C’est après avoir roulé quatre kilomètres sur une route sans embranchements, à plusieurs centaines de mètres sous les pieds des Bruxellois, que la Berline déboucha dans un vaste parking aux néons blafards.— Nous sommes arrivés, Mademoiselle Kalda, dit Vin Diesel en la regardant dans le rétroviseur.Ida Kalda lui renvoya un sourire crispé.On lui avait donné rendez-vous devant un chantier abandonné, à la sortie de la ville, à 8 heures pétantes. Des vigiles armés, depuis leur guérite, contrôlèrent son identité.Une voiturette de golf conduite par un type en treillis l’emmena ensuite jusqu’à une aire de stationnement bitumée, à l’autre bout du faux chantier ; plusieurs dizaines de voitures luxueuses soigneusement parquées patientaient avec leur chauffeur assis à leur poste, bien à l’abri des regards des passants de cette banlieue éloignée de tout. Plus loin, elle vit des hélicoptères. Et encore plus loin, un aérodrome privé ou des jets pour millionnaires c
C’est un peu livide (et l’air d’une gourde parfaite) qu’elle regarda les portes glisser alors qu’elle était accroupie à chercher un truc quelconque sur lequel appuyer.Face à elle, un homme charismatique l’attendait, les mains dans les poches de son costume sur mesure.Elle se redressa en toussant. Elle attrapa à la va-vite un mouchoir de papier et le montra à l’homme :—Il était tombé.Conne pour conne, autant y aller à fond !Le type portait un costume noir, une chemise noire, une cravate blanche et des chaussures blanches elles aussi. La cinquantaine neuve, les cheveux grisonnants sur les tempes, séduisant à croquer, il ébaucha un sourire mathématiquement parfait qui ne se voulait pas moqueur. On aurait pu se noyer dans ses yeux verts limpides et intelligents. Sur d’autres, l’assemblage anachroniqu
Il n’était que 18 heures mais il faisait déjà sombre. Les nuages mangeaient petit à petit le ciel limpide. Ils roulaient les uns sur les autres, énormes, des arcs électriques silencieux éclataient à chacune de leur rencontre.Cette nuit, il allait saucer un déluge de chez déluge ! Stan écarta un peu plus ses rideaux.Des flammes grimpaient ça et là, dans des fûts, sous les piliers de béton armé larges de plusieurs mètres et noirs de la crasse des pots d’échappement des voitures roulant au-dessus d’eux. Les piliers soutenaient la quatre voies entourant la Défense, à plusieurs dizaines de mètres là-haut.Les flammes dans les fûts de tôles faisaient danser les ombres des clodos qui s’agglutinaient autour pour se réchauffer. Les feux esquissaient les maisons en carton, en contreplaqué, en tôle ondulée ou en tissu, construites à la va-vite dans les coins et les recoins de cet immense terrain vague fait de collin
Tous les hommes reconnaissent le droit à la révolution, c’est-à-dire le droit de refuser fidélité et allégeance au gouvernement et le droit de lui résister quand sa tyrannie ou son incapacité sont notoires ou intolérables. (Thoreau)Bibi, assis sur un monceau de gravats d’un ex-immeuble de huit étages – où au rez-de-chaussée avait beuglé durant quarante-quatre ans, tous les matins, Claude Aziepienketof, sur le pas de sa boucherie, pour vanter sa super viande et la tendresse de ses morceaux de sa grosse voix de baryton (viande qu’il écrabouillait à coups de burin à l’aube, à l’abri des regards) – tapotait à une vitesse de malade sur sa tablette fabrication artisanale.L’écran douze pouces illuminait son visage au milieu du rien du tout qui l’entourait.Son système Linux optimisé à mort faisait sa fierté.Sa maison, juste derrière, appartenait encore à un îlot de b
Que l’ennemi ne sache jamais comment vous avez l’intention de le combattre, ni la manière dont vous vous disposez à l’attaquer, ou à vous défendre. Car, s’il se prépare au front, ses arrières seront faibles ; s’il se prépare à l’arrière, son front sera fragile ; s’il se prépare à sa gauche, sa droite sera vulnérable ; s’il se prépare à sa droite, sa gauche sera affaiblie ; et s’il se prépare en tous lieux, il sera partout en défaut. S’il l’ignore absolument, il fera de grands préparatifs, il tâchera de se rendre fort de tous les côtés, il divisera ses forces, et c’est justement ce qui fera sa perte.(L’Art de la Guerre – Tsun Tzu)—C’est celui-là, annonça doucement Bibi en longeant les cars de CRS casqués qui s’alignaient sur toute la largeur de l’avenue Dorian, boucliers, matraques, flash balls, lance-grenades et fusils à pompes à balles réelles en main.
