Chapitre6Le soir même, Gustave presse Augusto de questions: comment peut-il tolérer ces agissements et ces discours ? Que font-ils dans ce pensionnat ? Pourquoi lui a-t-il parlé de compétition entre eux, qu’entend-il par là ?Son camarade, gêné, explique que l’institut a été construit pour permettre aux tortionnaires du monde entier de laisser une trace de leurs « recherches », de leurs techniques, afin de former l’élite de demain.– Si tu es ici, c’est que ton père a été élève ici, comme le mien, et qu’il te destine à de grands projets, conclut-il.Gustave commence à comprendre que dans les salles de travaux pratiques, ils ne font pas de la chimie ou de la mécanique: ils sont évalués sur leur mémoire, mais aussi sur leur résistance et leur cruauté.– Tu ne dois pas faire ton dégoûté, mais il ne faut pas qu’ils pensent que tu te délectes non plus: nous sommes ici pour servir une cause, comme d’autres l’ont fait avant nous, réc
Chapitre7L’Ombre veut être comme un chat, toujours sur la défensive, en position de gros dos, prêt à bondir. Ne faire confiance à personne, jamais. C’est sa ligne de conduite.Pourtant, au départ, l’Ombre était plutôt docile: raisonnable, conforme à ce que l’on pourrait attendre d’un enfant parfait, voulant tellement leur faire plaisir ! Jusqu’au jour où l’Ombre a compris que quel que soit son comportement, rien ne serait jamais assez bien pour son père et sa mère !Le souvenir de ce jour resté gravé dans sa mémoire.Un matin, l’Ombre fouillait la chambre de ses parents pour mettre la main sur la console de jeu qu’on lui avait confisquée pour une motivation obscure. Dans sa recherche, L’ombre tomba sur un cahier corné, où une écriture fine et déliée, tracée au crayon à papier, se démarquait. L’Ombre crut d’abord que c’était celui de sa m... disons de la femme qui avait était présente depuis ses premières années, et que l’Ombre n’avait plus nommé
Chapitre8Extrait du journal intime de Gabriela:Aujourd’hui,c’est mon anniversaire. J’ai vingt ans. Mais ce soir, en rentrant chez moi, j’ai compris que je ne le fêterais pas avec ma famille, autour d’une pâtisserie, comme nous en avions l’habitude.Dès que j’ai passé la porte, j’ai de nouveau entendu des cris et des pleurs. Je savais bien d’où cela provenait, et je me doutais aussi de la scène à laquelle j’allais être confrontée: ma mère devait sans doute être en train de sangloter tandis que mon frère tentait de contenir sa colère, sans trop de succès. Il est dur de voir souffrir les êtres que l’on aime, et pourtant, il allait falloir que je m’y habitue, au vu de la récurrence de leurs conflits !Je connais par avance la teneur de leur dispute:au départ, ma mère et mon frère font le même constat, mais avec des réactions contradictoires: legouvernement dePerón est corrompu ! Mon frère Mano
Chapitre9Gustave est pratiquement endormi quand son camarade revient avec « le nouveau ». Il se lève d’un bond, bien décidé à l’accueillir comme il se doit.Il se retrouve alors face à un jeune garçon au teint pâle et plutôt gringalet, qui se cache derrière Augusto dès qu’il l’approche.Décontenancé par cette réaction, l’adolescent se redresse et se présente:– Bonjour, je suis Gustave, ravi de te connaître.Il attend une riposte, puis se résout à ne pas en recevoir, quand ilentend une voix qui marmonne:– Francisco.Déjà, le nouveau se détourne et se dirige vers son lit.Gustave jette un regard empli d’interrogations vers Augusto qui se contente de hausser les épaules, une moue perplexe sur le visage, censée lui signifier qu’il n’y comprend rien non plus.Le silence s’installe et, peu de temps après, la respiration de Francisco s’apaise et se fait régulière:il dort. Gustave
