Clara
Je le suis.
À travers le dédale sombre du Corbeau Noir, je marche sur ses traces, retenant mon souffle.
Loin du vacarme de la taverne, il m’entraîne dans un couloir plus étroit, où l’air est plus froid, plus épais. Chaque pas semble m’enfoncer un peu plus dans un territoire interdit.
Mon cœur cogne contre ma poitrine.
Je devrais partir.
Je dois partir.
Mais mes pieds avancent d’eux-mêmes.
Raphaël pousse une porte en bois massif. L’espace derrière est plus grand que je ne l’imaginais. Pas une simple pièce, mais un bureau, un repaire.
Le silence règne ici.
Des étagères croulent sous des livres épais, certains recouverts de poussière, d’autres ouverts comme s’ils avaient été feuilletés la veille. Une grande table trône au centre, envahie de papiers, de cartes. Des documents que je ne devrais pas voir.
Un fauteuil en cuir. Une bouteille de whisky à moitié vide. Une fenêtre, aux rideaux tirés, d’où filtre la lueur diffuse des lanternes de la ville.
Tout ici porte son empreinte.
Un autre Raphaël.
Celui qui règne sur ce lieu.
Celui qui m’effraie et m’attire à la fois.
Il referme la porte derrière moi.
Le loquet claque.
Je me raidis.
Il avance lentement, s’appuyant contre son bureau, bras croisés.
« Tu veux savoir qui je suis, n’est-ce pas ? »
Sa voix est plus grave. Plus posée.
Je déglutis, hochant doucement la tête.
Il laisse passer un silence.
Puis, d’un geste lent, il attrape une liasse de papiers sur son bureau et les fait glisser vers moi.
« Regarde. »
Je fronce les sourcils, hésite, puis avance prudemment.
Mes doigts effleurent les pages. Des noms, des chiffres, des transactions.
Des affaires.
Illégales.
Je relève les yeux vers lui, mais il ne détourne pas le regard.
Il attend.
« C’est ça, ton monde ? » ma voix est un souffle.
Il ne répond pas tout de suite.
Puis, d’un ton calme :
« C’est la seule chose que je connaisse. »
Je ne peux pas m’empêcher de serrer les poings.
« Et ça ne te dérange pas ? De… de vivre dans ça ? »
Un rictus étire ses lèvres.
« Et toi, Clara ? Tu vis dans quoi ? »
Je me fige.
Il s’avance d’un pas.
« Dans un monde de prières ? De règles qu’on t’a imposées ? Tu crois que ta place est là-bas, avec les sœurs ? Ou est-ce juste un refuge ? »
Son regard me transperce.
Comme s’il voyait à travers moi.
Je détourne les yeux.
« Je crois en Dieu. »
Il hoche la tête, lentement.
« Mais est-ce que tu crois en ce que tu es, Clara ? »
Un frisson me parcourt.
Il est trop proche.
Trop intense.
Je fais un pas en arrière, mais il me devance, posant une main sur le dossier du fauteuil derrière moi.
Piégée.
Il murmure, son souffle frôlant ma joue :
« Je peux te montrer mon monde, Clara. Mais es-tu prête à le voir vraiment ? »
Raphaël
Elle tremble.
Pas de peur.
Pas encore.
C’est autre chose.
Une tension fragile. Un équilibre sur le fil du rasoir.
Je pourrais la briser.
La faire fuir.
Mais quelque chose me retient.
Ce n’est pas une femme comme les autres. Elle n’a rien à faire ici. Rien à faire avec moi.
Et pourtant…
Elle est là.
Je tends la main, effleurant le bord de son voile. Elle tressaille, mais ne bouge pas.
Une épreuve silencieuse.
Je pourrais le retirer. Voir ce qu’elle cache.
Mais je ne le fais pas.
Pas encore.
Je me contente de murmurer :
« Rentre chez toi, Clara. Avant qu’il ne soit trop tard. »
Elle relève enfin les yeux.
Une lueur de défi.
Et cette fois, je sais qu’elle ne partira pas.
Clara
Je devrais partir.
L’ombre de Raphaël s’étire sous la lueur vacillante de la lampe à huile. Sa silhouette est un piège, son regard une lame qui effleure ma peau. Tout en lui est une frontière que je ne devrais pas franchir.
Et pourtant…
Je suis encore là.
Sa main repose sur le dossier du fauteuil derrière moi, m’empêchant de reculer davantage. Il ne me touche pas, mais la chaleur de son corps me brûle comme une braise sous la peau.