Santoro passa la journée complète à lui expliquer l’inconcevable, preuves et documentations à l’appui… sans jamais lui donner la clé pour tout comprendre.Il voulait d’abord qu’elle voie de quoi ces Déviants étaient capables avant de lui révéler comment ils le faisaient. Car s’il avait commencé par le comment, elle ne l’aurait tout simplement pas cru.Il passa la journée à lui montrer les faits. Il n’allait pas tarder à lui parler de la cause qui engendrait ces faits, on y arrivait, elle le sentait.Un bip annonça depuis l’horloge murale que 22 heures venaient de sonner. Depuis 14 heures, elle découvrait une facette du monde inimaginable, même en rêve… ou plutôt en cauchemars.Étrangement, un peu partout dans la salle, des affiches proclamaient en caractères gras impossibles à rater :N’oubliez pas : ne DORMEZ JAMAIS ici !Toute la j
C’est un peu avant 23 heures que les choses prirent formes.Sur toutes les avenues sud, les casseurs et les manifestants s’en donnaient à cœur joie. Pavés, cocktails Molotov, grenades fumigènes, poubelles, abris-bus démontés et finalement tout ce qui pouvait voler volait dans tous les sens. Les CRS ne voyaient plus la couleur du ciel !Une voiture enflammée lancée à vive allure brisa leur ligne de défense et des dizaines de flics furent projetés dans les airs comme des pantins.Une grenade lancée depuis les manifestants explosa près d’un car et tous les flics qui se trouvaient dedans surgirent des portes en hurlant, salement blessés.Plusieurs coups de feu retentirent Boulevard Diderot. Une mitrailleuse tira plusieurs fois en l’air avant de faucher des dizaines de manifestants, dont des familles avec des enfants.Du côté de l’avenue de Taillebourg, la barriè
Du néant plein de ténèbres, des cris monstrueux qui se mélangeaient les uns aux autres montaient jusqu’à lui. Il grimpait un gouffre abrupt à mains nues, terrifié par ce qu’il pressentait exister sous lui, loin en bas, ces présences invisibles qui puaient la mort, qui l’attendait. Il imaginait des monstres aux tentacules vertigineuses depuis la corniche où il venait d’échouer, épuisé, évitant une chute fatidique et sans avenir dans les profondeurs d’un monde affreux dont il ne voulait surtout pas voir à quoi il pouvait ressembler.En haut de la montagne, plus très loin, un feu brûlait, source d’un espoir bien faible que la vie existait encore.Et lorsqu’il fut à côté du feu, après un dernier effort pour fuir l’enfer, Stan comprit qu’il était allongé par terre, à deux ou trois mètres des flammes brûlantes.Ses doigts enserrés à leurs bases par des mitaines en laines pouilleuses, épaisses, trouées, étaient to
Le Maître des Serpents – Jiingua, dans la langue de cette tribu d’Amazonie que l’occident n’avait pas encore découverte et qu’Abraham nommait les Amatrides –, s’approcha doucement du Boa emmêlé à la branche d’arbre.Il n’était qu’à cent mètres du village, pas plus.On entendait les enfants jouer et nager dans la rivière Iomitria, la rivière du Dieu Serpent. 400 kilomètres au sud, la rivière se noyait dans l’Amazone, mais aucun de ces indiens n’était jamais descendu jusque-là.Don Lapuana – peau blanche dans leur langue – n’était qu’à un mètre derrière Jiingua. Il plaçait chacun de ses pas dans ceux de l’Indien. Depuis deux ans qu’il était là, Don Lapuana avait appris leur dialecte et leur système d’écriture à base d’iconographies. Il avait trois femmes, une hutte, cinq enfants et on lui enseignait jour après jour la vie quotidienne de la tribu.Jiingua commença à incanter. C’était u
