CHAPITRE UN
L’arrivée des étudiants de l’école secondaire Beauharnois Privilège était toujours très bruyante. Certains amoureux se revoyaient après s’être quittés la veille sur un au revoir affectueux ou des mots moins doux. Certains amis reprenaient la conversation du jour précédent. D’autres, comme Lucas Mathis, essayaient de se réveiller dans tout ce brouhaha. Lucas salua dans un marmonnement ses copains Charles et Jean-Raphael, puis continua vers les portes de l’école où il heurta sans trop faire attention une petite chose aux longs cheveux couleur d’avoine. Il grogna une excuse à peine audible, sa seule idée était de se coucher sur un banc loin des portes centrales et du bruit pour récupérer un peu avant que les cours commencent.Saurie Mannigan retint de justesse son sac lorsque le footballeur au regard sombre la heurta près de l’entrée de l’établissement scolaire. Il marmonna quelque chose qui ressemblait à « un désolé », mais elle n’y porta pas attention car elle n’en revenait juste pas de ce que les filles parmi les majorettes disaient à deux pas d’elle.
—Je te jure, Maude ! Marjorie Trudel n’est jamais retournée chez-elle hier soir après la pratique de football et celle des majorettes. Ses parents ont téléphoné à la police tard hier soir et c’est pourquoi les policiers patrouillaient autour de l’école ce matin.
—Tu plaisantes, Stéphanie !
Les murmures allèrent bon train et les commentaires également. Saurie n’arrivait plus à suivre à distance et elle ne pouvait décemment pas se mêler à elles, puisqu’elles ne les fréquentaient pas ordinairement. L’adolescente se décida alors à entrer dans l’école et se frappa le nez sur un grand corps mince. Lorsqu’elle leva les yeux, une grimace déforma ses traits. Quelle journée merdique que de se trouver face à face avec le délinquant de Beauharnois Privilège !
Gael St-Clair cherchait sa copine du moment pour mettre au point un ou deux trucs sur lesquels ils avaient argumenté jusqu’à minuit passé au téléphone, lorsqu’il reçut un coup à l’estomac qui le fit reculer. Il baissa les yeux sur la minuscule adolescente qui levait les siens vers lui. Saurie se raidit, figea et toutes les couleurs rosées de son joli visage disparurent. Elle étira les lèvres dans un sourire, mais ne put que grimacer et croasser un « je m’excuse » pathétique. Gael serra les dents et décida que s’il ne pouvait mettre la main sur Jada, cette petite souris allait subir sa colère à sa place.
—Tu me cherches ?
Saurie se demanda pourquoi ceux qui avaient plus d’assurance, qui ne semblaient avoir peur de rien et qui étaient souvent plus grands et plus forts disaient toujours cette phrase stupide. Qui désirait leur chercher des problèmes au juste ? Elle secoua négativement la tête. Il la tira brutalement par le bras pour qu’ils ne soient plus devant l’entrée intérieure de l’école où le va et vient était constant, puis l’entraîna un peu à l’écart.
—Tu as vu ma copine ?
Saurie écarquilla les yeux. Pourquoi elle voudrait savoir où se trouvait Jada Kerridan, la fille la moins sympathique de toute l’école ? Saurie secoua négativement la tête à nouveau. Gael maugréa :
—Tu vas la trouver et lui dire que je l’attends ici, compris ?
Depuis quand avait-elle hérité du titre de messager pour les moins que rien du coin ?
—Tu veux quoi au juste avec cette petite fille, St-Clair ?
Saurie se retrouva prisonnière entre le grand corps vêtu de noir de Gael et celui aussi grand, mais plus imposant paré d’un jeans et d’un chandail à la mode, de Lucas. Gael plongea son regard noir dans celui de Lucas.
—Dégages, Mathis. Je discute avec ma nouvelle amie.
—Tu me déranges pendant que j’essaie de dormir.
—T’avais qu’à dormir chez-toi.
—Je travaille après l’école, contrairement à certains qui préfèrent vendre de la drogue et fêter que de faire de quoi de leur vie.
Saurie serra son sac à bandoulière contre sa poitrine et rentra la tête dans les épaules. Ils allaient en venir aux poings directement au-dessus d’elle !
—Pourquoi personne ne m’écoute ?
