La loi n’a jamais rendu les hommes un brin plus justes, et par l’effet du respect qu’ils lui témoignent les gens les mieux intentionnés se font chaque jour les commis de l’injustice. (Thoreau)—Eh bien… commença Charmard en feuilletant ses notes.Il suait à grosses gouttes. Les feuilles dans ses mains tremblaient au rythme de son angoisse.—En premier lieu, je tiens à rappeler que nous avons affaire à un mineur…—Depuis la loi Protero promulguée en juin dernier, hurla le procureur qui ne se remettait pas de l’intransigeance du juge, tout mineur impliqué dans des actes pénaux est considéré comme majeur dès ses quatorze ans !—Demandez la parole, hurla à son tour le juge en tapant et tapant de son maillet, surp
Le jet venait de passer la frontière Française. Chacun des cinq hommes – et femmes – de l’équipe, travaillait au succès de l’opération baptisée « Électron Libre », nom de code donné par le Bureau 09 à la capture du Recruteur. Ida Kalda, enfoncée dans son siège, observa son second installé en face d’elle. — Lieutenant Boorman, briefez-moi sur les trois autres. Elle indiqua d’un léger mouvement de tête les militaires installés au fond du jet, réunis autour de cartes et de plans qu’ils annotaient avec des feutres de différentes couleurs. Sur les sièges de l’autre rangée, leurs sacs militaires comprenaient une tonne de matériel de tout type et des armes allant du simple Glock au chargeur rallongé de 15 cartouches aux fusils d’assauts H&K a
« Comme un chien qui retourne à son vomissement, le stupide réitère sa sottise » (Bible : Proverbes, 26-11)L’Hospice des Saints-Justes de l’Espérance se trouvait à plus de cinq heures de voyage, dans un trou paumé à côté de Fontainebleau. On y accédait par car à partir de la gare routière située devant la sortie du train aux banquettes pourries, lacérées à coups de cutter et jamais changées par la compagnie ferroviaire privée.L’hospice vieux d’un siècle et demi, venteux et démesuré comme on les faisait dans le temps, se trouvait au milieu des champs plats jusqu’à l’horizon, et n’accueillait que des patients sans ressources (les indigents, comme ils disaient dans leur jargon administratif).Cet hospice pour pauvres avait été le seul, vingt et un an plus tôt, à accepter son grand-père, qui commençait à perdre doucement la boule.Impossible de trouver plus proche, a moins d’avoir 200
Stan avait téléphoné la vieille à l’hospice pour prévenir de sa venue, annoncer qu’il serait suivi par des journalistes ou des tarés de toutes sortes et qu’il fallait absolument préserver son grand-père de tout ça.Le personnel comprit qu’ils allaient devoir gérer une situation inhabituelle. Trois infirmiers en tenue blanche, baraqués, surveillaient l’imposante grille en fer forgé.Ils l’ouvrirent à l’arrivée de Stan et la refermèrent aussitôt, obligeant la trentaine de journalistes qui couraient avec leurs caméras à rester dehors. Ces rapaces avaient deviné qu’il allait venir ici et s’étaient préparés.Stan descendit du car, les vit se précipiter sur lui depuis leurs vans truffés de paraboles et n’eut d’autre choix que de courir avec sa canne pour leur échapper.Les infirmiers agirent vite et bien. Ils le chopèrent par les épaules, le soulevèrent et l’emmenèrent
Stan, au bout de ce qui restait de son patio précieusement entretenu par sa mère, au milieu des ruines qui s’étendaient à perte de vue, regardait un monticule de pierres, de bois, de lattes et de meubles brisés dans la nuit tombante. Il n’était rentré que depuis une heure de Fontainebleau.De là où il se trouvait, le paquet de journalistes plantés devant sa maison 24 heures sur 24 ne pouvait pas le voir.Il entendit des pas arriver derrière lui et Jeanne Kross, sa mère, planta ses sabots à côté de lui, dans la boue et la gadoue. Juste au-dessus d’eux, sur le périphérique de la Défense, roulaient dans un bruit monstrueux des milliers et des milliers de voitures.—Ça va, Stan ?—Je me demandais où se trouvait la cabane de papy, là où il faisait ses inventions.D’abord surprise par la q
L’appartement Haussmannien de huit pièces leur était désormais connu de fond en comble. Depuis six jours qu’ils étaient là, les membres de l’opération Électron Libre se relayaient pour surveiller l’activité du Recruteur dans la suite de l’autre côté de l’avenue George V.Depuis leur arrivée, leur cible n’avait fait qu’une chose : dormir et méditer. Rien d’autre. Il n’était pas sorti une seule fois, n’avait pas passé de coup de fil, pas envoyé de SMS, rien.De temps en temps il mangeait, et encore, jamais plus d’un repas léger par jour.—Plus il dort et médite, plus il voyage dans les rêves des autres. Il est en train de préparer un coup, dit Prax que confirma Santoro depuis Bruxelles, dans leurs oreillettes qu’ils ne quittaient jamais.—Dormir est une arme pour eux, dit calmement Prax. C’est comme braquer le
