Share

1

Author: Frédéric Zumbiehl
last update Last Updated: 2024-10-29 19:42:56
1

Et c’est comme ça que je me suis retrouvé à survoler l’Afghanistan.

Vous connaissez la différence entre une zone bombardée par des B-52 et la Lune ? Y’en a pas : c’est un no man’s land dévasté, farci de cratères à perte de vue. Remarquez, quand j’étais gamin, je rêvais de devenir astronaute. Finalement, c’était peut-être l’occasion ou jamais de concrétiser mon rêve de moutard : « Allo Houston ? Ici le commandant Charlie Blues qui vous parle en direct de la navette Endeavour, je débute l’approche finale sur Valles Marineris. »

Blang !

Bon sang, c’était quoi, ça ? Sûrement pas une météorite, plutôt un impact de balle. Pour confirmer mon idée, un splendide trou d’un diamètre de 7,62 millimètres perçait le plancher de la carlingue juste à côté de mon siège, adressant un clin d’œil à son jumeau dans le plafond. Décidément, ça commençait à faire beaucoup de jumeaux pour la semaine, vivement les vacances ! Encore un de ces Moudjahidines qui se prend pour Kid Carson.

Il faut dire que je volais plutôt bas, genre dix, quinze mètres d’altitude.

Les mauvaises langues diront que moins on est haut, moins on se fait mal quand on tombe.

Certes.

Dans mon cas, la vérité est ailleurs. Je vole bas parce que j’aime la vitesse. Vous pouvez faire du Mach 2 à dix mille mètres d’altitude, si y’a pas un p’tit nuage, pour vous donner une référence, vous pourriez aussi bien vous balader à cinquante kilomètres-heure, ça serait du pareil au même. Par contre, faire du trois cents kilomètres-heure à dix mètres du sol, là, ça envoie !

Et de nos jours, avec la réglementation toujours plus stricte, les radars et tous ces fonctionnaires – à képi ou calot ou casquette – plus rapides à sortir leur carnet à PV que Lucky Luke son six-coups, y’a plus des masses d’endroits en Europe où on peut se lâcher un peu, alors, j’en profitais un max.

Le problème auquel je n’avais pas pensé, c’est qu’en Afghanistan, s’il n’y a pas de képi à cheval sur la réglementation, il y a des turbans à cheval sur des chevaux, voire des mobs, et qui ne dégainent pas des PV, mais des Kalachnikovs.

Au lieu de faire des trous dans le compte en banque, ça les fait directos dans la carlingue. Une autre manière de voir les choses, à l’orientale quoi !

Du coup, je remontai un peu.

De toute façon, il était temps de reprendre de l’altitude. J’approchais d’Herat et ce n’était pas la peine que le contrôleur de service me prenne pour un contrebandier iranien. Les emmerdes viennent bien assez vite toutes seules, pas besoin de les chercher non plus.

Après quelques échanges radio dans un anglais aéronautique plus qu’approximatif, je posai la Bête sur la piste poussiéreuse et roulai tranquillement vers la rangée de vieux hangars décrépis qui se prenaient pour un aéroport.

Je coupai les moteurs, m’extirpai de mon siège et, après avoir bataillé quelques secondes avec la poignée récalcitrante de la porte extérieure, j’émergeai dans la chaleur étouffante d’une fin de journée désertique. Les rayons obliques me cueillirent en pleine face avec la puissance de l’uppercut d’un Tyson solaire et je m’empressai d’ajuster mes lunettes, ce qui me permit de voir où je posais les pieds et donc de ne pas m’étaler en descendant les quelques marches de l’escalier de bord ; ce qui est, vous en conviendrez, plus confortable que de terminer la gueule dans la poussière.

« Welcome to Herat », disait la pancarte rouillée, accrochée sur l’échafaudage qui servait de tour de contrôle.

Bienvenue dans le trou du cul du monde ! Impression confirmée par l’intense activité du terrain : à part des aigles jouant avec les ascendances et mes bottes foulant la poussière ocre, rien ne bougeait depuis le bout de mon nez jusqu’à l’horizon cerné de montagnes arides, sur 360 degrés.

Déprimant.