Ils tournèrent tous les trois la tête vers Marjorie Trudel avec sa tenue de majorette un peu abîmée, des marques violacées sur ses bras et les cheveux en désordre. Les autres jeunes passaient en discutant de tout, de sa disparition entre autres, mais personne ne semblait la voir. Elle paniquait et hurlait qu’elle voulait qu’on l’écoute. Saurie se mordit les lèvres. Lucas passa une main nerveuse dans ses cheveux et détourna la tête. Il croisa le regard de Gael, qui avait eu le même réflexe que lui, et ouvrit la bouche de stupeur :
—Toi aussi ?
Gael le dévisagea.
—Je pensais être le seul.
Ils baissèrent brusquement les yeux vers Saurie qui fixait ses chaussures. Gael se racla la gorge.
—Toi aussi ?
Elle leva un petit visage innocent.
—Moi aussi quoi ?
Lucas posa une main sur le dessus de son crâne et la força à porter attention à Marjorie qui suppliait toujours qu’on l’écoute à une certaine distance d’eux.
—Tu vois et entends comme St-Clair et moi.
Marjorie se tourna dans leur direction et fut sur eux en un clin d’œil.
—Écoutez-moi, je vous en prie !
Saurie se libéra de l’emprise de Lucas et voulut se sauver, mais Gael la retint par un bras.
—Elle a dit de l’écouter.
Saurie se mordit les lèvres.
—Je ne vois pas de quoi tu parles.
Gael se pencha vers elle et murmura :
—Je parle de Marjorie Trudel.
Lucas n’osait pas trop regarder Marjorie et fixait son attention sur Saurie et Gael. Saurie soupira.
—Bon d’accord, oui. Qu’est-ce que je peux faire ? Rien.
Marjorie tendit les mains devant elle et Lucas recula dans la seconde.
—Aidez-moi, je vous en prie ! J’étouffe sous terre !
Elle disparut l’instant suivant. Saurie fronça les sourcils.
—Elle est morte ou pas ? Ils ne parlent jamais clairement.
Gael haussa les épaules.
—Aucune idée. Je n’arrive pas toujours à saisir ce qu’ils veulent dire et ils ne sont pas clairs la plupart du temps, comme tu dis. En plus, je ne les entends pas vraiment, c’est un murmure.
Lucas maugréa :
—Je ne les entends pas d’habitude. Ils ne parlent jamais.
Saurie soupira :
—Ce doit être à cause de moi. Je les entends et je les vois depuis que je suis petite.
Les deux adolescents attendirent qu’elle en dise davantage, mais la cloche pour le premier cours sonna et elle s’enfuit rapidement en se glissant parmi la masse étudiante. Gael se tourna vers Lucas.
—Tu sais son nom ?
—Non, mais j’ai l’intention de le découvrir.
Ils hochèrent la tête et s’éloignèrent en sens inverse.
*****
Éviter d’attirer l’attention des vivants comme des morts, c’était devenu un art pour Saurie. Lorsqu’elle avait écouté Ghost Whisperer pour la première fois, elle avait eu l’impression qu’on allait lui expliquer pourquoi elle était comme ça, mais l’émission l’avait déçu car la réalité et la fiction étaient deux choses distinctes. Mélinda, le personnage principal interprété par Jennifer Love Hewitt, avait le don d’entendre, de voir et de parler avec les fantômes. Saurie quant à elle ne faisait pas la différence entre les vivants et les morts bien souvent, ce qui n’était pas toujours agréable, spécialement lorsqu’elle était enfant. Sa famille était ouverte d’esprit et on parlait facilement d’ésotérisme, mais il y avait une limite entre croire en quelque chose et le vivre carrément !
Saurie s’assit au coin d’une table, dans une partie tranquille de la cafétéria, à l’abri des regards et pourtant entouré par un tas d’étudiants, puis ouvrit son sac brun pour sortir ses deux sandwichs avec laitue, végé pâté à l’humus et champignons, puis installa sa paille dans son jus en boîte. Une fois satisfaite de l’ordre des choses devant elle, elle saisit son premier sandwich à deux mains en ouvrant grand la bouche.
—Tu n’es pas facile à trouver.
Saurie déposa lentement son sandwich. Lucas s’assit à sa droite et Gael gronda, alors tout le monde se tassa pour qu’il puisse s’asseoir face à elle. Il plissa le nez en regardant le lunch de l’adolescente.
—Tu vas vraiment manger ça ?
—Oui, c’est ma tante qui les fait et c’est ssssuuupppeeerrr bon.
Lucas saisit le sandwich et mordit dedans. Saurie écarquilla les yeux d’horreur, tout son environnement méticuleux perturbé par son geste, mais au lieu de le lui redonner Lucas le tendit à Gael.
