Le domaine Harrington, symbole de richesse et de pouvoir depuis des générations, baignait dans une tranquillité apparente ce soir-là. Les couloirs étaient déserts, les vastes pièces plongées dans une demi-obscurité. Pourtant, l'air semblait lourd, comme si les murs eux-mêmes retenaient leur souffle. Une vérité longtemps enfouie commençait à s'agiter dans l'ombre. Nathan Harrington, âgé de vingt ans, était assis dans le salon familial, l'esprit rempli de questions qu'il ne savait pas comment formuler. L’image qu’il avait vue plus tôt dans la journée refusait de quitter son esprit. C’était une photo qu’un ami lui avait montrée, une photo prise lors d’un événement en ville. Ce qui avait attiré l’attention de Nathan n’était pas l’événement en lui-même, ni les personnes présentes, mais un visage en particulier. Le garçon sur la photo, n’était pas quelqu’un qu’il connaissait personnellement. Il semblait plus âgé, probablement vingt deux ans ou un peu plus, et Nathan n’avait jamais cro
Nathan quitta le café avec un sentiment d'inachevé. Il avait espéré que rencontrer Noah en personne l'aiderait à apaiser ce malaise qui le rongeait depuis qu'il avait vu cette photo. Mais Noah ne semblait pas partager ses inquiétudes. Pour lui, cette ressemblance n'était qu'une coïncidence amusante, rien de plus. Peut-être qu'il avait raison. Peut-être que Nathan s'acharnait inutilement sur quelque chose qui n'avait aucun sens. À la maison, Sarah Harrington s'affairait dans la cuisine. Bien que leur domaine soit équipé d'une équipe de domestiques dévoués, Sarah tenait à mettre la main à la pâte de temps à autre. C'était sa manière de se recentrer, de se rappeler qu'elle n'était pas qu'une Harrington, mais aussi une personne ordinaire avec des souvenirs, des joies simples et, parfois, des regrets. Elle coupait des légumes pour le dîner lorsqu'elle entendit la porte d'entrée s'ouvrir et se refermer doucement. Nathan était rentré. Elle l'entendit traîner des pieds dans le couloir, pu
Le lendemain matin, le soleil perçait doucement à travers les rideaux de la chambre de Nathan. Une légère brise faisait onduler les feuilles des grands arbres qui entouraient le domaine Harrington. L'alarme de son réveil vibra sur sa table de chevet, et il tendit une main paresseuse pour l'éteindre. Il grogna, enfouissant son visage dans son oreiller. Les matins n’avaient jamais été son moment préféré. Après quelques minutes à traîner au lit, Nathan se força à se lever. Il enfila un sweat et un pantalon de jogging avant de descendre dans la cuisine. Comme toujours, Anne, la cuisinière de la maison, était déjà à pied d’œuvre, préparant le petit-déjeuner. — Bonjour, Nathan, dit-elle avec un sourire chaleureux. Tu veux des œufs, ou tu préfères des pancakes ce matin ? Il s’affala sur une chaise, encore à moitié endormi. — Des pancakes, s’il te plaît. Avec du sirop. Anne hocha la tête. Nathan saisit son téléphone sur la table et commença à faire défiler son fil d’actualité,
Au domaine Harrington, l’atmosphère était toujours aussi calme lorsque Sarah descendit finalement les escaliers. Ses talons résonnaient doucement sur le parquet impeccablement ciré. Vêtue d’une robe élégante mais décontractée, elle entra dans la salle à manger où Charles, son mari, était déjà installé, un journal déplié devant lui et une tasse de café fumant à portée de main. Charles Harrington était l’image même de l’homme d’affaires puissant, avec son costume impeccable et sa posture rigide. Il ne levait les yeux de son journal que pour boire une gorgée de café ou pour jeter un coup d’œil rapide à l’horloge murale. — Bonjour, Charles, dit Sarah en s’asseyant à l’autre bout de la table. — Sarah, répondit-il simplement, sans détourner les yeux de son journal. Un silence s’installa, à peine troublé par le bruit discret du service de table qu’Anne disposait devant eux. — Nathan est parti en ville ce matin, dit Sarah finalement, brisant le silence. Charles hocha la tête, tou
