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Author: Fred Godefroy
last update Last Updated: 2021-11-19 16:10:08

« Comme un chien qui retourne à son vomissement, le stupide réitère sa sottise » (Bible : Proverbes, 26-11)

L’Hospice des Saints-Justes de l’Espérance se trouvait à plus de cinq heures de voyage, dans un trou paumé à côté de Fontainebleau. On y accédait par car à partir de la gare routière située devant la sortie du train aux banquettes pourries, lacérées à coups de cutter et jamais changées par la compagnie ferroviaire privée.

L’hospice vieux d’un siècle et demi, venteux et démesuré comme on les faisait dans le temps, se trouvait au milieu des champs plats jusqu’à l’horizon, et n’accueillait que des patients sans ressources (les indigents, comme ils disaient dans leur jargon administratif).

Cet hospice pour pauvres avait été le seul, vingt et un an plus tôt, à accepter son grand-père, qui commençait à perdre doucement la boule.

Impossible de trouver plus proche, a moins d’avoir 2000 euros à mettre chaque mois dans une maison de retraite bas de gamme d’une banlieue parisienne pourrie où, de toute façon, il n’aurait pas été mieux traité qu’ici.

Stan, pourtant déclaré non-coupable, était pour tout le monde l’Épervier.

Depuis une semaine qu’il était libre, après toutes les horreurs de l’émeute qui s’était déroulée dans la salle, pas un jour ne se passait sans qu’il ne fasse la une de centaines de titres dans le monde. Un numéro avec son nom et sa tête en couverture se vendait sept fois plus qu’un tirage normal.

Tous ces corrompus de journalistes en profitaient : ils inventaient un nombre de faits incroyables sur lui et tartinaient des milliers de pages par jour, dans toutes les langues, dans tous les pays.

Tout le monde, des politiciens au poivrot du coin de la rue, croyait dur comme fer qu’il était le fameux Épervier. Qu’il était le stratège d’une révolution mondiale, un génie capable de lutter contre les gouvernements dictatoriaux avec le courage d’un Che Guevara et la sagesse d’un Gandhi.

Son handicap neurologique, au lieu de le disculper, en avait fait sa force auprès de l’opinion publique.

Un quotidien de droite modéré l’avait comparé dans son édition d’hier à Kaizer Sauzé, ce mythologique (mythique ?) criminel de Usual Suspect qui anticipait tout et que personne n’avait jamais vu. Chers lecteurs, interprétez cette comparaison : Stanislas Kross simule son handicap et il est le génie du mal qui tue la démocratie en soulevant une révolution !

Le Huffington Post – dans son édition américaine dont l’article avait été traduit en Français – le surnommait Daredevil, en référence au personnage aveugle capable de réaliser des prouesses de super-héros, justement parce qu’il ne voyait rien.

C’était absurde : il était l’Épervier (avec Bibi, complètement invisible jusque là, et c’était très bien ainsi, pour sa propre protection). Le jugement rendu avait dit qu’il n’était pas l’Épervier. Et les journaux et le grand public le prenaient pour l’Épervier.

C’était à en perdre la boule.

Le simple fait qu’il ait été le seul et unique manifestant sur 1103 révolutionnaires arrêtés qui ait échappé aux 10 ans de prison démontrait son pouvoir, sa puissance, son influence occulte (uniquement des mots tirés des quotidiens du jour, ne parlons pas de ceux des jours précédents…).

Un autre journaliste, Allemand celui-là et farouchement anti-Russe, l’avait aussi comparé à Kasparov, l’un des meilleurs joueurs d’échecs du monde, qui avait vécu son heure de gloire dans les années 80, en disant que Stan Kross n’avait pas trois coups d’avance sur le gouvernement et les flics, mais cent coups d’avance ! Comme Poutine vis-à-vis de l’Occident, dixit le journaliste en question, qui terminait son article par cette question hautement existentielle : Stan Kross est-il une nouvelle génération de supers agents secrets du FSB ?

Pour la majorité des médias meanstream (c’est-à-dire les 97 % de journaux et de TV appartenant en tout et pour tout à sept milliardaires totalement intégrés aux pouvoirs politiques et bancaires occidentaux), Stan Kross était le diable en personne, ou l’antéchrist de la Révélation, ou le destructeur de la civilisation moderne, un libertaire extrémiste totalement voué à la chute de la société, l’ennemi à abattre avant que ses desseins ne se réalisent, un révolutionnaire qui réinventait la lutte contre les puissants, un idéologue moyenâgeux, une marionnette au service des anarchistes secrètement soutenus par des gouvernements dissidents au libre-échange, etc.

Stan collectionnait chaque article et les collait les uns à la suite des autres dans un grand cahier. Qui sait ? Un jour, ce serait peut-être marrant de relire toutes ces conneries ?

Deux banquiers apparentés à des filiales Rotschild avaient mis sa tête à prix, trois millions d’euros pour son assassinat, en direct à la télé anglaise. Le tollé après leurs déclarations était général. Plusieurs cabinets d’avocats dont il n’avait jamais entendu les noms déposaient plainte en son nom dans plus de trente pays. Les deux banquiers avaient été virés de leur banque le jour même, sans indemnités, précision fournie par l’AFP.

