Les portes se refermèrent sur moi, scellant l’entrée. Ironiquement, ce n’est qu’à ce moment que je m’interrogeai sur les moyens à ma disposition pour ressortir. Des lampes artificielles éclairaient les murs nus du tunnel où je me trouvais. Une pente douce m’amenait plus proche du centre de la Terre à chaque pas. Des sons étranges se réverbéraient, à l’infini.Arrivé à un tournant, deux choix se présentaient à moi. L’un était au centre, le plus large et celui d’où semblaient provenir des cris. L’autre, plus petit et sinueux, s’enfonçait plus à gauche dans les ténèbres. J’allais m’engager dans le premier, mais j’entendis deux voix devenir de plus en plus distinctes, s’avançant dans ma direction.Après quelques minutes dans le noir, mon impatience grandissait et me pressait à faire fi des risques et d’emprunter le chemin central. Sur le point de faire demi-tour, j’entendis un grincement métallique. Deux pas de plus et mes yeux distinguèrent ce qui semblait être une cellule.
Ma montre me tira de mon sommeil. La bouche pâteuse, l’humidité de la grotte rendant ma peau moite, j’avais du mal à émerger. C’était Lyna. Je décrochai à contrecœur.—Caine ? Bordel, qu’est-ce que tu fous depuis deux jours ? Tout le canton de l’Authority s’agite. On prononce ton nom à voix basse. Et Héléna qui débarque dans mon bureau pour me faire cracher ta position !Elle débita sa litanie dans un seul souffle. Ça devait lui peser.—Tiens ? Les deux femmes de ma vie s’inquiètent pour moi ? répondis-je sarcastiquement pour détendre l’atmosphère.—Fais pas le con, c’est pas le moment. Crois-moi je suis à deux doigts de perdre mon sang-froid.—Légendaire, pourtant !—…—Désolé, Lyna…—Qu’est-ce que tu veux que j’en fasse de tes excuses ?—Profite, déjà ! Ce n’est pas si souvent que j’en fais.—T’as la capacité de remuer la merde comme personne, toi ! Ce sont des sujets
Le bruit était assourdissant. Des clameurs montaient des gradins tout autour de moi. Mes yeux peinaient à retrouver la vue dans la pénombre. Malgré mes efforts, je m’étais assoupi. La fatigue des derniers jours, renforcée par la douleur et la perte de sang avaient eu raison de moi. Autour de moi, la foule scandait « Holon » en chœur. Putains de fanatiques…À mes côtés, Aurora souriait, extatique. Ses yeux bleus avaient perdu leur beauté, remplacée par la folie.Elle jetait un regard au public, une cinquantaine de personnes, recouvertes de robes noires closes uniquement par un fermoir d’argent.Une attache représentant le même signe que celui qui rougeoyait derrière moi. Une flamme gardée par trois lances et transpercée d’une épée. Une ressemblance frappante avec ce Gorski, qui semblait me poursuivre. Jusqu’à mon torse, peint par ces tarés à l’aide de mon propre sang.L’arène était prête pour le sacrifice.—C’est un grand honneur, me souffla sens
—Mets ta main comme ceci.Maya posa ses longs doigts sur ceux d’Elias pour les placer dans la bonne position.—Doucement. Pas besoin de faire de grandes envolées. Reste proche des touches.Elle lui donnait des leçons de musique depuis plusieurs semaines, désormais. Il avait passé des heures, dans ce salon de la tour ouest du château qu’ils affectionnaient particulièrement, à l’écouter jouer en lisant un bon livre, installé dans les fauteuils moelleux. C’était de ces moments de quiétude qu’Elias tenait sa passion pour le piano. Il frémit au contact de Maya. Leurs regards se croisèrent et elle lâcha sa main précipitamment. Elle toussota, le rose montant à ses joues.—Voilà, comme ça, très bien!*—Elias, tu dors ?La voix rauque de Barthélemy le ramena à la réalité. Le dur contact avec le sol finit de le sortir de sa rêverie. Armé de son épée d’entraînement, Barthélemy venait de le renverser en