La punition due à celui qui s’égare, c’est de l’éclairer (Critias – Platon)La chambre forte était recouverte de plomb. De plaques de plomb épaisses d’au moins dix centimètres, scellées entre elles pour qu’aucune faille ni aucun trou ne puissent exister. Partout. Sur le sol, les murs, le plafond, la porte, partout.Les lumières arc-en-ciel se dispersèrent doucement, beaucoup plus lentement que d’habitude.Stan avait la bouche pâteuse. Il était complètement dans les choux, dans le flou, dans le vague. Cela n’avait rien d’un Transit habituel. C’était forcé.Théophile, en tenue militaire noire, des rangers reluisantes aux pieds qu’il avait dû cirer durant des heures jusqu’à pouvoir se mirer dedans, se tenait devant la porte, aussi sérieux qu’une peau de vache travaillée à la main par un tanneur trop vigoureux.Au niveau de son cœur, sur son
Stan s’éveilla doucement.Prisca, allongée, contre lui, dormait, son bras passé sur son torse. Ils étaient sur un matelas défoncé, dans une pièce sombre. Des planches clouées à la va-vite obstruaient les fenêtres. Des débris de sachets de bouffe gisaient partout par terre.Doucement, il se leva sans réveiller Prisca. Elle avait les yeux gonflés, elle avait dû pleurer beaucoup.A tâtons, il trouva une porte et l’ouvrit, encore un peu dans le coton. Tout le monde était là : Akihiro, Klauss, Tenebra, Oliver et Sorina. Ida etAntonio.Klauss vint le soutenir par l’épaule.—Ben mon gars, tu l’as joué super-héros sur ce coup-là. Ça va mieux ?—On est où ?—Ak
Le moteur du camion rugit dans l’aube naissante. Antonio avait bien sûr choisi de voler le camion sans remorque. Avec 660 chevaux sous le capot, un pare-buffle à écrabouiller un troupeau de mammouths en furie, un habitacle derrière les sièges pour vivre, dormir, manger, regarder la télé ou se connecter à Internet avec un ordinateur intégré à la tête du lit, un petit salon qu’on installait en faisant basculer des planches, un frigo, il était exactement ce qui leur fallait.Lentement, il roula vers le regroupement de Nefilims cernés par les non- vivants.Les fantômes qui avaient accompagné Antonio jusqu’à la cabine s’engouffrèrent dans le restaurant. Et personne n’en sortit. Ils dormaient tous.Les non-morts ne leur avait pas ôté la vie.Ils s’étaient contentés de leur donner du sommeil en surplus.Stan ressentit qu’il dormait tous, l’un de
Devant eux, à trente mètres, se tenait toute l’Entité. Plus de vingt personnes au total. Et une dizaine de mercenaires du Camp 3, armés jusqu’aux dents, qui les braquaient, à droite et à gauche.Les points de leurs lasers de visée se promenaient sur les torses ou les visages d’Antonio, d’Ida et de lui-même.Dans le genre foireux et foiré, son évasion venait de planter dans le mille.Derrière lui, à l’ouest, une toute petite partie du soleil apparaissait, mais les nuages restaient rouge sang, s’étalant en largeur sur toute l’horizon.Théophile se tenait en avant du groupe, cinq pas devant, dans sa tenue du Mat, une espèce de vagabond aux couleurs hétéroclites, un masque étrange enserrant ses joues et son crâne, lui déformant le visage – et on pouvait à peine le reconnaître – et il tenait un bâton rouge, rouge comme ses chaussures qui semblaient avoir servi depuis
