîme de doutes s’ajouta à son désespoir. Est-ce que lutter contre une loi voulait dire que des flics et des civils devaient mourir sauvagement ?

On était tous Français, non ? Qu’est-ce qui avait dérapé ?

Pourquoi n’avait-il pas compris que les règles du jeu avaient changé en 2 ans, quand il avait commencé à s’investir dans la rébellion anti-capitaliste, après la mort d’André ?

C’est dans cet état d’esprit sombre et désespéré que les flics revinrent à peine vingt-cinq minutes plus tard. Ils se marraient de la gueule que tiraient tous ceux qui se prenaient dix ans en trois minutes de procès maximum par prisonnier, à la chaîne. C’était mathématique.

Il était le seul K. de la liste.

Debout, Stanislas Kross, dit un maton en lui défaisant sa menotte.

L’autre frappait les barreaux du lit avec sa matraque pour qu’il se magne le fion.

J’ai besoin de deux cannes pour marcher, je suis handicapé. Et j’ai besoin d’un patch de morphine.

C’est ça, ouais ! Et tu veux un petit shoot d’héroïne au passage ? Le maton l’attrapa et d’une poussée virulente le mit debout.

Stan s’écroula comme une chiffe molle. Il ne sentait plus ses jambes, à part les douleurs.

Merde ! fit le maton.

Il est handicapé ? demanda son collègue à une infirmière. Elle haussa les épaules.

On n’a pas encore reçu les dossiers médicaux, vous pulsez trop vite.

C’est qu’y a du monde à foutre derrière les barreaux, s’excusa le flic à la matraque, un peu décontenancé.

L’infirmière ramena un fauteuil roulant pendant que l’autre con rattachait son arme à la ceinture.

Il faut me le ramener, dit-elle aux deux gardiens. Pas lui, le fauteuil.On n’en a que deux pour tout le service.

Promis, mademoiselle…

Elise. Elise Duparain.

Le gardien à la matraque lui lança un clin d’œil qui la fit rougir.

Son collègue ramassa Stan qu’il installa tant bien que mal dans cette torture qu’on appelait ici un fauteuil roulant. Il n’y avait pas de roues pour qu’il se pousse lui-même.

Allez, go !

A plus, mon frère ! beugla l’homme aux deux dents. J’me souviendrai de toi, ça j’te l’jure ! On s’reverra dans un paradis sans flics !

Ils franchirent les portes qui grincèrent comme dans un film d’horreur. Une des roues avant du fauteuil roulant tournait sur elle-même, rendant encore plus dur de le pousser droit. C’étaient de larges couloirs et à intervalles réguliers, ils devaient slalomer entre les monceaux d’ordures que chaque service jettait dans cette allée principale. Avec la grève interminable des éboueurs, tout Paris se transformait en une poubelle géante.

Le trajet dura près de quinze minutes. Les couloirs du palais de justice s’étendaient sur plusieurs dizaines de kilomètres en tout si on comptait les sous-sols dédiés aux prisonniers.

— Alors, fils de pute, prêt à morfler ? dit le maton à la matraque en installant Stan devant une double porte. Y’en a qui disent que t’es l’Épervier, c’est vrai ? Putain, je crois que je vais jouir tout seul dans mon froc en souvenir de mes amis qui sont morts cette nuit, quand tu vas te prendre la peine de mort. Enculé de salaud !

Il lui mit un coup dans la nuque qui assomma Stan un instant.

T’as de la chance que je puisse pas faire plus, fils de pute ! glissa le flic à son oreille pendant qu’il le remettait droit dans le fauteuil.

Stan ne bougea pas, ne dit rien. Il resta aussi impassible qu’une statue du musée Grévin.

Ouais, t’inquiète, le proc a prévu de pas le rater, dit l’autre.

Les doubles portes s’ouvrirent et la salle d’audience vaste et pleine à craquer apparut.

Sans que Stan ne le veuille, sans que ses mots ne sortent vraiment de lui, il dit aux deux enflures :

J’espère que vous avez embrassé vos femmes ce matin. Parce que vous allez mourir dans quelques minutes.

C’est rouges de fureur de ne pas pouvoir le frapper à mort qu’ils le poussèrent dans la salle.

Le cœur de Stan s’emballa à une vitesse folle.

Pourquoi est-ce qu’il avait dit ça ? D’où sortaient ces phrases ? Et pourquoi tout le monde hurlait dans la salle d’audience ?

