Besançon2010–Allo Boris ? C’est Georges.Le commissaire Karpof laissa passer la surprise. Un appel de son ami ne présageait rien de bon, surtout à sept heures du matin.–Boris, il faut que tu viennes. Maintenant !La dernière fois que le préfet Bergeron avait requis la présence de son ami d’enfance, c’était à la mort de son père. Jamais il ne l’aurait fait pour quelque futilité. Georges Bergeron était une vieille bête solitaire, il n’avait dans son entourage que son fils Anthony et quelque personnel de maison.En premier, il y avait Paul, son chauffeur-infirmier, un type effacé, indispensable et transparent. Il devait y avoir aussi une femme de chambre et une cuisinière, à moins que ce ne soit la même. Il ne le savait pas et n’avait aucune envie de le savoir. Leurs liens affectifs s’étaient distendus au point qu’il ignorait tout, à présent, de ce genre de détails privés. Le commissaire monta dans sa voiture et, vingt minutes plus ta
2018 Autoroute A20La 307 roulait depuis trois heures. Damien aimait bien conduire, surtout sur de longs trajets. Il avait proposé de prendre le premier relais. Frédo, à son côté, regardait le paysage en silence. Dans la mégane derrière eux, Sandrine et Yannis suivaient le même train de sénateur !La monotonie du paysage se déroulant avec lenteur, le ronronnement régulier de l’auto, le silence entre eux rendait l’air un peu plus épais à chaque kilomètre. La distance entre les deux sièges de la Peugeot semblait augmenter à mesure qu’ils se rapprochaient de leur objectif.Étonnamment, ce fut Frédo qui parla le premier.–Elle me manque !–Je sais… Enfin, j’imagine !–Si elle était là, elle saurait comment faire, avec le petit.–Il va falloir que tu arrêtes un peu de l’appeler le petit… il a quoi ? Quatorze ans ?–Quinze ans. Presque seize, mais c’est encore un con de gosse !–Difficile ?
Besançon2010Anka avait jeté un coup d’œil rapide dans la chambre de sa sœur. Vide. Pourtant, il lui avait semblé avoir entendu un bruit. Une plainte, peut être un sanglot ? Elle aurait mis sa main au feu. Cependant, il lui fallait se rendre à l’évidence: il n’y avait rien, elle avait rêvé, voilà tout. Elle tira la porte pour la refermer quand, elle l’entendit à nouveau. Ça venait bien de la chambre. Elle entra sans bruit. La pièce était exiguë, une déco girly, hétéroclite, en recherche de personnalité et d’identité. Plus franchement petite fille, avec ce grand poster de Stromae face à face avec Maître Gims. Mais pas tout à fait adolescente, avec ces peluches omniprésentes et son affiche géante d’un bisounours les bras ouverts, semblant vouloir faire un câlin aux chanteurs…À côté de la porte, il n’y avait que le placard. Rien ne pouvait venir de là. Face à elle, le lit une place était vide. Cela recommença. Cette fois-ci, elle l’entendit très nettement:
2018Aire de repos autoroute A20Le repas arrivait à sa fin, Frédo n’avait pas dit grand-chose, ce qui ne lui ressemblait guère. Les conversations étaient assez banales, météo, voiture, faits divers. Frédo se leva pour aller chercher les cafés et en se rasseyant, il prit la parole:–J’ai un truc à vous dire.Il avait posé ses avant-bras devant lui, mains jointes, en prière. Le ton était grave. Ses yeux regardaient un point imaginaire, fixe, sur la table, entre ses coudes. Ses collègues étaient attentifs, Frédo n’était pas coutumier de ce genre d’intervention, les chichis et les manières l’emmerdaient, on voyait bien qu’il prenait un élan intérieur…–Je vis seul. Vous le savez, ça n’a pas toujours été le cas. J’ai un fils de quinzeans, Nathan, vous pouvez vous douter… on a été deux pour le faire.Il eut un petit rire nerveux, la tentative d’humour essayait de masquer le fond… Sandrine faillit sortir une bêtise, elle se