—Ouais, c’est vrai que c’est bon.
Gael mordit dedans au point qu’il n’en resta plus qu’un morceau.
—Ouais, bizarre à dire pourquoi, mais c’est bon.
Saurie posa la main sur son autre sandwich pour le protéger et ouvrit la bouche pour protester qu’ils n’avaient pas le droit de l’intimider et de lui voler sa nourriture, mais Gael lui enfourna le restant de sandwich qu’elle prit le temps de mastiquer avant de s’étouffer. Lucas appuya son visage dans sa main, un sourire garnement aux lèvres.
—Alors, petite demoiselle, tu vas nous dire ton nom ? Toi qui vois et entends comme nous ?
Gael la toisa d’un regard intense.
—Tu ne peux plus nier, alors, réponds.
Lucas leva les yeux au plafond.
—Je ne peux pas croire que les filles se jettent à tes pieds depuis la maternelle, Gael. Tu n’as aucune manière.
—C’est ce qu’elles aiment, le côté vilain garçon. Tu devrais essayer, ça te ferait du bien, Lucas.
Saurie les dévisagea à tour de rôle. D’un côté, il y avait le beau footballeur à la tignasse indisciplinée brune foncé, au regard noisette et à la gueule de séducteur. De l’autre, il y avait le voyou aux traits sauvages, aux cheveux noirs trop longs qui lui tombaient à moitié sur le visage, au regard noir, aux nombreuses boucles d’oreilles et qui était visiblement tatoué car des arabesques noires étaient perceptives sur sa peau de chaque côté de son cou.
—Vous vous connaissez depuis longtemps ?
Gael afficha une moue amusée.
—Depuis toujours. Nos pères étaient meilleurs amis depuis l’adolescence et travaillaient ensemble.
Saurie saisit son sandwich et déclara :
—Vous n’êtes pourtant pas du même genre.
Elle mordit dans son repas et Lucas constata :
—Disons que les choses ont tourné autrement et qu’on ne se fréquente plus depuis l’âge de six ans.
Gael répondit à la question muette de la jeune fille.
—Nos pères étaient policiers. Le mien est mort, le sien a survécu et nos familles se sont éloignées l’une de l’autre après le drame.
Saurie porta sa paille à ses lèvres.
—Vous avez la même capacité et vous ne le saviez pas ?
Lucas tourna son attention vers Gael.
—Elle a raison, nous n’avions pas ce don-là enfant. Tu as ça depuis quand ?
—C’est pas une maladie !
—Gael, tu sais ce que je veux dire !
—OK, panique pas, Mathis. Je dirais que ça commencé un an après la mort de mon père.
Saurie et Gael fixèrent alors Lucas pour connaître sa réponse. Il se massa la nuque dans un geste nerveux.
—J’avais environ le même âge, mais j’ai vraiment eu ma première expérience bizarre avec un … un …
Saurie lui dédia un sourire amusé.
—Un mort ?
—Ouais. J’ai eu mon premier vrai contact à l’âge de neuf ans même si j’ai commencé à voir des trucs étranges lorsque j’avais sept ans.
Gael pointa Saurie du doigt.
—Tu veux changer la discussion, mais la question de départ reste la même. Ton nom ?
Saurie sourit d’un faux air épanoui.
—Suzie Samson.
Lucas la sermonna :
—Je connais Suzie Samson, c’est mon ex copine de secondaire un.
Saurie haussa une épaule et enchaîna :
—Tamara Lemaytivier.
Gael claqua de la langue.
—Tamara est dans mon cours de math et elle est très fournie, on ne peut pas l’oublier.
Il fit un geste avec ses deux mains devant lui. Lucas l’appuya dans son affirmation.
—Ton nom ?
—Oh, à quoi ça va vous servir de connaître mon nom ?
Gael se pencha vers l’avant pour lui offrir un sourire de prédateur.
—Une fois qu’on connaît ton nom, tu pourras devenir notre souffre-douleur.
Lucas lui jeta un regard en biais.
—N’écoute pas St-Clair, c’est un imbécile qui a le cerveau ruiné par la drogue. On veut savoir ton nom parce que tu es comme nous. C’est intéressant de connaître de nouvelles personnes, tu ne penses pas ?
Saurie poussa un gros soupir de découragement.
—Je suis Ève Tremor, je suis en secondaire deux, je me doute que vous êtes plus vieux que moi.
