Depuis cette nuit où Amour m'avait serré la main, je croyais avoir ouvert une brèche vers autre chose, vers une lumière timide mais tenace. Pourtant, les jours qui suivirent ne furent pas aussi clairs. Ce que j’avais pris pour une promesse devint un silence. Amour ne revenait plus. Et à sa place, d’autres présences se firent sentir, d’abord en chuchotement, puis en présence entière.
Elle est arrivée sans bruit. Elle ne s’annonce jamais. Celle qui fit son entrée cette fois là n'était guère une étrangère, s'il fallait lui donner un nom il s'agissait de : Déception. Elle avait des yeux pâles et un sourire discret, presque doux. Elle n’était pas cruelle, non. Elle se montrait même compatissante. Mais derrière son regard se cachait quelque chose de plus ancien, une fatigue, une lassitude, et une promesse non tenue. Je l’avais connue bien avant cette nuit au café. Dans le passé elle était venue à moi sous plusieurs visages et sous plusieurs noms : Auriane, Judith, Christine, Laetitia. Mais cette fois, elle s’est assise en face de moi, comme l’avait fait Amour. Comme s’ils se connaissaient. Comme s’ils s’échangeaient ma compagnie comme une vieille habitude. Elle fut la première à briser le silence, elle me dit : — Tu pensais que j’étais partie ? m’a-t-elle demandé. Je ne savais pas quoi dire. Mes épaules se sont affaissées. Elle n’attendait pas de réponse. Elle savait déjà. À ses côtés se tenait une autre silhouette, plus discrète encore. Tristesse. Son regard était baissé, mais sa main frôlait celle de sa sœur. Et je compris alors que Déception ne voyageait jamais seule. Elle venait toujours en famille. Et leur clan était vaste : d’autres viendraient. Je croyais avoir tourné une page. Mais le livre était circulaire. Depuis quelques jours, j’avais commencé à ressentir un vide familier, un petit frisson dans la poitrine, une gêne sans nom. C’était elle. Déception. Je l’avais laissée entrer sans m’en rendre compte, sous prétexte que mon cœur battait trop fort, trop vite. Pour une illusion, peut-être. J’étais tombé sous son charme. Et plus je me taisais, plus elle s’installait. Elle connaissait parfaitement la topographie de mon cœur, comme quelqu’un qui y avait vécu jadis. Et ce fut en ce moment que je me rendis compte que j'avais recommencé à subir son influence : Elle me faisait toujours de l'effet. Chaque silence, chaque soupir, chaque doute : elle les décodait avant même que je les ressente. Ne pouvant alors supporter le fait qu'elle puisse à nouveau me contrôler, je quittais précipitamment cette table et chercha une issue de secours pour m'en aller de là. Au dehors, alors que je marchais sans but dans une ruelle, j’ai croisé un être familier à la déception : c'était Déboire. Il était adossé à un lampadaire, l’air usé, la bouche pleine d’ironie. — Je t’avais prévenu, dit-il sans même me regarder. Elle ne change pas. Et toi, tu continues de croire que tu feras exception ? Je l’ai fixé sans mot dire. Il a ri doucement. — Tu n’es pas le premier. Ni le dernier. Elle a ce don, tu sais… Celui de se faire aimer de ceux qui espèrent trop. Je voulais lui dire que ce n’était pas vraiment de l’amour. Que c’était… autre chose. Une forme d’attachement étrange, une attirance pour ce qu’on connaît, même si cela nous brise. Mais je n’ai rien dit. Car au fond, je savais qu’il avait raison. Déboire s’est approché. — Elle est une abstraction, Nathan. Tu ne peux pas l’aimer. Elle n’a ni chair, ni constance. Elle te traverse, te marque, puis s’en va. Et toi, tu restes là, à recoller ce qu’elle a brisé. Mais pourquoi est-ce que je m’y accrochais encore ? Pourquoi ce sentiment pour Déception prenait-il racine si fort ? Peut-être parce que mon cœur ne savait plus faire la différence entre ce qui le rassure et ce qui le détruit. Peut-être qu’à force d’avoir trop perdu, je confondais attachement et habitude. Ou peut-être… que j’aimais Déception, parce qu’elle m’était familière. A ces questions je m'éloignais de Déboire. Je me suis assis au bord d’un banc, dans un parc désert. Le vent caressait mes joues comme une main tiède et invisible, je voulais faire le vide dans ma tête et retrouver du calme. Et c’est là que