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Auteur: Fred Godefroy
last update Dernière mise à jour: 2021-11-19 16:10:36

Stan avait téléphoné la vieille à l’hospice pour prévenir de sa venue, annoncer qu’il serait suivi par des journalistes ou des tarés de toutes sortes et qu’il fallait absolument préserver son grand-père de tout ça.

Le personnel comprit qu’ils allaient devoir gérer une situation inhabituelle. Trois infirmiers en tenue blanche, baraqués, surveillaient l’imposante grille en fer forgé.

Ils l’ouvrirent à l’arrivée de Stan et la refermèrent aussitôt, obligeant la trentaine de journalistes qui couraient avec leurs caméras à rester dehors. Ces rapaces avaient deviné qu’il allait venir ici et s’étaient préparés.

Stan descendit du car, les vit se précipiter sur lui depuis leurs vans truffés de paraboles et n’eut d’autre choix que de courir avec sa canne pour leur échapper.

Les infirmiers agirent vite et bien. Ils le chopèrent par les épaules, le soulevèrent et l’emmenèrent en courant dans le bâtiment.

Merci, dit Stan en enlevant sa capuche une fois reposé sur le sol.

Tu ne crains plus rien ici, dit un black avec une carrure à la Mike Tyson.

Une voiture aux vitres sombres, une BMW, traînait toujours dans son sillage aussi. Stan l’avait repérée depuis deux jours. Personne n’en sortait jamais. La voiture était à vingt mètres de l’entrée. Service secret ? Police ? Autre chose ?

Il ne savait pas.

Il était maintenant dans l’hôpital.

Un infirmier le conduisit à travers un dédale de couloirs.

Tout l’hospice se trouvait de plain-pied et s’étendait sur une surface énorme dont on ne voyait que rarement le bout des couloirs. Des néons grésillaient, des fenêtres fendues faisaient siffler le vent, les radiateurs ne fonctionnaient qu’à faible température, les doubles portes grinçaient et claquaient et, pire que tout, derrière la puissante odeur d’éther perçait la puanteur de la mort et de la décomposition.

Stan venait ici une fois par an. Ses parents avaient rassemblé tout le liquide dont ils disposaient dans leurs porte-monnaie pour que Stan s’achète un billet de train et un cadeau pour son papy.

L’infirmier, arrivé devant la porte de la chambre, stoppa Stan en lui posant sa main de boxeur sur l’épaule.

Il est de plus en plus fatigué. Ce serait bien de dire à vos parents qu’ils ne tardent pas trop à venir. On ne sait jamais. Il a encore des forces, mais certains jours, c’est comme s’il n’était plus avec nous. Vous comprenez ?

Stan acquiesça. Il s’attendait à entendre ça depuis des années. Il avait déjà résisté si longtemps, son p’tit-vieux à lui.

Son grand-père, assis face à la fenêtre qui donnait sur un jardin que l’entretien inexistant avait transformé en jungle sauvage, bricolait un truc en se parlant à lui-même par mono-syllabes répétitives.

Il n’avait pas entendu Stan entrer.

La chambre était grande – elle avait probablement été conçue à l’origine pour contenir au moins neuf ou dix lits serrés les uns contre les autres, avec un sol de vieux carreaux noirs et blancs noircis par les années. Dans le couloir, on entendait les talons des infirmières claquer et des roues de lits mal huilées qu’on déplaçait, crisser sur le carrelage fendu.

Dans les angles, les mêmes toiles d’araignées que l’année dernière, perchées à six mètres du sol, attendaient toujours qu’on vienne les nettoyer. Le lit à gros barreaux de fer devait toujours produire autant de bruit lorsqu’on s’asseyait dessus et le seul fauteuil pour s’installer en dehors de la chaise du bureau était tellement défoncé par des milliers de fesses qui s’étaient vautrées dedans qu’une fois installé, on avait un mal fou à en ressortir… quand on y arrivait.

Avance mon petit Stan, viens faire la bise à ton vieux déchet de grand-père.

Stan sourit. On la lui faisait pas, à son p’tit vieux ! Ils se serrèrent longuement dans les bras.

Gaspard Kross n’avait pas beaucoup changé. Il tremblait un peu plus que dans les souvenirs de Stan, ses cernes plus épaisses rendaient son visage encore plus maigre. Des poils lui sortaient maintenant par poignées entières des oreilles et du nez, des poils longs et blancs, comme son épaisse crinière de cheveux embroussaillée à la Einstein. Et ses yeux semblaient un peu plus humides, la coloration de ses iris un peu plus terne, un phénomène qu’on retrouvait souvent chez les personnes âgées qui se rapprochaient de la fin.

