— Salut Chloe ! s’écrie ma colocataire sans lever les yeux vers moi.
Elle est occupée à se vernir les ongles de pied avec la teinte verte la plus criarde que j’aie jamais vue.
— On a reçu un colis pour toi, il y a une heure environ. Je l’ai mis sur ton lit, ajoute-t-elle.
— Un colis ?
Mon premier geste après avoir refermé la porte de l’appartement est de me débarrasser des instruments de torture rouge vif que j’ai portés toute la journée, et de les balancer à travers le salon du bout du pied. Je les regarde avec satisfaction se cogner contre le mur du coin-repas. Ce n’est pas comme ça qu’on traite des Louboutin à 1 000 dollars, mais au point où j’en suis, je m’en fous. Je ne les mettrai plus jamais pour aller travailler. Plus jamais.
— Je n’ai rien commandé...
— Ça vient de Frost Industries, c’est écrit sur la boîte. C’est très lourd. C’est peut-être les RH qui t’envoient des documents à signer. Tu sais, une charte ou des trucs dans le genre.
— Ça se pourrait, mais j’ai déjà reçu tout ça par mail la semaine dernière. Et j’ai signé tout un tas de papiers, engagement de confidentialité et tout le bazar, avant qu’ils me laissent quitter leurs bureaux.
Je dépose mon sac sur la console dans l’entrée, puis enlève ma veste avec plaisir. J’aime ce tailleur, vraiment. Mais tout ce dont j’ai envie maintenant, c’est de le retirer. Je me vois bien passer la soirée en survêtement.
— Ça m’étonnerait qu’ils m’envoient une copie papier des documents. Surtout pas par UPS ou FedEx. Ils auraient très bien pu me les donner quand j’étais sur place.
— Au fait, comment ça s’est passé ? Est-ce que tu as mis tout le monde à tes pieds dès la première minute ?
— Pas tout à fait. Mais j’ai réussi à ne pas me couvrir de ridicule, c’est déjà ça.
— On peut considérer ça comme une grande victoire. Et tu sais ce que ça implique : dîner de champagne !
— Tu veux dire dîner au champagne, non ?
— Ne fais pas ta mémé.
Si ces cinq mots ne suffisent pas à vous donner une idée exacte de ma relation avec Tori, rien ne pourra
vous éclairer. Elle a six mois de plus que moi, et depuis que l’on nous a attribué la même chambre pour notre première année de fac, son but dans la vie est de me pervertir. Depuis la soirée de ses vingt et un ans, il y a quelques mois, elle prend cette mission encore plus à cœur.
Pour préserver notre amitié, je la laisse parfois croire que ça marche.
Curieuse de savoir ce que contient ce mystérieux paquet, je me dirige vers ma chambre. Ayant enfin décoré le dernier de ses ongles de pied, Tori se lève et m’emboîte le pas. Mais comme elle craint d’abîmer son vernis, elle marche sur les talons, orteils en l’air. Avec ses cheveux courts et hérissés, qu’elle a teints en jaune poussin, elle ressemble à un caneton maladroit. Qui aurait mis son aile dans une prise électrique.
En réalité, elle est très jolie, avec ses traits délicats et ses yeux verts magnifiques. Mais elle a beaucoup de complexes et passe son temps à essayer de se transformer en changeant de couleur de cheveux, de maquillage ou de look. Elle est piercée de partout, s’est fait tatouer ici et là, et a même tâté de la scarification et du marquage au fer. Elle prétend qu’il faut bien que jeunesse se passe, et qu’elle essaie juste de se trouver. Moi, je crois au contraire qu’elle cherche à oublier qui elle est. À cacher la pauvre petite fille riche qu’elle voit tous les matins dans le miroir.
J’ai essayé de lui en parler deux ou trois fois – c’est à ça que servent les meilleures amies, après tout –, mais elle m’envoie toujours balader. Peut-être que je devrais insister, mais elle est fragile – bien plus qu’elle ne veut l’admettre – et j’ai peur de la perturber par un mot mal choisi ou une remarque un peu musclée. Du coup, je préfère la boucler, mais ça ne veut pas dire que je ne m’inquiète pas pour elle.
— Allez, ouvre ! m’exhorte-t-elle depuis le pas de la porte alors que je reste plantée devant l’énorme carton.
Il occupe environ un quart de mon lit double, et lorsque je le soulève, je m’aperçois que Tori n’a pas exagéré. Il est vraiment très lourd. Et il porte les mentions « FRAGILE » et « HAUT », avec des flèches.
À présent, je me sens aussi curieuse que Tori. J’attrape des ciseaux à ongles dans ma table de nuit et m’attaque au scotch. C’est plus long que si j’étais allée chercher un couteau dans la cuisine, mais je finis par réussir à ouvrir. Cependant, je suis toujours aussi perplexe que lorsque le carton était fermé. Il ne contient aucun dossier des ressources humaines. Pas de documentation à l’usage des nouveaux employés. Seulement un blender à 400 dollars et plusieurs barquettes de fraises.