Son regard s’attarde sur moi, cherchant… quoi ? Une faiblesse ? Un aveu ?
Je veux parler, dire quelque chose qui nous ramènerait à la raison, mais ma gorge est sèche.
C’est lui qui rompt le silence.
« Tu devrais partir. »
Je ne bouge pas.
Il penche légèrement la tête, un sourire imperceptible aux lèvres.
« Tu es têtue. »
Je serre les poings.
« Je veux comprendre. »
« Comprendre quoi ? »
« Toi. Ce lieu. Pourquoi tu es ici. »
Son sourire disparaît.
Il se redresse, prenant un peu de distance, et je respire enfin.
« Ce n’est pas un endroit pour toi. »
« Mais c’est le tien. »
Il passe une main dans ses cheveux, visiblement agacé.
Puis, d’un ton plus grave :
« Je gère les affaires du Corbeau Noir. »
Je fronce les sourcils.
« Lesquelles ? »
Il s’appuie contre son bureau, les bras croisés.
« Les paris. La protection. Les transactions qui ne doivent pas exister. »
Mon cœur rate un battement.
« Tu es un criminel. »
Il rit doucement.
« C’est ce qu’on dit, oui. »
Je secoue la tête.
« Et ça ne te dérange pas ? »
Son regard s’assombrit.
« Pourquoi ça me dérangerait ? »
Je cherche une réponse, mais je ne la trouve pas.
Il se penche légèrement vers moi.
« Et toi, Clara ? Ça te dérange vraiment… ou c’est autre chose qui te trouble ? »
Je détourne les yeux.
Il soupire, puis attrape un cigare posé sur son bureau. Il l’allume, tire une bouffée, puis souffle la fumée lentement.
« Pourquoi es-tu ici, Clara ? »
Je le fixe, les doigts crispés sur le tissu de ma robe.
« Parce que je veux comprendre. »
Il secoue la tête.
« Non. Tu veux autre chose. »
Un silence.
Puis, d’une voix plus basse :
« Tu veux voir jusqu’où tu peux aller. »
Un frisson me parcourt.
Il ne me touche toujours pas, mais il est trop près, trop présent.
Je me force à respirer lentement.
« Tu te trompes. »
Son sourire est froid.
« Alors prouve-le. Pars. »
Raphaël
Elle ne bouge pas.
Je vois son hésitation, ce combat intérieur qu’elle pense cacher.
Elle ne devrait pas être là.
Et moi, je devrais la laisser partir.
Mais au lieu de ça, je me surprends à attendre.
À espérer qu’elle reste.
Je l’observe, cherchant une faille dans ses certitudes.
Puis, doucement, je pose mon cigare sur le bord du bureau et me rapproche.
Elle recule d’un pas.
Enfin.
Mais elle ne fuit pas.
« Tu ne devrais pas jouer à ce jeu, Clara. »
Elle relève le menton.
« Ce n’est pas un jeu. »
Je souris.
« Alors qu’est-ce que c’est ? »
Elle ouvre la bouche, puis se ravise.
Je laisse planer un silence.
Puis, à voix basse :
« Tu veux voir l’envers du décor ? Très bien. Viens avec moi. »
Elle hésite, mais je vois la curiosité briller dans ses yeux.
Alors, sans attendre sa réponse, je me détourne et ouvre une porte cachée derrière la bibliothèque.
Un escalier de pierre s’enfonce dans l’obscurité.
Sans un mot, je descends.
J’entends son souffle s’accélérer.
Puis…
Ses pas qui me suivent.
