Chapitre40Sergio marche très vite dans le parc. Il saisit son téléphone et est surpris de capter un réseau Wifi non sécurisé, au nom de l’institut Perón: il envoie son premier fichier au rédacteur en chef du Canard Enchaîné et, après réflexion, le partage aussi sur Youtube. Il démarre un nouveau film pour une publication en direct sur le même site et reprend sa route. Autour de lui se trouvent des enfants blessés, mutilés ou inanimés. Il s’arrête devant une jeune fille souffrant d’une fracture ouverte à la jambe. Ses yeux bleus sont imbibés de larmes. Il essaie de l’aider mais ne voit pas comment faire: il la cale contre un arbre et lui murmure de ne pas bouger:– Chut... ça va aller ! lui dit-il, sans le croire lui-même. Impuissant, il s’éloigne.Il s’arrête à chaque blessé, de plus en plus bouleversé. Certains sont surtout choqués, amorphes. Il a l’impression que des dizaines de personnes s’agitent dans tous les coins de la forêt, et ne pas arriver à les s
Chapitre41Extrait du journal de GabrielaLa journée avait été dure pour moi. J’avais dormi dans mes vêtements trempés, ce qui n’avait pas arrangé mon état: je tremblais sans discontinuer. Cette fois-ci, pas de nouvelle tunique: ils préféraient me laisser dans l’inconfort et devaient s’en délecter.La fièvre me gagnait et la séance de torture précédente m’avait plongée dans des moments d’inconscience inquiétants, mais malgré tout salvateurs. Les coups de fouet répétés sur toutes les parties de mon corps avaient laissé des traces sanglantes, et je n’osais pas enlever mes habits de peur que la peau, collée par le sang et le pus, ne se détache en même temps.Je ne voulais rien voir, rien ressentir. Je ne savais plus depuis combien de temps j’étais là, mais j’avais réussi à tenir, à ne pas parler d’Esteban et de mon réseau: un jour de plus de gagné pour assurer leur fuite.J’entendis des pas dans le couloir et je me recroquevillai à l’idée qu’ils vienne
Chapitre42Les étudiants eurent besoin d’un temps d’échange, comparant leurs lieux de naissance, les histoires qui leur ont été racontées, les difficultés relationnelles que la plupart d’entre eux rencontraient avec leurs parents. Ils ont tous, à un moment donné, entendu des récits sur leurs origines sans y apporter de regards critiques. Ils se rendent maintenant compte des incohérences ; là où ils pensaient leurs proches réservés ou maladroits, ils comprennent à présent que certains d’entre eux n’avaient pas été aimés, voire avaient même été les instruments de ces hommes et femmes. La colère enfle. Plusieurs d’entre eux poussent des cris de rage et extériorisent leur indignation.Medhi s’avance et demande:– Mais que peut-on faire maintenant ?– Les tuer !rugit Marga. Le leur faire payer, à la hauteur de ce qu’ils nous ont fait subir !– Non, je ne veux pas être comme eux, dit Léa.Surtout pas ! Et pourtant j’ai des motifs de les détester…Assass
Chapitre43Gustave dévisage les personnes qui l’entourent pendant qu’ils se dirigent tous du même pas vers le bâtiment principal de l’édifice. Sur les visages de ses camarades, il peut lire la rage pour certain, la peur pour d’autres, mais surtout, une détermination sans faille.Et le sien, qu’exprime-t-il aux yeux des autres ?Il se sent transporté à l’idée de cette cohésion et se rend compte que son avis a de l’impact, qu’il est écouté, considéré, comme il l’a rarement été auparavant. C’est grisant.Toutefois, une petite voix lui remémore ses lectures passées, notamment ce traité de Le Bon qui l’avait passionné: dans cet écrit, l’auteur démontrait que l’effet de groupe est forcément néfaste car le collectif exacerbe les débordements et la foule perd une partie de son intelligence quand elle agit de manière groupale.16Il ne veut pas y penser et se dit que pour eux ce n’est pas pareil, qu’ils sont mus par une identique envie de bien faire, mais il garde un certain sce
