Léo
Les sirènes hurlent. Les gyrophares peignent la nuit de flashes rouges et bleus. Le froid s’infiltre sous ma peau, mordant, implacable. Je suis à genoux, les poignets menottés dans mon dos, mon souffle court. L’asphalte sous moi est tâché de sang. Pas le mien. Celui de l’homme étendu à quelques mètres, la poitrine perforée de deux balles. Mort.
Je fixe son corps sans ciller, sans trembler. Autour de moi, les flics s’agitent, parlent dans leurs radios. « Suspect neutralisé », « Scène sécurisée », « Procédure standard ». Des mots vides. Des mots qui scellent mon destin.
— Léo Morgan, vous êtes en état d’arrestation pour complicité de meurtre et trafic de stupéfiants.
La voix résonne au-dessus de moi. Je relève la tête et croise le regard du lieutenant en charge. Morel, un type raide, avec la certitude du juste ancrée au fond des yeux. Il me toise, persuadé d’avoir bouclé une belle affaire. J’ai envie de rire. Ils n’ont rien compris.
J’ouvre la bouche pour parler, mais ma lèvre éclatée proteste. Un goût de fer envahit ma langue. J’ai encaissé quelques coups avant qu’ils me passent les menottes. Un bon vieux comité d’accueil, histoire de me faire comprendre que cette nuit, je suis déjà coupable.
— Vous avez le droit de garder le silence…
Le silence. C’est tout ce qu’il me reste. Je pourrais hurler que c’est un coup monté, que ce cadavre n’a rien à voir avec moi, que tout pue l’arnaque. Mais à quoi bon ? Dans ce monde, la vérité importe peu. Seules comptent les preuves, et celles qu’ils ont suffisent à m’envoyer croupir en taule pour un long, très long moment.
Les portes du fourgon claquent. L’intérieur pue la sueur et la peur. Je cale ma tête contre la tôle froide, les yeux mi-clos. Le moteur démarre, et je sais, au fond de mes tripes, que ma vie vient de basculer.
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Trois mois plus tard – Tribunal de Paris
La salle est bondée. Journalistes, familles, curieux. Mon nom est sur toutes les lèvres. Léo Morgan, ancien garde du corps accusé d’avoir facilité un meurtre commandité par un cartel. Un joli titre pour les journaux. La réalité ? Une mascarade.
Je fixe la juge, une femme au regard impassible, qui énumère les charges retenues contre moi. Mon avocat plaide l’erreur judiciaire, le manque de preuves directes. Mais face aux images de caméras de surveillance – moi, en train de serrer la main d’un homme lié au crime –, face aux transactions bancaires suspectes sur mon compte, face aux témoins à charge, je sais déjà l’issue.
— Monsieur Morgan, le tribunal vous condamne à vingt-cinq ans de réclusion criminelle.
Le marteau s’abat. Un coup sec, final. Dans la salle, certains soupirent, d’autres jubilent. Moi, je reste de marbre.
Vingt-cinq ans.
Pour un crime que je n’ai pas commis.
Je ferme les yeux. La voix du juge continue, assénant mon sort d’un ton bureaucratique.
— Au vu des circonstances particulières de votre cas, et pour des raisons de sécurité, l’administration pénitentiaire a décidé de vous affecter à un établissement unique. Vous serez transféré à la prison de Saint-Laurent, un centre de détention pour femmes.
Un frisson parcourt l’assemblée. Même mon avocat cille. Moi, je serre les dents.
Une prison pour femmes.
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Prison de Saint-Laurent – Premier Jour
Les murs sont hauts, gris, étouffants. Le portail principal s’ouvre dans un grincement de métal. On me pousse à l’intérieur. Une rangée de gardiennes m’attend. Certaines me regardent avec méfiance, d’autres avec curiosité. Moi, je reste droit. J’ai appris une chose dans ce métier : la peur attire les vautours.
— Alors, c’est lui ? demande une voix.
