Annibal
Je me tenais là, presque figé, comme si le monde autour de moi s’était effondré et que le seul élément qui existait encore était ce silence oppressant. Mes pensées se bousculaient, mais une sensation de lourdeur s’empara de moi. La pièce semblait se réduire à un point de pression, et je ne savais plus quelle direction prendre.
Elle était toujours devant moi, calme, presque distante, mais ses yeux… Ses yeux ne cessaient de me fixer avec une intensité qui me paralysait. Comme si elle avait vu au-delà de mon apparence, au-delà de mes actions. Elle savait ce que j’avais fait, mais surtout, elle semblait savoir ce que je ressentais en cet instant précis. Et cela me terrifiait.
Elle s’éloigna légèrement, et je remarquai alors que les murs autour de moi avaient changé. Ils étaient maintenant recouverts de miroirs. Des miroirs partout, des murs en miroir, chacun reflétant mon visage. Mon reflet. Mais ce n’était pas le visage que je connaissais. Ce visage… Il semblait plus vieux, plus fatigué. Les yeux, marqués par la violence et la souffrance. La peau, tendue, marquée par des années de secrets et de décisions froides.
Je m’approchai d’un miroir, lentement, presque hésitant. Chaque pas que je faisais semblait résonner avec une force croissante. Mes yeux s’ancrèrent dans mon propre reflet. Mais ce que je vis ne correspondait pas à l’image que j’avais d’habitude. Je ne voyais plus simplement un assassin. Je voyais un homme brisé, un homme perdu. Un homme qui s’était battu toute sa vie contre des ombres qu’il ne pouvait jamais échapper.
"Qu’est-ce que vous attendez de moi ?" murmurai-je finalement, la voix remplie d’une désespérance que je n’avais pas voulu admettre. "Vous m’avez vu… Vous savez ce que j’ai fait… Alors, pourquoi me tourmenter ainsi ?"
Elle s’approcha de moi, son pas léger, mais son regard lourd de compréhension. "Je ne te tourmente pas, Anibal. Je te montre simplement ce que tu as toujours voulu ignorer. Ce que tu n’as jamais voulu voir. Tu cherches à te convaincre que tuer, éliminer des vies, effacer des preuves, est la seule façon d’aller de l’avant. Mais ça n’est jamais suffisant, n’est-ce pas ?"
Je tournai légèrement la tête, observant les reflets déformés des autres miroirs. Chaque visage était une variation de moi-même, mais déformé, brisé, marqué par les années de violence. Les meurtres. La solitude. J’avais toujours cru que tout cela n'était qu'une question de contrôle. Mais maintenant, chaque réflexion semblait me dire quelque chose de bien plus profond.
"Je ne pouvais pas faire autrement… Je n'avais pas le choix," soufflai-je, presque pour moi-même, comme une excuse que je m’étais répétée pendant des années. Mais cette fois, cette excuse n’avait pas l’air de tenir. Les mots résonnaient faiblement dans l’air, comme une tentative de clamer quelque chose que je ne croyais plus.
Elle soupira doucement, un air presque triste traversant son visage. "Tu te trompes, Anibal. Il y a toujours un choix. Et même si tu t’es convaincu que tuer était ta seule voie, ce n’était pas la vérité. Tu as choisi ce chemin, mais tu as aussi choisi de fuir. De fuir tes peurs, de fuir tes doutes. De fuir la personne que tu es devenu."
Je fermai les yeux, incapable de regarder plus longtemps ce visage déformé par le miroir. Je détournai le regard, cherchant quelque chose pour me raccrocher à ma réalité. Mais tout ce que je voyais, c'était l'image de moi-même se brisant lentement sous la pression de ces mots.
"Je ne peux pas revenir en arrière…" murmurais-je, la voix tremblante cette fois. "Ce que j'ai fait… Ce sont des choses irréparables."
"Tu penses que c’est trop tard ?" répondit-elle calmement, sans jugement. "Mais la vérité, Anibal, c’est que tu ne peux jamais effacer ce que tu as fait. Ce que tu peux changer, c’est ce que tu choisis d’être maintenant. Ce n’est pas une question de rédemption, ni de justice. C’est une question d’acceptation. Accepter qui tu es, et choisir de vivre avec cela."