Besançon2018Damien et Frédo attendaient patiemment dans le hall de l’hôtel de police. Seul Frédo s’était présenté au planton... pour laisser l’effet de surprise !Un homme petit, rond, souriant, s’approcha. Il salua Frédo chaleureusement !–Comment allez-vous, Frédéric ? Cela faisait longtemps que l’on ne s’était vu !Frédo répondit glacial, cent couteaux effilés sortant de sa bouche :–Très exactement, troisans et six mois, lors du troisième anniversaire de la disparition de ma femme. La fois où vous m’avez dit que l’on n’aurait plus rien de nouveau, tant que le hasard ne s’en mêlerait pas ! Vous m’avez même fait comprendre alors qu’il valait mieux que je ne revienne pas. Que vous m’appelleriez quand il y aurait un nouvel élément !Jarier prit un air contrit ! Il était mielleux, faux comme la Joconde du musée de Toulouse.–Comme je vous comprends! Mais je manque à tous mes devoirs, suivez moi dans mo
Les deux collègues étaient retournés à leur voiture sous une pluie battante.–Bon sang ! Il ne s’arrête jamais de pleuvoir dans ce pays ! Alors, ce Jarier, toi qui le connais, t’en penses quoi Frédo ?–Je ne sais pas trop, mais, il psychotait grave. Le coup du Post-it, ça m’a soufflé.–C’est sûr, il n’est pas serein, se croire surveillé ainsi, ce n’est pas commun.–Vu sa réaction, à mon sens, il craignait que l’on soit là à cause d’un lien entre la petite Zhilliet et Séverine. J’ai l’impression qu’il était soulagé qu’on n’en ait pas parlé, mais, il ne peut pas ne pas y penser !–J’ai eu la même impression. Avec Sandrine et Yannis, fouillez dans sa vie pour savoir quelle est sa part d’ombre, et qui peut le tenir aux couilles... Il ne cache pas des trucs pour son propre compte, on est sûrs maintenant qu’il y a quelqu’un derrière. Trouvez son vice: sexe, jeu, trafic. De mon côté, j’ai un truc à faire cet aprèm.
Besançon2018L’après-midi même, Damien se rendit au domicile d’ Anka Kolienko:–Madame Kolienko ? Capitaine Damien Sergent.–Bonjour Sergent, euh, faut-il vous appeler Sergent ou capitaine ?Damien sourit, son patronyme suscitait souvent ce genre de réactions. Bien que le grade de Sergent n’exista pas dans la police, la confusion était fréquente chez les béotiens.–Capitaine c’est mon grade, Sergent c’est juste mon nom.Anka sourit et se mordit la lèvre inférieure pour ne pas demander si son nom était « sergent » et « juste » son prénom... humour de trentenaire, fait de réminiscence de «Dîner de Cons».–Dans ce cas, bonjour tout court, c’est plus simple. Que me vaut cette visite ?–Je viens de Saint-Gaudens, à côté de Toulouse. Je suis porteur d’une…Le doux visage aux yeux clairs se durcit instantanément à l’évocation familiale. Un voile de froideur l’enveloppa.
BesançonLa C5 noire avec cocarde et macaron handicapé se gara en silence dans la contre-allée du bois. Jarier attendait depuis dix minutes. Pas question d’arriver en retard avec le préfet! Il monta dans l’auto à la place du mort. Le chauffeur descendit, les laissant seuls.Quelques instants plus tard, la cloison séparatrice en verre baissa, avec son ronronnement de moteur électrique.Le préfet Bergeron était silencieux, comme à son habitude. Il dévisagea le commandant de son regard noir. Le flic, lui, tentait de garder un semblant de contenance. Encore une fois, son corps le trahissait: sa transpiration aigre exhalait dans l’habitacle. Ce qui marquait chez le vieil infirme, au premier abord, c’était ses yeux. Ils étaient beaucoup trop enfoncés dans leurs orbites, au fond de cratères parcheminés. Jarier se souvint avoir pensé, lors de leur première rencontre, que Georges Lucas avait dû le croiser avant de créer son personnage d’empereur dans Star Wars.