Les rayons solaires déclinants dardant sur ma belle peau cuivrée, leur puissance encore redoutable, je décidai d’aller me mettre à l’ombre sous le baraquement de tôles disjointes qui faisait office d’aérogare. J’adoptai pour ce faire la démarche chaloupée des vieux baroudeurs du ciel qui ont passé plus de temps le cul vissé à leur siège dans le cockpit qu’à l’air libre. Ce n’est pas que le public était nombreux – il n’y avait personne – mais qu’est-ce que vous voulez, on ne se refait pas. Je tirai une chaise métallique branlante, pivotai de cent quatre-vingts degrés et m’assis dessus à califourchon, le regard tourné vers la Bête qui trônait fièrement sur son train d’atterrissage, à moins de cinquante mètres de là.

Ah ! la Bête ! Il faut que je vous en parle. Savez-vous qu’un avion définit son pilote aussi sûrement qu’un chien son maître ?

Eh bien, figurez-vous que j’aime me définir comme un artisan esthète de l’air qui aime les belles et mythiques machines. Je possède trois avions. Je vous décrirai les deux autres en temps et en heure. Pour l’instant, je vais me contenter de vous parler de celui dont j’admirais les courbes gracieuses d’aluminium poli que la lumière mordorée parait de mille éclats, tel du métal en fusion : un vénérable DC 3 datant de la seconde guerre mondiale qui avait eu la tâche, ô combien dangereuse, de larguer des parachutistes en Normandie durant cette fameuse nuit du 6 juin 1944. Détail amusant : c’était mon grand-père, Papy Blues, qui avait eu l’insigne honneur de le piloter durant cette nuit historique.

Les connaisseurs apprécieront. Pour les autres, sachez que cet appareil est un bimoteur de vingt-neuf mètres d’envergure, animé par deux Pratt & Whitney en étoile de mille deux cents chevaux, un bijou de mécanique aérienne qui a fière allure, fleurant bon l’aventure, les destinations lointaines et exotiques car il a équipé la majeure partie des compagnies aériennes d’après-guerre.

Donc, la Bête explosait de mille feux sous les rayons ardents du soleil couchant lorsqu’un bruit incongru déchira le silence monastique de cette plaine désertique – une sorte de « chumb ! chumb ! chumb ! » grave et répétitif qui me fit aussitôt penser au bruit caractéristique d’un hélicoptère puissant.

« Bingo ! »

Un point grossissait rapidement à l’horizon, soulevant un nuage poudré sur son passage, telle une mini tornade pilotée par un mauvais génie des sables. L’hélicoptère se posa juste à côté du DC 3, noyant tout, sous des volutes enragées de poussière ocre. C’était un MI 24 Hind, un lourd hélico de combat russe, le genre de truc croisé avec un char d’assaut qui vous balance un déluge d’acier en fusion dans les gencives au premier mouvement suspect. Je décidai donc de ne faire aucun geste brusque.

Lorsque les turbines furent coupées, un homme en costard-cravate sauta prestement au sol et se dirigea vers moi d’un pas décidé, un attaché-case à la main. Le mec se planta devant moi.

– Mister Blues, I presume ?

Le gars présumant bien, je me hâtai d’opiner du chef, d’autant plus qu’il était baraqué comme un avant-centre de football américain et qu’il n’avait pas l’air commode.

– You’ve got the money ? éructa-t-il with a big Russian accent, mafia russe oblige. Enfin, c’est ce que j’imaginai. On verra plus tard que j’avais vachement raison, malheureusement.

Je lui tendis une enveloppe de laquelle il extirpa une liasse de billets de cinq cents dollars qu’il compta sans se presser. Apparemment satisfait, il me tendit la mallette et repartit aussi sec vers son ventilateur, lequel décolla en brassant toujours autant de poussière. Du coup, mon DC 3 brillait un peu moins ; du boulot en perspective pour la femme de ménage, d’autant plus que je me rappelai subitement avoir laissé la porte extérieure ouverte.