Les mots résonnèrent en moi, comme une onde qui se propageait à travers mon esprit. Je ne savais pas comment réagir, ni comment les accepter. La simple idée qu'il puisse encore y avoir un choix semblait irréelle. Comment un homme comme moi pouvait-il encore se permettre de choisir un chemin différent ? J'avais tout perdu. Mes actions, mes meurtres, avaient tissé un réseau de mensonges et de douleur autour de moi. Comment pouvais-je penser à réparer tout cela ?
Je me tournai finalement vers elle, mon regard fuyant, cherchant une issue. Mais elle était toujours là, présente, immobile, et son regard semblait m’offrir une sorte de paix que je n’avais jamais connue.
"Je ne peux pas tout effacer…" dis-je d’une voix cassée. "Je ne peux pas tout réparer."
"Non," répondit-elle avec douceur, "tu ne peux pas effacer ce qui a été fait. Mais tu peux choisir comment tu vas avancer. Et c’est là que tout commence. Chaque pas que tu fais désormais peut être un pas vers la lumière ou un pas dans l’ombre. C’est toi qui décides."
Les miroirs autour de moi se mirent à trembler légèrement, comme une réponse à mes pensées tourmentées. Je regardai mon reflet une dernière fois, cette fois sans détourner les yeux. Ce visage… Ce n’était pas un monstre. C’était un homme. Un homme qui avait fait des erreurs. Un homme qui avait choisi un chemin tortueux, mais un homme qui, peut-être, pouvait encore choisir de changer.
Je respirai profondément, comme si pour la première fois, j’acceptais cette réalité, cette vérité dure mais nécessaire. Le voyage que j’avais entamé n’était pas celui d’un assassin sans pitié, mais celui d’un homme qui cherchait à comprendre ce qu’il était vraiment. Je n’étais pas perdu. Pas encore. Mais je savais que ce qu’il allait se passer à partir de cet instant définirait qui je serais.
"Alors, que dois-je faire ?" demandai-je enfin, la voix plus calme, mais chargée d’incertitude.
"Regarde-toi dans le miroir," répondit-elle. "Et décide, maintenant. Qui veux-tu devenir ?"
Je fermai les yeux un instant, cherchant à retrouver un peu de clarté dans l’obscurité de mon esprit. Lorsqu’ils s’ouvrirent de nouveau, je me tournai à nouveau vers le miroir, mais cette fois, quelque chose en moi avait changé. Ce reflet… Il n’était pas juste un assassinat de moi-même. Il était un homme encore capable de se réinventer.
J’inspirai
profondément, prêt à affronter ce qui venait.
Annibal Je me tenais devant le miroir, figé dans un silence qui semblait étirer le temps. Les mots de la femme, sa douce mais ferme invitation à regarder au-delà de ma façade, résonnaient en moi. J'avais toujours cru que j'avais tout sous contrôle, que chaque décision que je prenais était calculée, précise. Mais ce que je voyais maintenant, ce n’était pas l’image que je m’étais forgée de moi-même. Je voyais un homme brisé, un homme que la violence et la solitude avaient façonné, mais pas un monstre. Pas encore.Je secouai légèrement la tête, comme pour me débarrasser de ces pensées qui menaçaient de m’emporter à nouveau. Non, je ne pouvais pas me permettre de perdre pied. Pas encore. J'avais encore un choix à faire.Elle, silencieuse et immobile à quelques pas de moi, me regardait toujours avec cette même intensité. J'avais l'impression qu’elle ne me quittait jamais des yeux, qu’elle me poussait à m’affronter de manière plus cruelle que tout ce que j'avais connu jusqu’alors. Chaque m