Lucas grommela :
—Ce qu’elle est épuisante ! Tu ne te nommes pas Ève.
Saurie ramassa vivement les restants de son repas et inspira sa dernière gorgée de jus.
—Bien sûr que oui ! Pourquoi je ne serais pas Ève Tremor ?
Gael murmura :
—T’as pas une tête de Ève.
Lucas rajouta :
—Tu ne veux pas donner ton nom, je ne comprends pas. Tu n’as pas d’amis pourtant, tu es toute seule et tu l’étais ce matin aussi. Qui es-tu ?
Saurie se leva.
—Je suis Ève, vous n’avez qu’à vous renseigner. Tranquille, à son affaire, je ne fais pas de bruit, je ne déplace pas d’air et je suis loin d’être populaire.
Elle profita d’un mouvement à la table derrière eux pour prendre la fuite. Gael lança :
—Elle est rapide et elle se fond facilement dans la foule.
—Je veux savoir qui elle est et comment elle peut gérer tout ça. Ce n’est pas facile de cacher qu’on est différent parfois. J’aimerais savoir comment elle fait pour passer inaperçu.
Gael pouffa de rire :
—Surtout quand tu es populaire, que tu as des amis qui te suivent partout et que tu ne voudrais pas qu’ils pensent que tu es un freak.
Lucas souleva un sourcil, la mine moqueuse :
—Où quand tu es un rebelle et que tu ne voudrais pas que tes semblables sachent que tu es un freak, mais un vrai.
Gael ne répondit rien. Lucas pointa une direction du menton.
—Ta flamboyante amoureuse te cherche. Ça serait gênant pour les deux si elle nous voyait discuter ensemble.
Gael se leva sans commenter et se faufila près de Jada pour la saisir par le cou et lui parler à l’oreille. Ils quittèrent la cafétéria en se tenant par la taille. Lucas allait se lever lorsqu’il croisa les verres épais d’un petit intello à lunette qui finissait de manger seul. Le garçon ne devait pas avoir plus de treize ans. Lucas allait l’ignorer, mais l’adolescent s’adressa à lui.
—Elle s’appelle Saurie Mannigan. J’ai capté une partie de votre conversation avec elle. C’est une fille qui préfère de beaucoup qu’on ne la remarque pas et on comprend, sa famille est bizarre et sa tante fait souvent des séances de spiritisme dans les vieilles maisons.
Lucas hocha la tête, un bref sourire de remerciement poli et il quitta la cafétéria. Elle se nommait Saurie, prénom intéressant pour une petite personne tout aussi intéressante. Quel âge avait-elle et en quelle année était-elle ? Une petite visite à la réception pour prendre des nouvelles des vieux os de la pauvre mère de la secrétaire lui apporterait des réponses à ses questions. Lucas se promit qu’avant la fin de la journée, il allait savoir tout ce qu’il fallait savoir sur Saurie Mannigan.
*****
Cette fille était un mystère. La seule information qu’il avait pu soutirer à la secrétaire était qu’elle avait seize ans comme Gael et lui, ce qu’elle ne faisait pas du tout et qui prouvait qu’elle mentait constamment, et qu’elle devait se trouver dans la moitié de ses cours sans qu’il ne se souvienne d’elle. Elle était donc en cinquième secondaire et il ne l’avait jamais vu auparavant même s’ils avaient fait tout leur secondaire ensemble. Saurie avait vraiment développé l’art de l’invisibilité ! Le premier cours de l’après-midi était français. Lucas entra dans la classe lorsque la moitié des étudiants étaient déjà là, chercha Saurie du regard, mais ne la trouva pas. Il aperçut Gael et se souvint qu’ils avaient souvent des cours ensemble, mais depuis le drame qui avait séparé leurs familles, ils ne se parlaient pour ainsi dire plus du tout. Lucas se dirigea vers Gael qui discutait avec un punk aux airs lunatiques debout dans le fond de la classe.
—St-Clair, j’ai trouvé son nom.
Gael leva une main pour interrompre son ami et fit face à Lucas.
—Merveilleux, qu’est-ce que c’est ?
—Saurie Mannigan.