En quelques minutes, je me retrouvai à nouveau assailli par le silence et c’est à ce moment là, je crois bien, que je pris toute la mesure de la situation : je venais de traiter avec la mafia russe, putain ! Les « Biznessmen », comme ils s’appellent eux-mêmes. Mâchoires carrées, carrures, heu… vachement carrées aussi, costards et gros flingues, genre Kalachnikovs, lance-roquettes et hélicos de combat. En gros, des mecs pas fins, dotés de moyens militaires sans limites et organisés comme l’armée russe : lourds, un peu lents, mais diablement efficaces.

J’eus un peu de mal à respirer, tout à coup.

Je vous entends d’ici : qu’est-ce que c’est que ce mec qui participe à des trafics louches et qui vient ensuite se plaindre ? Je vous rétorquerai qu’on n’a pas toujours le choix. Ou plutôt, on a toujours le choix, jusqu’au moment où on ne l’a plus. Et là, il faut bien prendre une décision.

Bon, d’accord, je suis champion du monde toute catégorie de la mauvaise décision, prise, bien sûr, au plus mauvais moment.

Et alors ! C’est quand même mieux que de ne pas en prendre du tout, non ? Ou bien de laisser à d’autres le choix de les prendre pour vous.

Mais quelle fut donc la raison intrinsèquement fondamentale de ce mauvais choix, me direz-vous ? Le goût de l’aventure ? Si je dis non, vais-je vous décevoir ?

C’est vrai que j’ai un avion d’aventurier, un look d’aventurier, mais aussi un compte en banque d’aventurier, donc proche de zéro. Voilà, on approche de la raison fondamentalement intrinsèque de mon choix : l’argent.

Quelle trivialité ! C’est triste, hein ! Mais c’est comme ça.

Et vous devinez que la venue dans mon bureau d’Adolf et de ses clones aryens n’a rien d’étranger à tout ça. Bonne déduction.

En fait, Adolf s’appelle Kurt « Killer » Kuster, il n’est pas du tout russe, comme son accent le laissait supposer, mais américain, colonel de réserve et grand maître du Ku Klux Klan. Oui, vous avez bien lu : le Ku Klux Klan, vous savez, ce club de dingues cagoulés hautement pointus qui faisaient brûler des croix et terrorisaient, voire assassinaient, des gens de couleur aux États-Unis. Vous croyiez qu’ils n’existaient plus ? Moi aussi. Grave erreur !

Si j’étais là, assis le cul sur cette chaise rouillée à me lamenter sur mon triste sort, c’était parce que j’avais signé un contrat avec leur grand chef en personne, le colonel KKK.

Mon boulot consistait à échanger du matériel informatique contre des dollars, chose plutôt banale en soi, si ce n’est que cela ne se passait pas dans un magasin d’informatique du huitième à Paris, mais sur un terrain poussiéreux du fin fond de l’Afghanistan, avec la mafia russe en guise de vendeur.

Je sais, c’était louche.

Je sais, j’aurais dû me méfier.

Je sais, j’aurais dû prévoir que ça allait dégénérer grave.

Mais que voulez-vous, si on savait tout par avance, y’a des jours, on ne se lèverait même pas.

Après avoir récupéré la mallette, je devais la transporter jusqu’en Turquie, ou Triple K devait me remettre la deuxième moitié de ma paie. C’était, comme il me l’avait dit au téléphone après que je l’eus rappelé, un petit galop d’essai, une première commande pour voir si tout se passait bien ; autrement dit, s’il pouvait m’accorder sa confiance.

Et moi, est-ce que je pouvais lui accorder ma confiance ? Tous mes sens me hurlaient que non et ils avaient raison, les bougres, je ne tarderais pas à m’en apercevoir. Néanmoins, la paie était bien grasse et c’est exactement ce dont j’avais besoin pour le moment : une bonne liasse de biftons bien épaisse.

La perspective de passer la nuit dans cet endroit désolé ne m’enchantant guère, je décidai de repartir illico presto. Il me fallait du carburant et, contrainte administrative oblige, même en Afghanistan, déposer un plan de vol pour le retour vers Istanbul, histoire de ne pas me retrouver serré par des F-16 agressifs de l’armée de l’air turque lors du passage de la frontière.