Je tourne la tête. Une femme s’avance, uniforme impeccable, regard dur. Commandante Lévesque. La cheffe de ce trou.
— Un homme dans mon établissement. On aura tout vu.
Elle fait signe à une gardienne, qui ouvre la porte d’un couloir.
— Suis-moi, Morgan.
Les cellules défilent de chaque côté. Des murmures montent. Certaines détenues se pressent contre les barreaux pour me voir.
— Regardez-moi ça…
— Qu’est-ce qu’un mec fout ici ?
— Tu crois qu’il va tenir longtemps ?
Je ne bronche pas. Derrière moi, la commandante ricane doucement.
— Tu vas être un divertissement intéressant, Morgan. Bienvenue en enfer.
Les portes
se referment derrière moi.
L’enfer, hein ?
Ils n’ont encore rien vu.
LéoLa porte de ma cellule claque derrière moi, un bruit métallique qui résonne longtemps dans l’étroite pièce. Mur gris, lit en ferraille, matelas trop mince. Une table fixée au mur, une petite fenêtre avec des barreaux. L’air sent la lessive bon marché et le renfermé.Je reste debout, balayant les lieux du regard. Une seule couche. J’ai cette cellule pour moi, au moins pour le moment. Un luxe.Je m’assois sur le matelas et passe une main dans mes cheveux. L’adrénaline du transfert s’estompe, laissant place à une tension sourde. Une prison pour femmes. Je savais que mon dossier était sensible, mais ça…— Faut croire que j’ai un don pour les situations de merde.Un ricanement attire mon attention. Je tourne la tête vers la porte. À travers la grille, deux paires d’yeux m’observent. Deux détenues, appuyées contre le mur, bras croisés.— Le petit prince parle tout seul ? lâche l’une d’elles, une brune aux traits durs, cigarette coincée entre ses doigts.— Il a peut-être peur du noir, aj
LéoLe soleil perce à peine à travers les barreaux de ma cellule. Je suis réveillé depuis longtemps, assis sur le bord du lit, en train de repasser les événements de la veille dans ma tête. Deux filles ont essayé de me tester. Cigarette et Rasée.Elles ont compris. Je ne suis pas une proie facile.Mais ça ne veut pas dire que les emmerdes sont terminées. Au contraire. Quand tu survis à une première attaque en taule, deux choses peuvent arriver : soit on te respecte, soit on t'attend au tournant.La grille s’ouvre brusquement.— Morgan, réfectoire.Une gardienne, l’air blasé.Je me lève et la suis dans les couloirs. L’atmosphère est différente ce matin. Des regards échangés, des murmures. Je le sens. Quelque chose se prépare.---Le Réfectoire – Nouveau Terrain de JeuDès que je franchis la porte du réfectoire, je sais que je suis attendu.Mira est installée à sa table habituelle, sa « meute » autour d’elle. Son regard croise le mien. Elle n’a pas oublié notre échange d’hier.J’avance,
LéoLéa tremble contre moi. Je la soutiens d’un bras alors qu’on avance lentement dans le couloir désert. Ses pas sont hésitants, son souffle court. Chaque gémissement qu’elle lâche me fait serrer les dents.La violence, je connais. Je l’ai vue. J’y ai goûté. Mais ce que je vois sur elle… ça me fout en rage.— Elles t’ont fait quoi exactement ?Elle hésite, baisse les yeux.— Elles voulaient… t’atteindre. Elles savent que tu veux te faire une place ici. Alors elles ont voulu t’envoyer un message.Je me fige.— Elles t’ont frappée juste pour me faire comprendre que je suis une cible ?Elle hoche la tête, et sa mâchoire se contracte.Samira.Son nom tourne en boucle dans ma tête. Je n’ai jamais eu l’intention de rester passif dans cette prison, mais maintenant, c’est personnel.On atteint enfin l’infirmerie. Je frappe. Personne ne répond. Évidemment.Je pousse la porte. Le bureau est vide, mais l’odeur de désinfectant flotte dans l’air. J’aide Léa à s’asseoir sur une des chaises en plas