À la mention du nom qui sembla résonner en écho dans la classe, des catastrophes en chaîne se produisirent. Une fille qui allait s’asseoir tomba de sa chaise. Un garçon appuya trop fort sur son crayon et le brisa, le morceau brisé frappa une adolescente non loin en plein front. L’enseignante qui entrait dans la classe se tordit la cheville et tomba à genoux sur le sol, un étudiant voulu l’aider et se pris le pied dans une patte de chaise. Il tomba et se heurta le bas du visage sur son pupitre où il se fendit la lèvre. Le sang gicla et aspergea sa voisine qui s’évanouie à la vue de la blessure. Gael et Lucas suivirent les incidents, ahuris. Était-ce un nom maudit ? Une pieuse étudiante près d’eux se signa à trois reprises. Lucas fit la grimace :
—Saurie n’a pas d’amis et je comprends pourquoi.
—C’est presque incroyable …
Saurie choisie ce moment pour entrer dans la pièce. Ordinairement, elle se glissait toujours à sa place près de la porte quelques secondes avant que la cloche sonne et on ne lui portait jamais attention, mais là tous les regards convergèrent vers elle et elle figea avant même de se rendre à son bureau. Gael et Lucas la prirent en pitié et firent un pas dans sa direction, mais Marjorie Trudel décida que c’était le moment idéal pour apparaître et leur hurler à la tête :
—Je manque d’air, aidez-moi !
Saurie ouvrit la bouche et Lucas ferma les yeux dès qu’elle s’exprima clairement dans le silence de la pièce :
—Où es-tu ?
Marjorie se tourna vers elle.
—Je ne sais pas, mais je me trouvais près de la vieille demeure des Murray avec les tourelles. J’étouffe !
Gael saisit son sac et ses affaires, Lucas réagit alors et lui emboita le pas. Il s’inclina devant la professeure toujours à genoux sur le sol, sous le choc de la chute de l’adolescent à la lèvre ensanglantée et de l’arrivée de Saurie qui disait des phrases hors contexte pour le commun des mortels qui ne voyait pas Marjorie.
—Saurie ne se sent pas bien, nous allons la ramener chez-elle.
Gael agrippa le bras de Saurie et ne lui laissa pas le choix. Ils quittèrent la classe tous les trois et Marjorie disparut. On aurait entendu une mouche voler tellement c’était silencieux. Une fille moins intelligente ou plus curieuse que les autres s’exclama à haute voix :
—Je ne savais pas que Lucas Mathis connaissait Gael St-Clair ?
Une de ses copines jeta dans la surprise générale :
—Je ne savais même pas que Saurie était dans notre classe de français !
Tous les étudiants se mirent à parler en même.
CHAPITRE DEUX C’était carrément un enlèvement ! Lucas l’avait forcé à placer ses livres dans son casier, à prendre son manteau et à les suivre dehors où elle avait été poussée sur le siège arrière de la vieille Camaro noire de Gael. —On va rater tous les cours de cet après-midi. Vous savez qu’on va être punis pour ça, j’espère ? Gael manœuvra un tournant serré et grommela à son adresse: —La ferme ! Marjorie a dit qu’elle se trouvait près de la maison des Murray, alors on va la retrouver et comme ça on sera débarrassé de cette revenante ! —Tu vas nous aider, Saurie. Tu es plus à l’aise dans ce concept d’esprits errants que nous. —Plus à l’aise de quoi ? J’ai une sainte horreur de ça ! Gael lui jeta un regard dans le rétroviseur. —Tu es maudite, avoue ? Saurie ferma le poing, sauf le majeur qu’elle tendit dans sa direction. Lucas rajouta: —Ton nom porte la poisse, c’est certain
CHAPITRE TROIS Éviter Lucas et Gael allait tenir de la gageure ! Saurie frôla un mur et se glissa derrière un groupe d’adolescents pour éviter que les deux jeunes hommes l’aperçoivent. Ils la cherchaient visiblement, Gael avait même eu une prise de bec avec Perséphone en lui sommant carrément de lui dire où se trouvait son invisible cousine. Il lui était tombé dessus à la sortie de l’autobus scolaire. Persy était hors d’elle et ne rêvait plus que de l’enterrer vivant à la place des deux malheureuses dont le meurtrier n’avait pas été retrouvé. Les policiers n’avaient aucune piste exceptée que c’était exactement la même chose qui s’était déroulée cinquante ans plus tôt avec Hélène Maréchal, fille exemplaire d’une famille dont le père était comptable et la mère bien née, héritière d’un entrepreneur de Beldecour. Pierre était le seul descendant des Maréchal, ses parents s’étaient tués dans un accident de voilier quinze ans plus tôt. Il n’avait pas d’enfants, ne