Le campus de l’université de Ravensburry était en effervescence. Les feuilles d’automne jonchaient les vastes pelouses, et les étudiants allaient et venaient entre les bâtiments en discutant, riant ou se précipitant à leurs cours. Nathan traversait l’atrium principal, un café à la main, son sac en bandoulière frappant légèrement contre sa hanche à chaque pas. Il vérifia l’emploi du temps sur son téléphone. Ce matin-là, il avait un cours obligatoire sur les « Fondements de la pensée critique et de la communication », un module que tous les étudiants de première année et de deuxième année devaient suivre, peu importe leur spécialisation. Nathan, qui étudiait banque et finance, trouvait cette obligation fastidieuse. Il préférait de loin les chiffres aux discussions abstraites. Mais il n’avait pas le choix. Il entra dans l’amphithéâtre, où une centaine d’étudiants étaient déjà installés. La salle semblait être un mélange chaotique de spécialités : ingénieurs, juristes, littéraires, et
Le café où travaillait Noah était niché dans une rue animée du centre-ville de Ravensburry, un endroit prisé des professionnels et des étudiants. C’était un lieu chaleureux où l’odeur enivrante de café fraîchement moulu flottait toujours dans l’air. Noah aimait cet endroit. C’était plus qu’un simple emploi à temps partiel pour lui — c’était un espace où il se sentait à l’aise, où il pouvait observer le monde. Ce jour-là, comme à l’accoutumée, Noah travaillait derrière le comptoir lorsque que Charles Harrington franchit les portes vitrées du café. Il portait un costume gris anthracite parfaitement taillé, et sa démarche, bien qu’élégante, laissait entrevoir une certaine impatience. Ce genre d’endroit n’était pas sa tasse de thé. Habituellement, il se contentait du café servi à la banque, mais ce matin, sa machine personnelle était hors service, et il avait besoin de sa dose de caféine avant sa prochaine réunion importante. Charles jeta un rapide coup d’œil à l’intérieur, cherchant
Noah était assis dans le salon avec Laureen. La télévision était allumée, mais aucun d’eux ne la regardait vraiment. Au bout d’un moment, il posa la télécommande qu’il avait à la main et se tourna vers sa mère. — Maman, dit-il doucement Laureen, qui était plongée dans un livre, releva la tête. — Oui, mon chéri ? Noah hésita, cherchant les bons mots. — J’ai une question. Et je veux une vraie réponse cette fois. Laureen fronça les sourcils, mais elle posa son livre, prête à l’écouter. — D’accord. Qu’est-ce qui te tracasse ? Il prit une profonde inspiration. — Est-ce que tu pourrais m’en dire plus à propos de mon père? La question tomba comme une pierre dans un lac calme. Laureen sentit son estomac se nouer. Elle avait espéré mourir sans jamais avoir cette conversation, mais elle savait que ce jour viendrait. — Noah… Je t’ai déjà dit tout ce que tu avais besoin de savoir. — Non, maman, tu ne l’as pas fait, répondit-il fermement. Tu as toujours évité la questio
Le lendemain de sa discussion avec Noah, Laureen se réveilla avec un sentiment étrange, un mélange d’épuisement et de détermination. Les questions de son fils tournaient encore dans son esprit, telles des vagues incessantes. Elle savait qu’elle ne pourrait pas les éviter éternellement, mais elle avait besoin de temps. Un peu d’air frais ne lui ferait pas de mal. Après un rapide petit-déjeuner, elle laissa Noah à ses occupations et sortit se promener dans le centre-ville. Les rues pavées baignées de soleil étaient animées, mais la fraîcheur de l’air automnal maintenait une certaine sérénité. Laureen aimait ces moments où elle pouvait flâner sans but précis, observer les vitrines et laisser ses pensées s’égarer. Alors qu’elle s’arrêtait devant une librairie qu’elle adorait, une voix douce mais teintée d’hésitation, l’interpella. — Laureen ? Elle se retourna et resta un instant immobile. Devant elle se tenait Sarah, une vieille amie qu’elle n’avait pas vue depuis au moins quinze a
Pendant qu’elle filait rejoindre ses amies dans un club privé de Ravensburry, une toute autre ambiance enveloppait Laureen, qui, se préparait à aller retrouver Daniel. Le restaurant que Daniel avait choisi respirait le raffinement sans être ostentatoire. Une lumière tamisée baignait les tables dans une atmosphère feutrée, et le doux murmure des conversations s’entremêlait avec une mélodie jazz en fond sonore. L’endroit était accueillant, pensé pour ceux qui voulaient prendre leur temps. — Pas mal du tout, commenta Laureen en balayant la pièce du regard. — J’espérais que ça te plaise, répondit Daniel avec un sourire satisfait. — Tu veux dire que tu espérais marquer des points ? Il posa une main sur son cœur, faussement offensé. — Je suis blessé par tant de cynisme. — Oh, tu survivras, répliqua-t-elle en s’asseyant. Le serveur vint prendre leur commande, et après un rapide échange, ils furent laissés seuls. Daniel croisa les bras sur la table, une lueur amusée dans le regard. —