Aussitôt, je pense à lui. Smoothie Boy. Je sais que c’est lui qui me l’a envoyé – c’est la seule explication. Mais comment s’est-il procuré mon adresse ? Et comment un barman peut-il se permettre de telles dépenses ? Et même s’il avait l’argent, pourquoi le dépenser pour moi ?
Mon cœur s’affole un peu. J’ai beau tenter de me convaincre que c’est de la peur – cette histoire pue le harcèlement à plein nez –, je sais que ce n’est pas seulement ça.
Toute la journée, j’ai repensé à lui et à ma réaction bizarre. Quelle que soit la façon dont il s’est procuré mon adresse, je suis touchée qu’il ait pensé à moi. J’espère juste que ce n’est pas un serial killer qui a l’intention de mettre ma tête dans un carton. Parce que ça ne me plairait pas du tout. Des fraises et un blender de compétition, curieusement, ça me va, malgré le prix. La décapitation, ça me plaît tout de suite moins.
Voyant que je me contente de rester plantée devant le colis ouvert, à contempler ces cadeaux en m’interrogeant sur leur sens, Tori s’approche à pas de loup. Elle regarde par-dessus mon épaule.
— Des fraises ? Mais qui a pu t’envoyer ça ?
Ne sachant par où commencer, je ne réponds pas. Je continue à regarder les fruits, magnifiques. Les barquettes viennent d’une ferme bio située à trente kilomètres d’ici. Il a dû se donner du mal pour que je les reçoive aussi vite.
La question, c’est pourquoi.
Tori déduit de mon silence que je n’ai pas la moindre idée de l’identité de mon bienfaiteur, et se met à examiner le carton.
— Il y a une carte ? demande-t-elle.
— Je n’en ai pas vu.
Mais en soulevant l’une des barquettes de fraises, je découvre une carte de visite couleur crème. Elle
est gravée, avec le logo de Frost Industries. Seulement, le nom qui figure dessus ne peut pas être le bon. Certes, je ne sais pas comment s’appelle Smoothie Boy, mais je suis sûre et certaine que le surfeur que j’ai rencontré aujourd’hui n’est pas Ethan Frost. Sauf qu’en retournant la carte, je découvre un numéro de téléphone noté d’une main assurée.
— Ethan Frost te fait livrer des fraises ?! s’étrangle Tori. Comment c’est possible ? C’est une légende vivante ! Sans compter que c’est le célibataire le plus en vue de toute la côte Ouest.
— Ce n’est pas lui. Bien sûr que non. C’est...
— Qui ça ? insiste Tori, l’œil suspicieux.
— Un mec que j’ai rencontré aujourd’hui. Et qui n’est pas Ethan Frost.
— Tu en es bien certaine ? demande-t-elle en m’arrachant la barquette des mains. Parce que le
contraire semble évident !
— Eh ! Où tu vas avec mes fraises ? dis-je en la suivant.
— Tu n’as jamais regardé Pretty Woman ? Les fraises, ça va super bien avec le champagne.
— Mais on ne peut pas les manger !
Elle me regarde comme si j’étais devenue folle.
— Et pourquoi pas ?
— Parce qu’on ne sait pas d’où elles viennent.
Tori m’arrache la carte des mains pour me l’agiter sous le nez.
— C’est Ethan Frost qui les a envoyées. Moi, ça me suffit !
— Eh bien, je ne partage pas ton point de vue. D’abord, ce n’est peut-être pas lui...
— Bien sûr que si ! Tu as vu le filigrane sur la carte de visite ? Et la gravure ? Ça ferait vraiment cher
la fausse carte !
— Mais pourquoi ? Ça n’a aucun sens.
Je n’aime pas la note pleurnicharde que je perçois dans ma voix, d’habitude si calme.
C’est au contraire riche de sens, me susurre une petite voix dans ma tête.
Si je rassemble les pièces du puzzle... si je dépasse ma peur, tout s’éclaire.
— Écoute, cet homme n’a pas la réputation d’être cinglé. Brillant, certes. Peut-être un peu différent.
Mais ce n’est pas un taré, loin de là. Je ne vois donc que deux explications, raisonne Tori en levant un doigt pour compter. Soit c’est un cadeau de bienvenue que reçoivent tous les nouveaux arrivants...
Pendant un instant, j’ai l’impression de reprendre pied dans la réalité alors que j’examine cette hypothèse. Ethan Frost est connu pour sa générosité, alors peut-être que...
Mais avant que j’aie pu aller plus loin dans ma réflexion, Tori enchaîne :
— Mais je pense que nous savons toutes les deux que c’est des foutaises. L’autre explication, qui me paraît nettement plus probable, est que tu as omis pas mal de détails lorsque tu m’as raconté ta journée. Si c’est vrai, tu es une vraie salope. Et la seule façon pour toi d’obtenir mon pardon serait de t’asseoir avec moi pour tout me déballer. En mangeant ces fraises délicieuses.
