7Et voilà comment je me suis retrouvé avec cinquante mille balles de moins sur mon compte et deux moutards sur le dos pour l’été.Ah! oui, j’ai oublié de vous dire, j’ai eu deux enfants avec Anita, deux superbes petites jumelles qui ont maintenant six ans et font la fierté de leur maman autant que de leur papa.D’habitude, on se les partage pour les congés, mais là, ma chère et volcanique ex-épouse avait décidé de prendre tout simplement deux mois de vacances.Ça ne m’arrangeait pas vraiment, mais dans la folie de la soirée précédente, j’avais dû lui dire «oui» pour ça aussi.Et quand on dit «oui» à Anita, on ne revient pas sur sa décision, non non! Elle a beau avoir le téton frémissant, elle a aussi la mandale fulgurante. C’est un vrai volcan toujours prêt à vous péter à la gueule, cette fille.Le soleil matinal se reflétait sur la surface lisse de la Méditerranée, inondant l’appartement d’une
8L’aéroport de Montpellier a cela de particulier qu’il est construit à moitié sur des étangs et qu’il est situé en bordure de mer. C’est un endroit plutôt sympa, à deux pas de la ville, mais entouré de nature et assez grand pour être international – enfin, européen.Il y a deux pistes, une pour les avions de ligne, une autre pour les avions plus petits.Mes bureaux et le hangar se trouvent en bordure de la piste secondaire, entre les deux aéroclubs, dans un coin, somme toute, assez calme.Je triais le courrier lorsqu’un crissement de pneus me fit dresser la tête. Je sortis sur le pas de la porte tandis qu’un colosse d’un noir d’ébène tentait de s’extraire péniblement d’une Jaguar XK 8 noire, elle aussi.Valentino Ashanti est une association assez improbable de deux patronymes aux consonances italiennes pour un physique du plus pur black. Valentino, mon associé, mon ami, mon frère et descendant direct de la tribu du même nom, des putains de guerriers
9Et c’est comme ça que je me suis retrouvé à survoler l’île de Malte.Vous connaissez la différence entre transporter clandestinement une personne sans passeport et la contrebandede marchandise? Y’en a pas. Dans tous les cas, c’est confiscation de l’appareil et minimum deux ans de tôle.Et là, je pratiquais les deux en même temps: Miss Karpov, plus sa mallette bourrée de billets, bons au porteur, divers titres de propriété et autres clés USB bourrées de fichiers compromettants. Le super pied, quoi!J’aime les guêpiers, c’est plus fort que moi, j’ai dû être apiculteur dans une autre vie.Ouais, sauf que les apiculteurs élèvent des abeilles.– Attachez vos ceintures, on se pose!– Ah bon? Tu nous largues pas en parachute?Il faudra que je le prenne au mot, Valentino, un jour, juste pour voir sa tête.Il vint s’asseoir sur le strapontin, juste derrière les sièges du cockpit, tandis qu
10Le lendemain matin, je décollai de bonne heure, autant pour profiter de la fraîcheur matinale que pour prendre un peu d’avance sur un trajet assez long, la route pour le Turkménistan n’étant pas directe puisqu’il faut éviter le survol du nord de l’Iran.Deux mille kilomètres à parcourir dans un vénérable bimoteur qui n’est pas un foudre de guerre, j’étais bon grosso modo pour sept heures de vol sans pouvoir lâcher le manche une minute pour aller se soulager.À première vue, ça peut paraître un peu embêtant, mais j’ai un truc: une gourde «spécial pipi».Quand elle est pleine, ma gourde, qu’est-ce que je fais? Je la vide par la fenêtre.Voilà pourquoi, de temps à autre, de pauvres Terriens ébahis lèvent les yeux vers le ciel en se demandant pourquoi il tombe des gouttes alors qu’il n’y a pas le moindre nuage à l’horizon.Je vous épargnerai les pensées qui trottèrent dans ma tête pendant toutes ces heures de vol. Je pens