Stan se retrouva Place Clichy avec une centaine d’autres délinquants de droit mineur, vers cinq heures trente le dimanche matin, équipé de ses deux cannes et de plusieurs cachetons de morphine en réserve dans sa poche. Bibi l’avait quitté la veille vers vingt-trois heures pour le laisser pioncer après avoir tout tenté pour reprendre contact avec le Mutant, sans succès. Ils se saluèrent avec leur traditionnel Pour André, mon pote ! et Bibi s’éclipsa par l’arrière de la maison pour rejoindre la sienne, à travers une série de passages secrets qu’ils s’amusaient à mettre en place dans les ruines, depuis des mois. Stan reçu un SMS quelques minutes plus tard : « bien arrivé. T’as le bjr de Grigi et Malko », qu’il avait dû croiser autour des fûts. Des camions de poubelles alignés les uns à la suite des autres éclairaient de leurs gy
Stan reprit enfin ses esprits. Est-ce qu’il devait courir vers la fille ou prendre ses jambes à son cou en se sauvant dans l’autre sens ?Derrière lui, un crissement de pneus lui fit tourner la tête.Un van rouge venait de piler juste devant la bite en béton. Au volant, Stan reconnu l’homme aux cheveux à la Richard Gere, vu au BibiBar dans son rêve et dans la salle d’audience, au milieu des fumigènes.La porte latérale gauche du van s’ouvrit en glissant.Un homme aux cheveux rouges, tenant une M60 dans les mains, lui fit signe de se baisser.Stan bondit derrière un tas de poubelles.Les balles fusèrent du van comme des fusées, explosant l’arrière du camion de poubelles dans des gerbes d’étincelles dignes d’un feu d’artifice.La fille aux couettes bleues mit les gaz et c’est à fond qu’elle
Le Maître des Serpents – Jiingua, dans la langue de cette tribu d’Amazonie que l’occident n’avait pas encore découverte et qu’Abraham nommait les Amatrides –, s’approcha doucement du Boa emmêlé à la branche d’arbre.Il n’était qu’à cent mètres du village, pas plus.On entendait les enfants jouer et nager dans la rivière Iomitria, la rivière du Dieu Serpent. 400 kilomètres au sud, la rivière se noyait dans l’Amazone, mais aucun de ces indiens n’était jamais descendu jusque-là.Don Lapuana – peau blanche dans leur langue – n’était qu’à un mètre derrière Jiingua. Il plaçait chacun de ses pas dans ceux de l’Indien. Depuis deux ans qu’il était là, Don Lapuana avait appris leur dialecte et leur système d’écriture à base d’iconographies. Il avait trois femmes, une hutte, cinq enfants et on lui enseignait jour après jour la vie quotidienne de la tribu.Jiingua commença à incanter. C’était u
La punition due à celui qui s’égare, c’est de l’éclairer (Critias – Platon)La chambre forte était recouverte de plomb. De plaques de plomb épaisses d’au moins dix centimètres, scellées entre elles pour qu’aucune faille ni aucun trou ne puissent exister. Partout. Sur le sol, les murs, le plafond, la porte, partout.Les lumières arc-en-ciel se dispersèrent doucement, beaucoup plus lentement que d’habitude.Stan avait la bouche pâteuse. Il était complètement dans les choux, dans le flou, dans le vague. Cela n’avait rien d’un Transit habituel. C’était forcé.Théophile, en tenue militaire noire, des rangers reluisantes aux pieds qu’il avait dû cirer durant des heures jusqu’à pouvoir se mirer dedans, se tenait devant la porte, aussi sérieux qu’une peau de vache travaillée à la main par un tanneur trop vigoureux.Au niveau de son cœur, sur son
Stan s’éveilla doucement.Prisca, allongée, contre lui, dormait, son bras passé sur son torse. Ils étaient sur un matelas défoncé, dans une pièce sombre. Des planches clouées à la va-vite obstruaient les fenêtres. Des débris de sachets de bouffe gisaient partout par terre.Doucement, il se leva sans réveiller Prisca. Elle avait les yeux gonflés, elle avait dû pleurer beaucoup.A tâtons, il trouva une porte et l’ouvrit, encore un peu dans le coton. Tout le monde était là : Akihiro, Klauss, Tenebra, Oliver et Sorina. Ida etAntonio.Klauss vint le soutenir par l’épaule.—Ben mon gars, tu l’as joué super-héros sur ce coup-là. Ça va mieux ?—On est où ?—Ak