Elle me lance un regard accusateur qui ne me laisse pas trop le choix. Je m’exécute, repartant du moment où j’ai rencontré Smoothie Boy, jusqu’à celui où il m’a enfin préparé ma boisson. Mais je m’abstiens de lui parler du reste – du fait que j’aie bu cet infâme truc aux myrtilles – parce que je ne me l’explique toujours pas à moi-même. Et que je ne sais pas trop quoi en penser.
Tori est suspendue à mes lèvres. Il faut dire qu’elle a grandi parmi la crème de l’élite de la côte Ouest : elle connaît tous les ragots que j’ignore. Mes parents n’ont rejoint le monde des puissants que très récemment, qui plus est à Boston. Et comme le seul membre de ma famille auquel j’adresse encore la parole est mon frère, je ne sais rien des potins de la côte Est non plus. Et ça me va très bien comme ça.
— Au fond de toi, tu sais que c’était lui, n’est-ce pas ? insiste Tori en se servant une troisième flûte de champagne. Forcément.
J’ai toujours ma première flûte dans les mains, mais elle me ressert quand même, avec un regard désapprobateur.
J’espère qu’elle se trompe. Oh Seigneur, pourvu qu’elle se trompe ! Parce que si Smoothie Boy n’est autre qu’Ethan Frost... Si c’est le cas, je me suis pris le bec avec le patron du patron du patron de ma patronne. Et pas trop poliment, en plus. J’ai du mal à le croire... pourtant, ça tient la route. Je savais bien que son visage me disait quelque chose, mais j’ai cru que c’était parce qu’il ressemblait à la moitié des surfeurs de Californie. L’idée que j’aie pu voir sa tête en faisant une recherche sur G****e lorsque j’ai postulé pour le stage, il y a quelques mois, ne m’a pas traversé l’esprit.
Pourtant, Smoothie Boy ne ressemble en rien à Ethan Frost tel que je me le rappelle sur ces clichés. D’accord, il a les cheveux bruns et les yeux bleus, mais... Oh, merde. Ça pourrait vraiment être lui.
— C’est une question qui peut se résoudre très facilement, déclare Tori, bien décidée à me pousser dans mes retranchements.
Elle attrape sa tablette sur la table basse où elle l’a laissée traîner. Deux minutes plus tard, je suis devant une collection de photos, la plupart volées, d’Ethan Frost. Qui n’est autre que Smoothie Boy. Sauf qu’il paraît très différent du surfeur que j’ai rencontré ce midi. Sur la plupart des clichés, il est vêtu d’un costume ou d’un smoking, bien peigné, son tatouage caché. Dans d’autres, il porte des tenues plus décontractées : pantalon de toile et chemise ouverte, ou jean de marque, pull et chaussures de cuir usées.
Pourtant, c’est bien lui. Je reconnais ses yeux indigo et profonds. Ses pommettes saillantes, sa mâchoire ciselée. Ses épaules larges et ses hanches minces. Et jusqu’à ses cils incroyablement longs.
Je refuse toujours de le croire. Parce que si c’est lui, on peut dire que je suis complètement baisée.
Je passe l’heure suivante à explorer des dizaines de pages, des milliers de photos – sur certaines, il est en compagnie de stars d’Hollywood ou de mannequins, sur d’autres il prononce un discours ou reçoit un prix – avant de trouver ce que je cherche. Une image de lui en short de plage, une planche de surf sous le bras. Il est torse nu, ses abdos en tablette de chocolat dégoulinants d’eau de mer, son tatouage bien visible. Maintenant que je peux le regarder en entier, je découvre un motif tribal magnifique, bleu et noir, qui représente des vagues. Il a les cheveux emmêlés, sa frange trop longue lui couvrant le front et une partie du visage, et il sourit. Ce n’est pas le petit rictus crispé qu’il arbore sur de nombreuses photos de paparazzis, mais un vrai sourire, éclatant de bonheur, avec des rides au coin des yeux. Le même qu’il arborait en me taquinant. Cette fois, le doute n’est plus permis.
Smoothie Boy le surfeur et le P.-D.G. visionnaire de Frost Industries sont une seule et même personne. Le patron du patron du patron de ma patronne. Super. Pas étonnant que l’autre barman ait failli avaler sa langue. Pour un peu, je m’en voudrais de lui avoir fait frôler la crise cardiaque. Sauf qu’il aurait pu me prévenir. Il suffisait de pas grand-chose... Il aurait pu l’appeler par son nom : j’aurais tout de suite compris, et j’aurais cessé de m’enfoncer.
Tori se détourne de l’écran.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? s’étonne-t-elle en voyant ma tête.
— Comment ça, qu’est-ce qui ne va pas ? Tu plaisantes ? C’est un miracle qu’il ne m’ait pas virée !