Comment tu vas, Papy ?

J’arrive pas à réparer mon pendule à mouvement perpétuel. Je ne sais pas ce qui cloche. Depuis une semaine, il ne bouge plus. Sauf si l’axe de la terre a changé cette nuit-là – ce qui n’est pas impossible, tu me diras –, y’a pas de satanées raisons pour que ce bidule fasse des caprices. T’en penses quoi, Stan ?

Ben, tu sais, avec 3 en math de moyenne tu me parles un peu chinois…

Gaspard Kross ricana et balaya l’argument d’un geste de la main.

Si les mathématiques qu’on t’apprend à l’école servaient à quelque chose, ça se saurait depuis Napoléon. A part les tables de multiplication, le théorème de Pythagore et les 4 opérations, tout le reste, c’est du vent ! Faut faire appel à ton intelligence pure, à une logique qui transcende les frontières créatives. Sors de ta grotte mentale, Stan, allez p’tit gars ! Deviens enfin toi- même, c’est l’heure.

Je n’ai que 17 ans, papy.

18 dans quelques semaines. C’est à 17 ans qu’on croit encore qu’on a le pouvoir de changer le monde. A 51 ans, la résignation de la vie quotidienne a tué définitivement tous les rêves (il appuya sur le mot rêve avec une étrange sonorité). On n’est plus qu’un rouage du système, même si on l’a créé, ce système.

Stan fouilla dans son sac et tendit son cadeau. Il était juste dans une pochette en papier attachée par un petit bout de scotch. Comme Stan l’avait acheté à Montparnasse, il n’avait pas eu le temps de l’emballer dans du papier cadeau.

Merci de me rappeler que je deviens vieux, dit son grand-père en rigolant. Allez, fait voir ça, mini-moi !

Toi t’as regardé Austin Powers à la télé, se marra Stan.

M’en parle pas, éclata de rire Gaspard Kross, j’ai failli faire une crise cardiaque tellement j’ai rigolé ! Mais moi, j’ai plus mon Mojo depuis… depuis… bon, on s’en tape !

Il ouvrit la pochette et dégagea un DVD. C’était une conférence live de Stephen Hawkins, sous-titrée en Français, le plus grand scientifique de l’histoire avec Albert Einstein. Le titre en était L’avenir de l’humanité est dans l’espace, sans les robots.

Le sourire de son grand-père s’allongea jusqu’aux oreilles. Hawkins était une de ses idoles.

Trois ans plus tôt, Stan lui avait offert un petit lecteur DVD à dix euros avec écran 9 pouces qu’il avait déniché dans une brocante, le genre de truc réservé aux mômes pour qu’ils regardent leurs dessins animés préférés pendant les longs trajets vers les vacances tant attendues toute l’année par leurs parents. C’était super simple d’utilisation et depuis, Stan lui offrait chaque année un DVD pour augmenter sa collection. L’année dernière, ça avait été un coffret de 3 DVD des plus grands inventeurs de l’histoire, d’Edison aux fondateurs de G****e.

Viens ici que je te fasse une bise ! Ils se serrèrent à nouveau dans les bras.

L’infirmier m’a dit que t’étais fatigué, dit Stan.

Ils racontent que des conneries ceux-là, j’te jure. Je pète la forme. Si tu savais le nombre d’années qu’il me reste, jeune Padawan…

En parlant de péter, son grand-père lâcha une caisse maousse-costaud à l’en faire décoller de son pieu. Depuis quelques années, ses flatulences et les odeurs qui allaient de pair étaient devenues une légende tant pour les autres pensionnaires que pour sa famille. Et à chaque pet, il murmurait, comme un mantra dont personne ne connaissait l’origine, écroulé de rire :

Un an de gagné pour celui qui pète et qui chie plus fort que la tempête.

Gaspard Kross avait passé sa vie à inventer des trucs. Il était inventeur, c’était son métier. Il habitait la maison dans laquelle Stan habitait aujourd’hui, c’était même lui qui l’avait achetée en 1946, mais à l’époque, le quartier n’était qu’un petit village où tout le monde se connaissait.

Son papy avait construit une grande cabane au fond du jardin. Et dans cette cabane, dans son atelier du futur, comme il le disait à Hélène, son épouse (Stan n’avait jamais connu sa grand-mère, elle était morte d’une méchante grippe en 79, bien longtemps avant sa naissance), il imaginait et concevait nuit et jour des tas de choses utiles ou non.

