J’ai longuement observé la feuille qu’on venait de me distribuer. J’étais collée deux heures. Bon, ce n’était pas très surprenant ; je savais déjà ce qui m’attendait quand j’avais lu devant toute la classe le règlement intérieur pour remettre à sa place mon prof de maths, qui pensait qu’il était interdit que je dessine en cours au lieu de prendre en note son charabia. Comme je l’imaginais, et à son grand désarroi, ce n’était écrit nulle part dans les sept pages du règlement. Mais même si je m’y attendais, je n’ai pas réussi à retenir un soupir. L’après-midi shopping que j’avais prévue devrait, encore une fois, être annulée.
J’ai ramassé mon sac avec nonchalance. J’en avais vraiment assez du lycée, des profs, des cours, des élèves. Si j’avais le choix, je ficherais le camp. J’irais, je ne sais pas, dans un endroit où je ne serais pas obligée de me lever tous les matins pour me rendre dans cette satanée prison qu’était Owen Haims. N’importe où ferait l’affaire.
En entrant dans la salle d’anglais, j’ai froncé les sourcils. Un type que je n’avais jamais vu, que je ne connaissais ni d’Adam ni d’Ève, était assis à ma place. J’ai froncé les sourcils plus fort en réalisant que je n’avais jamais rencontré un mec aussi beau. Ses cheveux, châtain foncé, étaient assez longs pour qu’on puisse passer la main dedans ; ses yeux, d’un bleu lapis, étaient aussi profonds et mystérieux que l’abysse d’un océan ; son nez fin était plein de caractère et ses lèvres charnues, attractives.
Je me suis postée devant la table et, à mon plus grand agacement, il a levé les yeux vers moi, m’électrisant sur place. Comme je ne bougeais pas, il a murmuré :
— Oui ?
J’ai frissonné, troublée par sa voix à la fois grave et douce, sensuelle et amicale.
— C’est ma place, ai-je marmonné, prise de court.
Malgré l’air hostile que j’ai essayé d’adopter, il n’a semblé ni troublé ni intimidé. Il s’est juste contenté de rétorquer que j’étais libre de m’asseoir à côté de lui.
J’ai haussé les sourcils. D’où sortait ce mec ? On voyait bien qu’il ne me connaissait pas encore. Personne ne voulait s’asseoir à côté de moi, car personne n’avait envie d’être catalogué « ami de la paria ». Ça se comprenait.
— Et tu es qui, en fait ? me suis-je enquise en m’asseyant près de lui.
Bon sang. Est-ce que c’était lui qui sentait aussi bon ?
— Vince. Je viens d’arriver.
Il avait déjà attiré l’attention des autres, puisque tous les élèves le dévisageaient, certains avec curiosité, mais la plupart des filles avec fascination. Il fallait l’avouer, il était fascinant. Et puis, il sentait beaucoup trop bon.
Mais le fait qu’il soit assis à côté de moi devait aussi en intriguer pas mal. Enfin bref, ce n’était pas comme si ce qu’ils pensaient m’intéressait vraiment. Ils étaient juste mes compagnons de cellule.
— Et toi ? Qui es-tu ? m’a interrogée Vince pendant que je regardais ailleurs.
J’ai soudain eu envie de rire, mais je me suis retenue parce que ça m’aurait fait trop bizarre. La dernière fois que j’avais ri en ce lieu maudit que l’on nomme communément le lycée, c’était il y avait au moins un an.
— Roxanne.
Un sourire furtif a éclairé son visage, me coupant un instant le souffle.
— Tu as un problème avec ce prénom ? lui ai-je demandé, un peu agressive. Je n’aimais pas qu’on me coupe le souffle.
— Non, pas du tout. C’est un joli prénom.
— Salut !
J’ai sursauté en levant les yeux vers les filles qui venaient de s’attrouper autour de nous. Je ne les avais pas vues venir.
— On ne savait pas qu’un nouveau était censé arriver ! Tu viens de loin ?
— Prinkleton.
— C’est plutôt loin, ça ! Je suis surprise qu’ils t’aient laissé partir, à ton ancien lycée ! À leur place, je t’aurais menotté aux grilles.
Je les ai dévisagées, choquée. Elles lui faisaient carrément du rentre-dedans ! Le pauvre nouveau avait déjà l’air surmené. C’était trop d’œstrogènes d’un coup.