ClaraChaque marche que je descends m’éloigne un peu plus de la lumière.L’air devient plus lourd, plus froid. L’odeur de pierre humide et de tabac imprègne l’atmosphère. Mon cœur cogne dans ma poitrine, mais je continue.Je le suis.Raphaël ne dit rien. Il marche devant moi, son ombre découpée par la lueur des lanternes accrochées au mur. Il sait que je suis là. Il sait que je le suis, malgré tout ce que je devrais faire pour l’éviter.Nous atteignons le bas des escaliers. Une grande porte en bois massif nous fait face. Raphaël s’arrête, pose la main sur le battant et se tourne vers moi.« Tu es sûre de vouloir voir ce qu’il y a derrière ? »Je déglutis.Je devrais dire non.Je devrais remonter.Mais je hoche la tête.Il esquisse un sourire en coin, puis pousse la porte.RaphaëlElle franchit le seuil.Petite sœur imprudente.Je l’observe alors qu’elle découvre mon monde.Une vaste salle voûtée, aux murs de pierre brute, éclairée par de nombreuses lampes à huile. Des caisses de bois
ClaraLa chaleur de sa paume contre la mienne est un piège.Je devrais la lâcher. Je devrais reculer, briser cette proximité avant qu’elle ne m’avale tout entière.Mais je ne le fais pas.Le silence entre nous est pesant, chargé d’une tension que je ne peux plus ignorer. Il ne parle pas, mais son regard me brûle. Son souffle, chaud et lent, caresse ma peau.Je ne sais plus si je tremble de peur ou d’autre chose.Autour de nous, la pièce semble s’effacer. Les voix des hommes rassemblés en contrebas deviennent un murmure indistinct. Il n’y a plus que lui. Lui et moi.Je ne devrais pas être ici.Je ne devrais pas le laisser me toucher.Et pourtant, quand il resserre légèrement sa prise sur ma main, un frisson me parcourt l’échine.« Tu as toujours été aussi entêtée, Clara ? »Sa voix est basse, traînante, comme s’il se délectait de ma lutte intérieure.Je ravale ma salive.« Je ne suis pas entêtée. »« Non ? Alors pourquoi tu es encore là ? »Je ne réponds pas. Parce que je n’ai pas de r
ClaraJe prends une dernière bouffée de ma cigarette avant de l’écraser contre le mur. Autour de moi, le silence est pesant, brisé seulement par les rires étouffés des hommes dans l’entrepôt derrière moi.Je devrais retourner à mon travail.Ce foutu travail.Je passe une main sur ma nuque, les muscles tendus par la tension de la soirée.Les gens ici ont une idée bien arrêtée sur moi. Certains disent que je suis un criminel, d’autres que je ne suis qu’un homme de main, un pion dans la grande mascarade de ce trou à rats.Ils n’ont pas tort.Je suis celui qu’on envoie quand il faut faire parler quelqu’un.Quand il faut rappeler aux autres à qui appartient vraiment cette ville.Un rôle que j’endosse sans sourciller depuis des années.Mais avec elle…Avec elle, c’est différent.Elle ne devrait pas être ici.Elle ne devrait pas être dans ma tête.Et pourtant, elle y est.ClaraLes jours passent, mais je ne trouve pas le repos.Chaque prière me semble creuse, chaque tâche que j’accomplis à l
ClaraJe devrais partir.Je devrais reculer, briser ce silence, tourner les talons avant qu’il ne soit trop tard.Mais c’est déjà trop tard.Il est trop près, et je suis là, figée sous son regard.La pluie continue de tomber derrière moi, battant le pavé, créant une barrière entre le monde extérieur et ce qui se passe ici, sous ce porche délabré.Ses doigts sont encore autour des miens.Léger contact.Assez pour me faire frémir.Je pourrais retirer ma main. Je pourrais.Mais je ne le fais pas.RaphaëlElle est immobile.Une proie qui refuse de fuir.Je devrais en profiter.Je pourrais dire quelque chose, souffler une provocation, la voir vaciller encore plus.Mais ce silence me plaît.C’est elle qui l’a créé.C’est elle qui le supporte.Je relâche sa main lentement, juste pour voir sa réaction.Elle ne bouge pas tout de suite.Puis, hésitante, elle recule de quelques millimètres. Pas plus.Son regard cherche un point d’ancrage quelque part sur mon visage.« Tu veux toujours me compren