—Elias!La jeune fille qui se jeta dans les bras d’Elias était méconnaissable. Ses grosses lunettes de métallurgie dont elle ne pouvait se passer avaient disparu. Ses cheveux d’habitude en désordre étaient bien coiffés. Ses cernes aussi s’étaient complètement envolés. On aurait même dit qu’elle portait du maquillage.—Tu as l’air en forme! s’écria-t-il en lui rendant son étreinte. Tu m’as manqué, c’est beaucoup plus calme à l’Unisson sans le bordel qui s’échappe de ton laboratoire!Un grand sourire illumina le visage de Chloé.—Crois-moi, avec tout ce que j’ai découvert à Élysia ce mois-ci, le calme ne va pas durer longtemps!Elle embrassa Maya et salua ensuite Obsidian, lequel entra directement dans le vif du sujet:—Pas de Prodiges alors ?—Non! Rien n’a activé leur radar.—Est-ce que les gardes ont changé autour de la porte ? Et le nouveau modèle de montre
Elias fixait les deux immenses arbres en face de lui, piliers du Concil. Il profitait de l’absence de Maya dans la journée pour visiter la ville de fond en comble. Animé de l’espoir futile de croiser Tom au coin d’une rue, il poursuivait aussi la recherche du contact avec les Élyséens. Il s’efforçait de découvrir, au sein de toutes les merveilles que la cité recelait, une réponse. Étaient-ils vraiment heureux ? Est-ce que ce simulacre de conscience était suffisant ?Après plus d’une semaine sans la moindre trace de Tom, il avait décidé que tenter de le retrouver dans sa vie civile plutôt que vespérale serait peut-être plus simple. Qu’aurait pu devenir son ami une fois l’Optimus passé ? Un Psy ? Peut-être. Plus vraisemblablement un Thêta. Tom n’avait jamais été intéressé par le pouvoir et la législation. Si l’Optimus les classait réellement dans le domaine où ils étaient le plus susceptibles de s’épanouir, alors Tom serait un Thêta. Un spécialiste de l’ingénierie, de la robotique
—Bordel ! cria Elias.Malgré la pénombre je vis sa position changer imperceptiblement en l’espace d’une seconde. Il passa d’une allure détendue, relâchée, à une posture prête pour le combat. Un pied en arrière stable, la jambe droite en avant, légèrement fléchie. Il tourna faiblement le torse, limitant sa zone d’exposition.D’un claquement de doigts, la lumière s’alluma à ma demande. Je sentis son regard me détailler, pendant presque une seconde.Puis, enfin, il me reconnut.—Toi ? s’exclama-t-il, encore incertain.—Moi, lui répondis-je, amusé.Il s’avança d’un pas, me dévisageant.—Qu’est-ce que tu fais là ?—Officiellement ou officieusement ?Son attention se tourna sur l’insigne de Psy à ma poitrine. Il grimaça et détailla ma silhouette, aux circuits magnétiques brillant faiblement d’une lueur bleutée. Le même bleu que mes yeux. Un regard si perçant qu’il avait la sensation qu’ils le transpe
Le retour à l’Unisson parut à Elias une éternité compressée en une seconde. Il suivait aveuglément Maya, un brouillard persistant refusait de se lever, obscurcissant ses pensées. La chevalière de Tom, accrochée à son cou, semblait peser une tonne. Il l’avait retirée de son doigt. Chaque once de sa peau en contact avec elle lui paraissait brûler.Il songeait parfois à l’image mentale du deuil qu’il s’était fait lorsqu’il avait appris l’existence de la Génogenèse. À chaque fois, un petit rire amer s’échappait de sa gorge. Il était si loin de la vérité.À peine la frontière de l’Unisson franchie, Elio lui sauta dans les bras. Elias lui rendit faiblement son étreinte et s’évanouit en direction de sa chambre.—Il ne va pas bien, Elias ? demanda le jeune garçon, ses grands yeux interrogatifs fixés sur Maya.—C’est compliqué bonhomme. Il a découvert qu’un de ses amis avait disparu…—Mais je vais l’aider à le retrouver moi, à nous trois on y
Une semaine après la mort d’Elias, Les pieds de Maya dansaient dangereusement au-dessus de l’abîme. Le regard perdu dans le vague, elle essuya une larme. Elle la saisit et le contempla, surprise. Elle ne pensait plus en avoir en réserve.Les Charivaris avaient suivi Obsidian en dehors d’Élysia aux premières lueurs de l’aube. Maya avait insisté pour que le corps d’Elias soit emporté avec eux. Obsidian avait évidemment accepté. Il était naturel qu’il reçoive l’enterrement qu’il méritait. Ils avaient monté le camp à quelques heures de marche d’Élysia. Dans la clairière où Elias et Maya avaient échangé leur premier baiser. Celle où ils s’étaient donné rendez-vous.Jour après jour, Maya s’était brisé les os pour ressouder ceux d’Elias. Défigurée pour lui rendre sa beauté. Souffert, saigné pour rendre à sa dépouille son intégrité. À l’issue de trois jours et deux nuits, épuisée, elle