On l’installa seul dans le box des accusés, derrière une vitre blindée. Au moins quinze flics autour de lui l’encadraient, le Famas armé dans les mains, prêt à être utilisé.

Une chose le terrifia : ils n’étaient pas là pour l’empêcher de s’enfuir, ils étaient là pour le protéger, pour lui sauver la vie des gens dans la salle qui voulaient le tuer.

Une plâtrée de dessinateurs croquèrent son visage en quelques coups de crayon urgents. Les procès n’avaient pas le droit d’être filmés et seules les caricatures et autres dessins pouvaient être publiés dans la presse pour illustrer les articles. C’était la loi française.

Dans la salle, des gens hurlaient et pleuraient en brandissant des photos de leurs fils morts dans l’exercice de leurs fonctions ; d’autres applaudissaient et brandissaient du poing en hurlant « Tu es notre héros ! » ; des flics retenaient des hommes par la force pour ne pas qu’ils franchissent les seuils de sécurité.

Les deux matons qui l’avaient amené jusqu’ici, postés devant les portes de sorties, étaient entourés de militants acquis à la cause de Stan. Ils semblaient bien seuls. Ils tremblaient de peur et le regardaient avec haine.

Au balcon, c’était le même délire. Une femme voulut se jeter dans le vide à poil, par « sacrifice », avant d’être rattrapée par ses voisins.

Un vieux mima un fusil qu’il braqua sur Stan et fit « pan » avec sa bouche.

Plusieurs activistes élevèrent des pancartes sur lesquelles on lisait « La justice est aussi indépendante qu’une pute », « Combien vous avez palpé cette nuit, monsieur le juge ? », « L’Épervier est notre Héros, sauvez-le ! ».

Un homme assis un peu plus bas devant lui, derrière la vitre protectrice, se leva et se pencha pour lui parler doucement :

Maître Charmard, je suis votre avocat jeune homme, désigné d’office. Je viens de prendre connaissance de votre dossier, il est… à charge. Je vais tout essayer, je vous promets rien. Rien du tout.

Puis il se rassit. Il transpirait comme un bœuf. Stan vit ses parents, au milieu de la foule.

Ils pleuraient en lui faisant des coucous de la main. Il réussit à leur sourire malgré son bandage. Ça eu l’air de leur faire du bien.

Le marteau du juge mit fin au brouhaha bruyant.

Il tapa, tapa et tapa jusqu’à ce qu’un vrai silence s’instaure.

Bien, un seul prisonnier, ça nous change des charrettes qu’on a depuis ce matin.

Il ouvrit un dossier.

Il n’en reste pas moins que j’accorde trois minutes à chaque partie.

Monsieur le procureur, c’est à vous.

Un type de l’autre côté de la pièce se leva.

Stan continua à regarder ses parents. Ils avaient l’air en pièce. Il s’en voulait à mort.

Monsieur le Président, nous avons devant nous un des plus dangereux activistes du mouvement Liberty Warrior, un de ses coordinateurs, un de ses leaders si ce n’est son chef suprême, probablement le principal responsable du massacre du Père-Lachaise, la Nuit de Sang comme l’ont appelé les journaux, un révolutionnaire connu sous le nom d’Épervier. La police et les services secrets le traquent depuis un an, sans relâche. Nous disposons de plusieurs preuves qui prouvent que c’est lui. Un sac retrouvé en bas de l’immeuble où il a été arrêté – un agent de la DGSI a filmé le coupable jeter le sac avant son arrestation et vous trouverez son identité confidentielle dans le dossier – comporte des empreintes sans équivoques sur son propriétaire, monsieur Stanislas Kross. Ce sac contient du matériel de piratage de haute technologie permettant d’anticiper les mouvements de la police, de se connecter aux réseaux sécurisés de l’État et même à des satellites d’espionnage sophistiqués. Un ingénieux système de communication a permis à ce monsieur Kross de planifier les mouvements de la foule pour attirer les forces de police au cimetière du Père-Lachaise avant que…

Le juge leva la main.

Vos trois minutes sont terminées, monsieur le Procureur.

Monsieur le Juge, s’emporta le proc, je crois qu’un individu aussi dangereux que lui mérite plus que trois minutes de…

Le juge le coupa à nouveau.

Oui, oui, j’entends bien. Mais la journée est chargée. Que réclamez- vous ?