Comme il ne possédait pas la fibre marchande et que toute monétisation de ses inventions lui semblait être une absurdité sans nom, il était passé à côté de la fortune en ne faisant jamais rien breveter. Personne ne le savait, mais la bouilloire électrique, le fil qui rentre tout seul dans les aspirateurs, la reliure contemporaine pour les livres, tout ça et bien d’autres outils qu’on utilisait dans notre vie quotidienne, c’était lui ! Il avait survécu en bossant au black en bricolant les fuites d’eau, les pannes d’électricité et les voitures de ses voisins.

La mère de Stan lui avait dit un jour que son père avait tellement inventé d’objets qu’on n’en connaissait pas le dixième.

Sauf… Sauf que là, ça schlinguait sévère.

Je vais ouvrir un peu la fenêtre, dit Stan au bord de l’évanouissement. Son grand-père se marra un bon coup encore une fois :

Moi, je sens plus rien au bout de toutes ses années. Paraît qu’un Ricain est mort de ses pets une nuit, y’avait plus assez d’oxygène dans la chambre. Paraît qu’il mangeait que des haricots depuis douze ans.

Il se marra encore un grand coup.

Faudrait que je flatulence non-stop toute la nuit pour que ça m’arrive, vu la taille de cette pièce !

Sa cabane au fond du jardin avait été rasée huit ans plus tôt, après que les parents de Stan eurent vendu le fond du terrain, une centaine de mètres carrés, à un voisin, pour se faire un peu d’argent et payer leurs dettes.

Personne n’avait jamais dit à son grand-père que son Atelier du Futur n’était plus qu’un tas de ruines, il en serait mort sur le coup. Ses parents ne l’avaient pas vidé, ils avaient juste regardé la pelleteuse renverser les murs et écraser encore et encore tout ce qui se trouvait à l’intérieur, une fois que les voisins en question furent partis à leur tour après avoir signé le contrat des promoteurs.

Gaspard se leva et alla se poser sur le bord de son matelas. Tout grinça de partout.

Viens-là, mon petit, faut qu’on cause entre hommes.

Stan s’installa à côté de son grand-père qui l’enlaça avec une force encore vive, presque surprenante.

Ça te fait quoi d’être la star des journaux, p’tit ? Je suis ton actualité, t’es comme Mikeal Jackson maintenant.

J’aime pas ça, Papy. Et Mickael Jackson est mort depuis douze ans, en 2012, tu sais. Je veux qu’on me laisse tranquille. Demain je commence mes T.I.G. Je dois aider à ramasser les millions de sacs poubelles qui encombrent Paris, à cause de la grève des éboueurs.

Son grand-père hocha la tête.

Vers la fin des années quarante, ou le début des années cinquante, j’sais plus, un jour comme un autre, j’ai bu mon café et je suis allé dans ma cabane. Elle était toujours fermée à clef par un cadenas, tu vois. J’avais pas envie qu’on vienne trifouiller mes inventions ou me piquer des outils. Quand j’ai ouvert la porte, un drôle de type était assis là, au milieu de mes établis, dans l’ombre. Il portait un grand manteau qui l’enveloppait et il me regardait, pas méchamment. Je voyais que ses yeux. Après un petit moment de surprise, t’imagines bien, lui et moi on s’est mis à causer. Il avait des tas de trucs à me dire sur ce que je créais. Il m’a donné des solutions à des problèmes que je n’arrivais pas à résoudre, comme si tout lui était connu, comme si dans chaque science et dans chaque discipline, il en était un expert incontestable. Et puis il m’a donné toute une série de plans que j’ai pas compris au premier abord. Ils étaient complexes, vraiment très complexes. Il m’a dit : « Gaspard Kross, tu as trente ans devant toi pour créer ça. Tu ne me reverras jamais. Quand tu les auras créés, tu les cacheras. Personne, absolument personne, ne doit mettre la main dessus avant que le moment ne soit venu. Un jour viendra où tu auras un petit-fils que personne n’attendait, un petit-fils comme sorti de nul part. Il aura trois jambes, il sera très connu avant même sa majorité. A ses dix-huit ans, quand tu auras tes 92 ans révolus et qu’il ne te restera plus beaucoup de temps à vivre, tu lui donneras la clef qui lui donnera accès à ces inventions. » Je l’ai pris pour un fou, un grand malade, t’imagines la scène. Mais quand j’ai regardé ses plans, wahou ! P’tit, c’était du Léonard de Vinci. Alors je l’ai fait son truc. Je l’ai fabriqué. J’ai mis trente ans, comme il l’avait dit ce gus. Au fur et à mesure que la science progressait, les solutions apparaissaient. C’était comme s’il savait tout de l’avenir. Il m’est même arrivé de l’appeler et de prier pour qu’il revienne, mais il ne l’a jamais fait.