je l’ai revu. Amour. Il était là, debout, les bras croisés, le regard sombre. — Tu l’as laissé prendre toute la place, dit-il. Je n’ai pas répondu. Il s’est approché, et cette fois, sa voix était plus grave. — Ce n’est pas moi qui pars. C’est toi qui m’oublies. Tu te laisses enchaîner à une sensation toxique, Nathan. Tu crois aimer Déception. Mais ce que tu ressens… c’est le confort de l’abîme. Pas de l’amour. Je levai enfin les yeux. — Et si c’était ça, ma vérité ? Et si je n’étais bon qu’à m’attacher à ce qui me blesse ? Amour secoua la tête. — Ce n’est pas une vérité. C’est une blessure que tu refuses de guérir. Je ne peux pas forcer ta main. Mais je te préviens : si tu restes, elle t’entraînera vers une autre. Sa cousine, Dépression. Et elle, elle n’a pas ton salut en tête. Ces mots me glacèrent. Dépression. Ce nom, je l’avais entendu. Elle avait une réputation sombre. Froide. Définitive. Amour s’accroupit à ma hauteur. — Mon rôle n’est pas de forcer, Nathan. Je suis là pour accompagner, jamais pour retenir. Si tu crois que Déception t’aime, alors reste. Mais sache que chez elle, on ne guérit pas. On s’efface. Il se releva et commença à s’éloigner. Je le retins d’un mot : — Et si je voulais m’en libérer ? Si je voulais t’accueillir à nouveau ? Il s’arrêta, sans se retourner. — Alors, tu devras trouver Vérité. Elle seule peut t’aider à comprendre pourquoi tu préfères ce qui te détruit. Puis l'amour s'est éloigné, nous nous sommes séparés sans se donner de rendez vous. De retour chez moi, ce soir là, j’ai fait un rêve étrange. J’étais dans une grande maison. Les murs transpiraient l’humidité, les fenêtres étaient opaques. Et dans chaque pièce, une abstraction m’attendait. Colère, assise dans la cuisine, cognait sur la table en répétant les mêmes reproches. Tristesse était dans le salon, recroquevillée sur un vieux canapé, en larmes silencieuses. Solitude faisait les cent pas dans le couloir, murmurant mon nom comme une litanie. Et Déception… elle était partout. Dans chaque recoin. Son parfum flottait dans l’air. Ses mots résonnaient dans les cadres suspendus. Alors je l’ai appelée : — Vérité ! Où es-tu ? Et dans le miroir de la chambre, un reflet s’est formé. Ce n’était pas moi. C’était une jeune femme, le regard profond, les bras ouverts. — Tu es enfin prêt, dit-elle. Mais pour m’entendre, tu dois faire taire le vacarme des autres. Je me suis réveillé en sursaut. En sueur. Mon cœur battait fort. Ce jour-là, j’ai pris une décision. Je suis retourné au café. Celui où tout avait commencé. Où j’avais rencontré Amour. La terrasse était vide. Le ciel était clair cette fois. Et à ma place habituelle, le siège d'en face n'était pas vide, une femme s'y trouvait, cheveux long, le teint clair, elle me regardait avec un regard profond, je l’ai vue et ce n'était pas la première fois. Elle ressemblait trait pour trait à la femme dans mes rêves c'était : Vérité. Elle était assise seule, un carnet entre les mains. Elle leva les yeux rivés vers moi elle sourit doucement. — Tu as beaucoup marché, dit-elle. Mais tu es là. Je me suis assis face à elle, je croyais que c'était une illusion et que rien de tout ça n'était vrai. Je voulais des réponses et je voulais comprendre pourquoi en moi ce penchant pour la déception était toujours si fort. Alors je lui demandais : — J’ai cru aimer Déception, lui dis-je. Je pensais qu’elle faisait partie de moi. — Non, répondit Vérité. Elle est le résultat d’un déséquilibre. Pas un choix. Tu l’as laissée entrer parce que tu croyais ne rien mériter de mieux. Ses mots me traversèrent comme des flèches. — Comment la faire partir ? Vérité referma son carnet. — On ne chasse pas une abstraction. Surtout pas celle qui est liée aux moments les plus difficiles de notre existence. On lui retire son pouvoir. Tu dois comprendre pourquoi tu l’as choisie. Et alors, tu pourras choisir autrement. Je me suis levé. — Je ne veux plus d’elle. Ni de Tristesse. Ni de Colère. Ni de Dépression. Vérité s’approcha. — Alors va. Cherche Joie. Cherche Espoir. Cherche Présence. Et surtout… rappelle Amour. Mais je dois te prévenir, la seule personne capable de te faire retrouver joie, espoir et