BesançonSandrine frappa à la porte, une femme au visage sympathique vint ouvrir. Yannis était en retrait. Grâce à l’appli GPS, ils avaient trouvé l’adresse de Jules. Il n’habitait qu’à quelques rues de son abruti de copain... assez normal en fait, que deux amis vivent dans le même quartier. La dame affichait un grand sourire, ne sachant que penser de ses visiteurs. Les deux cartes de police, de funeste mémoire, lui figèrent le visage.–Oui ?–Bonjour, madame, OPJ Martin et gardien de la paix Amraoui. Désolés de vous déranger, nous avons des questions à vous poser au sujet de votre fils, Jules.Soupir de lassitude de la mère.–Entrez.Elle fit volte-face et s’engagea dans le grand salon attenant au couloir. Il était meublé avec beaucoup de raffinement et de moyens, l’ensemble était agréable à l’œil. Au mur, deux belles lithographies de Toffoli mettaient des touches de couleur dans cette décoration sobre. La seule faute de goût
BesançonL’équipe, ou plutôt, ce qu’il en restait, s’était retrouvée dans leur quartier général: La chambre d’hôtel premier prix avec WIFI. L’humeur était à l’image du temps, calamiteuse.Il pleuvait avec une fréquence métronomique ! Il pleut deux heures, il ne fait pas beau pendant deux heures, il pleut deux heures... et ainsi de suite. Depuis qu’ils avaient dépassé Brive-la-Gaillarde quatre jours plus tôt, ils n’avaient pas revu le soleil. Ici, la grosse boule jaune devait être un mythe que l’on racontait aux enfants pour réussir à les endormir…Tous les trois étaient assis en cercle... un cercle qui ne ressemblait plus à rien, à l’image de leur groupe décimé. Ils rassemblaient leurs idées, essayant d’en trouver une bonne. Las, leurs cerveaux semblaient figés dans de la poix refroidie. Leur cercle ne tournait plus rond. Ils fonctionnaient au ralenti. Bien sûr, Damien était allé à la pêche aux informations, mais il n’avait pu parler à Frédo qu’une minute, et
BesançonBoris Karpof avait appelé son ex-ami d’enfance. La loi du silence devait être brisée, les faits étaient trop graves. Le vieil animal politique n’était pas facile à dompter. La joute avait commencé.–N’oublie pas Boris, si je plonge, tu plonges avec moi !–Ne me prends pas pour un idiot Georges. On est dans la même galère. Ton méchant toutou a merdé grave. On ne peut pas dire que ce crétin de Jarier va beaucoup me manquer, mais qu’est-ce qui t’a pris d’envoyer Jörg ? Tu sais aussi bien que moi que c’est un cinglé ingérable. Et pourquoi Jarier ?–Il a pris une initiative regrettable. Mais à chaque chose malheur est bon, on va être débarrassé de toute la bande d’un coup.–Il n’y a que Biakry qui soit hors circuit, les autres sont encore là.–Ne t’inquiète pas. Dès cet après-midi, j’appelle la préfète de Haute-Garonne. On va gérer ça entre homologues, les ordres vont redescendre en cascade et demain, ils ne se
Moscou été1957On l’appelait « le boucher », un homme massif au visage inexpressif. Un taiseux. Il était déjà taciturne avant de quitter sa mère patrie, la Russie. Son déracinement, depuis son arrivée en France, avait renforcé son caractère renfermé. À Moscou, il était quelqu’un. Un homme respecté, craint. Ici, il n’était rien qu’un étranger regardé par les « frantsuzskiy » avec dédain, voire suspicion. Ici, il était devenu le ruskof, l’immigré.En situation d’urgence absolue, il avait dû fuir avec sa famille, au début de novembre 1956, grâce à un réseau de camarades: des frères d’armes. L’hiver s’annonçait rude, les premiers froids étaient arrivés en avance d’un bon mois. Mais la météo ne changerait rien, ils ne pourraient pas retarder leur départ pour cause de mauvais temps. Le boucher était sur les listes, et sa famille aussi. Rester au pays signifiait: arrestation, procès, déportation dans un camp du goulag ou pire, exécution ! Pour certains, la dépo