11Avez-vous déjà été dans un hammam? Vous savez, ce truc plein de vapeurs irrespirables où on crève de chaud, où une brute avec des mains comme des battoirs vous tord dans tous les sens, vous malaxe à la limite de la déchirure musculaire et du défonçage de côtes.Remarquez, côté détente, ça vaut le détour. Je le conseille même vivement à tous les stressés du bulbe. On ressort de là vanné, mais alors vanné! Un coup à aller se coucher à sept heures du soir. Malheureusement, j’avais une soirée à organiser. Mais qu’est-ce qui m’avait pris d’aller me faire un hammam? Me restait plus qu’à aller me reprendre un café, plus une boîte de vitamine C.J’avais besoin d’un QG pour monter mon opération séduction de la soirée. La meilleure chose était de rentrer à l’hôtel. Là-bas, je trouverais toute l’aide nécessaire. Je sautai donc dans un taxi pour une autre partie de gymkhana effréné tendance suicidaire.Trente minutes plus tard, le réceptionniste m’a
12La salle du petit déj’ regorgeait d’odeurs appétissantes de thés parfumés, de pâtisseries doucement sucrées et de croissants chauds. Je m’assis à une jolie table tout de blanc nappée, près de la fenêtre et commandai un assortiment de bons trucs sentant bien bon.– Heu… dites donc, dans la bibliothèque du bord, vous n’auriez pas un livre de poésie, par hasard? glissai-je subrepticement à l’oreille du garçon qui me servait le thé.– Je me renseigne, Monsieur.J’eu le temps de déguster deux croissants au beurre farcis au miel avant que le loufiat ne me rapporte un livre de poèmes sur le voyage. C’était mieux que rien. Je le parcourus distraitement, sautai d’Apollinaire à Baudelaire, en passant par Nerval, puis, peu inspiré, je décidai d’attaquer une prose nettement plus laconique: celle du K.Je décachetai l’enveloppe et lus: «Apportez la mallette à la Valette.»Pour du laconique, c’était du laconique. Fidèle à lui
13Cinq heures plus tard, j’usai la gomme de mes pneus sur la piste de Milan et roulai jusqu’au parking affaires. Anita m’attendait sur le tarmac avec les filles. Je coupai les moteurs puis ouvris la porte arrière. Deux mini-tornades se jetèrent sur moi.– Papaaa!– Papaaa!Je les soulevai du sol et entamai la distribution de bisous avec la plus grande équité, condition sine qua non pour éviter les bagarres, la jalousie étant apparemment un vice intégralement transmissible de mère en fille; et ceci dès le plus jeune âge.Anita attendit que je repose les fillettes pour venir se jeter à mon cou. Elle était vêtue plus sobrement que lors de notre dernière rencontre. Quand elle sortait avec ses filles, elle faisait des efforts, ça se voyait. Néanmoins, même habillée d’un sac poubelle, elle ferait bander un mort. Je la serrai contre moi, nos langues s’emmêlèrent et mes mains se baladèrent. Avec Anita, je ne les commande plus, elles font ce
14John avait dressé une succulente table de petit déjeuner sur le pont de sa jonque, mais j’étais bien incapable d’avaler quoi que ce soit. Ce qui n’était pas le cas de Jean-Édouard qui engloutissait tartines, croissants et petits pains avec un entrain inquiétant.– Allez, ne faites pas cette tête, ça va s’arranger, vous verrez, me rassura John avec un large et chaleureux sourire.– Je n’en doute pas, mais j’ai quand même un peu les boules.– Ça passera, dit-il en bourrant sa pipe.Le Soleil au zénith faisait miroiter l’eau du port de mille reflets. Une légère brise ridait la surface chatoyante, créant de minuscules vaguelettes qui se brisaient en un doux clapotis contre les coques blanches des goélettes de bois qui nous entouraient.John avait placé une immense toile sur la bôme du grand mât qui recouvrait le pont comme un chapiteau et procurait une ombre rafraîchissante.Si ce n’était le bourdonnement incessant de la ville, le coin ét
ÉPILOGUEPalavas-les-Flots, un mois plus tard.Le soleil matinal de juillet tapait fort sur la terrasse de mon appart. J’étais planqué sous mon parasol géant, allongé les doigts de pieds en éventail sur ma chaise longue, un cocktail de jus de fruits frais à la main et les yeux perdus dans l’indigo infini de la grande bleue.Dieu que la vie est belle, parfois. C’est là où il faut savoir en jouir, parce que quand c’est le vrai merdier, c’est trop tard.Et ça, pour en profiter, j’en avais profité!Kassandra et moi avions passé ensemble les trente derniers jours. Elle m’avait fait visiter sa ville natale, Budapest, puis nous étions partis quelques jours dans les Cyclades, avant de rentrer en France en passant par la Sicile, la Sardaigne et la Corse. Sympa comme périple, non? C’est aussi ça l’avantage d’avoir un avion personnel. On regarde sur une carte où on aimerait bien aller, on saute à bord et deux ou trois heures plus tard, après un vol m