Chapitre10Gustave tente de donner l’impression de se fondre dans le moule, comme son camarade le lui a conseillé. Pourtant, il est toujours autant révolté devant le contenu des cours détaillant les dictatures et les présentant comme un modèle de gouvernement, ou bien par les travaux pratiques reprenant les techniques de tortures en tout genre. Il est donc en plein conflit de loyauté: doit-il continuer à se taire ? N’est-ce pas valider leur méthode ? Mais en même temps, entrer frontalement dans l’affrontement ne lui amènerait que des ennuis et peu de retentissements contre l’école. Il se rappelle les mots d’Augusto: C’est une question de vie ou de mort. De quoi faire frémir et réfléchir... Il a donc décidé de se renseigner et de réunir les éléments qui pourront ensuite lui permettre de lancer des accusations tangibles contre les responsables de l’internat.Dès qu’il le peut, le jeune homme se réfugie à la bibliothèque ou se connecte sur internet pour com
Chapitre11Gustave se trouve devant un paradoxe: il ne supporte pas le contenu des cours, mais, pour la première fois depuis le primaire, il a un groupe d’amis. Il apprécie beaucoup les temps passés avec eux et les liens qui les unissent. Augusto est, bien sûr, celui qui compte le plus pour lui. Son côté appliqué et naïf l’attendrit. Ils sont liés d’une amitié réelle, et Gustave commence à développer un sentiment protecteur envers son camarade. Son attrait pour la psychologie qui ressort, sans doute.Puis, il y a Heinrich et Gunther, leurs voisins de chambre, qui se sont montrés accueillants dès le premier jour.Heinrich a un aspect original, charismatique, plein d’humour, qui fait de lui le leader naturel du groupe. Pour autant, ce géant d’un mètre quatre-vingt-treize ne cherche pas à se mettre en avant: c’est un garçon doux et agréable. Gunther est plus sobre, il a tendance à se reposer sur son camarade qu’il connaît depuis toujours: leurs
Chapitre12Le lendemain, la rumeur du décès de Francisco se répand comme une traînée de poudre. Les adultes tentent d’étouffer l’effervescence naissante, mais devant l’ampleur des conciliabules, le directeur se voit contraint de les réunir dans l’amphithéâtre.Gustave pénètre dans cette pièce pour la première fois et, malgré les circonstances, il ne peut s’empêcher d’admirer ce bijou architectural. Une cinquantaine de places assises sont réparties en arc de cercle autour d’une scène assez grande pour accueillir une quinzaine d’acteurs. Des rideaux écarlates habillent le théâtre et l’entrée de la salle. Des tentures dans le même ton ornent les murs, donnant un aspect chaleureux et velouté à l’ensemble de la pièce. L’amphithéâtre se compose de trois voûtes, une de chaque côté des sièges, et la troisième, en ogive, au-dessus de l’estrade. L’effet est grandiose. Au fur et à mesure de leurs entrées, les étudiants se vautrent dans des fauteuils de velours rouge, confortab
Chapitre13Extrait du journal de Gabriela:Je n’ai pas écrit depuis si longtemps dans ce carnet ! Je le reprends car les événements se sont enchaînés pour moi, et j’ai maintenant besoin de crier ma haine et ma douleur en couchant sur le papier le récit de ces moments:Il y a trois semaines, je rentrais chez moi après une journée de plus à l’usine, quand j’entendis du bruit provenant de la maison. Une foule était assemblée devant notre porte, sous nos fenêtres, et des pleurs et des gémissements retentissaient jusque dans la rue. Prise d’une panique soudaine, je courus vers l’entrée. La voisine qui servait de cerbère se détendit en me voyant arriver.– Gabriela ! Te voilà! Où tu étais, hijita11 ?– Au boulot ! Comme tous les jours ! Que pasa 12?– C’est ton frère, ma fille. Il n’est toujours pas rentré.À ces mots, jesentis la chair de poule gagner mes bras. Manolo ! Où était-il ? Il ne laisserai