Je montai donc voir le contrôleur dans son nid d’aigle pompeusement appelé « tour de contrôle », par une échelle branlante qui tenait par miracle le long de ladite tour et dont la simple vue faisait naître dans mon esprit l’image d’une chute vertigineuse, cause immanquable de fractures multiples et douloureuses.

C’est aussi ça l’aventure ; enfin, plutôt la mésaventure !

Une heure plus tard, après avoir réussi à convaincre le contrôleur d’appeler le chauffeur du camion citerne – qui est aussi son beau-frère d’où cette réticence à l’arracher à son dîner familial dont il m’argumenta que sa sœur lui en rabâcherait les oreilles pendant des lustres, peut-être même des générations jusqu’à ses arrière-arrière-arrière-petits-enfants –, j’étais prêt à repartir.

Le ciel, à l’ouest, se teintait de couleurs rougeoyantes du plus bel effet. La limpidité presque cristalline de l’éther promettait une magnifique nuit étoilée, comme seul le désert sait en offrir. Un beau vol de nuit en perspective.

Je démarrai les vingt-huit cylindres de la Bête et décollai dans un nuage de poussière vers des cieux plus civilisés.

Le retour fut un enchantement.

Ah ! Le vol de nuit ! Ça, c’est un truc qu’il faut avoir fait au moins une fois dans sa vie. C’est une expérience unique, envoûtante, presque mystique. Imaginez-vous flottant entre deux océans de milliards d’étoiles étincelantes comme des diamants : en haut, les vraies ; en bas, les villes qui brillent comme des amas de lucioles féeriques.

Sauf qu’au milieu du désert, il n’y a pas de ville ; mais l’éclat des vraies étoiles n’en est que plus rehaussé.

J’avais pris un peu d’altitude afin de quitter les couches plus denses de l’atmosphère, là où se concentrent poussières et pollution. J’évoluais dans un air cristallin, pur et froid, bercé par la faible lumière rouge des instruments de bord et le doux ronronnement des moteurs.

Instants magiques qui éclaircissent l’esprit et élèvent l’âme, à tel point qu’il faut parfois se pincer pour savoir si on ne rêve pas. C’est bien mieux que toutes les drogues et il n’y a pas d’effets secondaires. Finalement, au prix du kilo de ces merdes, l’avion, c’n’est pas si cher, c’est même du concentré de bonheur qui laisse le sentiment radieux d’avoir fait quelque chose de formidable, d’avoir vécu une expérience unique entre ciel et terre, un peu plus près des étoiles que le commun des mortels. Et sans séquelles.

C’est dans cet état second de totale béatitude que je me posai à Istanbul International Airport au petit matin. Crevé, mais ravi.

Après avoir rempli les formalités administratives d’usage, je sautai dans un taxi, direction le Ritz-Carlton.

Carrément.

Je ne m’embête pas, pensez-vous. Et alors ? J’étais riche. Enfin pour quelques jours, au moins. La vie est si courte, autant en profiter, non ?

Related chapters

  • Charlie Blues: Badass Boy   2

    2Ah Istanbul! Cité unique au passé riche d’une histoire qui se conjugue avec celle de l’humanité toute entière, carrefour incontestable et incontesté de cultures millénaires, porte historique entre l’Orient et l’Occident.Et ce Ritz-Carlton, quel délice! L’alliance parfaitement suave du charme oriental aux relents de parfums épicés et du confort incomparable de l’hôtellerie moderne de luxe. Quel endroit édifiant pour une rencontre romantique!Le cuir mou d’un confortable fauteuil du salon VIP épousait avec délicatesse mes formes fermes et musclées, tandis que je dégustais un Daiquiri délicieusement glacé, m’imaginant presque voir Shéhérazade débarquer, lorsque le colonel KKK fit son entrée et fondit sur moi, tel un rapace en phase terminale de piqué sur sa proie apeurée.– Vous avez la mallette?Je sentis un truc se briser en moi, je ne sais pas, une espèce d’innocence béatement crédule qui me faisait parfois voir la vie façon

