Chapitre22Gustave est réveillé par le grincement de la porte qui s’entrebâille: cinq heures du matin, qui peut entrer ainsi ? Est-ce Augusto qui revient ?Heinrich qui veut le tabasser ? Le tueur qui vient le chercher ? Déjà, une lampe torche l’aveugle et il se prépare à recevoir bravement l’arrivant quand il aperçoit le visage de Nada.– Chut, Gustave, ne fais pas de bruit !– Que fais-tu là à cette heure ?– Je n’en pouvais plus de rester seule ! je ne peux pas dormir. Je suis… mal.Étonné par cette confidence, Gustave se décale dans son lit pour lui dégager un espace:– Allez, viens !– Hey, ne va pas imaginer des trucs hein !– Mais non, je te fais une place, c’est tout !Les ressorts du sommier grincent et la jeune fille s’adosse sur le montant. Gustave sent son corps frêle et noueux, tendu à l’extrême par la pression toujours présente chez Nada. Elle s’abandonne contre lui et, s’il se dou
Chapitre23Pendant la pause, Gustave reprend le livre qu’il a caché entre les rayonnages de la bibliothèque. Il n’avait pas fini de lire tous les passages qui l’intéressaient, et ne voulait surtout pas que quelqu’un d’autre le trouve et l’interrompe dans sa découverte. Le titre, « les enfants de Franco », l’avait rebuté au départ. Toutefois, la veille, il s’est aperçu qu’il pouvait trouver des réponses dans cet ouvrage.Concentré sur sa recherche, il sursaute en entendant une voix qui lui susurre à l’oreille:– Qu’est-ce que tu caches là derrière ?Nada se tient derrière lui, droite comme un i malgré sa petite taille, en position défensive, comme si elle s’apprêtait à engager un combat de boxe.Gustave la regarde, méfiant:– Ah, j’ai la possibilité de te parler maintenant ? À quoi tu joues Nada ?L’adolescente tourne les talons et fait demi-tour. Gustave peut pratiquement percevoir la fumée sortir de sa tête
Chapitre24Extrait du journal intime de Gabriela:Je vois souvent Isabel, plusieurs fois par semaine à vrai dire. J’éprouve une certaine admiration pour cette jeune femme à qui tout sourit. Elle a grandi dans des draps de soie et ne sait pas ce que c’est que de travailler à l’usine tous les jours, mais elle ne demande qu’à comprendre ma vie. À me connaître. Je lui ai raconté pas mal de choses, mais je suis embêtée de devoir lui mentir pour mon frère: quand je l’ai rencontrée, je lui ai parlé de son mariage prochain ! Comment lui annoncer maintenant qu’il est décédé ? Je brode, évite les réponses directes à ses questions, et je sens que cette partie-là de mon histoire n’est jamais très crédible...Au départ,nous nous retrouvions après ma journée de travail pour prendre un café ou un maté, puis la boisson sage a cédé la place à des cocktails, car notre temps ensemble se prolonge à l’heure actuelle. De la fin d’après-midi, nous so
Chapitre25Mail de: GustaveÀ: Sergio LuisCher Sergio,J’espère que vous avez pu vous connecter à ce mail, malgré la lourdeur de la procédure. Je me sens plus rassuré de passer par ce biais. Comme je vous l’écrivais précédemment, je suis pensionnaire contre mon gré dans l’institut Perón, où tous les étudiants ont des parents qui sont d’anciens étudiants ou bien sont des sympathisants de ces méthodes. On nous apprend la pratique de la torture physique ou mentale, et les enseignants détournent l’histoire, sous couvert de nous préparer à être des hommes et des femmes de pouvoir. Je pense que ce n’est pas la vraie motivation, mais je n’arrive pas à la trouver, malgré mes recherches.Ce qui m’interpelle aussi, c’est que l’on est plusieurs à ne pas avoir une situation claire sur notre naissance. Un ami n’a pas été déclaré administrativement, moi-même j’ai vérifié auprès de l’état civil et je n’apparais pas dans
