Chapitre 8

Le lendemain de sa discussion avec Noah, Laureen se réveilla avec un sentiment étrange, un mélange d’épuisement et de détermination. Les questions de son fils tournaient encore dans son esprit, telles des vagues incessantes. Elle savait qu’elle ne pourrait pas les éviter éternellement, mais elle avait besoin de temps. Un peu d’air frais ne lui ferait pas de mal.

Après un rapide petit-déjeuner, elle laissa Noah à ses occupations et sortit se promener dans le centre-ville. Les rues pavées baignées de soleil étaient animées, mais la fraîcheur de l’air hivernal maintenait une certaine sérénité. Laureen aimait ces moments où elle pouvait flâner sans but précis, observer les vitrines et laisser ses pensées s’égarer.

Alors qu’elle s’arrêtait devant une librairie qu’elle adorait, une voix douce mais teintée d’hésitation, l’interpella.

— Laureen ?

Elle se retourna et resta un instant immobile. Devant elle se tenait Sarah, une vieille amie qu’elle n’avait pas vue depuis au moins quinze ans.

— Sarah ! s’exclama Laureen, son visage s’illuminant d’un sourire sincère.

Les deux femmes s’approchèrent, s’échangeant une étreinte rapide mais hésitante, comme si les années d’éloignement avaient creusé un fossé invisible entre elles.

— Ça fait une éternité, dit Laureen en la détaillant. Tu es toujours aussi élégante.

Sarah esquissa un sourire, mais son expression semblait figée, presque forcée.

— Toi aussi, répondit-elle, bien que son regard se soit rapidement détourné.

— Qu’est-ce que tu deviens ? demanda Laureen, curieuse et un peu nostalgique.

— Oh, pas grand-chose, répondit Sarah d’un ton neutre. La vie suit son cours. Et toi ?

Laureen haussa les épaules, son sourire s’atténuant légèrement.

— Pas grand-chose non plus…

Sarah hocha la tête sans approfondir. Laureen sentit une distance dans son attitude, mais elle n’avait pas envie de laisser cette rencontre se limiter à quelques banalités échangées sur un trottoir.

— Ça te dirait de prendre un café ? Comme au bon vieux temps ?

Sarah sembla hésiter un instant puis elle acquiesça .

— D’accord, mais juste un rapide, dit-elle avec un demi-sourire.

Elles s’installèrent dans un petit café chaleureux que Laureen aimait pour son ambiance accueillante. Les murs étaient ornés de vieilles photos en noir et blanc, et l’odeur du café fraîchement moulu embaumait l’air. Une fois assises, Laureen ne put s’empêcher de sourire.

— Tu sais, je ne pensais pas te croiser ici. Je croyais que la grande Sarah Moore aurait trouvé Ravensburry trop petit pour elle et sa personnalité pétillante, dit-elle avec un éclat de rire.

— Tu n’as pas tort, répondit Sarah avec un sourire énigmatique. Et toi alors ? Où étais-tu pendant tout ce temps ?

— Moi, j’étais ici et là, répondit Laureen en agitant vaguement la main, partout et nulle part à la fois.

— Arrête ton char, LauLau ! crache le morceau ! Et surtout, je veux savoir ce qui te ramène dans notre petite ville.

Laureen éclata de rire, ravie d’entendre ce vieux surnom. Si elle avait perçu une certaine barrière au début de leur conversation, elle se disait maintenant qu’elle s’était peut-être trompée.

Elle lui raconta donc comment, après un incident survenu il y a vingt ans, elle n’avait jamais vraiment réussi à se poser dans une ville. Elle avait vadrouillé d’un endroit à un autre jusqu’à s’installer à SunnyValley, une petite ville située à environ trois cents kilomètres de Ravensburry, où elle était restée sept ans avant de revenir ici car elle s’était dit qu’il était temps de rentrer.

Toutefois, pour une raison qu’elle ignorait, Laureen ne mentionna pas Noah dans son récit.

— Et toi, Cha’ ? Raconte-moi, lança Laureen avec enthousiasme.

Sarah se raidit légèrement à l’entente de ce surnom longtemps oublié, mais elle se ressaisit rapidement.

— Disons que… j’ai suivi le schéma classique : mariage, enfants… la routine, répondit-elle vaguement.

Laureen éclata de rire.

— Toujours aussi mystérieuse, à ce que je vois.

— Toujours aussi curieuse, répliqua Sarah avec un sourire en coin.

Laureen allait poser une autre question, mais Sarah consulta soudain sa montre et se redressa.

— Je suis désolée, mais je dois y aller, dit-elle en attrapant son sac.

— Déjà ? s’étonna Laureen.

— Oui, j’ai… un rendez-vous, répondit Sarah, presque précipitamment.

Laureen la fixa, intriguée par cette soudaine urgence.

— On pourrait se revoir bientôt ? proposa-t-elle.

Sarah esquissa un sourire, mais Laureen sentit une hésitation dans son regard.

— Oui, peut-être. Je te rappellerai, dit-elle avant de quitter le café.

Une fois seule, Laureen resta un instant immobile, son esprit tourné vers cette rencontre inattendue. Quelque chose dans le comportement de Sarah la troublait. Surtout qu’elle n’avait pas échangé de contact donc elles ne se reverront pas de sitôt.

Dehors, Sarah marchait rapidement, le souffle court, comme si elle voulait mettre le plus de distance possible entre elle et Laureen. Elle serra son sac contre elle, son cœur battant plus vite qu’il ne l’aurait dû.

« Elle ne sait rien, se rassura Sarah en tournant au coin de la rue. Elle ne doit jamais savoir. »