ClaraJe suis toujours là.Il ne détourne pas les yeux.Son regard est une tempête contenue, une provocation silencieuse qui attend ma réponse. Mais il n’y a pas de réponse simple. Pas de prière qui puisse me guider.Ma gorge est sèche.Je pourrais partir. Fuir cette conversation, fuir cet homme qui menace tout ce en quoi je crois.Mais mes pieds restent ancrés au sol.Alors, au lieu de m’éloigner, je murmure :« Parce que je ne sais pas si tu es vraiment le mal. »Le silence entre nous est une lame suspendue.Il me scrute, cherchant quelque chose dans mes traits.Puis, lentement, il esquisse un sourire.Un sourire sans moquerie.« Tu es soit trop naïve, soit trop obstinée, ma sœur. »Ses mots glissent entre nous comme un jugement.Et pourtant, je ne recule toujours pas.RaphaëlElle me surprend.Encore.Personne ne remet en question ce que je suis. Ils acceptent, ils craignent, ils s’inclinent.Mais elle ?Elle veut comprendre.Même après ce que je lui ai dit.Même après ce qu’elle c
ClaraLe silence entre nous est un gouffre.Raphaël ne parle plus. Moi non plus.Je devrais partir. Je le sais.Mais mes jambes refusent de bouger.L’histoire qu’il vient de me raconter tourne en boucle dans ma tête. La voix de son père, l’échec de sa mère, l’enfant qu’il était.Et celui qu’il est devenu.Un homme marqué par l’ombre.Un homme que je ne devrais pas chercher à comprendre.Mais la vérité, c’est que je ressens quelque chose d’indescriptible. Une attraction qui me terrifie autant qu’elle me consume.Je serre les poings.« Tu voulais que j’aie peur de toi. »Ma voix est basse, mais ferme.Il relève lentement la tête, son regard scrutant chaque nuance de mon visage.« Ce serait plus simple pour toi. »Je déglutis.Il a raison.Si je le voyais uniquement comme un monstre, je pourrais détourner les yeux. Je pourrais retrouver la paix, celle que je suis venue chercher ici.Mais ce n’est pas ce que je ressens.« Tu te caches derrière ton passé. »Ses yeux s’assombrissent.« Oh,
ClaraIls savent tous.Raphaël est dangereux.Je devrais partir. Quitter cet endroit où je ne suis pas à ma place.Mais mes pieds restent ancrés au sol.Il se tourne vers moi, et dans son regard, il y a une ombre que je n’avais jamais vue auparavant. Un avertissement.« Sors d’ici, Clara. »Je secoue la tête.« Pas sans toi. »Son rictus est cruel, moqueur.« Ce n’est pas un conte, petite sœur. Tu ne peux pas me sauver. »« Peut-être que si. »Ma voix tremble à peine, mais lui, il la saisit.Il avance vers moi, lentement, comme un fauve.Je devrais reculer.Mais je ne bouge pas.Il s’arrête si près que je sens son souffle effleurer ma peau.« Tu crois pouvoir comprendre ce que je suis ? Ce que j’ai fait ? »« Je veux essayer. »Un rire sans joie s’échappe de ses lèvres.Il lève une main, effleure le tissu de mon voile. Juste une seconde.Puis il recule brusquement.« Alors regarde. »Il pivote et s’enfonce plus profondément dans la pièce.Je le suis.RaphaëlElle ne part pas.Je pensa
ClaraL’air extérieur est plus froid que je ne l’imaginais.Il mord ma peau alors que je quitte la chaleur oppressante de la pièce pour suivre Raphaël dans la nuit.Je ne sais pas pourquoi je marche derrière lui.Peut-être parce qu’une part de moi veut comprendre.Peut-être parce que je veux voir au-delà des ombres qui l’entourent.Il ne parle pas.Il avance, ses pas résonnant contre les pavés irréguliers de la ruelle.Puis il s’arrête net.Se tourne vers moi.Et dans son regard, il n’y a plus de moquerie.Plus de défi.Seulement quelque chose de brut.« Tu crois que je suis un monstre, Clara ? »Sa question me prend de court.Je fronce les sourcils.« Pourquoi me demander ça ? »Il s’approche, et cette fois, je sens la tension émaner de lui comme une vague brûlante.« Parce que c’est ce qu’ils pensent tous. Que je suis une erreur, un poison. »Je secoue la tête.« Tu n’es pas un monstre, Raphaël. »Il rit doucement.Un rire sans joie.Puis il lève une main, et je retiens mon souffle.