Annibal Je quittai la pièce, les portes se fermant derrière moi avec un bruit sourd. Chaque pas dans le couloir semblait résonner comme un écho de mes pensées tumultueuses. J’étais encore sous le choc de la confrontation qui venait d’avoir lieu. Je n'avais pas obtenu de réponse définitive, aucune solution facile. Mais je savais que quelque chose en moi avait changé. Ce n’était pas un changement visible, mais un changement profond, une prise de conscience qui risquait de tout remettre en question.Je sortis dans la rue, l’air frais du soir me frappant au visage. La nuit tombait lentement, les lumières de la ville se reflétant dans les flaques d’eau sur le trottoir. J’observai un instant le va-et-vient des gens autour de moi. La normalité. La vie qui continuait, indifférente à ce que je venais de vivre, à ce que je venais de comprendre. Je me sentais comme un étranger dans ce monde, un homme isolé, coupé de tout, même de moi-même.Mes mains se crispèrent autour de mes poches, et je me
Annibal Je marchais sans but dans la ville, les rues devenant un labyrinthe de souvenirs et de pensées contradictoires. Impossible de me débarrasser de l’image de mon mentor, ce visage impassible qui m’avait guidé dans un monde où l’âme semblait une notion étrangère. Loin des regards de la société, j’avais appris à tuer, à être celui qu’on appelait quand il n’y avait plus de solutions. Mais aujourd’hui, tout semblait différent. Le poids des vies que j'avais prises, les ombres de mes actions passées, me rattrapaient.Je m'arrêtai près d’un vieux parc, où les feuilles mortes jonchaient le sol. Là, au milieu du chaos de la ville, je trouvai un moment de calme, un instant où je pouvais réfléchir sans la pression des regards. Je m’assis sur un banc, fermant les yeux un instant pour laisser les bruits du monde m’envahir.La confrontation avec la femme, dans la pièce aux miroirs, était encore fraîche dans mon esprit. Ces mots, ces vérités sur le choix, la rédemption, l’acceptation, tournaie
Aníbal La ville était toujours aussi bruyante, les néons clignotants donnant l’impression d’une vie qui ne s’arrêtait jamais. Je errais dans ces rues, les pensées tourbillonnant dans mon esprit. Chaque pas semblait me mener plus loin du calme que je recherchais, et plus près des ombres de mon passé. J’avais pris une décision : je voulais changer. Mais le chemin était semé d’embûches, et je me demandais si ce que je ressentais n’était pas qu’une illusion passagère, une envie irréaliste de fuir un passé trop lourd.Je m’arrêtai devant un vieux café que je fréquentais parfois. Ce n’était pas un lieu particulièrement populaire, mais il offrait une tranquillité relative, loin de l’agitation de la ville. C’était l’endroit idéal pour réfléchir, ou du moins essayer de comprendre ce qui se passait en moi.Je entrai, m’installai à une table au fond, et commandai un café. L’odeur du liquide chaud se mêlait à celle de la poussière légère qui flottait dans l’air. L’endroit était presque vide. Que
Anníbal Je n'avais pas l'habitude de me laisser emporter par des émotions. La rage, la peur, l'incertitude : je les connaissais bien, mais j'avais appris à les garder enfouies, à les ignorer. Pourtant, cette rencontre avec Claire, cette confrontation brutale avec ce que j'étais devenu, avait secoué quelque chose en moi. C'était une prise de conscience, une remise en question qui me suivait depuis notre conversation au café.Je me dirigeai vers un vieux quartier, loin des lumières vives de la ville, là où les rues étaient étroites, presque abandonnées. Je connaissais cet endroit, un lieu où je pouvais me perdre sans être dérangé. Je m'installai sur un banc sous un lampadaire défectueux, regardant les ombres s'allonger autour de moi. Les bruits de la ville semblaient lointains ici, comme si le monde extérieur ne pouvait pas m'atteindre.Le silence de la nuit était lourd, presque oppressant. Je me sentais suspendu dans le temps, entre deux mondes : celui que j'avais connu, rempli de vio