— Virée ? Sous quel prétexte ?
— Je ne sais pas. Insubordination, peut-être.
La crise de panique me guette. Je pose la tête sur l’accoudoir du canapé et tente de prendre une décision.
Faut-il que je demande un rendez-vous pour m’excuser de ma conduite ? Ou vaut-il mieux faire comme s’il ne s’était rien passé ? Je pourrais lui envoyer une lettre d’excuses...
Ou bien...
Ma coloc interrompt mes pensées par un ricanement.
— Arrête tes conneries. Ce n’est pas de l’insubordination, puisque tu ne savais pas qui c’était. En plus,
il ne t’en veut pas. Sinon, tu aurais eu un courrier pour annuler ton stage, au lieu de recevoir ce magnifique blender. Et ces fraises.
Elle en reprend une et la dévore avec enthousiasme.
La seule pensée que mon stage soit annulé me fait flipper encore plus. J’ai besoin de ce stage. Il faut absolument que je le fasse. Ça m’aidera à entrer en master de droit, à obtenir une bourse, à avoir les références dont j’ai besoin pour passer à la phase suivante de mon plan de carrière.
Et surtout, ça m’évitera de devoir demander quoi que ce soit à mes parents. Ils me proposent constamment de l’argent – par le biais de mon frère, par mail, par messages sur mon téléphone, mais je ne réponds jamais –, mais je ne les laisserai pas se racheter de la sorte. Je ne veux rien avoir à faire avec eux. Et ce stage est l’un des tremplins, l’une des clés qui m’assureront de ne plus jamais avoir besoin d’eux.
Seigneur, je vais vraiment faire de l’hyperventilation. Je me penche en avant, le front sur les genoux. Au bord de l’évanouissement, je me concentre sur ma respiration.
— Putain, Chloe... ne te mets pas dans cet état. Ce n’est pas ta faute, assure Tori en me donnant une petite tape sur l’arrière du crâne.
Pourtant, j’ai l’impression que si. Pourquoi n’ai-je pas accordé davantage d’intérêt aux photos d’Ethan au lieu de me concentrer sur ses méthodes, ses réalisations, son cerveau ? Si je l’avais fait, je l’aurais reconnu, et rien de tout ça ne se serait produit. Je n’aurais quand même pas avalé plus d’une gorgée de son foutu smoothie, mais j’aurais pu décliner avec plus de grâce que je ne l’ai fait.
— Sérieux, Chloe, arrête ! me répète Tori en me prenant par les épaules pour me secouer doucement. Il n’est pas fâché contre toi. Tu l’intrigues !
Je voudrais protester, mais pendant un instant – un bref instant –, je revois le regard qu’il a eu en prenant conscience que j’avais faim. Son expression lorsqu’il a posé le Hawaiian Sunrise devant moi. Sa façon de se raidir alors que je prenais une gorgée de son stupide Ethan Special, dont je comprends désormais mieux le nom. Et je me demande si Tori n’aurait pas raison.
— Il te donne son numéro de portable. Il a envie de sortir avec toi, pas de te virer. C’est génial ! s’écrie-t-elle en se tenant les mains. Tu te fais draguer par Ethan Frost !
Elle est tellement folle de joie qu’elle ne remarque pas mon manque d’enthousiasme. Je ne veux pas lui gâcher le plaisir, mais si c’est vrai, c’est encore pire que s’il était en colère. Parce que je ne veux pas sortir avec Ethan Frost. Ce que je veux, c’est travailler dans sa boîte.
Je n’ai rien contre lui, personnellement. C’est juste que je ne veux sortir avec personne.
Oh, bien sûr, ça fait des années que Tori me pousse à mettre le nez dehors. À rencontrer un gentil garçon avec qui passer du temps et m’amuser. Elle m’a même organisé plusieurs rendez-vous à l’aveugle – sans ma permission. Chaque fois, elle ne me l’a avoué que lorsqu’il était trop tard pour que je me décommande. Mais elle ne comprend pas. Elle ne sait pas que je ne veux pas sortir avec un mec. Je ne veux pas aller à des rendez-vous. Et encore moins construire une relation.
Cette idée suffit à me donner des frissons. Le couple que forment mes parents est l’illustration vivante de ce qu’il ne faut pas faire, et mon passé – dont Tori ne connaît presque rien – rend toute relation avec un homme impossible.
La dernière chose que je voudrais, c’est être poursuivie par un homme comme Ethan. Tout cet argent, ce pouvoir, ces privilèges... j’en ai l’estomac noué.
Elle tend la main vers la carte de visite, que j’ai abandonnée sur la table une heure plus tôt.
— Il faut absolument que tu l’appelles.
Je la dévisage comme si elle était folle. Ce qui est sans doute le cas.
— Jamais de la vie.
— Mais tu n’as pas le choix. Tu dois au moins le remercier pour ce très beau cadeau.