À chaque saison, la beauté d’Élysia prenait une nouvelle dimension. En ce début d’automne, chaque immeuble était teinté d’une nuance différente. Des feuilles d’ocre et d’or se mêlaient artistiquement aux pourpres et à l’écarlate de leurs voisines. Bien que l’aurore mette en valeur tous ces tons, je n’étais pas d’humeur à apprécier la splendeur du paysage. Des volutes de fumée noire montaient doucement tandis que les premiers rayons du soleil rougeoyaient sur la ville. Je sentais encore résonner dans ma tête le cri d’ORGANA lors de l’explosion de l’Étoile. Chaque individu l’avait entendu quand la conscience collective avait été brisée.Je regardais le trou béant à la place du serveur d’ORGANA. Une fois détruit, les foules avaient retrouvé leur lucidité et s’étaient dispersées. Ce matin, le souvenir d’ORGANA avait fané, mais celui d’Elias et des Omégas était ancré dans les mémoires à jamais.Un long manteau noir sur les épaules, je touchai ma joue tuméfiée. Lyna se plaça à
—À droite, s’écria Richard.—À gauche, souffla Chloé.Claire et Maya tournèrent au détour d’un couloir et se percutèrent de plein fouet. Avant que la première ne réagisse, le couteau de Maya était apparu, pointé vers sa gorge. Une cacophonie de cris emplit les parois rocheuses.—Je le reconnais, celui-là, cracha Maya en désignant Flyn d’un mouvement de tête peu appréciateur. C’est le laquais de Caine.—Si vous êtes là pour nous arrêter, il va vous falloir plus qu’un vieillard et une frêle jeune fille, ricana Obsidian, son visage caché dans les ombres de la capuche noire qu’il portait.Claire ravala la réplique cinglante qu’elle avait sur le bout de la langue et garda le regard rivé sur le couteau près de sa gorge. Elio pouffa de rire en voyant la journaliste loucher.—Théo ? C’est toi ? demanda Flyn.Maya et Chloé se fixèrent, surprises. Chloé se pencha vers Elio.—C’est de toi qu’il parle ?
La porte de la cellule s’ouvrit sans bruit. Un Avatar passa d’une démarche traînante devant celle d’Elias. Elle était vide. Il grogna et continua à avancer. Elias souffla, craignant que l’invisibilité que lui offraient ses pouvoirs ne résiste pas à un examen approfondi. Les mâchoires serrées par l’effort de concentration, il sortit de la geôle. Il s’était attendu à croiser de nombreuses personnes paniquées, mais les couloirs étaient déserts. Il ne savait pas où il était, mais la porte n’était pas dure à repérer. Une fois l’électricité éteinte, les feux d’artifice explosant dans le ciel à la lumière de la lune brillaient comme des lucioles dans la tête d’Elias. Les yeux clos et camouflés par son Nexus, longeant les murs, Elias finit par la trouver. Il ne restait plus qu’à réussir à sortir.La température de fusion de la roche est comprise entre sept cents et mille deux cents degrés. Elias regarda ses mains et haussa les épaules. C’est jouable.Sa respiration était ample et
Je regardais les deux livres aux couvertures brunes élimées similaires. Celui de Claire était contemporain à celui d’Elias. Et c’était assurément la même écriture. En parlant d’Elias, la conversation que j’avais eue avec lui, une semaine plus tôt, et toutes celles qui avaient suivi pesaient sur ma conscience.La journée était sur le point de se finir. Le calme était enfin revenu au Concil après quelques premiers jours houleux. Le peuple était heureux. J’avais lu les mots couchés sur le petit carnet d’Elias déjà plusieurs fois sans réussir à trouver la moindre information intéressante. À vrai dire, je m’étais demandé s’il n’était pas codé, mais après l’avoir fait passer par tous les algorithmes possibles et imaginables, y compris en utilisant le Gorski de métal que j’avais modélisé, je m’étais rendu à l’évidence. Et pourtant, l’impression que je ratais quelque chose me titillait. Le premier traitait des événements qui avaient conduit à la rédaction de la Constitution d’Élysia. C’