Aníbal Je me retrouvai à nouveau dans la ville, mais quelque chose avait changé en moi. Chaque coin de rue semblait me murmurer des souvenirs que j'aurais préféré oublier. Le vent froid soufflait contre mon visage, mais je n'arrivais pas à me débarrasser de l'écho des paroles de cet homme : "Ce monde te garde." Elles résonnaient en moi, répétées comme une sentence implacable. Même si je refusais de l’admettre, je savais que ce que je fuyais ne disparaîtrait pas si facilement.Je me rendis dans un petit appartement en périphérie de la ville. Un endroit que j'avais trouvé récemment, une sorte de cachette temporaire, loin des regards curieux. La nuit était déjà tombée, et la lumière blafarde de la rue pénétrait à peine à travers les rideaux déchirés. Le silence était lourd, mais d'une manière étrange, il m’était devenu familier. Ici, je me retrouvais seul avec mes pensées, mais je savais que cette solitude n’était qu’apparente.En ouvrant la porte, je me dirigeai vers la petite table où
Anníbal Je marchais aux côtés de Claire dans les rues désertes de la ville, les néons flous et les ombres de la nuit enveloppant tout autour de nous. Le silence pesait lourdement, mais aucun de nous ne semblait vouloir briser cette étrange tranquillité. Chaque pas résonnait dans l’air froid, mes pensées tourbillonnant dans un enchevêtrement de doutes et de résignation. Le chemin que j’allais devoir emprunter semblait de plus en plus incertain, et la lourde réalité de ce que je devais affronter s’épaississait autour de moi comme un voile de brume.Claire avançait sans se presser, sans même me regarder, comme si elle savait exactement où nous allions. Elle n’avait jamais été du genre à poser des questions inutiles ou à chercher des réponses immédiates. C’était une femme d’action, et au fil des années, j’avais appris à respecter cette part d’elle, aussi froide et distante qu’elle fût. Elle savait ce que c’était d’affronter son passé, et je n’étais pas dupe : elle savait aussi que chaque
L’obscurité s’épaississait autour de nous, enveloppant notre petit monde dans une couverture opaque et pesante. Pourtant, la présence de Claire à mes côtés était une chaleur réconfortante, une flamme dans l’obscurité. J’avais longtemps cru que la solitude était ma seule compagne, une prison faite de doutes et de souffrances. Mais maintenant, avec elle, cette obscure solitude semblait moins menaçante, presque banale.Claire me regarda intensément, ses yeux brillants d’une détermination qui contrastait merveilleusement avec nos sombres alentours. « Prends ma main, » murmura-t-elle, et sa voix résonna comme un doux écho au milieu des murmures de la nuit. J’hésitais un instant, pris entre la peur de l’inconnu et l’envie de me laisser porter par cette connexion palpable. Enfin, poussée par un instinct irrésistible, je saisis sa main. Nos doigts s’entrelacèrent avec la naïveté d’une promesse tacite, quelque chose que nous allions réaliser ensemble.Nous avançâmes prudemment dans ce dédale d
AnnibalLa porte claque doucement derrière nous. Pas de cris. Pas de menace. Pas de guerre. Juste… le silence.Je dépose les clés. Claire retire ses bottes en soupirant. Elle ne dit rien. Mais je la sens trembler, même sous ses vêtements. Je me retourne, la fixe.Elle me regarde, fatiguée, les yeux rouges mais clairs.Elle est belle comme ça.Vraie.Brisée, mais vivante.Et mienne — si elle le veut encore.— Ça fait combien de temps qu’on n’a pas été seuls, Claire ?Elle sourit, à peine.— Trop longtemps. J’avais oublié le son de ton silence.Je m’approche. Elle ne recule pas. Je tends la main et touche son visage. Sa joue est froide. Je veux la réchauffer.— On peut s’arrêter ce soir. Juste pour ce soir. Pas de Luca. Pas de monstres. Pas de souvenirs. Juste toi et moi.Elle ferme les yeux, s’approche, pose son front contre le mien.— Tu crois qu’on mérite ça ? Ce genre de paix ?Je pose mes mains sur sa taille, l’attire contre moi.— Je crois qu’on a traversé assez d’enfer pour mérit