CHAPITRE QUATRE Jamais Gael n’aurait cru passer son vendredi soir à la bibliothèque municipale de Beldecour à feuilleter les vieux articles de journaux datant de cinquante ans. Il tendit une partie des cartables à Saurie et Persy. —Dès qu’il termine sa pratique de football, Lucas nous rejoindra. Il ne pouvait pas s’absenter ce soir, c’est l’étoile de l’équipe et ils ont une partie demain. C’est la finale de la saison. Persy haussa une épaule. —On lui laissera taper nos notes au propre, ce sera sa participation. Saurie plissa le nez au milieu de sa recherche. —Même si on veut aider Hélène et retrouver le corps de Gisèle, on ne peut décemment pas laisser de côté nos activités scolaires ou nos études. Nous avons des vies, les morts vont devoir se faire à l’idée. Persy appuya les coudes sur la table qu’ils monopolisaient. —Dis-moi, Gael, ta copine ne t’en veut pas que tu passes ton vendredi soir avec deux a
CHAPITRE CINQ Perséphone dévisagea sa cousine. —De quoi parles-tu ? Saurie extirpa des plis de son manteau une photo ancienne un peu chiffonnée, mais où l’on apercevait Hélène Maréchal avec cinq autres personnes âgées entre dix-sept et dix-huit ans. Persy reconnue leur oncle Bernard, l’aîné des Mannigan parmi la petite bande souriant sur l’image. Elle retourna le cliché et lut à voix haute les noms notés d’une écriture allongée et précise. —10 mai 1966, la bande Rock On ! Malcom Hayes, Paul Leblanc, Hélène Maréchal, Jenny Sansoucis, Salomon MacFlair et moi. Persy ouvrit de grands yeux. —Oncle Bernard était un ami proche d’Hélène Maréchal ? —Je ne savais pas jusqu’à ce soir. Je venais de terminer mon livre lorsqu’en voulant le ranger dans la bibliothèque du salon j’ai fait tomber un vieil album. Il y avait trois photos qui n’étaient pas rentrées sous le plastique et collés dans l’
CHAPITRE SIX Saurie essayait de suivre Persy de son mieux, mais son sac à dos la ralentissait et sa cousine avait décidé de marcher jusqu’à leur domicile, ce qui était une bonne demi-heure d’un pas d’athlète avec leurs bottes dans le froid plus mordant puisque le soleil déclinait graduellement. Il était hors de question que Gael les ramène à la maison et encore moins de voir ce triple idiot ! Saurie préféra ignorer et ne pas commenter cette phrase qui revenait constamment dans le discours sans suite de sa cousine. Persy s’arrêta soudain et se tourna si brusquement vers Saurie qui traînait derrière, que la jeune fille figea, prise en faute de ne pas être aussi en forme qu’elle le voudrait. Pourtant Perséphone ne s’adressa pas à elle, mais à quelqu’un d’autre: —Hey, t’es qui toi ? Saurie se retourna lentement et recula de deux pas devant la silhouette cagoulée qui se cachait dans l’ombre d’une grande capuche d’un ma
CHAPITRE SEPT Le vedettariat du Cercle des bêtises s’éteignit lentement durant le mois de janvier, puis février. À la relâche scolaire de mars, personne n’en parlait plus et aucune disparition de signaler. La fin du mois de mars, c’était le bal de fin d’année qui monopolisait les conversations. Les cousines Mannigan ne prenaient plus l’autobus, Gael allait les chercher le matin et les reconduisait le soir. Il n’était pas question qu’elles tombent à nouveau nez à nez avec la Bête de Beldecour. La police avait arrêté quelques suspects, mais aucun n’avait une blessure par flèche à la cuisse, les hôpitaux n’avaient reçu personne avec cette condition. Les forces de l’ordre ne se relâchaient pas pour autant, trois jeunes femmes avaient perdu la vie et leur meurtrier courait toujours les rues. Le seul détail qui avait circulé dans la population concernait le fait que les victimes étaient enterrées vivantes. Mise à part le coroner et l’équipe policière sur l’enquête
