Certains disent que l'Amour est un vagabond. D’autres, qu’il est un roi capricieux qui n’apparaît que lorsque l’on a cessé de l’attendre. Moi, je l’ai rencontré un soir d’orage, à une terrasse presque vide, alors que je tentais d’écrire ma vie sur une page blanche.
Il faisait humide, et les éclairs striaient le ciel avec une régularité obsédante. Le café, petit refuge planté entre deux immeubles silencieux, semblait suspendu hors du temps. La plupart des tables étaient désertes, à l’exception de la mienne, où je tentais, en vain, de remplir mon carnet. La pluie jouait un rythme étrange sur le toit de tôle, et mon café refroidissait, intact. J’étais venu là comme on fuit. Pour éviter l’étreinte familière de mes pensées. Pour mettre de la distance entre moi et ce que je devenais. Je ne savais plus trop pourquoi j’écrivais, ni ce que j’espérais encore trouver dans ces pages. C’est alors qu’il est arrivé. Il portait une chemise froissée, ouverte au col, et des lunettes cerclées de cuivre légèrement embuées. Son manteau, sombre et trempé, dégoulinait sur le sol carrelé. Il n’avait rien d’un héros. Pas même l’allure d’un personnage secondaire. Pourtant, quelque chose en lui captait l’attention. Ce n’était pas sa beauté, mais la manière dont il occupait l’espace. Comme s’il avait le droit d’être là. Partout. Il s’est assis sans demander, face à moi, en poussant une chaise dans un bruit de bois râpé. Puis il m’a fixé. Son regard brillait d’un éclat trouble. Ce n’était ni menace, ni bienveillance. Juste… une intensité. Une vérité brute. — Tu m’as appelé, non ? a-t-il demandé simplement. J’ai levé les yeux, surpris. Peut-être avais-je murmuré quelque chose sans m’en rendre compte. Peut-être que depuis des mois, voire des années, je portais cette demande en moi comme un cri muet, tendu vers le ciel, comme une antenne désespérée. Je n’ai pas répondu. Pas tout de suite. Parce qu’au fond, je ne savais pas quoi dire. Peut-être que oui. Peut-être que depuis longtemps, je traînais ma solitude comme un sac de pierres, espérant secrètement qu’un inconnu viendrait me délester de ce poids. Il a regardé la pluie tomber, puis mes mains crispées sur le carnet. Il n’a pas souri. — On m’idéalise beaucoup, tu sais, a-t-il poursuivi. On croit que j’arrive avec des fanfares, des feux d’artifice, des cœurs qui battent à l’unisson. Mais moi, je viens souvent en silence. Et jamais sans conséquences. Je l’observais, fasciné. Qui était-il ? Un fou ? Un poète ? Un reflet de ma fatigue ? Pourtant tout en lui semblait réel. Ancré. Irréversible. — Tu es qui ? ai-je fini par demander. Il sourit. Enfin. Un sourire discret. Presque moqueur. — Je suis tout ce que tu refuses de voir. Tout ce que tu attends sans le dire. Je suis ce que tu caches quand tu ris trop fort. Je suis ce que tu cherches dans les yeux des autres sans jamais oser le nommer. Il tendit la main. Sa voix se fit plus douce. — Je m’appelle Amour. J’hésitai. Mon instinct me hurlait de me lever, de partir, de ne pas jouer à ce jeu étrange. Mais ma main bougea malgré moi, et je serrai la sienne. Sa paume était chaude. Vivante. Et c’est à ce moment-là que Solitude se leva de la table voisine. Je ne l’avais pas vue. Pourtant, elle était là depuis le début. Elle portait un manteau gris, boutonné jusqu’au cou. Son visage était pâle, ses traits fins, tirés par l’usure. Elle s’avança lentement, comme on sort d’un rêve. — Tu veux me remplacer, Nathan ? dit-elle. Après tout ce qu’on a traversé ensemble ? Sa voix tremblait. Elle n’était pas en colère. Juste… blessée. Je baissai les yeux, confus. Je ne savais pas quoi dire. Elle avait raison, quelque part. Solitude m’avait tenu compagnie pendant toutes ces années. Elle avait été fidèle. Présente dans les nuits sans sommeil, dans les dimanches mornes, dans les douches trop longues. Elle connaissait mes silences, mes doutes, mes renoncements. — Tu n’as jamais eu besoin de personne. Tu as appris à tout faire seul. Pourquoi changer maintenant ? Amour m’observait en silence. Et dans le reflet de la vitre embuée, je crus voir Mélancolie assise au bar, un verre à la main. Elle ne disait rien. Elle fixait le fond de son verre, comme si elle y cherchait un souvenir. Son regard croisait parfois le mien, mais elle ne m’appelait plus. Elle savait que je la connaissais trop bien. Un coup de tonnerre fit frémir les murs. Amour se pencha vers moi. — Elles ne partiront pas sans lutter, dit-il. Mais je peux t’emmener ailleurs. À condition