LéoLe silence après un combat est toujours plus pesant que le choc des coups. Je sens encore l’adrénaline vibrer sous ma peau, mes muscles tendus, mes poings serrés. Rasée est au sol, son souffle court, la tête légèrement tournée. Elle ne se relève pas.Les murmures reprennent. Mira sourit, amusée. Elle aime le spectacle.Samira, elle, a cessé de sourire. Son regard est froid, calculateur. Elle comprend qu’elle a sous-estimé le "nouveau".— Bien joué, Morgan.La voix de Mira claque dans l’air. Je lève la tête vers elle.— T’as tenu bon.Elle se tourne vers Samira, son sourire toujours vissé aux lèvres.— T’en penses quoi ?Samira descend lentement du muret où elle était perchée. Son regard glisse sur moi, de haut en bas, comme si elle évaluait ma valeur.— Je pense que c’est pas fini.Elle s’approche. Les autres se taisent.— Tu t’es fait une place, Morgan. Mais ici, une place, ça se défend tous les jours.Elle passe près de moi, s’arrête un instant.— On se reverra bientôt.Puis ell
LéoL’enveloppe pèse plus lourd que le papier à l’intérieur. Un seul mot. Patience. Comme si c’était possible ici.Je la cache sous mon matelas avant de sortir de ma cellule. Rien ne doit trahir que j’ai reçu quelque chose.Le couloir est bruyant ce matin. Les filles bougent, discutent, échangent des cigarettes volées et des regards en coin. L’atmosphère est différente. Tendue.Quelque chose se prépare.Je le sens.Et je sais que ça me concerne.---Un Déjeuner sous SurveillanceJe m’assois à une table, le plateau en plastique devant moi. L’odeur de purée trop salée et de viande douteuse flotte dans l’air. Léa est en face de moi, silencieuse.Je le vois dans son regard : elle est inquiète.Je ne suis pas encore habitué à ce genre de regard sur moi. L’inquiétude, ça ne m’a jamais suivi. D’habitude, on me regarde avec mépris, indifférence ou crainte.— Ils disent que Samira prépare un truc.Elle parle bas, à peine un murmure entre deux bouchées de pain rassis.Je hoche la tête.— Je m’e
LéoJe suis encore assis dans la salle des parloirs, le combiné toujours entre mes doigts, alors qu’Eva s’éloigne. Elle a trouvé quelque chose.Un trou dans mon dossier. Une faille.Une porte de sortie.Les battements de mon cœur cognent contre mes côtes. Trop tôt pour espérer, trop tard pour l’ignorer.Le gardien frappe du pied contre le sol.— Allez, Morgan, c’est fini.Je repose lentement le téléphone. Retour à la cellule. Retour en enfer.Mais cette fois… quelque chose a changé.---Retour au BlocQuand je rentre dans la cour, tout le monde sent que je suis différent.Je ne sais pas si c’est la lueur dans mon regard, la tension dans mes épaules, mais les regards s’accrochent à moi avec plus d’intensité.Léa m’attend près du mur.— Alors ?— Alors quoi ?Elle fronce les sourcils.— Ta visite.Je la fixe. Je n’ai pas envie de parler. Pas ici. Pas entouré de ces murs qui écoutent tout.— Rien d’important.Elle me scrute, cherchant le mensonge.— Tu mens.Je ne réponds pas.Mais je se