Charles était assis dans son bureau, un dossier ouvert devant lui. La pièce était baignée d’une lumière tamisée, filtrée par les lourds rideaux qui couvraient les immenses fenêtres. Il avait reçu le rapport tant attendu plus tôt dans la journée et, depuis, il n’avait cessé de le relire, cherchant à assembler les pièces du puzzle. Les semaines avaient passé depuis sa conversation avec Sarah au sujet de Laureen, mais il n’avait pas cessé d’y penser. Il y avait anguille sous roche. Il le sentait. Plutôt que de confronter directement Sarah, il avait choisi une autre approche : l’observation. Il avait demandé à un contact de creuser discrètement sur Laureen, sans éveiller les soupçons. Il voulait comprendre qui elle était, d’où elle venait, et pourquoi sa présence semblait affecter Sarah à ce point. Et après quelques temps il pouvait enfin éclaircir quelques zones d’ombre. Laureen Carter. Professeure d’université. Arrivée en ville il y a environ un an. Mère d’un fils, Noah Carter.
Noah marcha d’un pas tranquille dans l’allée pavée, observant avec une certaine fascination la propriété imposante qui s’étendait devant lui. Il aurait peut-être dû envoyer un message à Nathan pour qu’il vienne l’attendre à l’entrée, mais il avait été trop absorbé par le paysage et l’immensité du domaine. Une légère brise soulevait les feuilles tombées au sol, et sous la lumière tamisée du début de soirée, le manoir semblait presque irréel. Arrivé devant la porte principale, il hésita une seconde avant de sonner. Presque immédiatement, celle-ci s’ouvrit sur Nathan, qui le dévisagea avec une expression mi-amusée, mi-sceptique. — T’es venu à pied ? Noah haussa un sourcil. — Ben ouais. Je suis descendu du bus et j’ai marché. — Mec, je t’avais dit que c’était loin. — Ça va, j’suis pas mort. Mais par contre, t’aurais pu me prévenir que je venais visiter le palais de Buckingham. Nathan éclata de rire en s’écartant pour le laisser entrer. — Bienvenue chez les Harrington. No
— Flashback — Laureen était assise sur le banc, recroquevillée sur elle-même, le regard fixé sur le sol humide. Depuis plusieurs minutes, elle n’avait pas bougé, comme figée dans une bulle invisible qui l’isolait du reste du monde. Ses doigts crispés sur le tissu de sa veste trahissaient une nervosité qu’elle ne parvenait pas à apaiser. À côté d’elle, Sarah la scrutait, la mâchoire serrée. — On va le retrouver. Sa voix claqua dans l’air, tranchante, implacable. Laureen tressaillit à peine. Elle tourna lentement la tête vers elle, ses yeux encore voilés par un flot de pensées confuses. — Sarah… — On va le retrouver, et je te jure qu’il paiera. L’intensité dans sa voix était presque effrayante. Sarah ne se contentait pas d’être en colère. Elle bouillonnait d’une rage froide, d’une haine qu’elle ne cherchait même pas à dissimuler. Laureen entrouvrit les lèvres, hésita, puis les referma. Un frisson imperceptible la parcourut. — Et s’il n’y avait personne à retrouver ? murmura-t-
L’université était en pleine effervescence avec l’approche des congés d’hiver. Entre excitation et stress de fin de semestre, les étudiants remplissaient les couloirs d’un brouhaha constant. Laureen, elle, profitait d’un moment de répit dans la salle des professeurs, prenant distraitement des bouchées de sa part de tarte aux pommes, son regard perdu sur ses copies à corriger.— Toujours aussi studieuse, à ce que je vois.Elle releva la tête pour voir Daniel s’installer en face d’elle, une pile de dossiers sous le bras et un sourire amusé sur les lèvres.— J’essaie de survivre, répondit-elle en fermant son carnet de notes. Et toi ?— Oh, je repousse l’inévitable. Ces rapports ne vont pas s’écrire tout seuls, mais je préfère faire semblant de ne pas y penser pour l’instant.Elle esquissa un sourire.— Technique de procrastination bien rodée, je vois.— Je préfère dire que c’est une gestion efficace du stress, rétorqua-t-il en haussant un sourcil.Ils échangèrent un regard complice. Laur