---ClaireIl est là.Je le reconnaîtrais entre mille.Même couvert de sang séché, même amaigri, même l’âme en lambeaux…Annibal reste Annibal.Je cours. Je m’effondre contre lui. Il ne dit rien. Mais ses bras me serrent. Fort.Plus fort que je l’aurais cru possible.Comme si me toucher était la seule chose réelle ici.— Tu m’as retrouvée, je souffle.Il ferme les yeux. Sa main dans mes cheveux.— Je t’ai suivie jusqu’en enfer, Claire. Et ce n’est pas fini.---AnnibalLe monde est brisé. Mais Claire est là.Et tant qu’elle respire, j’ai une raison de continuer.Je ne pose pas de questions. Pas encore.Parce que je vois dans ses yeux les réponses que je redoute.Elle est différente.Quelque chose l’a touchée là-bas. Quelque chose l’a marquée.— Luca est avec toi ? je demande.Elle hoche la tête.— Oui. Mais il change. Il rêve d’elle. Il l’entend.Elle ne prononce pas son nom.Mais je sais de qui elle parle.Sali.Celle qui a volé la lumière de Claire. Celle qui a tenté de m’arracher m
LucaLe sol est stable. L’air est lourd, mais réel.On est de retour.Enfin… presque.Claire tient ma main si fort que je sens mes os craquer.Mais je ne dis rien. Parce qu’elle pleure. Et que je n’ai jamais vu Claire pleurer.— On l’a perdue, je dis.Elle secoue la tête.— Non. Elle s’est perdue. Nous, on s’est retrouvés.Et quand je regarde autour de nous, je sais que ce n’est que le début.Parce que le monde ne nous appartient plus.Mais nous savons où frapper.---ClaireCe n’est pas le monde que j’ai quitté.Les rues sont silencieuses. Les lampadaires crépitent comme des néons malades. L’air sent le métal et la pluie.Mais ce n’est pas ça, le pire.Le pire, c’est le regard des gens.Ils ne nous voient pas vraiment. Comme si nous étions flous, transparents à leurs yeux.Ou peut-être qu’ils ont appris à ne plus voir.Peut-être qu’ils savent… que ceux qui reviennent ne sont plus les mêmes.Luca titube à mes côtés. On n’a rien dit depuis l’apparition. Rien depuis le départ de Sali.O
ClaireLe sol n’est plus le même.Depuis que j’ai franchi cette rue — la rue, celle que personne n’ose nommer —, tout semble suspendu. Le vent ne bouge plus les feuilles. Les lampadaires ne font plus d’ombre.Je sens la trace de Luca. Une chaleur qui palpite encore sur le bitume, comme un cœur qui ne veut pas cesser de battre.Je le suis.Mais plus j’avance, plus je me perds.Mes souvenirs deviennent brumeux. Le nom de ma mère m’échappe. La couleur de mes yeux me fuit.Je me raccroche à une seule chose : Sali.Si je la retrouve, je retrouve Luca. Et peut-être… peut-être que je me retrouve moi-même.SaliElle est là.Elle marche dans mon sillage sans même comprendre.Je l’ai rêvée mille fois, Claire. Je l’ai vue tomber, se relever, tomber encore. Toujours humaine. Toujours trop humaine.Mais maintenant, elle est presque prête.Je tends les doigts, à travers la membrane qui sépare nos mondes. Je touche son esprit. Juste un peu.Elle tremble. Elle résiste.Elle est parfaite.Mais elle ne
ClaireTrois jours.Trois jours sans Anibal. Trois jours sans Serge. Trois jours que le bunker est devenu un tombeau muet, sans porte, sans écho. Et pourtant, parfois, la nuit, je crois entendre une voix murmurer mon prénom.Je reste assise sur le seuil du monde. Là où l’herbe recommence à pousser, là où le vent sent encore un peu la vie. Luca dort la plupart du temps. Quand il se réveille, il parle peu. Il a vu quelque chose là-bas, quelque chose qu’il refuse de mettre en mots.Et moi… moi, je tiens. Je veille. Parce que quelqu’un doit le faire.LucaJe ne rêve plus. Ou peut-être que je ne me réveille plus.Depuis que Claire m’a tiré hors de ce trou béant, je flotte entre deux états. Comme si mon corps était resté là-bas, avec Serge. Comme si mon esprit était resté accroché aux derniers mots d’Anibal.Il a murmuré assez. Mais est-ce que ça a compris ce qu’il voulait dire ?Claire me parle parfois. Elle me raconte des souvenirs, de l’avant. Des rires, des nuits étoilées, des bières tr