Le moteur du camion rugit dans l’aube naissante. Antonio avait bien sûr choisi de voler le camion sans remorque. Avec 660 chevaux sous le capot, un pare-buffle à écrabouiller un troupeau de mammouths en furie, un habitacle derrière les sièges pour vivre, dormir, manger, regarder la télé ou se connecter à Internet avec un ordinateur intégré à la tête du lit, un petit salon qu’on installait en faisant basculer des planches, un frigo, il était exactement ce qui leur fallait.Lentement, il roula vers le regroupement de Nefilims cernés par les non- vivants.Les fantômes qui avaient accompagné Antonio jusqu’à la cabine s’engouffrèrent dans le restaurant. Et personne n’en sortit. Ils dormaient tous.Les non-morts ne leur avait pas ôté la vie.Ils s’étaient contentés de leur donner du sommeil en surplus.Stan ressentit qu’il dormait tous, l’un de
Devant eux, à trente mètres, se tenait toute l’Entité. Plus de vingt personnes au total. Et une dizaine de mercenaires du Camp 3, armés jusqu’aux dents, qui les braquaient, à droite et à gauche.Les points de leurs lasers de visée se promenaient sur les torses ou les visages d’Antonio, d’Ida et de lui-même.Dans le genre foireux et foiré, son évasion venait de planter dans le mille.Derrière lui, à l’ouest, une toute petite partie du soleil apparaissait, mais les nuages restaient rouge sang, s’étalant en largeur sur toute l’horizon.Théophile se tenait en avant du groupe, cinq pas devant, dans sa tenue du Mat, une espèce de vagabond aux couleurs hétéroclites, un masque étrange enserrant ses joues et son crâne, lui déformant le visage – et on pouvait à peine le reconnaître – et il tenait un bâton rouge, rouge comme ses chaussures qui semblaient avoir servi depuis
L’Inconscient préside à l’accomplissement de toutes nos actions, quelles qu’elles soient. (E. Coué)—Si j’entre dans ma chambre, Annabelle va se réveiller et courir prévenir Théophile que je fais mes bagages.Stan, qui ferma son sac à dos d’un geste ferme après avoir mis tout ce qu’il fallait dedans, vint vers elle pour la rassurer.—On te trouvera des affaires propres en cours de route, c’est pas grave. Tu as ton petit carton avec la spirale ?Elle l’extirpa de la poche de sa chemise à carreaux. C’est d’une voix basse, tremblante et la tête baissée, qu’elle dit :—Tout le monde va nous prendre en chasse. Absolument tout le monde. On n’aura jamais nulle part où on sera sûrs d’être tranquilles. Il y aura toujours quelqu’un pour
—Il a vraiment dit ça ?Prisca, enroulée dans les draps de son lit double que Stan venait de quitter nu pour aller chercher de l’eau fraîche dans la bonbonne, fit oui de la main.Ils venaient de baiser pendant deux heures. Ils suaient et respiraient mal à cause de la chaleur. Les vitres fermées couvertes de buée entouraient leur couche.Comme convenu, Stan la trouva chez lui, à l’attendre dans son lit, après être parti de chez Théophile en claquant la porte, sous le regard incrédule des trois vétérans devant leur volaille qui grillait doucement au-dessus de leur feu de camp.Stan et Prisca n’avaient pas parlé, ils s’étaient juste jetés dessus comme deux amoureux pour qui le monde extérieur ne compte plus.—« Elle est à part et tu n’es qu’un errant ». Paf ! Dans ta
—Vous connaissez l’Homme aux Bottes. Il a fait partie de l’Entité. Vous l’avez formé comme vous me formez moi. Et tout comme moi, il a choisi la lame de l’Ermite. Et vous connaissez son vrai nom. Et un petit détail physique qui le rattache lui et moi. Soyez franc. Pour une fois. Ça changera !Théophile terminait de faire cuire les steaks pour des burgers-maison. Il avait déjà préparé les pains, les frites, le fromage, les sauces, les oignons, la salade, les concombres, les tomates tout en écoutant Stan, silencieux et concentré dans ses gestes.Devant le mobil-home rouge qu’il s’était attribué, juste à l’entrée du Camp 1, Klauss et Krishla la discrète (qui n’enlevait jamais ses lunettes noires, de jour comme de nuit) se préparaient à rôtir de la volaille au-dessus du feu.Ils surveillaient à la fois les entrées et les sorties du camp, clamaient l’exti
Ils passèrent leur journée à errer dans la bourgade sans vie. De temps à autre, un poids lourd passait sur la route principale en laissant derrière lui un nuage de poussière et de sable qui mettait des heures à retomber.Prisca participa à une partie de Soft-Ball avec d’autres membres de l’Entité qui avaient dessiné dans le désert un terrain complet, pendant que Stan l’applaudissait et l’encourageait depuis le coin d’herbes où il avait posé ses fesses. Il aurait donné tout ce qu’il possédait – c’est-à-dire à peu près rien – pour jouer avec sa copine au lieu d’être là, la canne abandonnée dans l’herbe à côté de lui, les jambes en lambeaux.Ils errèrent dans le quartier des maisons. Toutes étaient fermées, à part celles de la famille Croop.Ils mangèrent des pancakes au beurre de cacahuète au bar. Ils s’embrassèrent longuement dans la charrette des Daltons.Ils mar