Je devrais, mais je ne veux pas. En vérité, je ne veux rien d’autre de lui que le stage que son entreprise m’a offert. Je ne veux pas de son blender. Ni de ses fraises, même si j’admets que c’est une charmante attention. Ni de son intérêt. Et encore moins des sensations vertigineuses qui m’ont assaillie lorsque j’étais en sa compagnie.
Les frissons dans le ventre, qui étaient à la fois tellement plus et tellement moins que de la simple nervosité. La conscience de sa présence, et de moi-même, si proche de lui, qui continue à me mettre les nerfs en pelote.
— Je vais lui envoyer un mail.
— Mais il n’y a pas d’adresse sur la carte.
— Alors, je vais lui écrire une lettre. Ce n’est pas comme si j’ignorais où il travaille...
— Une lettre ?!
— Oui, une lettre, dis-je, de plus en plus convaincue. Et je vais lui rendre le blender par la même occasion. Chacun chez soi, et les vaches seront bien gardées.
— Les vaches seront bien gardées ? Tu parles comme ma grand-mère ! s’énerve Tori. Sans vouloir être désagréable, je ne pense pas que « chacun chez soi » soit la meilleure façon d’intéresser un mec comme Ethan Frost. Et lui renvoyer ses cadeaux, ce n’est pas une très bonne idée non plus.
Exactement. Mon plan me plaît de plus en plus.
— Je ne veux pas de l’attention d’Ethan Frost. Je ne suis pas intéressée.
Tori pousse un énorme soupir et s’affale sur le canapé.
— Tu es bien consciente d’être la seule femme du monde à prononcer cette phrase ? De toute l’histoire de l’humanité ?
— Je n’en crois pas un mot. Pense à toutes les lesbiennes.
— D’accord, admet-elle en levant les yeux au ciel. La seule femme hétéro, alors.
— Figure-toi que ça ne me dérange pas plus que ça.
— Très bien, très bien.
Elle attrape sa flûte de champagne et me l’agite sous le nez.
— Si tu veux que je te regarde rater une telle opportunité, ajoute-t-elle, le moins que tu puisses faire est de me laisser noyer mon chagrin dans l’alcool. Ressers-moi.
Je ris, pour lui faire plaisir. Et je la ressers, bien qu’à mon avis elle ait déjà trop bu. Mais je suis déjà occupée à rédiger mentalement cette lettre à Smoothie Boy. Ethan. M. Frost. Oui. « M. Frost », c’est parfait.
Cher M. Frost,Bien que très touchée par la délicate attention dont témoigne votre cadeau, je ne peux pas l’accepter. Un aussi beau blender que celui-là... Cher M. Frost,Bien que j’apprécie la délicate attention dont témoigne ce charmant cadeau de bienvenue, il ne me semble pas approprié de l’accepter. En tant que stagiaire, je ne peux percevoir aucune rémunération... Cher M. Frost,Merci pour votre délicate attention. Cependant, je crois qu’il serait inapproprié que je l’accepte. Je vous présente mes excuses pour les désagréments occasionnés, et vous sais gré de votre compréhension.J’ai apprécié notre rencontre d’hier. Merci de vous être donné tant de mal pour m’accueillir. Bien sincèrement,Chloe Girard.Aussi incroyable que ça puisse paraître, ça m’a pris la moitié de la nuit, de rédiger cette lettre pour Smoothie Boy. Ethan. M. Frost. Quel que soit son nom. Après avoir dormi seulement deux heures et demie, peu m’importe la façon dont il veut q
Ethan sursaute de surprise devant ma réponse.— Non ?!On croirait qu’il n’a jamais encore entendu ce mot, mais je sais de source sûre que c’est faux. Je le luiai dit moi-même, hier. Juste avant de faire exactement ce qu’il voulait.Mes joues s’empourprent à cette pensée, même si je sais que cette fois, ça va se passer autrement. Jene vais pas céder. Je ne peux pas. Même si j’en meurs d’envie.— Non. Je suis désolée, mais c’est une mauvaise idée.Je m’attends à ce qu’il proteste. Il penche la tête de côté et me dévisage longuement, comme s’ilpréparait ses arguments. Mais pour finir, il se contente d’une question.— Pourquoi ?— Parce que ! Ce stage est très important pour moi. Je me suis vraiment cassé le
Je ne vais pas y arriver. Je le sais. Je suis dans les toilettes des femmes au premier étage du bâtiment 3, luttant de toutes mes forces pour ne pas pleurer. C’est idiot, j’en suis consciente. Après tout, j’ai déjà traversé bien pire. J’ai entendu et vécu des choses bien plus horribles.Mais ça remonte à longtemps, et à l’époque, je m’y attendais. Je m’y étais préparée. Ici, dans ce boulot dont j’espérais tant, cet endroit où j’avais tellement envie de mettre le pied, d’apprendre et d’apporter ma pierre, c’est un million de fois pire que lorsque j’étais plus jeune.Dire que la journée ne s’est pas bien passée serait un euphémisme. Rick est un vrai connard, champion pour me harceler sans en avoir l’air. Il est à la tête de l’op&ea