ClaireQuand je retrouve Anibal, il a le regard vide, les mains tremblantes.— Elles sont là, je dis.Il hoche lentement la tête.— Je sais.On rejoint Luca et Serge dans ce même café où tout avait basculé. Mais cette fois, personne ne fait semblant.Serge a les yeux injectés de sang, Luca tremble comme une feuille. Et moi… j’ai mal. Une douleur sourde au creux du ventre, comme si quelque chose me rongeait de l’intérieur.Anibal prend la parole, froid, déterminé.— On doit retourner là-bas.— Tu es malade, je murmure.— Non. On les a laissées passer. Elles ont franchi la faille. Ce monde… elles veulent le dévorer. Il faut refermer la porte.— Mais on ne sait même pas comment elle s’est ouverte !— Si, dit Serge. C’est nous.Un silence. Puis Claire comprend. Elle se lève lentement, les larmes aux yeux.— On l’a ouverte. En survivant.---LucaOn rentre chez nous cette nuit-là, mais quelque chose a changé. Les murs grincent comme des bêtes blessées. Les ombres bougent quand on ne regard
AnibalIl y a des soirs où tout semble basculer. Où l’air devient trop lourd, trop dense. Où chaque silhouette croisée dans la rue paraît familière, comme un souvenir lointain qui refuserait de mourir. Ce soir est l’un de ces soirs.Je marche seul dans les ruelles du quartier, les mains dans les poches, incapable de rester enfermé plus longtemps. Trop de silences. Trop de souvenirs coincés entre les murs. La pluie s’est remise à tomber, fine, persistante. Elle trace des lignes tremblantes sur le bitume, comme si le monde lui-même était en train de fondre doucement.Depuis notre retour, je ne me reconnais plus. Mes gestes sont mécaniques. Je souris quand il faut sourire. Je parle quand on me parle. Mais à l’intérieur, c’est le chaos. Il y a quelque chose d’inachevé. Comme une porte qu’on aurait refermée trop vite, sans vérifier ce qu’on laissait de l’autre côté.Je m’arrête devant un vieux kiosque fermé, les néons clignotants d’un bar éclairant la vitrine poussiéreuse. Dans le reflet,
AnibalLe retour à la réalité est brutal. Une sensation de vertige me secoue tandis que je sens enfin un sol familier sous mes pieds. L’air est plus dense, plus frais, chargé d’odeurs que je reconnais : celles de la ville, du bitume mouillé, de la vie normale. J’ouvre les yeux avec prudence, craignant un instant d’être encore prisonnier de l’autre monde.Mais non. Nous sommes bien là.Autour de moi, Claire, Luca et Serge reprennent lentement leurs esprits. On est tous sonnés, comme si on venait de vivre un rêve trop réel. Le silence qui nous entoure est presque irréel après tout ce que nous avons traversé. Plus de voix mystérieuses, plus de lieux étranges défiant la logique. Juste le bruit lointain des voitures, le clapotis d’une flaque sous une goutte de pluie, un chien qui aboie au loin.Claire se redresse d’un mouvement raide, ses yeux balayant les environs avec nervosité. "C’est bien… chez nous ?"Je hoche lentement la tête. "Oui. Je crois."Luca se passe une main sur le visage, c
AnibalL’espace autour de nous se tord et se plie sous une force invisible. Nous sommes prisonniers d’un monde qui ne nous appartient pas, un entre-deux où le temps lui-même semble hésitant. Depuis des jours – ou peut-être des semaines – nous errons dans ce royaume de brume et d’ombres, cherchant une issue qui semble toujours se dérober sous nos pas.Nous avons traversé des ruines hantées par des murmures indistincts, franchi des ponts suspendus au-dessus de gouffres sans fond, et marché sous des cieux où flottent des étoiles mortes. Partout où nous allons, ce monde cherche à nous garder en lui, nous séduisant par des visions de puissance et de liberté. Mais nous ne sommes pas dupes. Nous voulons rentrer.Claire est la plus affectée par ces illusions. Parfois, elle s’arrête en plein milieu du chemin, ses yeux vides, fascinée par une scène que nous ne pouvons voir. Des fragments de son passé, ou peut-être du futur. Luca et Serge doivent la secouer pour la ramener à la réalité.Moi, je