L’Inconscient préside à l’accomplissement de toutes nos actions, quelles qu’elles soient. (E. Coué)—Si j’entre dans ma chambre, Annabelle va se réveiller et courir prévenir Théophile que je fais mes bagages.Stan, qui ferma son sac à dos d’un geste ferme après avoir mis tout ce qu’il fallait dedans, vint vers elle pour la rassurer.—On te trouvera des affaires propres en cours de route, c’est pas grave. Tu as ton petit carton avec la spirale ?Elle l’extirpa de la poche de sa chemise à carreaux. C’est d’une voix basse, tremblante et la tête baissée, qu’elle dit :—Tout le monde va nous prendre en chasse. Absolument tout le monde. On n’aura jamais nulle part où on sera sûrs d’être tranquilles. Il y aura toujours quelqu’un pour
—Il a vraiment dit ça ?Prisca, enroulée dans les draps de son lit double que Stan venait de quitter nu pour aller chercher de l’eau fraîche dans la bonbonne, fit oui de la main.Ils venaient de baiser pendant deux heures. Ils suaient et respiraient mal à cause de la chaleur. Les vitres fermées couvertes de buée entouraient leur couche.Comme convenu, Stan la trouva chez lui, à l’attendre dans son lit, après être parti de chez Théophile en claquant la porte, sous le regard incrédule des trois vétérans devant leur volaille qui grillait doucement au-dessus de leur feu de camp.Stan et Prisca n’avaient pas parlé, ils s’étaient juste jetés dessus comme deux amoureux pour qui le monde extérieur ne compte plus.—« Elle est à part et tu n’es qu’un errant ». Paf ! Dans ta
—Vous connaissez l’Homme aux Bottes. Il a fait partie de l’Entité. Vous l’avez formé comme vous me formez moi. Et tout comme moi, il a choisi la lame de l’Ermite. Et vous connaissez son vrai nom. Et un petit détail physique qui le rattache lui et moi. Soyez franc. Pour une fois. Ça changera !Théophile terminait de faire cuire les steaks pour des burgers-maison. Il avait déjà préparé les pains, les frites, le fromage, les sauces, les oignons, la salade, les concombres, les tomates tout en écoutant Stan, silencieux et concentré dans ses gestes.Devant le mobil-home rouge qu’il s’était attribué, juste à l’entrée du Camp 1, Klauss et Krishla la discrète (qui n’enlevait jamais ses lunettes noires, de jour comme de nuit) se préparaient à rôtir de la volaille au-dessus du feu.Ils surveillaient à la fois les entrées et les sorties du camp, clamaient l’exti
Ils passèrent leur journée à errer dans la bourgade sans vie. De temps à autre, un poids lourd passait sur la route principale en laissant derrière lui un nuage de poussière et de sable qui mettait des heures à retomber.Prisca participa à une partie de Soft-Ball avec d’autres membres de l’Entité qui avaient dessiné dans le désert un terrain complet, pendant que Stan l’applaudissait et l’encourageait depuis le coin d’herbes où il avait posé ses fesses. Il aurait donné tout ce qu’il possédait – c’est-à-dire à peu près rien – pour jouer avec sa copine au lieu d’être là, la canne abandonnée dans l’herbe à côté de lui, les jambes en lambeaux.Ils errèrent dans le quartier des maisons. Toutes étaient fermées, à part celles de la famille Croop.Ils mangèrent des pancakes au beurre de cacahuète au bar. Ils s’embrassèrent longuement dans la charrette des Daltons.Ils mar