Chapitre44Au premier étage, la fête bat son plein. Les rires et la clarinette de Sydney Bechet résonnent dans le parc. Les convives ne se rendent pas encore compte du drame qui se joue tout près d’eux et dont ils seront les principales victimes.Devant l’entrée, les adolescents se déchirent. Chacun campe sur ses positions et souhaite faire entendre raison aux autres. Le discours extrême de Marga a fait des émules, et ils sont cinq à se réjouir de la tournure des événements.Ce qui encourage Gustave, Léa, Augusto et leurs semblables, c’est qu’à contrario, leur groupe reste solidaire et campe sur ses positions. Ils ne peuvent pas laisser des humains mourir, quels qu’ils soient, et leur plan doit changer ! Nada se maintient plutôt en retrait, comme si elle ne parvenait pas à trouver sa place.Augusto lance alors:– Vous vous rendez compte que vous avez tout foutu en l’air ? Vous avez fini par leur rendre service !– Quoi ? réagit Stéphane, mais où tu vois qu’on leur ren
Chapitre45Extrait du journal de GabrielaCela fait une éternité que je suis là: des semaines, des mois, le temps n’a plus d’importance. J’ai fini par parler, je n’ai pas pu tenir indéfiniment. Isabel a eu ce qu’elle voulait: sa déclaration m’a anéantie, et quelques jours après sa visite, je lâchai tout: réseau, personnes impliquées... J’ai honte de l’avoir fait, mais j’espère que le laps de temps a été suffisant pour que chacun prenne la fuite et se prémunisse des représailles.Par moments, j’entends la voix d’Isabel résonner dans les couloirs: vient-elle rencontrer d’autres prisonniers qu’elle a elle-même fait arrêter, cette immondice ?En tout cas, elle n’est jamais revenue me voir, je ne l’aurais pas supporté.Mon existence ici n’a pas tellement changé depuis que j’ai donné mes camarades: les temps passés en salle de torture sont moins nombreux, mais je reçois les coups de Klaus et j’ai longtemps subi les viols de Sebastian plu
ÉPILOGUEDernier extrait du journal de Gabriela:Je sens la mort venir... Je la devine. Et c’est d’autant plus difficile maintenant que je sais que la vie va jaillir de mon ventre ! Mon bébé va naître. Mon magnifique bébé. Je veux que cet enfant connaisse une agréable existence, calme et paisible, voire un joli destin. Je ne souhaite pas qu’il soit sali par la fin de mon histoire...J’ai vécu l’enfer ces derniers mois, mais jusque-là ma vie a été belle. J’ai grandi auprès d’un entourage affectueux, j’ai été choyée et encouragée par mes parents et mon cher frère, j’ai eu des amis... J’aurais adoré avoir un amant. Un vrai. Je ne voulais pas être déchirée par un monstre !Mais j’ai peur pour ce bébé qui ne m’aura pas à ses côtés pour s’épanouir dans les meilleures conditions... Je souhaiterais qu’il grandisse dans la joie, que ses futurs parents soient une bonne famille pour lui, qu’ils l’aiment, l’entoure
PROLOGUEL’Ombre prépare sa vengeance. Sa valise est bouclée et l’heure des massacres approche.Il est essentiel de prendre son temps, de profiter, de se délecter du sort à venir de ses victimes. Personne ne devra l’identifier et, avant qu’ils ne comprennent ses intentions, l’Ombre comptera le nombre exact des passages à l’acte nécessaires pour assouvir sa soif de revanche.Cinq personnes devront trouver la mort dans les semaines qui suivent. Cinq personnes qui attisent son courroux et qui subiront les tortures qu’elles méritent.À cette idée, l’Ombre saisit la poignée de son bagage et affiche un rictus menaçant.