Besançon2018Yannis souriait encore de la réflexion de Sandrine. Il tourna son PC portable vers ses collègues. De portable, il n’avait que le nom: il faisait le poids d’une armoire normande. Un HP série pro boosté au maximum des possibilités actuelles, qui pouvait supporter n’importe quel jeu de l’année. Une bête de puissance que son maître aimait malmener, à pousser dans ses retranchements et, comme tous les flics informaticiens, dans les méandres du NET: aussi bien le « clean » que le « dark ».En plein écran, était affichée une photo anthropométrique d’un type qui toisait un mètre97. En incrustation, le même homme apparemment dans un environnement qu’ils connaissaient tous: le café à l’ancienne dans lequel Frédo avait serré Jarier.–Je vous présente Jörg Jurgensen, citoyen allemand résidant à Besançon depuis dix ans. Adepte de salles de sport et de gonflette. Il matche aussi dans plein d’articles sur le kickboxing. Il écluse l
Besançon1957La première chose qu’Anatoli aima en France fut le pain. Jusqu’à ses 17ans, chez lui en Russie, il faisait partie du peuple des sans grades, bien que vivant dans une famille relativement privilégiée. Son père était chef de culture dans une ferme collective, un kolkhoze du sud de Moscou. Le pain manquait souvent, mais au moins mangeait-il presque tous les jours, et plutôt pas mal, enfin, selon le critère russe de l’époque. Au grand dam de son père, Anatoli n’avait pas une âme de paysan. Il vouait une passion dévorante à l’uniforme. Un matin, alors qu’il portait des denrées au marché, il passa devant un stand tenu par des militaires, il mentit sur son âge et intégra l’armée rouge comme ça ; quasiment par hasard.L’ordinaire des soldats était plutôt maigre, fait de pain noir amer et gluant, accompagné de harengs ou de viande séchée. Ce pain de seigle, enfin normalement ce devait être du seigle, était en fait composé de toutes les céréales qui pouvaie
Besançon2018Yannis et sa collègue roulaient en silence, peu enclins à la conversation. Les deux premiers lieux visités n’avaient rien donné. La première coordonnée GPS les avait emmenés devant une salle de sport où personne ne connaissait Jules Dejean. Le responsable leur avait expliqué que le turn-over était important. Si quelqu’un ne venait pas pendant 2ans, il ne connaissait plus personne. Ils essayèrent quand même.Comme prévu, le jeune Dejean était inconnu. Le propriétaire aussi avait changé, il n’avait même pas gardé le fichier client de son prédécesseur... Son souhait en rachetant le lieu était de hausser le niveau de la clientèle. Ils ne pouvaient même pas savoir si Jules avait été adhérent. Yannis soupira, il lui faudrait éplucher les comptes de « musclor » pour le vérifier.En y réfléchissant, l’option qu’il fut un client régulier était peu probable. À moins d’avoir le sens d’orientation d’un poisson rouge dans un bocal, il n’aurait pas eu be
Besançon–Allo, capitaine Sergent ?–Oui…–Karpof. Commissaire Boris Karpof.Damien était sur la défensive, il venait d’apprendre la découverte du corps, il devait les y rejoindre.–Vous m’appelez pour me dire que Frédéric Biakry est libre ?–Euh non, pas tout à fait.–Alors merci commissaire, il me semble que nous n’ayons plus rien à nous dire.–Arrêtez de déconner Sergent, et écoutez-moi au lieu de me faire votre numéro à 2balles !–Bien, dites-moi, mais dépêchez-vous, il faut que j’appelle un ado de 15ans dont vous avez enfermé le père. Le fils d’un flic irréprochable…–Mais bon sang, écoutez-moi espèce de merdeux ! Je veux autant que vous que Biakry sorte, je sais qu’il n’y est pour rien…Damien attendit un délai raisonnable. Le ton paternaliste du commissaire ne lui faisait ni chaud ni froid, mais comme le fond du discours changeait, il éta