Il me dévisage un long moment, l’air vraiment horrifié.— Est-ce que j’ai bien compris ? finit-il par demander. Vous trouvez que je dépasse les limites ?— Pfff, évidemment. Je pensais m’être fait comprendre.Pendant une fraction de seconde, l’homme confiant que j’ai vu jusqu’à présent disparaît, et il sembledéboussolé. Puis son visage se ferme, masquant toutes ses émotions.— Je suis navré. Je pensais pour ma part vous avoir rassurée sur le fait que votre stage n’était pasremis en cause. Quoi qu’il puisse se passer ou ne pas se passer entre nous, vous n’avez rien à craindre de ce côté-là.— Merde, Ethan, je n’ai jamais dit que vous me harceliez sexuellement. J’ai dit que vous aviez dépassé les limites en tant que patron, lorsque vous m’avez confié le meilleur dossier. Je n’ai pas besoin de vos faveurs. Surtout pas quand elles ne m’attirent que des ennuis.Il se détend un peu.— Au sujet de ce dossier, ce n’est pas ce que vous croyez.— Oh, vraime
Mais les meilleures choses ont une fin – à mon grand regret. Alors que les frissons s’estompent et que ma conscience se réveille, je retrouve tout ce que j’avais banni pendant ces quelques instants.Ethan, toujours à genoux devant moi, m’embrasse les hanches et le ventre. Une partie de moi voudrait rester ici, dans ce moment. Le laisser me caresser tout son content. Ou tout le mien.Mais il faudrait plus que quelques baisers et un orgasme mémorable pour me faire oublier la noirceur que je porte en moi. J’ai pu l’enfouir tout à l’heure, la faire taire, mais à présent – alors que je reprends contact avec le monde – elle est là, attendant de m’avaler tout entière.Je suis trop à vif, trop écorchée. Mes défenses ont volé en éclats sous la violence du plaisir qu’Ethan m’a donné – et sou
Le temps d’arriver chez moi, j’ai cessé de trembler. Ma perplexité n’a pas diminué, cependant, mais au moins, je parviens à la cacher. Et c’est important, parce qu’en matière de sentiments, Tori est un fin limier. C’est l’une des nombreuses raisons pour lesquelles je refuse de sortir avec des garçons : si j’évite les situations à risque, elle ne peut deviner tout ce qui se passe sous la surface. Or je sais qu’elle ne tarderait pas à le mettre au jour si elle s’y attelait sérieusement.En tout cas, c’est ma théorie, et je m’y tiens. J’espère seulement que le fait qu’Ethan vienne de me procurer un orgasme retentissant ne se voit pas sur ma figure. J’ai l’impression que ça se devine dans le moindre recoin de mon âme.— Tu rentres pile au bon moment ! La pizza vient d’arriver
Quand arrive le matin, j’ai retrouvé mon équilibre intérieur, si ce n’est mon bon sens. Encore une fois, je zappe mon jogging – je sais que je le paierai quand je m’y remettrai enfin plus tard dans la semaine – et sors de bonne heure.J’ai choisi une robe jaune légère, achetée en solde l’été dernier, pour 20 dollars. Elle est un peu trop féminine pour aller au travail, mais je n’ai que deux tailleurs et je les ai déjà portés, donc il faudra bien que ça passe. Le fait qu’elle aille à merveille avec mes cheveux et mon teint n’entre pas en jeu – du moins, c’est ce que je me raconte en m’habillant.Avant de partir, je remets le blender dans son carton, ainsi qu’un petit mot disant « C’est gentil, mais non merci. » Puis je fais quelque chose de vraiment idiot, que je regrette déjà au moment même où je suis en train de le faire.Je prends une enveloppe – en kraft tout bête, car je n’en ai pas de jolies – et y dépose une perle de lapis-lazuli achetée sur un coup de tête il y a que
— Allez, Chloe ! Je veux sortir ! Ça fait des siècles qu’on n’a pas dansé.Tori me rend folle avec ses pleurnicheries, et c’est exactement le but.— La dernière fois qu’on est allées en boîte, je me suis fait tripoter sur la piste. Tu sais que je détesteça !— Mais c’est tout l’intérêt des boîtes de nuit, proteste-t-elle en se laissant aller sur le dossier du canapé. Je te jure, tu es pire que ma grand-mère, qui a quatre- vingt-dix ans. Elle, au moins, elle me raconte des histoires intéressantes.Je ne me vexe pas. D’abord parce que je sais qu’elle me taquine pour me pousser à me bouger, et aussi parce qu’elle n’a pas tort. Je ne suis pas très fun. Pendant l’année universitaire, je n’ai pas le temps de faire la fête, entre les cours et mon job étudiant. Et cet été, je suis prise par mon stage. C’est à se demander pourquoi elle n’a pas encore changé de meilleure amie.— Mais tu peux sortir sans moi. Ça ne me dérange pas de rester seule ici.— Je t’ai déjà la
Ethan En cet instant, je n’ai jamais rien vu de plus magnifique qu’elle. Et ce n’est pas rien, quand on sait combien de fois cette pensée m’est déjà venue. Nous sommes dans mon domaine viticole de Toscane, et les vignes s’étendent à perte de vue.En début de soirée, le ciel s’embrase de teintes ocre, rouge et or. La beauté – riche, puissante, inoubliable – apparaît dans chaque pouce de terrain, chaque bouffée d’air. Et malgré tout, Chloe Girard Frost est ce qu’il y a ici de plus beau. En cet instant, elle se tient pieds nus au milieu d’un ancien pressoir à vin, ses longs cheveux roux volant au vent, sa jupe coincée entre ses cuisses. Elle a les pieds bordeaux alors qu’elle piétine les grappes sans relâche, et ses mains sont posées sur son ventre arrondi. L’un des vignerons s’adresse à elle, et je la vois rejeter la tête en arrière pour rire à gorge déployée. C’est un son sublime, magique. Et qui pour moi n’ira jamais de soi.