DERNIER ACTE et pas des moindres: ça va chier grave!Le soir tombait doucement sur la ville cosmopolite. Un voile d’or tissait inlassablement sa trame cuivrée sur toute chose, imprimant au paysage urbain une parure mordorée que le rougeoiement du soleil couchant ensanglantait par endroit.J’étais très confortablement installé à l’arrière d’une limousine qui voguait en direction de l’hôtel «Royal Calypsos», celui de ma très chère Kassandra. Je me rappelai soudain qu’elle m’avait demandé de lui écrire des poèmes.C’était bien le moment, tiens.Je tirai machinalement sur un côté de mon nœud pap – eh oui! J’avais encore taxé un smok’ à John – tout en réfléchissant à cette technique littéraire que je ne maîtrisais absolument pas. J’étais doué dans l’art de piloter des avions, dans l’art de la séduction, même dans l’art d’aligner les emmerdes, mais pas dans l’art d’aligner de jolis mots.– Nous arrivons, Monsieur.Je jet
24Le voyage du retour vers Istanbul se fit dans un silence relatif, chacun ruminant ses pensées dans son coin.Val gara la BM sur le quai.Avant même de pénétrer dans le hangar, je sus que quelque chose n’allait pas. J’ouvris la porte métallique avec grande précaution; Val, juste derrière moi, brandit le pistolet. Nous pénétrâmes dans le hangar comme des sioux sur le sentier de la guerre. La silhouette de la jonque posée sur son ber se découpait dans la pénombre ambiante; l’odeur de peinture, mélangée à celle du renfermé et de l’humidité agressait toujours silencieusement les narines. Tout était bien trop calme. Val emprunta l’échelle qui menait au pont, je le suivis en silence. La table en teck et les chaises renversées attestaient qu’on s’était battu ici. Nous visitâmes toute la jonque: personne à bord, juste un téléphone portable laissé bien en évidence sur la table à cartes, avec un post-it collé dessus, sur lequel était inscrit un numéro de
23Finalement, nous eûmes le temps de le prendre, ce café. L’avion de mon ex-chère et torride avait du retard, aussi nous nous installâmes au bar de l’aéroport.Anita débarqua trente minutes plus tard. Elle portait une combinaison de coton blanc dont la légèreté laissait présumer qu’elle ne portait pas grand-chose d’autre dessous. Des escarpins et un sac à main de la même couleur complétaient avec élégance sa tenue. Ma joie de la revoir fut cependant un peu ternie par le fait qu’elle avait omis de me parler d’un détail: elle n’était pas venue seule.Le détail en question était un grand balaise dans la quarantaine bien avancée, plutôt beau gosse, la mâchoire carrée, le regard percutant, bref, l’air sûr de lui et bien sapé. Anita se jeta tout de même dans mes bras, avec néanmoins une retenue calculée. Je compris le message et évitai de balader mes mains ailleurs que sur sa taille, puis elle nous présenta.– Charlie, je te présente mon ami, Bernard Toupie
22– En voiture Simone!Le Soleil était déjà haut dans le ciel lorsque nous embarquâmes dans la BM.– Fouette cocher, direction la gare centrale!J’avais une de ces pêches, moi, ce matin! Pourtant, je n’avais pas beaucoup dormi, repassant sans cesse dans ma tête mon plan, traquant la faille comme un chasseur de mammouth traque un mammouth.J’avais appelé la banque gérant mon compte à Malte. À neuf heures cinq tapantes, soit cinq minutes après son ouverture, mon compte avait été crédité d’un million de dollars. Je crois que cette bonne nouvelle participait aussi à ma grande forme. C’est vrai, quoi, je ne sais pas vous, mais moi, c’n’est pas tous les jours que je gagne autant de pognon. Et puis, je n’avais pas trouvé de faille dans mon plan. Je suis trop fort, niark! niark! niark! Des fois, je m’étonne moi-même!– Trop d’assurance tue la réussite, me lança Val d’un air goguenard devant ma mine réjouie.
