Chapitre16Sous une apparente docilité, Gustave rassemble toujours toutes les données possibles pour comprendre où il est et les enjeux de son arrivée en ce lieu. La bibliothèque lui a permis d’appréhender les horreurs perpétrées par les diverses dictatures: humiliations physiques et psychologiques, antisémitisme, racisme, tortures, négation de l’autre... Ces lectures l’ont empêché de dormir pendant plusieurs nuits. Bien sûr, il connaissait déjà les faits, mais l’idée que des personnes qu’il côtoie tous les jours, dont son père, cautionnent ces actes et les portent aux nues l’écœure, lui donne envie de vomir.Il n’a jamais été proche de son père, mais il se demande qui est réellement cet homme. Il l’a toujours considéré comme un individu fiable, qui prenait les décisions pour lui, car il était le plus à même de savoir ce qui était bon pour son fils. Mais depuis qu’il est arrivé dans ce lieu... il ne maîtrise plus ce qu’il doit penser. Cet homme l’a-t-il vraime
Chapitre17Au petit matin, Gustave est réveillé par des coups à la porte: Heinrich ouvre le battant, sa grande silhouette occupant tout l’espace. Il allume la lumière et ses yeux balaient la chambre d’un air soucieux. Ses traits sont tirés comme s’il avait passé une nuit agitée, et son inquiétude est perceptible. Il leur demande:– Vous avez vu Gunther ?Augusto se frotte les yeux, émergeant avec difficulté, et bredouille:– Quoi ? Comment ça, où est Gunther ?– Il n’a pas dormi là de la nuit. Je voulais l’attendre, me disant qu’il s’était enfin décidé à aborder Léa, mais je me suis endormi ! À trois heures, toujours pas de Gunther. J’ai alerté Pablo, le surveillant, mais il m’a renvoyé dans ma chambre ! Il m’a hurlé de m’occuper de mes affaires et de partir me coucher, vous vous rendez compte ? J’ai cogité toute la nuit, mais je n’ai eu aucune nouvelle !Les deux compagnons de chambre échangent un regard, atterrés. Immé
Chapitre18Extrait du journal intimede Gabriela:Aujourd’hui, ils m’ont confié ma première mission ! Je n’ai pas le droit d’en parler, donc l’écrire me permet de me délester de toute cette excitation et ce stress ! Je ne sais pas si j’en suis heureuse, frustrée, inquiète... Je ressens peut-être tout cela en même temps.Au départ, j’ai reçu un message: je devais aller chercher un colis dans une cabine d’essayage, située dans un magasin du centre-ville. J’ai enfourché mon vélo et j’ai filé à la boutique. Arrivée sur place, j’ai pris dix minutes pour flâner, entrer dans un commerce de chaussures avant de regagner le lieu cible.Je devais passer inaperçue, et pour cela, je ne pouvais pas pénétrer dans une cabine sans vêtements à essayer ! Je ne me sentais pas trop à l’aise dans ce magasin assez chic. Les personnes présentes venaient de milieux différents du mien, et j’ai tenté de ne pas paraître trop décalée vis à vis de la cl
Chapitre19Gustave se sent seul dans la chambre: un peu plus tôt dans la soirée, Augusto est venu chercher ses affaires, escorté par Stella qui l’a noyé de propos sans consistance: gênée, elle meublait l’espace de ses bavardages.Espèce de faux-cul ! a pensé Gustave, tout en jouant son jeu. Il a tenté de capter le regard d’Augusto qui s’appliquait à éviter de se retrouver face à lui. Il aurait bien voulu annihiler cette distance qui s’était installée entre eux, en insistant pour qu’ils échangent, ou bien en s’approchant de lui pour un vrai face à face, mais une œillade courroucée de Stella lui a fait comprendre qu’il ne valait mieux pas amorcer quoi que ce soit.La porte est maintenant refermée et Gustave se morfond devant cette solitude, qu’il avait espéré ne plus revivre. Il sent une inéluctabilité dans cet isolement forcé, et son estime de soi, déjà basse, vient d’en prendre un sacré coup.Tentant de penser à autre chose, il reprend ses