La nuit avait été courte. Nathan s’était retourné plusieurs fois dans son lit, repensant à l’échange entre ses parents la veille. Bien qu’il fût proche d’eux, ce n’était plus un secret pour personne que, dans le couple Harrington, l’amour avait disparu depuis bien longtemps. Avec le temps, il avait appris à observer, à déceler les tensions sous-jacentes à leurs discussions. Non pas par simple curiosité, mais parce qu’il ne voulait pas être pris au dépourvu par une annonce de divorce. Et il en était sûr : cette dispute n’avait rien à voir avec les précédentes. Elle était plus froide. Plus pesante. Il n’avait pas osé poser de questions. De toute façon, à quoi bon ? Il connaissait déjà leurs réponses vagues et leurs tentatives d’évitement. C’était toujours comme ça. Alors qu’il marchait vers l’université, mains dans les poches, il tenta d’évacuer cette sensation désagréable. Ce n’était pas son problème. Il avait d’autres choses en tête. Notamment Laureen Carter, sa professeure de
Le dîner s’éternisait, mais Charles n’écoutait plus. Son attention était fixée sur la scène qui se déroulait à quelques mètres de lui. Sarah et cette femme continuaient de discuter, le visage détendu, l’échange fluide. Elles éclatèrent de rire, puis Sarah secoua doucement la tête, comme si elle tentait d'atténuer un souvenir ou une anecdote trop embarrassante. Charles les observa sans intervenir, cachant son trouble derrière son verre de vin. Finalement, après quelques minutes, elles se levèrent. Il s'attendait à une séparation polie, peut-être une poignée de main formelle, mais il vit plutôt Sarah esquisser un sourire sincère avant d’enlacer Laureen brièvement. Rien de forcé. Rien qui ressemblât à une simple connaissance retrouvée par hasard. Non. C’était un geste naturel, témoignant sans équivoque qu’elles se connaissaient depuis longtemps. Charles sentit sa mâchoire se crisper. Quelques semaines plus tôt, il avait mentionné ce nom – Laureen Carter – et Sarah n’avait manifes
Quand Laureen s’était levée ce matin-là, recevoir un message de Sarah était loin d’être sur sa bingo liste de la journée. Elle avait beau se pincer, c’était pourtant bien réel. Le message de Sarah clignotait sur l’écran de son téléphone. “Tu es libre demain ?” Quatre mots. Simples, directs. Pourtant, ils avaient suffi à lui nouer l’estomac. Elle fixa son écran quelques instants, incapable d’ignorer le mélange d’appréhension et d’excitation qui montait en elle. Après tout ce temps, après cette rencontre fortuite qui avait réveillé tant de souvenirs… Sarah voulait la voir. Elle tapota une réponse rapide : “Oui. Dis-moi où et quand.” À sa surprise, la réponse de Sarah apparut quelques secondes plus tard. Une adresse. Une heure. Demain soir. Laureen relut le message plusieurs fois. Elle n’avait pas prévu ça. Lorsqu’elle était partie, elle avait tout laissé derrière elle. Sans un mot. Sans un au revoir. Elle n’avait pas cherché à renouer avec qui que ce soit en revenant. Elle vou
Sarah était plongée dans ses pensées depuis le matin. Assise près de la fenêtre du salon, elle observait distraitement les passants. L’image de Laureen, persistante et souriante, s’imposait encore et encore dans son esprit. Depuis leur rencontre à l’université, Laureen n’avait cessé de la contacter, avec une persévérance presque déconcertante. Sarah avait tenté d’esquiver poliment ses invitations, mais elle savait que son amie de jeunesse n’allait pas abandonner si facilement. La porte d’entrée claqua, interrompant ses pensées. Nathan entra, suivi de près par Max, qui portait une boîte de pizza et affichait son éternel sourire malicieux. — Salut, maman ! lança Nathan en déposant son sac sur le canapé. — Bonjour, Madame Harrington, ajouta Max en s’inclinant légèrement avec un air théâtral. Sarah esquissa un sourire, habituée à leur énergie. — Salut, les garçons. Une bonne journée ? Nathan haussa les épaules en s’asseyant. — Pas mal. On a traîné en ville. — Et devine qui on a cr