LéoL’air dans le parloir est plus lourd que d’habitude.Je fixe Eva.Elle attend, patiente. Son regard ne vacille pas. Elle sait que je suis sur le point de prendre une décision irréversible.— Un plan ?Ma voix est rauque.Elle hoche la tête.— Vasquez a fait disparaître des preuves. Mais on peut le coincer. J’ai trouvé un enregistrement.Elle sort une clé USB de sa poche et la fait tourner entre ses doigts.— Un appel intercepté. Il parle de toi. Il dit qu’il fallait un coupable, et que tu étais l’option parfaite.Un frisson me traverse.Je n’ai jamais cru aux coïncidences.— Pourquoi maintenant ?— Parce que je viens de me rendre compte que je suis en train de perdre la partie.Ses doigts se crispent sur la clé USB.— Je croyais qu’il suffisait de prouver que tu n’étais pas coupable. Mais Vasquez ne joue pas avec la loi. Il joue avec les règles qu’il écrit lui-même.Mon estomac se serre.— Tu veux dire qu’il sait que tu cherches ?Elle ne répond pas tout de suite.Puis elle murmur
LéoLe silence dans la salle d’entretien pèse comme une menace.Je fixe la carte de visite."Soit tu restes en cage, soit tu meurs en essayant de sortir."Le message est clair. Erik Vasquez m’offre une alternative simple : la soumission ou la mort.Je serre la mâchoire.— Et si je refuse les deux options ?Personne pour me répondre.L’homme en costume a disparu, mais sa présence continue de flotter dans l’air comme une odeur de soufre.Je glisse la carte dans ma poche. Puis je me lève.Quand la gardienne revient me chercher, elle remarque mon expression.— Des mauvaises nouvelles ?Je la fixe.— Non. Juste un rappel de la réalité.Elle hoche la tête, indifférente, et m’escorte vers ma cellule.Mais dans mon esprit, les engrenages commencent à tourner.---Le Poids du ChoixDe retour dans le bloc, Léa m’attend.Elle se lève immédiatement quand elle me voit entrer.— C’était qui ?Je m’assois sur mon lit avec un grognement. Mes côtes me lancent encore.— Un messager.— Un messager de qu
ÉvaIl y a des moments où le monde semble ralentir, où chaque seconde devient un reflet d’un autre temps, d’une autre vie. Pourtant, ici et maintenant, dans cette pièce baignée par la lumière dorée de l’après-midi, tout se passe à une vitesse fulgurante. Les bruits de la rue s’estompent derrière les fenêtres, la vie continue à l’extérieur, mais ici, dans notre monde à nous, chaque mouvement, chaque pensée est calculée, précise. L’adrénaline de nos vies passées semble se dissiper, mais l’intensité, elle, demeure. Cette intensité silencieuse, palpable, qui flotte entre nous, une force qui nous pousse à avancer, encore et encore. Nous avons survécu à la tempête, à la rage des éléments, à la douleur. Mais ce n’est pas la fin. Non, c’est le début d’autre chose. D’une ère nouvelle.À mes côtés, Léo, toujours aussi calme et concentré, semble avoir trouvé sa place dans ce monde que j’ai reconstruit. Un monde que j’ai voulu solide, implacable, mais aussi, d’une certaine manière, plus doux. Il
ÉvaLes heures se sont glissées dans le silence, dissimulées dans l’ombre de ce que nous avons traversé. Le passé semble si lointain maintenant, presque irréel, et je m’étonne de voir à quel point il peut se dissiper lorsqu’on laisse place à l’instant présent. La ville autour de nous est silencieuse, comme si elle retenait son souffle, comme si elle savait que ce que nous vivons ici est plus grand que tout. Le vent léger de l’aube entre par la fenêtre, caressant ma peau. L’air est frais et pur, mais dans mon cœur, il n’y a plus que la chaleur de ce qui nous lie. Le monde tout entier semble avoir disparu, et il ne reste que lui et moi, dans cet espace intime, où le temps n’a plus d’emprise.Léo est là, adossé contre le mur, ses yeux rivés sur moi. La lumière douce de l’aube se joue de ses traits, éclairant chaque détail de son visage, chaque nuance de son expression. Dans ses yeux, il y a une calme certitude, comme s’il savait que tout ce qui comptait à cet instant n’était pas tout ce