Chapitre20Isabel est assise devant sa coiffeuse. Elle contemple son reflet dans le miroir ancien tandis qu’elle applique lentement un coton démaquillant sur son visage. Perdue dans ses pensées, elle passe et repasse sur le fond de teint, marquant une démarcation comme dans les pubs des magazines, celles où est spécifié la légende: avec/sans.– Tu ne ferais pas illusion longtemps sans cette couche de peinture !constate-t-elle amèrement. Tu as de plus en plus de rides chaque jour.Elle tire sur sa joue, tend son derme pourtant dès qu’elle le lâche, sa peau reprend la forme flasque tant honnie. Elle tente de se faire à l’idée de sa dégradation physique mais échoue régulièrement à l’accepter.Isabel entend un bruit provenant du sol, sans doute sous le plancher, comme si des rats grouillaient en dessous de sa chambre. Elle frissonne.– Tout fout le campdans ce château !Faudra quand même qu’elle en parle aux hommes d’entreti
Chapitre21Mail de: Sergio LuisÀ: GustaveBonjour Gustave (mais êtes-vous bien Gustave ?),J’ai envie de vous croire, mais j’ai besoin de quelques garanties pour m’en assurer. Je reste vigilant quant aux infos que je reçois. J’ai fait des recherches sur vous, et j’attends les preuves de votre bonne foi: je vous joins un questionnaire sur vos lieux de naissance, parcours de vie, motivations, afin de vérifier la véracité de vos dire et de définir si nous pouvons collaborer. Pourtant, j’ai envie d’y croire... À vous de me convaincre.Cordialement, S. L***Mail de: Gustave DumoulinÀ: Sergio LuisBonjour Monsieur Luis,Je comprends vos réticences et elles me rassurent. Mon appel au secours en était bien un, et je vous renvoie votre questionnaire rempli pour en témoigner. Je ne sais pas si je suis surveillé ou non, mais dans le doute j’ai préféré, comme vou
Chapitre22Gustave est réveillé par le grincement de la porte qui s’entrebâille: cinq heures du matin, qui peut entrer ainsi ? Est-ce Augusto qui revient ?Heinrich qui veut le tabasser ? Le tueur qui vient le chercher ? Déjà, une lampe torche l’aveugle et il se prépare à recevoir bravement l’arrivant quand il aperçoit le visage de Nada.– Chut, Gustave, ne fais pas de bruit !– Que fais-tu là à cette heure ?– Je n’en pouvais plus de rester seule ! je ne peux pas dormir. Je suis… mal.Étonné par cette confidence, Gustave se décale dans son lit pour lui dégager un espace:– Allez, viens !– Hey, ne va pas imaginer des trucs hein !– Mais non, je te fais une place, c’est tout !Les ressorts du sommier grincent et la jeune fille s’adosse sur le montant. Gustave sent son corps frêle et noueux, tendu à l’extrême par la pression toujours présente chez Nada. Elle s’abandonne contre lui et, s’il se dou
Chapitre23Pendant la pause, Gustave reprend le livre qu’il a caché entre les rayonnages de la bibliothèque. Il n’avait pas fini de lire tous les passages qui l’intéressaient, et ne voulait surtout pas que quelqu’un d’autre le trouve et l’interrompe dans sa découverte. Le titre, « les enfants de Franco », l’avait rebuté au départ. Toutefois, la veille, il s’est aperçu qu’il pouvait trouver des réponses dans cet ouvrage.Concentré sur sa recherche, il sursaute en entendant une voix qui lui susurre à l’oreille:– Qu’est-ce que tu caches là derrière ?Nada se tient derrière lui, droite comme un i malgré sa petite taille, en position défensive, comme si elle s’apprêtait à engager un combat de boxe.Gustave la regarde, méfiant:– Ah, j’ai la possibilité de te parler maintenant ? À quoi tu joues Nada ?L’adolescente tourne les talons et fait demi-tour. Gustave peut pratiquement percevoir la fumée sortir de sa tête