que tu sois prêt à perdre pied. Je sentis ma gorge se nouer. C’était un piège. Ou une délivrance. Ou peut-être les deux. Je repensai à tous ces matins où Colère m’avait tiré du lit avant même que le réveil ne sonne. Où ses poings frappaient à l’intérieur de ma cage thoracique, sans répit. Je la sentais monter à la moindre frustration, à la moindre injustice, à la moindre déception. Et Peur, elle, m’attendait au seuil de chaque décision. Elle m’attrapait la main, me retenait, me chuchotait : — Et si tu échoues ? Et s’ils te rejettent ? Et si tu n’étais pas assez bien ? Et puis, il y avait Espoir. Mon petit feu fragile. Celui qui venait timidement le soir, quand j’écrivais une ligne un peu trop belle, quand une chanson faisait battre mon cœur plus vite. Mais je l’étouffais aussitôt, d’un soupir, d’un "ça ne servira à rien". Et là, devant moi, assis à ma table, se tenait une promesse. Inquiétante. Irrésistible. Amour me fixait. Il ne forçait rien. Il attendait que je choisisse. Que je me choisisse. Alors j’ai dit oui. D’une voix basse. Craintive. Mais ferme. Oui. Amour n’a pas souri. Il a simplement hoché la tête. Et alors, le monde a changé. Pas d’un coup. Pas de façon spectaculaire. Mais j’ai senti, en moi, un verrou céder. Une brèche s’ouvrir. Solitude s’est reculée. Lentement. Elle n’a pas crié. Elle est partie sans faire de bruit, mais son regard est resté longtemps accroché au mien. Comme un dernier adieu qu’on ne prononce pas. Mélancolie, elle, a vidé son verre, posé quelques pièces sur le comptoir, et s’est fondue dans l’ombre. Je suis resté seul, face à Amour. — Ce ne sera pas facile, m’a-t-il prévenu. — Je sais. — Tu devras me chercher même quand je ne ressemblerai pas à ce que tu veux. Tu devras m’inventer parfois. Me créer dans des endroits où je semble absent. — Je suis prêt, ai-je murmuré. Enfin… je crois. Il se leva. Et sans rien dire de plus, il m’a tendu un carnet neuf. Relié de cuir. Vierge. — Ce soir, tu recommences. Tu ne raconteras plus ce que tu as vécu. Tu vas écrire ce que tu choisis de devenir. Je pris le carnet. Mes doigts tremblaient. — Et si j’échoue ? Il me regarda une dernière fois, les yeux pleins d’une tendresse rude. — Alors on recommencera. Il disparut sous la pluie, laissant derrière lui une chaise vide et une table où, pour la première fois depuis longtemps, je n’étais plus seul. Je m’appelle Nathan. Et ce soir-là, à cette table bancale d’un café oublié, j’ai fait un pacte: Avec Amour. Avec moi-même. Avec la vie.Amour n’était pas parti. Il s’était installé dans un coin de ma vie comme une présence discrète mais constante, parfois silencieux, parfois brûlant. Le lendemain de notre rencontre, je me suis réveillé en sursaut, le cœur battant, persuadé que tout n’avait été qu’un rêve étrange. Pourtant, la chaise en face de moi sur la terrasse du café était toujours tirée, comme si quelqu’un s’y était assis récemment. Je suis retourné sur les lieux, les mains dans les poches, sous un ciel gris. Rien n’avait changé, sauf moi. — Tu es revenu, dit Amour, assis à la même place que la veille. Il n’avait pas vieilli d’un jour. Son regard brillait toujours, mais quelque chose en lui était différent : une gravité dans la voix, un calme inquiétant. — Je ne sais pas pourquoi je suis là, ai-je murmuré. Il haussa les épaules. — C’est toujours comme ça. Personne ne vient vers moi en sachant exactement ce qu’il veut. On vient parce qu’on manque. Parce qu’on sent qu’il y a un vide quelque part. Je m
Depuis cette nuit où Amour m'avait serré la main, je croyais avoir ouvert une brèche vers autre chose, vers une lumière timide mais tenace. Pourtant, les jours qui suivirent ne furent pas aussi clairs. Ce que j’avais pris pour une promesse devint un silence. Amour ne revenait plus. Et à sa place, d’autres présences se firent sentir, d’abord en chuchotement, puis en présence entière. Elle est arrivée sans bruit. Elle ne s’annonce jamais. Celle qui fit son entrée cette fois là n'était guère une étrangère, s'il fallait lui donner un nom il s'agissait de : Déception. Elle avait des yeux pâles et un sourire discret, presque doux. Elle n’était pas cruelle, non. Elle se montrait même compatissante. Mais derrière son regard se cachait quelque chose de plus ancien, une fatigue, une lassitude, et une promesse non tenue. Je l’avais connue bien avant cette nuit au café. Dans le passé elle était venue à moi sous plusieurs visages et sous plusieurs noms : Auriane, Judith, Christine, Laetitia.