21– À quoi tu penses?– À mon ex-femme. Elle arrive demain et on a encore du pain sur la planche.Nous étions en voiture – une grosse BM de location, encore – et Val nous conduisait, Nikita et moi, à notre rendez-vous avec Grochek.Mon plan était, en fait, assez simple. La jeune Russe s’était enfuie avec toute la comptabilité de son ex-bande, incluant codes, numéros de comptes, toutes les opérations financières des dernières années, les différents secteurs d’activité avec les noms des responsables, des contacts, des flics et différents fonctionnaires corrompus, bref, les dessous d’un empire. Elle avait donc le choix entre disparaître avec une fortune prélevée sur un compte pas encore fermé, tout en sachant qu’un jour ou l’autre, ils la retrouveraient – la mafia retrouve toujours ceux qu’elle recherche – ou bien s’associer avec une bande rivale qui annexerait l’empire de son défunt père et la protègerait. La deuxième solution me paraissant largement la
20Istanbul, cinq heures du mat’.Je ne sais pas vous, mais moi, je déteste me lever tôt. S’arracher à un bon lit douillet et bien chaud pour aller affronter un monde froid et barbare, quelle souffrance! Remarquez, l’effet douloureux peut en être atténué par un appétissant petit déj’ plein de café et croissants chauds, brioche parfumée à la fleur d’oranger, assortiment de confitures et divers miels… liste non exhaustive.Je me délectais tel un gourmand gourmet en compagnie de John lorsque mon associé fit son apparition, la mine défaite et l’œil rouge.– Magne-toi, le taxi est arrivé.– Qu’est-ce qui t’arrive? T’as pleuré toute la nuit ou t’as oublié de te maquiller?– J’ai monté la garde, figure-toi.– Heu… pourquoi?– Bienheureux les inconscients, fit Valentino en secouant la tête avec lassitude. Je te rappelle qu’on est activement recherchés par une bande de révolutionnaires, un grand maître du Ku Klux Kl
19L’air frais nous fouettait à nouveau le visage. Nous avions fait demi-tour vers Istanbul quelques minutes plus tôt et les lumières lointaines de la vaste agglomération imprimaient une lueur fantomatique sur les quelques nuages chargés d’humidité qui survolaient la cité.– On est à quelle distance du port, à ton avis? hurlai-je par dessus le bruit du moteur.– Au moins quarante kilomètres!– Putain, on pourra pas rentrer sans!Le moteur fit de nouveau entendre quelques ratés, puis s’arrêta sur un dernier hoquet. Val laissa filer en roue libre une vingtaine de mètres avant de nous stopper sur le bas côté.– Tu disais?– Merde!– C’est aussi mon avis.Et voilà, on était redevenus deux pauvres piétons dans un monde dédié au moteur à explosion. C’est con, hein! Okay, okay, relativisons. Sur l’échelle des emmerdes, la panne d’essence est à un tout petit niveau. C’est vrai quoi, y’a pas mort
18La folle poursuite commença.Nous étions pour le moment dans le quartier des orfèvres; les murs resplendissaient d’or et d’argent: assiettes finement travaillées, plats à couscous et autres vaisselles de cuivre rutilantes sur lesquelles se reflétaient les centaines d’ampoules éclairant le tunnel aux voûtes habilement décorées de motifs arabisants.La visite était superbe, quoiqu’un peu trop rapide à mon goût. Val et moi inaugurions un nouveau style, ce qu’on appellera peut-être plus tard, si l’effet se démocratise, du tourisme éclair, autrement dit, voir un max de trucs dans un minimum de temps.À notre époque où tout va de plus en plus vite, c’est peut-être un concept révolutionnaire. Vous savez quoi? Je crois qu’on devrait breveter l’idée et lancer la mode, organiser la visite du Louvres en rollers, voyager sur la Seine en offshore, s’offrir le tour des pyramides en jet ou un safari au Kenya en 4x4 de course.– Charlie, au lieu