ÉvaLes lumières de la ville brillent au loin, comme des étoiles égarées.Le vent de la nuit fait frissonner les rideaux.Il est tard, trop tard.Mais il n’y a plus de retour possible.Je regarde Léo, assis près de la fenêtre, les yeux perdus dans l’obscurité.Il est là, près de moi, mais tout semble si lointain.Nous avons traversé un océan de sang et de mensonges, et maintenant, l’eau est calme, trop calme.Un silence lourd comme un secret non dit.Tout est terminé, et pourtant, il reste quelque chose, un écho, un murmure d’un autre temps, une promesse que nous avons échangée.Je m’approche de lui, pose une main sur son épaule.Il sursaute à peine, mais je vois la guerre dans ses yeux.La guerre qui ne cesse jamais vraiment.Même quand les coups sont partis, même quand tout est fini.Éva – doucement« Léo, est-ce que tu penses qu’on peut réellement repartir de zéro ?Ou est-ce que tout ce qu’on a fait n’a été qu’un chemin vers un nouveau commencement ? »Il tourne son regard vers mo
LéoLa nuit est tombée en silence, comme une promesse de calme avant l’explosion.Dans le vieux bureau, les papiers sont éparpillés partout.Les dossiers sont maintenant prêts, les preuves rassemblées.L’odeur de l’encre, du vieux papier, et de l’adrénaline flotte dans l’air, imprégnant chaque recoin du lieu comme une alerte avant le départ.Éva n’a pas dit un mot depuis que nous avons commencé à rassembler les morceaux de l’empire.Mais je vois la tension dans ses gestes.Ses doigts effleurent parfois un document, puis se figent.Elle ne me le dit pas, mais je sais.Elle a la même peur que moi : que tout cela n’ait été qu’un rêve.Je m’arrête un instant, le regard plongé dans l’écran de l’ordinateur.Les premières informations sensibles sont en train d’être envoyées à l’adresse codée.Bientôt, le monde saura.Et à cet instant, tout ce que nous avons, tout ce que nous avons bâti – ou détruit – sera exposé à la lumière.Éva – voix calme mais sûre« Qu’est-ce qui nous attend, Léo ?Tu s
ÉvaIl y a quelque chose d’intime, de précieux, dans ce silence entre nous.Pas celui de l’évitement.Non.Un silence qui apaise, qui dit que l’on peut exister l’un à côté de l’autre sans crainte.Quand il se retourne enfin, il s’approche, prend une miette sur ma lèvre avec le pouce.Geste simple. Presque dérisoire.Mais je sens le poids des choses non dites dans son regard.Léo – bas, presque honteux« J’ai peur, tu sais. »Je ne bouge pas.Je ne réponds pas tout de suite.Je laisse son aveu suspendu dans l’air, comme une note fragile qui ne demande qu’à vibrer plus fort.Éva – doucement« Moi aussi. »Nos regards se croisent.Il y a de la peur, oui. Mais aussi une détermination nouvelle.On a déjà trop perdu.On a déjà trop brûlé.Alors maintenant, il ne reste que ce choix : avancer, ensemble.---LéoJe m’assieds en face d’elle, mes coudes sur la table, les mains jointes.Elle me regarde toujours.Pas avec pitié.Pas avec crainte.Mais avec cette lucidité brûlante qui m’a toujours