Chapitre26À demi allongé sur son lit, Heinrich fait rebondir une balle sur le mur, qu’il attrape alternativement d’une main, puis de l’autre. Il attend le retour d’Augusto, préoccupé. Il marmonne tout haut:– Qu’est-ce que cet enfoiré de Gustave va encore lui balancer ?Heinrich a toujours cette boule de colère au fond de lui et ne sait pas quoi en faire... Pourtant, ce n’est pas son caractère premier, il est un garçon plutôt cool d’habitude. Mais la mort de Gunther, son ami, son cousin, son presque frère, l’a détruit comme une tornade emporte tout sur son passage.Il se plonge dans ses souvenirs: dans le passé, leur grand-mère leur a souvent raconté combien elle était triste de ne voir aucun petit-enfant se profiler à l’horizon, alors que ses deux filles en désiraient tellement ! Margrit, la mèrede Heinrich, avait dû supporter trois fausses couches et un bébé mort-né, tandis que Greta, celle de Gunther, consultait tous les médecins
Chapitre27Le colonel Perez s’avance sur l’estrade: les élèves l’écoutent, s’attendant à une mauvaise nouvelle. Une de plus... Le silence se fait bien avant que le discours ne commence. D’une raideur très militaire, le Colonel se tient derrière son pupitre, et énonce:– Chers pensionnaires, comme vous le savez, notre éducation et nos valeurs vous poussent vers l’excellence. Nous devons à vos parents de vous amener à dépasser vos limites, pour que le meilleur de vous-même soit mis en exergue... Dans peu de temps, votre formation prendra fin et l’épreuve finale devra être à la hauteur de cet objectif ! Pour finir votre séjour en beauté, nous profiterons de notre joli parc et de sa forêt mitoyenne pour une gigantesque course d’orientation... en quelque sorte.Mais ce n’est pas une simple balade en forêt: je vous parle d’une épreuve, L’ÉPREUVE ULTIME ! Nous récompenserons les meilleurs participants selon leurs réussites, avec des dotations à la
Chapitre28Extrait de journal de GabrielaJe me sens de plus en plus en plus proche d’Isabel, et elle fait tout pour gommer les inégalités entre nous. Elle me prête ou me donne des robes que je n’aurais jamais pu me payer, elle m’invite à des tea Time. Dernièrement, nous ne sommes plus seules: deux jeunes Allemands nous rejoignent assez souvent.Je suis contrariée par leur présence, d’une part parce que le dialogue avec mon amie est moins libre, et d’autre part, car je ne peux m’empêcher de me culpabiliser de pactiser avec l’ennemi, surtout en sachant qu’ils sont proches du gouvernement en place. Pourtant, ce sont deux jeunes gens polis, qui ne tentent rien envers nous: ils nous ont raconté facilement ce qui les lie: ils sont amis et sont mariés à deux sœurs qui habitent en Allemagne et vont venir les rejoindre en Argentine d’ici quelques semaines. Je perçois assez rapidement que Sebastian est le meneur, tandis que Klaus semble
Chapitre29Gustave reste planté devant la porte de Nada: il se rend compte qu’il ne connaît rien d’elle, de son quotidien: est-elle seule ou a-t-elle une camarade de chambre ? Il ne le sait même pas ! D’où vient-elle ? A-t-elle des frères et sœurs ? Qu’a-t-elle vécu ? Il devrait s’intéresser un peu à elle, les filles, elles aiment ça !Gustave frappe à la porte. La jeune femme ouvre brusquement, d’un air méfiant, qui cède la place à une expression d’étonnement en le voyant. Gustave ne lui laisse pas le temps de tergiverser:– Il faut qu’on parle !dit-il en franchissant le seuil, décidé.Nada ferme la porte et s’appuie contre le chambranle, les bras croisés sur la poitrine, en mode défensif. La chambre est sens dessus dessous; le sol et les meubles sont recouverts d’habits, de livres, de nourriture. Et même de choses indéfinissables !Gustave cherche une chaise, en repère une où un tas de vêtements s’amoncelle et, no