CHAPITRE HUIT Persy et Gael firent le trajet en voiture jusqu’au moulin de bois des MacFlair dans un silence nerveux. L’adolescente tirait sur un fil de ses mitaines qu’elle avait posé sur ses cuisses. Gael stationna la voiture le long de la rue, puisque le terrain était grillagé et qu’il n’avait pas de laissez-passer électronique pour franchir les portes métalliques. Il posa une main sur celles de Persy. —Je te demande pardon. Je ne sais toujours pas où j’avance avec toi et j’avais déjà repris avec Luisa, je … Persy se dégagea et descendit de la voiture en disant: —Oublie ça. C’est du passé et ça ne se reproduira plus. Je n’ai jamais demandé à être ton amie et encore moins à devenir ton encas de fin de soirée lorsque tu as une petite-amie. L’avoir su, crois-moi, ça ne serait jamais arrivé. Ils marchèrent le long du terrain jusqu’aux remises mentionnées par le fantôme. —Je ne veux pas te perdre, Persy. —T
CHAPITRE NEUF Avril rayonna de tous ses feux pour souligner le printemps qui approchait et le Cercle des bêtises souligna les dix-sept ans des aînés de la bande; Gael et Saurie. Fin avril, les gens spéculaient parfois sur le meurtrier qui avait ravi deux adolescentes à leurs familles. Les préparations du bal de fin d’années étaient de plus en plus souvent ponctuées de regrets. Marjorie et Gisèle ne pourraient pas y être et si la Bête de Beldecour avait perdu de sa popularité durant l’hiver, sa notoriété revenait à grands pas avec la fin de l’année scolaire. Mai était le moment idéal pour sortir son vélo et profiter de l’extérieur plus longtemps. Les gens étaient prudents, les adolescentes attendaient leurs parents à la fin des cours ou des entrainements de majorettes. Les joueurs de football veillaient à partir après les filles, pour éviter de perdre encore certaines de leurs pompons girls. Le Cercle des bêtises tournait en rond avec l
ÉPILOGUEPersy était grimpée sur un escabeau et tendait les guirlandes de Noël à Gael pour qu’il les ramasse dans un gros contenant de rangement. Le temps des fêtes était terminé, Mesra pouvait bouger sans douleur après quelques semaines de convalescence. Jake était aux petits soins avec elle, au grand découragement de Bernard qui avait dû «accepter» que les Mathis s’installent dans la grande demeure. Mesra avait transformer son ancienne chambre en bureau de travail, c’est-à-dire que tous ses accessoires ésotériques s’y trouvaient. Elle avait pris l’ancienne chambre de Layla pour l’adapter et en faire le lieu privé du couple. Jake avait apprécié l’idée. Ils avaient un coin juste à eux et décoré à deux.Lucas avait adopté sa ch
CHAPITRE TRENTE-QUATRE Lucas dû jouer le jeu et persuader son père qu’il voulait recoller les pots cassés, ce qui n’était pas faux. Il accepta donc un repas avec son paternel et sa nouvelle flamme. L’idée même de passer la soirée avec Valérie Marchant ne l’enchantait guère, il demanda donc à Gael de l’accompagner dans cette démarche. Le soir du repas, Gael et Lucas tenaient à peine en place. Ils avaient préparé le repas tous les deux et attendaient le retour du travail de Jake et Valérie. Ces derniers firent leur entrée en même temps que Jasmin, Raoul et Jimmy. Lucas recula d’un pas devant la présence des spectres et Gael avala de travers, tentant de cacher sa nervosité aux deux humains face à lui. Ce serait le repas le plus perturbant jamais vécu ! ***** Lucas servit son père et Valérie d’une main plus ferme qu’il ne l’aurait pensé. Il n’aurait jamais cru un jour devoir se concentrer autant pour ne pas lever les yeux d
CHAPITRE TRENTE-TROIS À la surprise du Cercle des bêtises, l’inspecteur Mathis envoya une équipe de surveillance vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour protéger non seulement Gael, mais également Louis-Vincent Chattreau et Stuart Stevenson. Il annonça dans une conférence de presse que le lien entre toutes les victimes, excepté pour Sébastien Ludovic, était qu’ils avaient été membres de l’ancienne équipe de volleyball de Beldecour. Gael n’avait jamais fait partie de l’équipe, mais Jake sauta ce détail car il refusait de croire que quelqu’un tuait des jeunes gens par vengeance suite à une soirée où le personnel soignant était débordé. Les jours s’écoulèrent et finalement septembre se termina, puis octobre tira à sa fin et la température fraîche accompagna le Cercle de bêtises dans des décorations d’Halloween extérieures, une première chez les Mannigan. La surveillance policière était terminée et aucun mort n’avait eu lieu depuis presq