Charmard, qui lui avait promis de le défendre autant de temps qu’il le faudrait puisque son procès avait fait sa gloire et sa renommée et qu’il lui devait bien ça, avait, lui, porté plainte contre ces enfoirés et demandait à chacun de ces deux banquiers… 185 millions d’euros de dommages et intérêts. Il portait plainte aussi contre tous les journaux, contre tous les politiciens, contre toutes les stars du show biz qui attaquaient Stan sous une forme ou sous une autre, systématiquement, aveuglément, par principe :

—- Avec les 683 plaintes que je viens de lancer en cinq jours, lui dit Paul Charmard au téléphone la veille au soir, toi et moi on sera multi-millionnaires l’année prochaine. Peut-être même milliardaires. Bravo, fiston ! Je suis fier de toi. Et vive l’Épervier. Continue comme ça ! Je t’invite dans un bon resto la semaine prochaine pour qu’on parle de tout ça.

Charmard, jadis timide et effacé, venait de monter une énorme étude boulevard Klebert et récupérait tous les cas indéfendables liés à la Révolution Stan (un nom inventé par le présentateur du 20h00 le plus écouté de France), faisant lui aussi la une de tous les journaux.

Et il entreprenait une action en justice collective pour l’intégralité des révolutionnaires jugés afin de faire sauter leur peine pour vice de procédure. Il venait aussi d’interpeller la Cour internationale des droits de l’homme à grand renfort médiatique et plusieurs départements de l’ONU.

Bref, depuis sa prose enflammée, une fusée le propulsait à mac20 dans la stratosphère des avocats les plus chers et les plus demandés du monde.

Le procureur publiquement ridiculisé, mis à terre par les flics, tabassé par la foule, avait promis depuis son lit d’hôpital de traîner l’infâme Stan Kross au pénal dès sa révocation provisoire levée, de lutter pour le rétablissement de la peine de mort et de faire de Stan Kross le premier révolutionnaire dont on couperait la tête à la Bastille. Et que cet événement historique serait rediffusé en direct partout dans le monde. Et il avait juré que des dizaines de milliers de gens acclameraient sa tête tombant dans le panier dans des giclées de sang dont la couleur même serait la preuve de son ignominie et du mal qui le possédait !

Des associations de citoyens se réunissaient en collectif pour soutenir le procureur. D’autres se formaient au contraire pour soutenir Stan en réunissant des fonds, en créant des sites Internet à la gloire de leur héros, en imprimant des affiches, en défilant dans les rues, en faisant signer des pétitions au niveau européen pour faire changer les lois que l’U.E. voulait imposer à tous les Etats.

Certaines affiches croisées ça et là, collées à la va-vite sur les abribus et les portes d’entrée des immeubles proclamaient : « Kross : notre futur président du monde ». D’autres : « Vive le monde sans gouvernement ! »

Le juge, conspué par la profession, se faisait le défenseur du droit fondamental dans les éditoriaux. Il expliquait le pourquoi de sa décision, ce qui l’avait mené à donner à Stan Kross sa liberté.

Le ministre de la justice parlait de le destituer, estimant que l’état de droit avait été violé et se demandant, ouvertement, comment le juge s’était fait acheter ! Plusieurs membres du gouvernement avaient démissionné sur le champ, estimant ses propos disproportionnés et indignes de la position qu’il occupait. La présidente de la République elle-même était sortie de son silence pour ramener dans le droit chemin son ministre, désormais sur la sellette.

La police, chaque jour, démantelait des cellules qui se revendiquaient de l’Épervier et qui se battaient en son nom contre les lois absurdes votées à la queue-leu-leu par un gouvernement extrémiste incapable de gérer quoi que ce soit.

On haïssait Stan autant qu’on le vénérait. Pour tous les pauvres, les criminels, les victimes de la mondialisation, les chômeurs, les stagiaires exploités, les associations de consommateurs, l’Épervier était leur héros. Pour les banquiers, les politiciens, les journalistes, les grands patrons, c’était l’homme à jeter au fond de la Seine avec des chaussures en ciment aux pieds.

Un graphiste avait créé la veille un symbole d’Épervier pour le représenter, une image simple, visuelle, mémorisable, orange sur fond blanc. Elle avait été partagée 560 millions de fois sur les réseaux sociaux en 24 heures, ce qui en faisait la première image la plus partagée au monde dans toute l’histoire de la viralité numérique.

Désormais, c’était son symbole, sa représentation. On le graphait sur les murs partout dans le monde.

Trois entreprises de fabrication et de conception de vêtements avaient créé en une seule nuit toute une gamme Épervier. Ils annonçaient un volume record de pré-commandes en provenance du monde entier.

En sortant de la gare, Stan tomba sur un vendeur de pin’s à l’effigie de l’Épervier. Il était assailli par les passants. Il hurlait comme un prédicateur qu’on serait un révolutionnaire, un résistant à la dictature, un libertaire, un partisan du mouvement qui allait changer le monde dès qu’on porterait ostensiblement ce symbole de la liberté accroché à sa veste.

Stan avait fait tout le voyage caché sous une capuche et une paire de lunettes. S’il avait pu se réfugier dans une grotte pour le restant de ses jours, il l’aurait fait dans l’instant.

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