Avant de disparaître, Vérité m’avait laissé un conseil aussi simple qu’essentiel : « Sors de ta bulle. Ose. Rencontre. Et surtout, quitte la Déception. » Je l’entends encore me parler comme une soeur bienveillante qui voit son cadet s’égarer dans les ruines d’un attachement malsain. Elle m’avait parlé de possibilités, de chances, et même de cette mystérieuse sœur, une âme douce et sincère. Il disait que quelque part, une grande histoire m’attendait, mais qu’elle ne commencerait que le jour où j’oserais refermer le chapitre de la Déception et accepter la présence de cette personne à qui je ne prêtais pas toujours une attention. Des jours s'étaient écoulés depuis ma rencontre avec Vérité. J'étais assis dans une bibliothèque, à dévorer des livres. Le silence qui y régnait était si profond qu'on pouvait entendre les mouches voler. Mais particulièrement des pas vinrent troubler ce silence, en face de moi, une jeune femme belle , la silhouette fine et le visage chaleureux se présenta
Avant de disparaître, Vérité m’avait laissé un conseil aussi simple qu’essentiel : « Sors de ta bulle. Ose. Rencontre. Et surtout, quitte la Déception. » Je l’entends encore me parler comme une soeur bienveillante qui voit son cadet s’égarer dans les ruines d’un attachement malsain. Elle m’avait parlé de possibilités, de chances, et même de cette mystérieuse sœur, une âme douce et sincère. Il disait que quelque part, une grande histoire m’attendait, mais qu’elle ne commencerait que le jour où j’oserais refermer le chapitre de la Déception et accepter la présence de cette personne à qui je ne prêtais pas toujours une attention. Des jours s'étaient écoulés depuis ma rencontre avec Vérité. J'étais assis dans une bibliothèque, à dévorer des livres. Le silence qui y régnait était si profond qu'on pouvait entendre les mouches voler. Mais particulièrement des pas vinrent troubler ce silence, en face de moi, une jeune femme belle , la silhouette fine et le visage chaleureux se présenta
Depuis cette nuit où Amour m'avait serré la main, je croyais avoir ouvert une brèche vers autre chose, vers une lumière timide mais tenace. Pourtant, les jours qui suivirent ne furent pas aussi clairs. Ce que j’avais pris pour une promesse devint un silence. Amour ne revenait plus. Et à sa place, d’autres présences se firent sentir, d’abord en chuchotement, puis en présence entière. Elle est arrivée sans bruit. Elle ne s’annonce jamais. Celle qui fit son entrée cette fois là n'était guère une étrangère, s'il fallait lui donner un nom il s'agissait de : Déception. Elle avait des yeux pâles et un sourire discret, presque doux. Elle n’était pas cruelle, non. Elle se montrait même compatissante. Mais derrière son regard se cachait quelque chose de plus ancien, une fatigue, une lassitude, et une promesse non tenue. Je l’avais connue bien avant cette nuit au café. Dans le passé elle était venue à moi sous plusieurs visages et sous plusieurs noms : Auriane, Judith, Christine, Laetitia.
Amour n’était pas parti. Il s’était installé dans un coin de ma vie comme une présence discrète mais constante, parfois silencieux, parfois brûlant. Le lendemain de notre rencontre, je me suis réveillé en sursaut, le cœur battant, persuadé que tout n’avait été qu’un rêve étrange. Pourtant, la chaise en face de moi sur la terrasse du café était toujours tirée, comme si quelqu’un s’y était assis récemment. Je suis retourné sur les lieux, les mains dans les poches, sous un ciel gris. Rien n’avait changé, sauf moi. — Tu es revenu, dit Amour, assis à la même place que la veille. Il n’avait pas vieilli d’un jour. Son regard brillait toujours, mais quelque chose en lui était différent : une gravité dans la voix, un calme inquiétant. — Je ne sais pas pourquoi je suis là, ai-je murmuré. Il haussa les épaules. — C’est toujours comme ça. Personne ne vient vers moi en sachant exactement ce qu’il veut. On vient parce qu’on manque. Parce qu’on sent qu’il y a un vide quelque part. Je m
Certains disent que l'Amour est un vagabond. D’autres, qu’il est un roi capricieux qui n’apparaît que lorsque l’on a cessé de l’attendre. Moi, je l’ai rencontré un soir d’orage, à une terrasse presque vide, alors que je tentais d’écrire ma vie sur une page blanche. Il faisait humide, et les éclairs striaient le ciel avec une régularité obsédante. Le café, petit refuge planté entre deux immeubles silencieux, semblait suspendu hors du temps. La plupart des tables étaient désertes, à l’exception de la mienne, où je tentais, en vain, de remplir mon carnet. La pluie jouait un rythme étrange sur le toit de tôle, et mon café refroidissait, intact. J’étais venu là comme on fuit. Pour éviter l’étreinte familière de mes pensées. Pour mettre de la distance entre moi et ce que je devenais. Je ne savais plus trop pourquoi j’écrivais, ni ce que j’espérais encore trouver dans ces pages. C’est alors qu’il est arrivé. Il portait une chemise froissée, ouverte au col, et des lunettes cerclées de