amour c'est : Tendresse. - Où pourrais je la trouver ? - Elle a toujours été présente. Tu n'as juste pas eu besoin d'elle. Mais maintenant tu te rendras compte quand elle reviendra à nouveau vers toi. - Comment pourrais je la reconnaître ? - Elle voudra d'abord et avant tout ton bien. Même si tu la blesses, elle va te rappeler que la chose la plus importante c'est la paix. Et puis on s'est quitté et sur le chemin du retour, j’ai croisé Déception une dernière fois. Elle était là, immobile, le regard vide. — Tu t’en vas ? me demanda-t-elle. — Oui. — Tu crois que tu ne reviendras jamais ? Je l’ai regardée longtemps. Elle semblait si humaine, si fragile, et à cet instant, elle portait le visage de toutes ces personnes avec qui des idylles sont devenus des drames. Et je lui dis : — Peut-être que je reviendrai. Par faiblesse. Par erreur. Mais je saurai, cette fois. Que tu n’es pas amour. Que tu es un leurre. Elle n’a rien dit. Et moi, je suis parti. Vers la lumière. Vers autre chose. Vers moi-même. sans savoir ce qui m'attendait en chemin. Mais j'étais à présent déterminé à suivre les recommandations de vérité. Au fond de moi j'étais conscient du manque de joie, d'espoir et surtout d'amour qui me pesait. Et pour m'aider à les faire revenir dans mon existence je devais faire l'expérience de la vie dans la présence de Tendresse. Ainsi j'allais à sa recherche. A suivre...Avant de disparaître, Vérité m’avait laissé un conseil aussi simple qu’essentiel : « Sors de ta bulle. Ose. Rencontre. Et surtout, quitte la Déception. » Je l’entends encore me parler comme une soeur bienveillante qui voit son cadet s’égarer dans les ruines d’un attachement malsain. Elle m’avait parlé de possibilités, de chances, et même de cette mystérieuse sœur, une âme douce et sincère. Il disait que quelque part, une grande histoire m’attendait, mais qu’elle ne commencerait que le jour où j’oserais refermer le chapitre de la Déception et accepter la présence de cette personne à qui je ne prêtais pas toujours une attention. Des jours s'étaient écoulés depuis ma rencontre avec Vérité. J'étais assis dans une bibliothèque, à dévorer des livres. Le silence qui y régnait était si profond qu'on pouvait entendre les mouches voler. Mais particulièrement des pas vinrent troubler ce silence, en face de moi, une jeune femme belle , la silhouette fine et le visage chaleureux se présenta
Certains disent que l'Amour est un vagabond. D’autres, qu’il est un roi capricieux qui n’apparaît que lorsque l’on a cessé de l’attendre. Moi, je l’ai rencontré un soir d’orage, à une terrasse presque vide, alors que je tentais d’écrire ma vie sur une page blanche. Il faisait humide, et les éclairs striaient le ciel avec une régularité obsédante. Le café, petit refuge planté entre deux immeubles silencieux, semblait suspendu hors du temps. La plupart des tables étaient désertes, à l’exception de la mienne, où je tentais, en vain, de remplir mon carnet. La pluie jouait un rythme étrange sur le toit de tôle, et mon café refroidissait, intact. J’étais venu là comme on fuit. Pour éviter l’étreinte familière de mes pensées. Pour mettre de la distance entre moi et ce que je devenais. Je ne savais plus trop pourquoi j’écrivais, ni ce que j’espérais encore trouver dans ces pages. C’est alors qu’il est arrivé. Il portait une chemise froissée, ouverte au col, et des lunettes cerclées de
Amour n’était pas parti. Il s’était installé dans un coin de ma vie comme une présence discrète mais constante, parfois silencieux, parfois brûlant. Le lendemain de notre rencontre, je me suis réveillé en sursaut, le cœur battant, persuadé que tout n’avait été qu’un rêve étrange. Pourtant, la chaise en face de moi sur la terrasse du café était toujours tirée, comme si quelqu’un s’y était assis récemment. Je suis retourné sur les lieux, les mains dans les poches, sous un ciel gris. Rien n’avait changé, sauf moi. — Tu es revenu, dit Amour, assis à la même place que la veille. Il n’avait pas vieilli d’un jour. Son regard brillait toujours, mais quelque chose en lui était différent : une gravité dans la voix, un calme inquiétant. — Je ne sais pas pourquoi je suis là, ai-je murmuré. Il haussa les épaules. — C’est toujours comme ça. Personne ne vient vers moi en sachant exactement ce qu’il veut. On vient parce qu’on manque. Parce qu’on sent qu’il y a un vide quelque part. Je m