  • Charlie Blues: Badass Boy   3

    3Ah! la Grèce! le Péloponnèse, les Cyclades, Andros, Kéa, Mykonos… noms magiques, synonymes de farniente illimitée à l’ombre de murs blanchis à la chaux sur fond de Méditerranée bleue à l’infini.Quel paradis, mes amis! Le chant des cigales, la peau bronzée des filles, un verre d’Ouzo à la main, que demander de plus?De l’argent? J’en avais. Du temps? Triple K m’avais laissé entendre qu’il ne me recontacterait pas avant une bonne semaine.Le paradis, je vous dis.J’avais posé la Bête hier soir sur le minuscule terrain de l’île de Skiatos, puis j’étais descendu au Madraki, un charmant petit hôtel, dont les chambres donnaient directement sur le port, une sorte de Saint-Trop en miniature.À croquer.La saison estivale n’ayant pas encore réellement commencé – on était en mai –, l’hôtel était vide au trois quarts, ce qui m’arrangeait bien: je déteste la foule.Je passai donc la majeure partie

  • Charlie Blues: Badass Boy   4

    4Le lendemain matin, rasé de près et vêtu de ma plus belle chemise blanche, d’un pantalon de lin bleu nuit et d’une paire de sandales de cuir, je descendis prendre le petit déjeuner, circonspect et prudent: pas le moment de se casser la gueule dans les escaliers. Je ne suis pas spécialement maladroit, mais ces dernières heures, je ne me reconnaissais plus.Donc mef.Je pris un thé, des tartines de feta et quelques excellentes pâtisseries tout en lisant le journal.Faut pas lire en mangeant, c’est mauvais pour la santé.Je sais, mais j’aime ça, désolé. Et puis je voulais prendre mon temps, tout en me donnant une contenance pour le cas où elle ferait son apparition. Ce qu’elle ne fit malheureusement pas.S’était-elle ravisée?Ou plus simplement, m’avait-elle oublié? À moins qu’elle ne se fut moquée? Non, ce n’était pas son style. J’envisageai une fraction de seconde de demander son numéro de chambre au garçon et de l

  • Charlie Blues: Badass Boy   5

    5La mer Égée se parait de mille reflets indigos entremêlés d’une palette de verts émeraude tous plus éclatants les uns que les autres, à mesure que les fonds sablonneux remontaient, près des îles ou des hauts-fonds. Nous volions depuis une bonne demi-heure lorsque je désignai une large montagne ocre surplombant l’île de Samothrace vers laquelle nous nous dirigions plein gaz.– Regardez, droit devant, c’est le mont Phengari.Elle était assise à ma droite, dans le siège du copilote et semblait apprécier pleinement le paysage sublime que l’altitude nous offrait à perte de vue.Je lui jetai un regard à la dérobée tandis qu’elle passait une main dans ses cheveux. Dieu qu’elle avait des gestes sensuels!«Reste concentré mec! C’est pas le moment de partir en vrille.»Je resserrai ma prise sur le manche, zieutai avec une insistance un peu trop marquée les instruments, puis le paysage aussi, droit devant, histoire de ne pas perc

  • Charlie Blues: Badass Boy   6

    6Le doux ronronnement des moteurs me berçait mollement tandis que la botte italienne disparaissait sous les ailes, laissant place au relief plus perturbé des Alpes.J’avais décollé tôt ce matin, l’âme aussi noire qu’un cumulonimbus d’un orageux soir d’été.Je n’avais pas revu Kassandra; elle dormait quand j’avais quitté l’hôtel et il n’était pas question de la réveiller. Pour lui dire quoi, d’abord? Que je traitais avec le Ku Klux Klan et la mafia russe?J’avais griffonné à la hâte un petit mot d’excuse auquel j’avais joint mon numéro de téléphone, avant de sauter dans un taxi. On peut toujours rêver, non?À la radio, le contrôleur massacrait joyeusement la langue de Shakespeare. Vous avez déjà entendu un Italien tenter de parler anglais? C’est à mourir de rire. Au moins, cela avait le mérite de me distraire de mes sombres pensées.La vie est dingue, non? Hier, j’étais le roi du pétrole sur une plage de rêve