Abattu, le procureur baissa d’un ton. Mais c’est d’une voix calme et sûr de son succès qu’il clama :

Réclusion à perpétuité avec une peine de sûreté de quarante ans dans l’établissement d’hyper haute sécurité de Cayenne. Et si la peine de mort est rétablie comme le prévoit le gouvernement avec effet à dater de la Nuit Sanglante, la peine de mort immédiate par pendaison sans possibilité de faire appel.

Depuis un an, l’extrême-droite réhabilitait les pires prisons de l’histoire. Cayenne en était le fer de lance, avec ses travaux forcés et ses îles isolées. Un symbole de la dictature dominante qui inspirait de nombreux autres pays occidentaux.

Stan manqua de s’évanouir. Il n’arrivait plus à respirer.

Sa mère enfouit son visage dans ses mains et son père pleurait en silence.

A vous, Maître… Charmard, dit le juge en consultant sa montre. Je ne vous connais pas, c’est votre première audience, Maître ?

Affirmatif, monsieur le Juge.

Essayez de faire encore plus court, l’heure du déjeuner est dépassée de quarante minutes déjà. Et j’ai faim.

L’avocat était sans force. Il dut s’accrocher à son parloir pour se mettre debout. Il regarda Stan un instant sans aucun espoir dans ses yeux.

Related chapters

  • NEFILIMS, chroniques contemporaines: l'Entité   10

    Lorsque l’ennemi est uni, divisez-le ; et attaquez là où il n’est point préparé, en surgissant lorsqu’il ne vous attend point. Telles sont les clefs stratégiques de la victoire.(L’Art de la Guerre – Tsun Tzu)Ida Kalda se réveilla peu avant dix heures. Lorsqu’elle regarda sa montre, elle bondit de son lit avant de se rallonger un instant.Après sa journée d’hier et ses dix-huit heures de formation intensive par Santoro, elle avait bien le droit de rester cinq minutes de plus allongée.Et elle ne faisait que suivre les ordres de son supérieur qui, à deux heures du matin sur son palier et après lui avoir fait visiter son appartement lui avait dit, un doigt tendu vers elle :— Pas de réveil-matin pour demain. C’est un ordre.Toutes ses affaires personnelles étaient là, rangées, pliées, exactement comme si c’était el

    Last Updated : 2021-11-19
  • NEFILIMS, chroniques contemporaines: l'Entité   11

    La loi n’a jamais rendu les hommes un brin plus justes, et par l’effet du respect qu’ils lui témoignent les gens les mieux intentionnés se font chaque jour les commis de l’injustice. (Thoreau)—Eh bien… commença Charmard en feuilletant ses notes.Il suait à grosses gouttes. Les feuilles dans ses mains tremblaient au rythme de son angoisse.—En premier lieu, je tiens à rappeler que nous avons affaire à un mineur…—Depuis la loi Protero promulguée en juin dernier, hurla le procureur qui ne se remettait pas de l’intransigeance du juge, tout mineur impliqué dans des actes pénaux est considéré comme majeur dès ses quatorze ans !—Demandez la parole, hurla à son tour le juge en tapant et tapant de son maillet, surp

    Last Updated : 2021-11-19
  • NEFILIMS, chroniques contemporaines: l'Entité   12

    Le jet venait de passer la frontière Française. Chacun des cinq hommes – et femmes – de l’équipe, travaillait au succès de l’opération baptisée « Électron Libre », nom de code donné par le Bureau 09 à la capture du Recruteur. Ida Kalda, enfoncée dans son siège, observa son second installé en face d’elle. — Lieutenant Boorman, briefez-moi sur les trois autres. Elle indiqua d’un léger mouvement de tête les militaires installés au fond du jet, réunis autour de cartes et de plans qu’ils annotaient avec des feutres de différentes couleurs. Sur les sièges de l’autre rangée, leurs sacs militaires comprenaient une tonne de matériel de tout type et des armes allant du simple Glock au chargeur rallongé de 15 cartouches aux fusils d’assauts H&K a

    Last Updated : 2021-11-19
  • NEFILIMS, chroniques contemporaines: l'Entité   13

    « Comme un chien qui retourne à son vomissement, le stupide réitère sa sottise » (Bible : Proverbes, 26-11)L’Hospice des Saints-Justes de l’Espérance se trouvait à plus de cinq heures de voyage, dans un trou paumé à côté de Fontainebleau. On y accédait par car à partir de la gare routière située devant la sortie du train aux banquettes pourries, lacérées à coups de cutter et jamais changées par la compagnie ferroviaire privée.L’hospice vieux d’un siècle et demi, venteux et démesuré comme on les faisait dans le temps, se trouvait au milieu des champs plats jusqu’à l’horizon, et n’accueillait que des patients sans ressources (les indigents, comme ils disaient dans leur jargon administratif).Cet hospice pour pauvres avait été le seul, vingt et un an plus tôt, à accepter son grand-père, qui commençait à perdre doucement la boule.Impossible de trouver plus proche, a moins d’avoir 200