ClaraJe m’assois à ses côtés, mon cœur encore battant sous l'effet de nos baisers. Le silence entre nous est lourd, mais agréable, comme un voile tissé de mille promesses et d’aveux muets. Ses bras sont autour de moi, et je me sens protégée, mais aussi vulnérable. Il n'y a plus de frontières entre nous, plus de barrières. Il y a juste lui et moi, ici, maintenant. Et c'est tout ce dont j'ai besoin.Le monde extérieur n'a plus d'importance. Les enjeux, les doutes, tout ce qui a pu peser sur nos épaules, sur nos cœurs, semble s'être dissipé. Mais il reste quelque chose, un sentiment nouveau, plus fort que tout. Un écho au fond de moi, une certitude qui s'installe doucement, mais fermement : peu importe ce qui arrivera, je n’aurai aucun regret. Parce que je choisis cet amour. Parce que je choisis lui.Raphaël (la voix douce, légèrement hésitante) « Clara… Tu sais, tout ça… Ce n’est pas facile. »Je sens sa gêne, ce fardeau qu’il porte encore, celui de ne pas savoir comment tout cela va f
ClaraIl y a des moments où le temps semble suspendu. Des instants où l’on croit qu’on pourrait vivre éternellement dans une bulle, à l’abri des tempêtes, où l’on trouve enfin la paix au milieu du chaos. Ce moment, celui que nous vivons, me fait penser à cela. Le silence lourd de la pièce, nos corps enlacés, comme deux âmes qui se sont enfin retrouvées après une vie entière de séparation.Raphaël est là, tout contre moi. Ses bras sont autour de moi, son souffle régulier, mais je sens son cœur battre, un peu plus fort, un peu plus lourd, comme s’il cherchait à se perdre dans le mien. Je ferme les yeux, savourant cette proximité, ce réconfort que j’avais oublié, ou que je ne pensais jamais connaître. Il m’a appris à aimer sans réserve, à me donner sans crainte, à m’abandonner sans peur.C’est étrange, cette paix. Elle contraste tellement avec le tumulte qui a précédé, avec la violence des désirs refoulés, les non-dits qui nous ont emprisonnés, les peurs qui nous ont rendus vulnérables.
ClaraLes ombres dans la chambre dansent au rythme de notre souffle. Il est là, si proche, à portée de ma peau, et pourtant, quelque chose dans l’air nous sépare encore, invisible, impalpable, mais tout aussi présent. Ses yeux, comme des braises, brûlent la mienne, et je sens que l’air autour de nous devient lourd, chargé de cette tension indéfinissable. Il ne bouge pas, il attend. Pas de gestes brusques, pas de mots inutiles. Juste l’attente, l’intensité du silence qui parle plus fort que tout.Raphaël (la voix basse, troublée) « Clara… »Je frémis en entendant mon nom sortir de ses lèvres. Il a ce pouvoir, celui de me faire vaciller avec un seul mot. Mon cœur s’emballe, tout comme mon esprit. Une partie de moi veut résister, repousser cette attraction, ce désir fulgurant qui m’envahit à chaque instant. Mais une autre, plus forte, me pousse à le rejoindre, à céder, à me perdre dans cette passion dévorante.Je ferme les yeux, une fraction de seconde, et tout ce que je perçois, c’est l
ClaraJe ferme les yeux, mais même dans l’obscurité, il est là, dans chaque souffle que je prends, dans chaque pulsation qui bat dans mes veines. C’est comme si la chaleur de sa présence ne me quittait plus, comme si l’air autour de moi, devenu trop lourd, portait encore l’empreinte de sa peau. Raphaël. L’homme qui ne me laisse aucun répit, l’homme qui me consume sans même me toucher. Pourtant, je le sens, comme un incendie doucement attisé à chaque regard qu’il pose sur moi, chaque mot qu’il prononce.Ses bras m’entourent, un lien qui ne m'étouffe pas, mais qui me marque. Il n’y a pas de violence dans son étreinte, pas de brutalité. Seulement une douceur, presque impudique, et une urgence qui naît du besoin de fusionner. Nous sommes dans cette chambre où le monde extérieur semble n’avoir plus aucune emprise sur nous. Chaque mur semble se refermer lentement, comme un cocon qui, au lieu de nous protéger, nous emprisonne. Et dans cet espace clos, je deviens sa proie, mais une proie cons