  • Charlie Blues: Badass Boy   7

    7Et voilà comment je me suis retrouvé avec cinquante mille balles de moins sur mon compte et deux moutards sur le dos pour l’été.Ah! oui, j’ai oublié de vous dire, j’ai eu deux enfants avec Anita, deux superbes petites jumelles qui ont maintenant six ans et font la fierté de leur maman autant que de leur papa.D’habitude, on se les partage pour les congés, mais là, ma chère et volcanique ex-épouse avait décidé de prendre tout simplement deux mois de vacances.Ça ne m’arrangeait pas vraiment, mais dans la folie de la soirée précédente, j’avais dû lui dire «oui» pour ça aussi.Et quand on dit «oui» à Anita, on ne revient pas sur sa décision, non non! Elle a beau avoir le téton frémissant, elle a aussi la mandale fulgurante. C’est un vrai volcan toujours prêt à vous péter à la gueule, cette fille.Le soleil matinal se reflétait sur la surface lisse de la Méditerranée, inondant l’appartement d’une

  • Charlie Blues: Badass Boy   8

    8L’aéroport de Montpellier a cela de particulier qu’il est construit à moitié sur des étangs et qu’il est situé en bordure de mer. C’est un endroit plutôt sympa, à deux pas de la ville, mais entouré de nature et assez grand pour être international – enfin, européen.Il y a deux pistes, une pour les avions de ligne, une autre pour les avions plus petits.Mes bureaux et le hangar se trouvent en bordure de la piste secondaire, entre les deux aéroclubs, dans un coin, somme toute, assez calme.Je triais le courrier lorsqu’un crissement de pneus me fit dresser la tête. Je sortis sur le pas de la porte tandis qu’un colosse d’un noir d’ébène tentait de s’extraire péniblement d’une Jaguar XK 8 noire, elle aussi.Valentino Ashanti est une association assez improbable de deux patronymes aux consonances italiennes pour un physique du plus pur black. Valentino, mon associé, mon ami, mon frère et descendant direct de la tribu du même nom, des putains de guerriers

  • Charlie Blues: Badass Boy   9

    9Et c’est comme ça que je me suis retrouvé à survoler l’île de Malte.Vous connaissez la différence entre transporter clandestinement une personne sans passeport et la contrebandede marchandise? Y’en a pas. Dans tous les cas, c’est confiscation de l’appareil et minimum deux ans de tôle.Et là, je pratiquais les deux en même temps: Miss Karpov, plus sa mallette bourrée de billets, bons au porteur, divers titres de propriété et autres clés USB bourrées de fichiers compromettants. Le super pied, quoi!J’aime les guêpiers, c’est plus fort que moi, j’ai dû être apiculteur dans une autre vie.Ouais, sauf que les apiculteurs élèvent des abeilles.– Attachez vos ceintures, on se pose!– Ah bon? Tu nous largues pas en parachute?Il faudra que je le prenne au mot, Valentino, un jour, juste pour voir sa tête.Il vint s’asseoir sur le strapontin, juste derrière les sièges du cockpit, tandis qu

Latest chapter

  • Charlie Blues: Badass Boy   ÉPILOGUE

    ÉPILOGUEPalavas-les-Flots, un mois plus tard.Le soleil matinal de juillet tapait fort sur la terrasse de mon appart. J’étais planqué sous mon parasol géant, allongé les doigts de pieds en éventail sur ma chaise longue, un cocktail de jus de fruits frais à la main et les yeux perdus dans l’indigo infini de la grande bleue.Dieu que la vie est belle, parfois. C’est là où il faut savoir en jouir, parce que quand c’est le vrai merdier, c’est trop tard.Et ça, pour en profiter, j’en avais profité!Kassandra et moi avions passé ensemble les trente derniers jours. Elle m’avait fait visiter sa ville natale, Budapest, puis nous étions partis quelques jours dans les Cyclades, avant de rentrer en France en passant par la Sicile, la Sardaigne et la Corse. Sympa comme périple, non? C’est aussi ça l’avantage d’avoir un avion personnel. On regarde sur une carte où on aimerait bien aller, on saute à bord et deux ou trois heures plus tard, après un vol m

  • Charlie Blues: Badass Boy   DERNIER ACTE et pas des moindres : ça va chier grave !