    Last Updated : 2021-11-19
  • NEFILIMS, chroniques contemporaines: l'Entité   14

    Stan avait téléphoné la vieille à l’hospice pour prévenir de sa venue, annoncer qu’il serait suivi par des journalistes ou des tarés de toutes sortes et qu’il fallait absolument préserver son grand-père de tout ça.Le personnel comprit qu’ils allaient devoir gérer une situation inhabituelle. Trois infirmiers en tenue blanche, baraqués, surveillaient l’imposante grille en fer forgé.Ils l’ouvrirent à l’arrivée de Stan et la refermèrent aussitôt, obligeant la trentaine de journalistes qui couraient avec leurs caméras à rester dehors. Ces rapaces avaient deviné qu’il allait venir ici et s’étaient préparés.Stan descendit du car, les vit se précipiter sur lui depuis leurs vans truffés de paraboles et n’eut d’autre choix que de courir avec sa canne pour leur échapper.Les infirmiers agirent vite et bien. Ils le chopèrent par les épaules, le soulevèrent et l’emmenèrent

    Last Updated : 2021-11-19
  • NEFILIMS, chroniques contemporaines: l'Entité   15

    Stan, au bout de ce qui restait de son patio précieusement entretenu par sa mère, au milieu des ruines qui s’étendaient à perte de vue, regardait un monticule de pierres, de bois, de lattes et de meubles brisés dans la nuit tombante. Il n’était rentré que depuis une heure de Fontainebleau.De là où il se trouvait, le paquet de journalistes plantés devant sa maison 24 heures sur 24 ne pouvait pas le voir.Il entendit des pas arriver derrière lui et Jeanne Kross, sa mère, planta ses sabots à côté de lui, dans la boue et la gadoue. Juste au-dessus d’eux, sur le périphérique de la Défense, roulaient dans un bruit monstrueux des milliers et des milliers de voitures.—Ça va, Stan ?—Je me demandais où se trouvait la cabane de papy, là où il faisait ses inventions.D’abord surprise par la q

    Last Updated : 2021-11-19
  • NEFILIMS, chroniques contemporaines: l'Entité   16

    L’appartement Haussmannien de huit pièces leur était désormais connu de fond en comble. Depuis six jours qu’ils étaient là, les membres de l’opération Électron Libre se relayaient pour surveiller l’activité du Recruteur dans la suite de l’autre côté de l’avenue George V.Depuis leur arrivée, leur cible n’avait fait qu’une chose : dormir et méditer. Rien d’autre. Il n’était pas sorti une seule fois, n’avait pas passé de coup de fil, pas envoyé de SMS, rien.De temps en temps il mangeait, et encore, jamais plus d’un repas léger par jour.—Plus il dort et médite, plus il voyage dans les rêves des autres. Il est en train de préparer un coup, dit Prax que confirma Santoro depuis Bruxelles, dans leurs oreillettes qu’ils ne quittaient jamais.—Dormir est une arme pour eux, dit calmement Prax. C’est comme braquer le

    Last Updated : 2021-11-19
  • NEFILIMS, chroniques contemporaines: l'Entité   17

    Stan se retrouva Place Clichy avec une centaine d’autres délinquants de droit mineur, vers cinq heures trente le dimanche matin, équipé de ses deux cannes et de plusieurs cachetons de morphine en réserve dans sa poche. Bibi l’avait quitté la veille vers vingt-trois heures pour le laisser pioncer après avoir tout tenté pour reprendre contact avec le Mutant, sans succès. Ils se saluèrent avec leur traditionnel Pour André, mon pote ! et Bibi s’éclipsa par l’arrière de la maison pour rejoindre la sienne, à travers une série de passages secrets qu’ils s’amusaient à mettre en place dans les ruines, depuis des mois. Stan reçu un SMS quelques minutes plus tard : « bien arrivé. T’as le bjr de Grigi et Malko », qu’il avait dû croiser autour des fûts. Des camions de poubelles alignés les uns à la suite des autres éclairaient de leurs gy