Gaspard Kross passa sa main sous son épais pull et lentement en retira une chaîne en acier. Au bout pendait une clef en laiton lourde et épaisse.

Tu n’as pas encore dix-huit ans, Stan, tu ne les auras que dans quelques semaines, mais les événements me font penser que c’est maintenant que je dois te la donner. Et je fête mes 92 ans aujourd’hui. Alors ce qui doit être fait doit être fait pour que mon départ soit paisible et que la parole que j’ai donnée à cet homme ce jour-là soit payée. Une dette est une dette. J’ai fait ce qu’il m’a demandé. La semaine dernière, j’ai compris que ce que j’avais fait ces années-là servait un but très précis qui va changer à jamais la face du monde. Mais ça n’a pas d’importance. J’ai fait ma part du job, j’ai fait ce que je devais faire pour la suite de l’évolution de la civilisation. Va à la cabane. Trouve le passage. Ouvre- le. Et tu comprendras. Je l’ai fabriqué pour toi. Uniquement pour toi. Maintenant, tout est clair…

Stan prit la clef entre ses mains. Elle semblait encore plus lourde que ce qu’il avait imaginé.

Stan, ce n’est pas la clef de la cabane. A l’intérieur de la cabane, il y a un passage secret. Trouve-le et tu trouveras le verrou dans lequel tu introduiras cette clef. Alors, tu trouveras ce que l’homme m’a demandé de fabriquer pour toi. Il faut que tu le fasses. J’ai laissé des indices que seul toi peux comprendre. Observe, lit, agit. Et le passage, tu y entreras.

Il rigola comme un gamin.

Et en plus, avec toute cette révolution, je comprends tout, je comprends tout. C’est juste purement génial !

Papy, je n’y comprends rien. Il ressemblait à quoi cet homme, c’est quoi qu’il t’a demandé de fabriquer ?

Son grand-père respira un grand coup, le regard perdu dans le jardin en fouillis.

Le plus étrange, c’est que je n’ai aucun souvenir du visage de cet homme. Et que ce que j’ai créé à sa demande, je l’ai complètement oublié le jour où j’ai refermé le passage pour la dernière fois. Je sais juste qu’à chaque fois qu’un problème semblait insoluble ou qu’une technologie n’existait pas encore, au petit matin, après une bonne nuit de sommeil, j’avais la solution, conçue la nuit, pendant mes rêves. Toujours. Depuis ma première et ma dernière rencontre avec lui.

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    —Vous connaissez l’Homme aux Bottes. Il a fait partie de l’Entité. Vous l’avez formé comme vous me formez moi. Et tout comme moi, il a choisi la lame de l’Ermite. Et vous connaissez son vrai nom. Et un petit détail physique qui le rattache lui et moi. Soyez franc. Pour une fois. Ça changera !Théophile terminait de faire cuire les steaks pour des burgers-maison. Il avait déjà préparé les pains, les frites, le fromage, les sauces, les oignons, la salade, les concombres, les tomates tout en écoutant Stan, silencieux et concentré dans ses gestes.Devant le mobil-home rouge qu’il s’était attribué, juste à l’entrée du Camp 1, Klauss et Krishla la discrète (qui n’enlevait jamais ses lunettes noires, de jour comme de nuit) se préparaient à rôtir de la volaille au-dessus du feu.Ils surveillaient à la fois les entrées et les sorties du camp, clamaient l’exti

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    Ils passèrent leur journée à errer dans la bourgade sans vie. De temps à autre, un poids lourd passait sur la route principale en laissant derrière lui un nuage de poussière et de sable qui mettait des heures à retomber.Prisca participa à une partie de Soft-Ball avec d’autres membres de l’Entité qui avaient dessiné dans le désert un terrain complet, pendant que Stan l’applaudissait et l’encourageait depuis le coin d’herbes où il avait posé ses fesses. Il aurait donné tout ce qu’il possédait – c’est-à-dire à peu près rien – pour jouer avec sa copine au lieu d’être là, la canne abandonnée dans l’herbe à côté de lui, les jambes en lambeaux.Ils errèrent dans le quartier des maisons. Toutes étaient fermées, à part celles de la famille Croop.Ils mangèrent des pancakes au beurre de cacahuète au bar. Ils s’embrassèrent longuement dans la charrette des Daltons.Ils mar

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