Avant de disparaître, Vérité m’avait laissé un conseil aussi simple qu’essentiel : « Sors de ta bulle. Ose. Rencontre. Et surtout, quitte la Déception. » Je l’entends encore me parler comme une soeur bienveillante qui voit son cadet s’égarer dans les ruines d’un attachement malsain. Elle m’avait parlé de possibilités, de chances, et même de cette mystérieuse sœur, une âme douce et sincère. Il disait que quelque part, une grande histoire m’attendait, mais qu’elle ne commencerait que le jour où j’oserais refermer le chapitre de la Déception et accepter la présence de cette personne à qui je ne prêtais pas toujours une attention. Des jours s'étaient écoulés depuis ma rencontre avec Vérité. J'étais assis dans une bibliothèque, à dévorer des livres. Le silence qui y régnait était si profond qu'on pouvait entendre les mouches voler. Mais particulièrement des pas vinrent troubler ce silence, en face de moi, une jeune femme belle , la silhouette fine et le visage chaleureux se présenta
Depuis cette nuit où Amour m'avait serré la main, je croyais avoir ouvert une brèche vers autre chose, vers une lumière timide mais tenace. Pourtant, les jours qui suivirent ne furent pas aussi clairs. Ce que j’avais pris pour une promesse devint un silence. Amour ne revenait plus. Et à sa place, d’autres présences se firent sentir, d’abord en chuchotement, puis en présence entière. Elle est arrivée sans bruit. Elle ne s’annonce jamais. Celle qui fit son entrée cette fois là n'était guère une étrangère, s'il fallait lui donner un nom il s'agissait de : Déception. Elle avait des yeux pâles et un sourire discret, presque doux. Elle n’était pas cruelle, non. Elle se montrait même compatissante. Mais derrière son regard se cachait quelque chose de plus ancien, une fatigue, une lassitude, et une promesse non tenue. Je l’avais connue bien avant cette nuit au café. Dans le passé elle était venue à moi sous plusieurs visages et sous plusieurs noms : Auriane, Judith, Christine, Laetitia.
Amour n’était pas parti. Il s’était installé dans un coin de ma vie comme une présence discrète mais constante, parfois silencieux, parfois brûlant. Le lendemain de notre rencontre, je me suis réveillé en sursaut, le cœur battant, persuadé que tout n’avait été qu’un rêve étrange. Pourtant, la chaise en face de moi sur la terrasse du café était toujours tirée, comme si quelqu’un s’y était assis récemment. Je suis retourné sur les lieux, les mains dans les poches, sous un ciel gris. Rien n’avait changé, sauf moi. — Tu es revenu, dit Amour, assis à la même place que la veille. Il n’avait pas vieilli d’un jour. Son regard brillait toujours, mais quelque chose en lui était différent : une gravité dans la voix, un calme inquiétant. — Je ne sais pas pourquoi je suis là, ai-je murmuré. Il haussa les épaules. — C’est toujours comme ça. Personne ne vient vers moi en sachant exactement ce qu’il veut. On vient parce qu’on manque. Parce qu’on sent qu’il y a un vide quelque part. Je m
Certains disent que l'Amour est un vagabond. D’autres, qu’il est un roi capricieux qui n’apparaît que lorsque l’on a cessé de l’attendre. Moi, je l’ai rencontré un soir d’orage, à une terrasse presque vide, alors que je tentais d’écrire ma vie sur une page blanche. Il faisait humide, et les éclairs striaient le ciel avec une régularité obsédante. Le café, petit refuge planté entre deux immeubles silencieux, semblait suspendu hors du temps. La plupart des tables étaient désertes, à l’exception de la mienne, où je tentais, en vain, de remplir mon carnet. La pluie jouait un rythme étrange sur le toit de tôle, et mon café refroidissait, intact. J’étais venu là comme on fuit. Pour éviter l’étreinte familière de mes pensées. Pour mettre de la distance entre moi et ce que je devenais. Je ne savais plus trop pourquoi j’écrivais, ni ce que j’espérais encore trouver dans ces pages. C’est alors qu’il est arrivé. Il portait une chemise froissée, ouverte au col, et des lunettes cerclées de