    Last Updated : 2021-11-19

Latest chapter

  • NEFILIMS, chroniques contemporaines: l'Entité   ÉEPILOGUE + REMERCIEMENTS

    Le Maître des Serpents – Jiingua, dans la langue de cette tribu d’Amazonie que l’occident n’avait pas encore découverte et qu’Abraham nommait les Amatrides –, s’approcha doucement du Boa emmêlé à la branche d’arbre.Il n’était qu’à cent mètres du village, pas plus.On entendait les enfants jouer et nager dans la rivière Iomitria, la rivière du Dieu Serpent. 400 kilomètres au sud, la rivière se noyait dans l’Amazone, mais aucun de ces indiens n’était jamais descendu jusque-là.Don Lapuana – peau blanche dans leur langue – n’était qu’à un mètre derrière Jiingua. Il plaçait chacun de ses pas dans ceux de l’Indien. Depuis deux ans qu’il était là, Don Lapuana avait appris leur dialecte et leur système d’écriture à base d’iconographies. Il avait trois femmes, une hutte, cinq enfants et on lui enseignait jour après jour la vie quotidienne de la tribu.Jiingua commença à incanter. C’était u

  • NEFILIMS, chroniques contemporaines: l'Entité   77

    La punition due à celui qui s’égare, c’est de l’éclairer (Critias – Platon)La chambre forte était recouverte de plomb. De plaques de plomb épaisses d’au moins dix centimètres, scellées entre elles pour qu’aucune faille ni aucun trou ne puissent exister. Partout. Sur le sol, les murs, le plafond, la porte, partout.Les lumières arc-en-ciel se dispersèrent doucement, beaucoup plus lentement que d’habitude.Stan avait la bouche pâteuse. Il était complètement dans les choux, dans le flou, dans le vague. Cela n’avait rien d’un Transit habituel. C’était forcé.Théophile, en tenue militaire noire, des rangers reluisantes aux pieds qu’il avait dû cirer durant des heures jusqu’à pouvoir se mirer dedans, se tenait devant la porte, aussi sérieux qu’une peau de vache travaillée à la main par un tanneur trop vigoureux.Au niveau de son cœur, sur son

  • NEFILIMS, chroniques contemporaines: l'Entité   76

    Stan s’éveilla doucement.Prisca, allongée, contre lui, dormait, son bras passé sur son torse. Ils étaient sur un matelas défoncé, dans une pièce sombre. Des planches clouées à la va-vite obstruaient les fenêtres. Des débris de sachets de bouffe gisaient partout par terre.Doucement, il se leva sans réveiller Prisca. Elle avait les yeux gonflés, elle avait dû pleurer beaucoup.A tâtons, il trouva une porte et l’ouvrit, encore un peu dans le coton. Tout le monde était là : Akihiro, Klauss, Tenebra, Oliver et Sorina. Ida etAntonio.Klauss vint le soutenir par l’épaule.—Ben mon gars, tu l’as joué super-héros sur ce coup-là. Ça va mieux ?—On est où ?—Ak

  • NEFILIMS, chroniques contemporaines: l'Entité   75

    Le moteur du camion rugit dans l’aube naissante. Antonio avait bien sûr choisi de voler le camion sans remorque. Avec 660 chevaux sous le capot, un pare-buffle à écrabouiller un troupeau de mammouths en furie, un habitacle derrière les sièges pour vivre, dormir, manger, regarder la télé ou se connecter à Internet avec un ordinateur intégré à la tête du lit, un petit salon qu’on installait en faisant basculer des planches, un frigo, il était exactement ce qui leur fallait.Lentement, il roula vers le regroupement de Nefilims cernés par les non- vivants.Les fantômes qui avaient accompagné Antonio jusqu’à la cabine s’engouffrèrent dans le restaurant. Et personne n’en sortit. Ils dormaient tous.Les non-morts ne leur avait pas ôté la vie.Ils s’étaient contentés de leur donner du sommeil en surplus.Stan ressentit qu’il dormait tous, l’un de