ÉvaLe soleil n’a pas encore franchi l’horizon.Pourtant, une clarté douce et chaude baigne déjà la chambre.Non celle du jour, mais la sienne.Sa chaleur, son souffle régulier dans mon cou, sa main qui repose encore sur ma hanche.Il dort.Et pour la première fois depuis si longtemps, son visage s’est détendu.Ses traits d’ordinaire tendus par la douleur ou l’inquiétude sont apaisés, presque juvéniles.Je me retourne lentement, veillant à ne pas rompre cette quiétude fragile.Je le contemple.Léo.Mon tumulte. Mon refuge.Ses cils frémissent, effleurent sa joue.Un soupir glisse de ses lèvres. Peut-être rêve-t-il.Peut-être de nous. Peut-être de rien.Je tends la main, effleure sa joue du bout des doigts.Il ouvre les yeux. Ils sont encore lourds de sommeil, mais leur éclat me frappe comme une évidence.Léo – voix rauque, veloutée par la nuit« Tu es encore là. »Je hoche la tête.Je ne réponds pas.Ce silence contient plus d’engagement que n’importe quelle promesse formulée à voix h
LéoJe croyais que j’aurais plus de temps.Mais à peine deux jours se sont écoulés que déjà, les ombres de mon monde remontent à la surface.Le téléphone vibre. Trois fois. Toujours le même numéro.Celui de mon père.Je n’ai pas décroché.Pas encore.Mais je sens que ça approche. Que le moment vient.Éva est dans la pièce d’à côté.Elle trie des papiers, fait semblant de ranger.Depuis qu’on s’est retrouvés, tout est fragile.Chaque mot pèse. Chaque geste est une promesse silencieuse qu’on n’ose pas encore prononcer à voix haute.Et pourtant, elle est là.Présente.Belle dans ses silences.Je m’approche. Je pose ma main sur sa nuque.Léo – bas« Je dois lui parler. »Elle ne se retourne pas.Éva – calme« Je sais. »---ÉvaJe le sens reculer.Même quand il s’avance vers moi.Il pense que je vais le retenir.Mais ce n’est pas ce qu’il me faut.Je ne veux pas d’un homme qui fuit.Je veux quelqu’un qui reste debout. Même quand tout vacille.Alors je me tourne.Je l’embrasse doucement su
LéoLe train file à travers la campagne.Le paysage défile si vite que j’en ai mal à la tête.Mais je ne détourne pas les yeux.J’ai quitté le manoir cette nuit.Pas un mot. Pas un bruit.Je n’ai pris que l’essentiel : la lettre de ma mère, les documents, et la bague qu’Éva a oubliée sur ma table de chevet un matin où elle était pressée.Elle croyait que je ne l’avais pas vue.Mais je l’ai gardée.Parce qu’elle sentait encore sa peau.Je ne sais pas ce qui m’attend.Mais je sais ce que je laisse derrière.Et je n’ai aucun regret.J’ai tout dit au journaliste.Tout.Les noms. Les comptes. Les morts qu’on a voulu faire taire.Il a promis de publier. De tout dévoiler.Moi, je n’ai rien demandé.Pas de reconnaissance. Pas de pardon.Seulement… que ça s’arrête.Que le silence cesse de couvrir les hurlements.Je pense à elle.À Éva.À la façon dont elle me regardait quand je pensais ne plus rien valoir.À sa patience. Sa colère. Son absence de jugement.Je me suis brûlé à son amour.Mais c’
ÉvaDeux jours.Quarante-huit heures à regarder les aiguilles tourner, à guetter les messages qui ne viennent pas, à remplir les silences avec des souvenirs qui font plus mal qu’ils ne réconfortent.Je fais semblant d’avoir une vie. Je vais au travail, je ris aux blagues de collègues dont je n’entends pas les mots, je rentre chez moi comme si c’était normal.Mais je ne suis plus là. Je suis ailleurs.Là où il est.Ou là où il n’est plus.Le café n’a plus de goût.La musique m’agace.Je n’écoute que les battements irréguliers de mon propre cœur, comme s’il me rappelait chaque minute que Léo me manque. Que tout en moi le réclame.Je dors mal. Les nuits sont pleines de rêves troués.Je me réveille en sursaut, persuadée de l’avoir entendu frapper à la porte.Mais il n’y a que le vent. Et le vide.Le mot qu’il a laissé… je l’ai relu cent fois.Je le garde plié dans mon livre préféré, au creux d’un chapitre sur les départs.Ça me semble ironique. Cruel, même.Et puis ce matin, la lettre.Gl