Ethan part tôt, peu après que nous ayons fait l’amour. Il se glisse hors du lit après m’avoir câlinée quelques minutes et murmuré « Je t’aime ». Il croit que je dors. Je ne le détrompe pas. Ce n’est pas faute d’avoir envie qu’il reste, bien au contraire. Être séparée de lui, la semaine précédente, était aussi atroce que d’être amputé d’un membre. D’une partie de moi-même. À présent qu’il est de nouveau là, j’ai un peu envie de m’accrocher à lui. De le serrer si fort que nos corps se confondent. Que nous nous mélangions et que je sente son amour, sa lumière, rayonner à l’intérieur de moi pour toujours.S’il savait que je suis réveillée et que je le regarde sortir, s’il savait combien je me sens vide sans lui, il lui serait impossible de partir, même pour s’occuper de notre mariage. Et j’ai besoin qu’il me laisse, au moins un moment. Il faut que je réfléchisse à ce que je vais faire ensuite. D’un côté, c’est très simple. Ethan et moi, ensemble. Pour toujours. C’est notre de
— J’y vais, annonce Tori.C’est une bonne chose, car je suis pétrifiée. Elle attrape ses chaussures et son sac Vuitton avant d’ouvrir la porte dans un grand geste cérémonieux.Sans surprise, Ethan se tient sur le seuil, pâle et amaigri. Tori le toise de la tête aux pieds, sans trahir le fait qu’elle milite sans relâche pour lui depuis des jours.— Déconne encore une fois, et je te coupe les couilles, déclare-t-elle d’un ton hautain.Sur ces bonnes paroles, elle s’enfuit, se glissant par la porte avant même que j’aie décidé comment saluer Ethan.Mais ce n’est pas grave, car je n’en ai pas le temps. Il apparaît dans la cuisine, un énorme bouquet à la main, tout son amour écrit sur son visage.— Tu avais raison, dit-il.— À quel propos ?Une petite voix me dit que c’est le moment le plus important de mon existence, alors autant que toutsoit bien clair. C’est un bon conseil. Dommage que mon cœur batte si fort que je risque de ne pas entendre un mot de ce qu’i
— Je crois que je vais appeler le médecin. Voir s’il peut me filer des hormones. Tori s’assied à table en écartant les jambes avec ostentation.— Qu’est-ce qui ne va pas ? Tu es malade ? dis-je, inquiète.— Non, je crois juste que je commence à avoir des boules.— Des boules ? Tu veux dire des ganglions ?Je laisse mes questions en suspens lorsque je comprends ce qu’elle veut dire.— Non mais franchement ! Et moi qui m’inquiétais pour toi.— C’est moi qui m’inquiète pour toi. Tous ces « je t’aime, moi non plus » avec Ethan, c’esttellement tordu que ça commence vraiment à me foutre les boules. Tu passes ton temps à me demander de m’adapter à une chose et son contraire. Tu l’aimes, tu le détestes. Tu l’aimes, tu le détestes. Je ne comprends jamais de quel côté de la barrière je dois me situer à tel ou tel moment.— C’est des conneries et tu le sais très bien. En plus, je n’ai jamais dit que je détestais Ethan, et je ne t’ai pas demandé de lui en vouloir. Ne me
— Eh bien, déclare Vanessa après quelques secondes qui semblent une éternité. Il semblerait que tu sois moins bête que ce que je pensais. Tu es capable d’assembler les pièces du puzzle.Je manque d’éclater de rire en entendant cette phrase, cette idée que je sais reconstituer un puzzle. Moi qui ai passé les cinq dernières années à tenter de recoller les morceaux de moi-même, pour finir par retomber en miettes après chaque tentative.Je croyais que cette fois, c’était la bonne. Après avoir découvert le lien entre Brandon et Ethan, avoir quitté ce dernier puis m’être remise avec lui, après avoir enfin accepté ce qui m’était arrivé et dépassé tout cela, je pensais avoir enfin compris. Avoir trouvé le moyen de recoller tous les morceaux. En les mélangeant à ceux d’Ethan. En construisant quelque chose de nouveau, de brillant et d’entier sur les décombres du passé.Ça aurait dû marcher. Vraiment.Mais il s’avère que ce n’était qu’une illusion, qu’un simple élément d’informatio