  • NEFILIMS, chroniques contemporaines: l'Entité   74

    Devant eux, à trente mètres, se tenait toute l’Entité. Plus de vingt personnes au total. Et une dizaine de mercenaires du Camp 3, armés jusqu’aux dents, qui les braquaient, à droite et à gauche.Les points de leurs lasers de visée se promenaient sur les torses ou les visages d’Antonio, d’Ida et de lui-même.Dans le genre foireux et foiré, son évasion venait de planter dans le mille.Derrière lui, à l’ouest, une toute petite partie du soleil apparaissait, mais les nuages restaient rouge sang, s’étalant en largeur sur toute l’horizon.Théophile se tenait en avant du groupe, cinq pas devant, dans sa tenue du Mat, une espèce de vagabond aux couleurs hétéroclites, un masque étrange enserrant ses joues et son crâne, lui déformant le visage – et on pouvait à peine le reconnaître – et il tenait un bâton rouge, rouge comme ses chaussures qui semblaient avoir servi depuis

  • NEFILIMS, chroniques contemporaines: l'Entité   73

    L’Inconscient préside à l’accomplissement de toutes nos actions, quelles qu’elles soient. (E. Coué)—Si j’entre dans ma chambre, Annabelle va se réveiller et courir prévenir Théophile que je fais mes bagages.Stan, qui ferma son sac à dos d’un geste ferme après avoir mis tout ce qu’il fallait dedans, vint vers elle pour la rassurer.—On te trouvera des affaires propres en cours de route, c’est pas grave. Tu as ton petit carton avec la spirale ?Elle l’extirpa de la poche de sa chemise à carreaux. C’est d’une voix basse, tremblante et la tête baissée, qu’elle dit :—Tout le monde va nous prendre en chasse. Absolument tout le monde. On n’aura jamais nulle part où on sera sûrs d’être tranquilles. Il y aura toujours quelqu’un pour

  • NEFILIMS, chroniques contemporaines: l'Entité   73

    —Il a vraiment dit ça ?Prisca, enroulée dans les draps de son lit double que Stan venait de quitter nu pour aller chercher de l’eau fraîche dans la bonbonne, fit oui de la main.Ils venaient de baiser pendant deux heures. Ils suaient et respiraient mal à cause de la chaleur. Les vitres fermées couvertes de buée entouraient leur couche.Comme convenu, Stan la trouva chez lui, à l’attendre dans son lit, après être parti de chez Théophile en claquant la porte, sous le regard incrédule des trois vétérans devant leur volaille qui grillait doucement au-dessus de leur feu de camp.Stan et Prisca n’avaient pas parlé, ils s’étaient juste jetés dessus comme deux amoureux pour qui le monde extérieur ne compte plus.—« Elle est à part et tu n’es qu’un errant ». Paf ! Dans ta

  • NEFILIMS, chroniques contemporaines: l'Entité   71

    —Vous connaissez l’Homme aux Bottes. Il a fait partie de l’Entité. Vous l’avez formé comme vous me formez moi. Et tout comme moi, il a choisi la lame de l’Ermite. Et vous connaissez son vrai nom. Et un petit détail physique qui le rattache lui et moi. Soyez franc. Pour une fois. Ça changera !Théophile terminait de faire cuire les steaks pour des burgers-maison. Il avait déjà préparé les pains, les frites, le fromage, les sauces, les oignons, la salade, les concombres, les tomates tout en écoutant Stan, silencieux et concentré dans ses gestes.Devant le mobil-home rouge qu’il s’était attribué, juste à l’entrée du Camp 1, Klauss et Krishla la discrète (qui n’enlevait jamais ses lunettes noires, de jour comme de nuit) se préparaient à rôtir de la volaille au-dessus du feu.Ils surveillaient à la fois les entrées et les sorties du camp, clamaient l’exti

  • NEFILIMS, chroniques contemporaines: l'Entité   70

    Ils passèrent leur journée à errer dans la bourgade sans vie. De temps à autre, un poids lourd passait sur la route principale en laissant derrière lui un nuage de poussière et de sable qui mettait des heures à retomber.Prisca participa à une partie de Soft-Ball avec d’autres membres de l’Entité qui avaient dessiné dans le désert un terrain complet, pendant que Stan l’applaudissait et l’encourageait depuis le coin d’herbes où il avait posé ses fesses. Il aurait donné tout ce qu’il possédait – c’est-à-dire à peu près rien – pour jouer avec sa copine au lieu d’être là, la canne abandonnée dans l’herbe à côté de lui, les jambes en lambeaux.Ils errèrent dans le quartier des maisons. Toutes étaient fermées, à part celles de la famille Croop.Ils mangèrent des pancakes au beurre de cacahuète au bar. Ils s’embrassèrent longuement dans la charrette des Daltons.Ils mar

Scan code to read on App
DMCA.com Protection Status