Trois jeunes adultes et une enfant s’effondrèrent de fatigue sur le sol mousseux. Les larmes coulaient sans retenue sur leurs joues. Seuls les yeux d’Elias restaient désespérément secs. À cet instant, il avait la sensation d’être étourdi. Complètement, irrémédiablement, engourdi.Tout le monde réagit différemment face à la mort. Certains pleurent, d’autres ont cette sensation de vide, si profond que rien ne peut le remplir. Ou encore l’impression d’être en train de tomber sans rien avoir à se raccrocher.Ils ne savaient pas où ils étaient, mais étaient tous trop choqués et fatigués pour s’en soucier. Elio les avait transportés jusqu’à l’épuisement et que son pouvoir cesse de fonctionner. Ils s’endormirent quelques minutes, lovés en position fœtale, s’abandonnant à la douce libération du sommeil, sous l’œil vigilant d’Elias. Aux premières lueurs du soleil, un regard leur suffit pour reconnaître où ils étaient. Sans même l’apercevoir, ils savaient que quelques centaines de
Plusieurs centaines d’écrans noirs m’entouraient, formant un arc de cercle devant moi. Des voix s’échappaient de plusieurs d’entre eux et emplissaient mon bureau d’une cacophonie sans pareille.—Que pouvons-nous bien faire ?—C’est trop tard. Montgomery s’est inscrit pour un nouveau mandat face au peuple !—C’est un sacrilège !—Il nous fera taire si nous tentons quelque chose contre lui !Un des écrans intima le silence. La voix d’Héléna résonna. Je m’enfonçai confortablement dans mon large fauteuil de cuir. Parfait. Le spectacle pouvait commencer.—Mes chers collègues, bienvenue ce soir pour ce qui sera, je l’espère, un événement unique dans l’histoire de notre Nation. Les actes récents du Chancelier nous ont conduits à une situation inédite aujourd’hui. Pour la première fois de notre ère, nous faisons face au danger d’un régime totalitaire. Moi, Héléna Trioli représentante de l’ordre de l’Utopie, déclare Charles
Les yeux d’Elias brillaient d’excitation. Maya lui adressa un signe de tête signifiant « comment va-t-on entrer sans submerger la pyramide ? ».Une lance frôla son visage, creusant une légère entaille sur sa joue gauche. L’eau se teinta d’écarlate autour d’elle. Bientôt, de nombreuses autres suivirent le même tracé, tombant dans leur sillon. Elias leva les yeux, brûlant d’une colère froide, vers leur origine. À quelques dizaines de mètres au-dessus d’eux, une armée de Rôdeurs s’était rassemblée sur les toits épargnés par les flots et gesticulait en les regardant. La vision plus floue de seconde en seconde, Elias hésitait. L’eau, le seul rempart entre eux et la mort, serait leur linceul dans quelques minutes. De plus en plus de projectiles les frôlaient; les Rôdeurs, pris de folie, leur jetaient tout ce qui leur passait sous la main. Elias se tourna vers Barthélémy pour quérir son avis. Trop tard. Livide, le corps de Chloé flottait, inerte. Elias comprit alors qu’elle avait
Par une chaude journée de fin d’été, les foules étaient massées dans les rues. La température, excessivement élevée, ne semblait pas freiner les fêtards, toujours plus nombreux. L’alcool coulait à flots, d’immenses écrans déversaient leurs reflets colorés, uniquement éclipsés par la beauté des feux d’artifice, et la musique résonnait. Une soirée normale, en somme.Les notes électroniques s’arrêtèrent brutalement. Des centaines de visages surpris levèrent les yeux vers les écrans. Chaque moniteur, chaque montre d’interface s’alluma de concert.Une vidéo démarra. Un individu, manifestement saoul, titubait. Gras et libidineux, il se dirigeait vers un lit où deux jeunes femmes et un homme l’attendaient, seulement vêtu d’un masque de cochon. Une fille lui jeta un objet rond à la figure. Il s’empressa de le fourrer dans sa bouche. Ironiquement, le bâillon représentait une pomme. L’homme se mit à genoux devant ses partenaires…La caméra dévia du spectacle avant qu’il ne s