    DERNIER ACTE et pas des moindres: ça va chier grave!Le soir tombait doucement sur la ville cosmopolite. Un voile d’or tissait inlassablement sa trame cuivrée sur toute chose, imprimant au paysage urbain une parure mordorée que le rougeoiement du soleil couchant ensanglantait par endroit.J’étais très confortablement installé à l’arrière d’une limousine qui voguait en direction de l’hôtel «Royal Calypsos», celui de ma très chère Kassandra. Je me rappelai soudain qu’elle m’avait demandé de lui écrire des poèmes.C’était bien le moment, tiens.Je tirai machinalement sur un côté de mon nœud pap – eh oui! J’avais encore taxé un smok’ à John – tout en réfléchissant à cette technique littéraire que je ne maîtrisais absolument pas. J’étais doué dans l’art de piloter des avions, dans l’art de la séduction, même dans l’art d’aligner les emmerdes, mais pas dans l’art d’aligner de jolis mots.– Nous arrivons, Monsieur.Je jet

  • Charlie Blues: Badass Boy   24

    24Le voyage du retour vers Istanbul se fit dans un silence relatif, chacun ruminant ses pensées dans son coin.Val gara la BM sur le quai.Avant même de pénétrer dans le hangar, je sus que quelque chose n’allait pas. J’ouvris la porte métallique avec grande précaution; Val, juste derrière moi, brandit le pistolet. Nous pénétrâmes dans le hangar comme des sioux sur le sentier de la guerre. La silhouette de la jonque posée sur son ber se découpait dans la pénombre ambiante; l’odeur de peinture, mélangée à celle du renfermé et de l’humidité agressait toujours silencieusement les narines. Tout était bien trop calme. Val emprunta l’échelle qui menait au pont, je le suivis en silence. La table en teck et les chaises renversées attestaient qu’on s’était battu ici. Nous visitâmes toute la jonque: personne à bord, juste un téléphone portable laissé bien en évidence sur la table à cartes, avec un post-it collé dessus, sur lequel était inscrit un numéro de

  • Charlie Blues: Badass Boy   23

    23Finalement, nous eûmes le temps de le prendre, ce café. L’avion de mon ex-chère et torride avait du retard, aussi nous nous installâmes au bar de l’aéroport.Anita débarqua trente minutes plus tard. Elle portait une combinaison de coton blanc dont la légèreté laissait présumer qu’elle ne portait pas grand-chose d’autre dessous. Des escarpins et un sac à main de la même couleur complétaient avec élégance sa tenue. Ma joie de la revoir fut cependant un peu ternie par le fait qu’elle avait omis de me parler d’un détail: elle n’était pas venue seule.Le détail en question était un grand balaise dans la quarantaine bien avancée, plutôt beau gosse, la mâchoire carrée, le regard percutant, bref, l’air sûr de lui et bien sapé. Anita se jeta tout de même dans mes bras, avec néanmoins une retenue calculée. Je compris le message et évitai de balader mes mains ailleurs que sur sa taille, puis elle nous présenta.– Charlie, je te présente mon ami, Bernard Toupie

  • Charlie Blues: Badass Boy   22

    22– En voiture Simone!Le Soleil était déjà haut dans le ciel lorsque nous embarquâmes dans la BM.– Fouette cocher, direction la gare centrale!J’avais une de ces pêches, moi, ce matin! Pourtant, je n’avais pas beaucoup dormi, repassant sans cesse dans ma tête mon plan, traquant la faille comme un chasseur de mammouth traque un mammouth.J’avais appelé la banque gérant mon compte à Malte. À neuf heures cinq tapantes, soit cinq minutes après son ouverture, mon compte avait été crédité d’un million de dollars. Je crois que cette bonne nouvelle participait aussi à ma grande forme. C’est vrai, quoi, je ne sais pas vous, mais moi, c’n’est pas tous les jours que je gagne autant de pognon. Et puis, je n’avais pas trouvé de faille dans mon plan. Je suis trop fort, niark! niark! niark! Des fois, je m’étonne moi-même!– Trop d’assurance tue la réussite, me lança Val d’un air goguenard devant ma mine réjouie.