ClaraLa lumière du matin s'immisce à peine à travers les rideaux, caressant la chambre d’un éclat timide. À peine perceptible, elle frôle les contours des meubles, mais ici, dans cet espace clos, elle n'atteint pas la profondeur de l’ombre qui s’y trouve. Il y a un décalage. Un monde entre l'éveil et le sommeil, entre la clarté et l'obscurité, un équilibre précaire où le temps semble suspendu. Et dans ce monde à mi-chemin, mon esprit erre, une marionnette sans fil, pris dans la lourdeur d’une question qui ne cesse de me hanter.Raphaël repose à mes côtés, mais même endormi, je sens l’omniprésence de son ombre. Ce n’est pas la simple ombre d’un homme qui sommeille, non. C’est l’ombre d’un monde qui, peu à peu, envahit ma réalité, que je l’accepte ou non. C’est un poids, un fardeau silencieux, une présence qui s’impose bien plus que je ne pourrais le souhaiter. Et pourtant, c’est cette ombre qui m’attire, qui m’aspire.Je me redresse avec une lenteur délibérée, mes muscles encore engou
ClaraIl dort encore. Pour une fois.Son souffle est lent. Régulier. Comme si, dans le chaos qu’est sa vie, ce lit était le seul lieu où il pouvait tomber les armes. Où je pouvais l’atteindre. Où la violence du monde ne le mordait pas.Je le regarde longtemps, les jambes repliées sous moi, comme si je tentais de me rappeler chaque ligne de son visage. Il a l’air paisible. Fragile presque. Si fragile que j’en oublie qu’il est capable de commander la mort d’un homme d’un simple signe de tête.Je me lève sans bruit. Mes pieds nus glissent sur le parquet froid. Je ne veux pas le réveiller. Pas encore. Je veux être seule avec mes pensées, même si je les crains.Je me glisse dans la salle de bains, referme la porte. L’eau coule, tiède. Elle efface les traces de la nuit, mais pas celles du doute.Je m’observe dans le miroir. Les cernes sous mes yeux. Le creux dans mes joues. Mon corps est marqué par l’amour comme par la guerre. Parce qu’avec lui, c’est la même chose.Et je me demande.Est-ce
RaphaëlL’aube ne se lève pas vraiment sur New York.Ici, la lumière est artificielle.Les ombres aussi.Et la vérité se cache entre les reflets de verre et les silences des puissants.Clara dort encore. Le drap à peine tiré sur sa peau. Son souffle est calme.Trop calme. Comme si son corps avait compris ce que son esprit refusait d’admettre.Elle a vu. Elle sait.Et même si elle ne dit rien, même si elle prétend tenir bon, je l’ai vue trembler.Je suis devant la baie vitrée. Manhattan pulse en contrebas.Un empire sans couronne.Mais le mien.Construit à la sueur, au sang et à la peur.Le téléphone vibre. Une fois. Deux.Code noir.Mon pouce effleure l’écran. Un message codé.Une réunion improvisée.Un nom à effacer.Un accord à conclure.Un avertissement à formuler dans le langage qu’ils comprennent tous : la peur.Le monde ne s’arrête pas pour la douleur.Ni pour l’amour.Je me penche vers elle. Un instant. Son épaule nue. Son cou fragile.Je pourrais rester. Juste quelques seconde
RaphaëlL’aube perce à peine.Mais je suis déjà debout.Je l’observe. Nue, dans les draps défaits. Sa peau encore marquée par mes doigts. Ses lèvres entrouvertes, offertes à un rêve qu’elle ne finira pas.Et en moi, quelque chose gronde.Pas une hésitation. Une nécessité.Un message clignote sur l’écran du téléphone :QG. Crypté. Urgent.Mais ce matin, je ne suis pas seulement un roi de guerre.Je suis aussi un homme.Alors je m’habille lentement. Chemise noire, boutons d’argent. Pantalon sombre. Mon arme se loge à sa place, contre ma hanche. La veste tombe sur mes épaules. Et avec elle, le masque revient.Mais avant de sortir… je prends une enveloppe dans le coffre mural. Elle est fine. Précise. Légèrement froissée. Et contient tout ce qu’il faut.Je me tourne vers elle. Toujours endormie. Et pourtant, je sens que quelque chose en elle sait déjà.Alors je m’approche.ClaraJe me réveille en sentant que l’air a changé.Je tends la main. Vide.Puis le froissement d’un tissu. Un métal
ClaraIl ne parle pas tout de suite.Mais je le sens.Quelque chose a changé dans l’air. Un frémissement. Une fracture.Il marche dans la pièce comme un fauve blessé. Une énergie sombre l’enveloppe. Comme un orage prêt à éclater. Il ne me touche pas. Pas encore. Mais ses yeux me brûlent.Il s’arrête. Se tourne vers moi.Et là, son silence devient insoutenable.Raphaël(d’une voix basse, rauque)« Clara… j’ai besoin de toi. Mais pas… pas comme tu es. »ClaraJe le fixe, figée.Ces mots, simples, sont des coups. Je les sens s’enfoncer en moi, comme des éclats.Je reste droite. Mais à l’intérieur, tout vacille.Clara(à peine un murmure)« Qu’est-ce que tu dis… ? »Raphaël« Ce monde, le tien… tes croyances, ta lumière… Ce n’est pas moi. Tu le sais. Tu l’as toujours su. »Je baisse les yeux.Oui.Je le savais.Mais je n’avais jamais voulu le formuler. Pas comme ça. Pas à voix haute.Raphaël« Je ne peux pas te protéger si tu restes divisée. Si une partie de toi continue à croire en quelq