CHAPITRE TRENTE-DEUXCe que les gens pensaient était le cadet de ses soucis. Personne ne pouvait comprendre sa douleur. Chaque geste était précis, délicat et respectueux. Ce n’était pas des jeunes hommes qu’elle tuait, c’était une douleur similaire à la sienne qu’elle créait. Elle voulait qu’on se torde dans une agonie sans nom comme elle l’avait vécu et le vivait encore chaque matin en ouvrant les yeux.Il y a des blessures de l’âme qui détruisent une personne, qui ne se réparent jamais. C’était d’ailleurs un signe des cieux de découvrir que chacune de ses victimes potentielles n’avaient plus qu’un seul membre de famille dans sa vie. Bien sûr, elle faisait abstraction de l’entourage et de la parenté plus éloignée. C’était moins diff
Le mystère est-il en train de s'éclaircir au sujet de la Folle au Joker après la découverte du corps de Juliette Samuel ? Gael sera-t-il sa prochaine victime ?Les éléments sont nébuleux, les soupçons du Cercle des bêtises ne sont pas ceux de l'enquête menée par l'inspecteur Jake Mathis, le père de Lucas. Les fantômes de Juliette et des anciens joueurs de l'équipe de volleyball de Beldecour ne sont toujours pas en paix. Ce ne sera pas facile de mettre au grand jour la tueuse et ses sombres desseins.La conclusion de la troisième aventure du Cercle des bêtises approche et la fin du livre également. Le Cercle des bêtises vous invite au dénouement de cette nouvelle intrigue dans quelques jours !
CHAPITRE TRENTE ET UNIls contournèrent un lit de roses qui bordait le grand champ d’avoine et s’arrêtèrent devant la récolte agricole qui avait commencé. Une partie du champ vers le haut avait déjà des balles de foin, il manquait à faire celle près des bois où ils se tenaient.Saurie grommela:—Il est où le corps de Juliette dans tout ça ?Lucas parcouru l’horizon mouvante de l’avoine face à eux et haussa les épaules:—Où on peut cacher un corps à la fin de l’été sans attirer l’attention des agriculteurs ou des travailleurs sur les fermes ?Gael passa une main dans ses cheveux et ses yeux se posèrent à nouveau sur les rosiers sauvages. Ils étaient bien fournis.—Sous des rosiers ?Ses amis firent volte
CHAPITRE TRENTELa mort de Francis Jean ne fit de la peine à personne, c’était vraiment un homme désagréable que tout le monde avait fini par détester au fil des ans. Le seul qui semblait l’aimer était son petit-fils Sébastien habitant Nouvelle Marie, mais ce dernier avait été victime de la Folle du Joker et son corps avait été installé à l’endroit précis à Beldecour où le vieux Francis le trouverait. La douleur émotionnelle avait eu raison du détestable personnage.Gael déposa le journal devant lui et regarda sa mère.—La journaliste n’est pas allée de main morte pour décrire monsieur Jean. Il n’était pas aimé du tout pour que sa mort passe pour une «libération pour la population de Beldecour». Elle
CHAPITRE VINGT-NEUFLe Cercle des bêtises avait prévu une soirée végétarienne pour profiter d’un moment ensemble et discuter de la situation. L’estomac bien remplie, Gael continuait de grignoter des petites carottes avec de l’humus lorsqu’il résuma les interrogations de chacun depuis une demi-heure de discussion:—Donc on s’entend qu’il faut trouver le lien entre la mort de Juliette et celles de Jasmin et Raoul ?Lucas se laissa choir sur les coussins répandus autour de la table basse du salon à laquelle ils étaient tous assis.—Jasmin et Raoul étaient dans la même équipe de volleyball autrefois, mais je ne vois pas ton lien ou celui de Li-Jan avec eux ?Saurie termina d’engloutir une biscotte avec du paris pâté végétarien pour spécifier.
CHAPITRE VINGT-HUITSaurie faisait les cent pas dans le couloir de l’hôpital. Elle avait trafiqué la vérité lorsqu’on l’avait interrogé. Son récit était celui-ci: Elle avait croisé Li-Jan la semaine précédente et lorsque le sujet du meurtre de Jasmin et de Raoul était venu dans la conversation, Li-Jan lui avait parlé de sa montre JPS. Comme ils devaient se revoir et qu’elle n’avait pas eu de nouvelles, Saurie expliqua qu’elle s’était rendue avec sa cousine à la boutique médiévale dans l’intention inavouée de «croiser» Li-Jan. Inquiète que personne ne paraissait l’avoir vu récemment, elle avait demandé à Shanna de le retracer grâce à sa montre.Fin de l’histoire et les policiers y avaient cru. D