  • Charlie Blues: Badass Boy   21

    21– À quoi tu penses?– À mon ex-femme. Elle arrive demain et on a encore du pain sur la planche.Nous étions en voiture – une grosse BM de location, encore – et Val nous conduisait, Nikita et moi, à notre rendez-vous avec Grochek.Mon plan était, en fait, assez simple. La jeune Russe s’était enfuie avec toute la comptabilité de son ex-bande, incluant codes, numéros de comptes, toutes les opérations financières des dernières années, les différents secteurs d’activité avec les noms des responsables, des contacts, des flics et différents fonctionnaires corrompus, bref, les dessous d’un empire. Elle avait donc le choix entre disparaître avec une fortune prélevée sur un compte pas encore fermé, tout en sachant qu’un jour ou l’autre, ils la retrouveraient – la mafia retrouve toujours ceux qu’elle recherche – ou bien s’associer avec une bande rivale qui annexerait l’empire de son défunt père et la protègerait. La deuxième solution me paraissant largement la

  • Charlie Blues: Badass Boy   20

    20Istanbul, cinq heures du mat’.Je ne sais pas vous, mais moi, je déteste me lever tôt. S’arracher à un bon lit douillet et bien chaud pour aller affronter un monde froid et barbare, quelle souffrance! Remarquez, l’effet douloureux peut en être atténué par un appétissant petit déj’ plein de café et croissants chauds, brioche parfumée à la fleur d’oranger, assortiment de confitures et divers miels… liste non exhaustive.Je me délectais tel un gourmand gourmet en compagnie de John lorsque mon associé fit son apparition, la mine défaite et l’œil rouge.– Magne-toi, le taxi est arrivé.– Qu’est-ce qui t’arrive? T’as pleuré toute la nuit ou t’as oublié de te maquiller?– J’ai monté la garde, figure-toi.– Heu… pourquoi?– Bienheureux les inconscients, fit Valentino en secouant la tête avec lassitude. Je te rappelle qu’on est activement recherchés par une bande de révolutionnaires, un grand maître du Ku Klux Kl

  • Charlie Blues: Badass Boy   19

    19L’air frais nous fouettait à nouveau le visage. Nous avions fait demi-tour vers Istanbul quelques minutes plus tôt et les lumières lointaines de la vaste agglomération imprimaient une lueur fantomatique sur les quelques nuages chargés d’humidité qui survolaient la cité.– On est à quelle distance du port, à ton avis? hurlai-je par dessus le bruit du moteur.– Au moins quarante kilomètres!– Putain, on pourra pas rentrer sans!Le moteur fit de nouveau entendre quelques ratés, puis s’arrêta sur un dernier hoquet. Val laissa filer en roue libre une vingtaine de mètres avant de nous stopper sur le bas côté.– Tu disais?– Merde!– C’est aussi mon avis.Et voilà, on était redevenus deux pauvres piétons dans un monde dédié au moteur à explosion. C’est con, hein! Okay, okay, relativisons. Sur l’échelle des emmerdes, la panne d’essence est à un tout petit niveau. C’est vrai quoi, y’a pas mort

  • Charlie Blues: Badass Boy   18

    18La folle poursuite commença.Nous étions pour le moment dans le quartier des orfèvres; les murs resplendissaient d’or et d’argent: assiettes finement travaillées, plats à couscous et autres vaisselles de cuivre rutilantes sur lesquelles se reflétaient les centaines d’ampoules éclairant le tunnel aux voûtes habilement décorées de motifs arabisants.La visite était superbe, quoiqu’un peu trop rapide à mon goût. Val et moi inaugurions un nouveau style, ce qu’on appellera peut-être plus tard, si l’effet se démocratise, du tourisme éclair, autrement dit, voir un max de trucs dans un minimum de temps.À notre époque où tout va de plus en plus vite, c’est peut-être un concept révolutionnaire. Vous savez quoi? Je crois qu’on devrait breveter l’idée et lancer la mode, organiser la visite du Louvres en rollers, voyager sur la Seine en offshore, s’offrir le tour des pyramides en jet ou un safari au Kenya en 4x4 de course.– Charlie, au lieu

DMCA.com Protection Status