— Merci encore, Rodrigo ! dis-je en quittant, titubante, le siège passager de l’un des camions du vignoble.— De rien, señorita Chloe. Appelez-moi si vous avez besoin de quoi que ce soit.— D’accord. Mais je pense avoir tout ce qu’il me faut. Bonne soirée ! Faites un bisou à votre adorable fillette de ma part.— Sí. Ce sera fait, répond-il avec un petit rire, les joues empourprées. Ma petite Padma sera contente ! Sa mère dit que depuis qu’elle vous a rencontrée ce matin, elle ne parle de rien d’autre.— Ça n’est que justice. Moi aussi, j’ai parlé d’elle toute la journée. Elle est tellement mignonne ! — Sí, sí. Je crois que vous avez monté une société d’admiration mutuelle, toutes les deux.— Ce n’est pas faux, réponds-je en le saluant d’un geste de la main avant de m’éloigner vers laporte d’entrée en vacillant.— Ça va, señorita Chloe ? Vous voulez que je vous aide à entrer ?— Non, ça va. Ça va. Je suis juste un peu pompette.Pompette, le mot est peut-êt
J’ignore combien de temps nous restons plantés là. Assez longtemps pour que les propriétaires du SUV garé à côté de nous déchargent leur chariot et s’en aillent. Assez longtemps pour que la petite fille assise sur le banc devant le magasin finisse sa glace. Plus de temps que nécessaire pour que tous ces morceaux, qui me semblaient hier si bien collés ensemble, soient de nouveau mélangés.Nous attendons.J’imagine qu’Ethan va parler. Qu’il va me dire qu’il comprend, que ce n’est pas grave. Ou l’inverse, qu’il ne saisit pas, et que nous avons fait une énorme erreur. Au point où j’en suis, je ne sais plus ce qui serait le pire. Tout ce que je vois, c’est que je ne vais pas supporter de continuer à attendre bien longtemps. Je vais devenir folle.Il refuse de me regarder. Depuis que je lui ai parlé de mon désir de mourir, il n’a pas posé les yeux sur moi.Je finis par ne plus pouvoir endurer ce silence une seconde de plus.— Ethan.Il lève les yeux vers moi. Ils sont fl
— C’est un vignoble. Pour de vrai.— Je te l’avais bien dit.Nous venons d’atterrir chez Ethan à Napa et je me tiens derrière la maison principale, au sommetd’une énorme colline qui domine des hectares et des hectares de vignes.— Oui, mais je pensais que tu n’avais que quelques pieds...Avec un haussement d’épaules, il lève les mains comme pour se déprécier. — J’ai un peu plus que quelques pieds.— Je vois. Tu as aussi des camions, des vignerons et une salle de dégustation. Et tout l’équipement qui va avec. Tu as un domaine viticole, quoi.— Je ne t’ai pas menti.— Non. Mais...— Mais quoi ?— Mais c’est un vignoble !Il sourit d’une oreille à l’autre, comme s’il n’avait jamais rien vu de plus fou que moi. — Tu l’as déjà dit.— Je sais, mais c’est...— ... un vignoble. Oui. C’est vrai. Et même si cette conversation est très profonde, je me demandais si on pouvait passer à autre chose...— Je ne sais pas. Peut-être. Qu’est-ce qu’il y a d’au
Mon alarme sonne à 6 h 30, à peine une heure après qu’Ethan et moi sommes finalement entrés d’un pas chancelant dans la maison pour nous coucher. Avec un grognement, je tends la main vers mon réveil pour l’éteindre, en me disant que je ne dois pas le lancer à travers la pièce... après tout, ce n’est pas sa faute si je suis une véritable idiote.Il en réchappe de peu, pourtant. Ça aurait pu mal finir, mais Ethan me le prend des mains et le dépose par terre doucement avant de m’attirer vers lui, tout contre son torse.— Il faut qu’on se lève..., dis-je.L’idée d’ouvrir les yeux suffit à me donner la nausée. Je suis épuisée, et courbaturée à cause de ma fuite éperdue sur la plage, la nuit dernière. Fuite qui me semble stupide quand on sait comment elle a fini, par une union si totale entre Ethan et moi que, pendant un moment, je n’étais plus consciente des limites de nos deux corps.— J’ai une réunion. Et toi, tu dois sans doute acheter un petit pays.— Deux petits pays,