— Ce n’est pas comme s’ils avaient eu le choix, a-t-il répliqué avec un petit sourire.
Le prof est soudain arrivé et nous a demandé de nous asseoir. La horde d’admiratrices s’est dispersée et j’ai enfin pu respirer normalement. Ce n’était pas trop tôt !
— Tiens, je vois que mademoiselle Stunley s’est trouvé un ami !
Tout le monde s’est retourné vers moi, certains avec des regards appuyés, d’autres avec un air amusé. J’ai scruté le prof, incrédule. Il arborait un sourire en coin détestable. Il allait beaucoup trop loin.
— Vous n’avez pas le droit de dire ça ! me suis-je récriée en me levant brusquement.
— Dixit la seule élève du lycée qui se croit tout permis ! That’s quite funny !
Sans attendre, j’ai attrapé mon sac et me suis dirigée en trombe vers la porte.
— Je vous préviens, Stunley, si vous passez cette porte, vous irez directement vous expliquer chez M. Stevens.
J’ai haussé les épaules en sortant. Je rendais tellement visite au proviseur qu’être convoquée dans son bureau ne me faisait plus ni chaud ni froid.
L’ordure qui se faisait passer pour un prof d’anglais s’est sans doute fait une joie de contacter le proviseur dès que j’ai mis un pied hors de sa classe, puisque j’ai très vite été appelée par les haut-parleurs. J’ai d’abord attendu de me calmer avant de monter voir M. Stevens. Il était possible que je pète un câble devant lui, or, qui savait ce qu’il était capable de faire ?
Le couloir qui menait à son bureau était vide. À croire qu’il m’avait réservé un long créneau ! Sa secrétaire m’a appris qu’il était prêt à me recevoir. Mais ça, je n’en doutais pas. Il me connaissait bien, maintenant. Il avait peut-être même préparé la petite tasse de thé, pour qu’on soit à l’aise.
— Roxanne, asseyez-vous, m’a-t-il ordonné lorsque je suis entrée dans son bureau.
J’ai hoché la tête. Son air grave ne présageait rien de bon.
— Vous êtes ici parce que vous avez quitté la salle d’anglais sans l’accord de votre professeur.
— Oh, j’avais une bonne raison : il m’a insultée.
— Que voulez-vous dire ?
— Le nouvel élève s’est assis à côté de moi et le prof s’est écrié que je m’étais trouvé un ami.
Un ange est passé.
— C’est tout ?
— Vous ne comprenez pas. Il a dit : « Tiens, je vois que mademoiselle Stunley s’est trouvé un ami ! » Il l’a dit méchamment. Il n’avait pas le droit de faire une telle remarque. Alors, je suis partie.
Mon interlocuteur a soupiré longuement.
— J’admets qu’il a peut-être dépassé les bornes. Mais Roxanne, vous savez très bien que vous fatiguez tout le monde avec vos frasques. Pourquoi ne pas vous calmer un peu ? Écoutez, le nouveau psychologue est arrivé. Vous avez rendez-vous avec lui après votre dernière heure de cours cet après-midi.
Bon sang ! J’en avais assez ! L’ancien psy me saoulait, et j’avais littéralement sauté au plafond d’apprendre sa démission. Mais à présent, c’était le nouveau psy qui allait me prendre la tête ? Je n’en revenais pas !
— Je n’ai pas besoin de voir le nouveau psy. J’ai eu assez de séances comme ça avec l’ancien.
— Il semble bien que non, vu vos agissements. Vous irez le voir. Si j’apprends que vous ne vous êtes pas présentée au rendez-vous, gare à vous. Il est temps d’employer la manière forte, avec vous !
— Quelle manière forte ? Vous allez me frapper ?
— Non, ce n’est pas en mon pouvoir. Mais vous exclure définitivement de ce lycée, je peux le faire.
M’exclure ? Il n’avait qu’à le faire. Au moins, je n’aurais plus à me coltiner les boulets d’Owen Haims. Ça me ferait des vacances.
— Vous n’allez rien faire à M. Loons ?
— Je vais discuter avec lui. Il ne recommencera pas.
— Vous lui direz que j’attends des excuses ?
Il a affiché un sourire de complaisance. Mais ça avait l’air de vouloir dire que je pouvais toujours rêver. De toute façon, je n’obtenais jamais ce que je voulais, ce n’était pas nouveau. Petit exemple tout simple : je n’avais presque jamais reçu les cadeaux que je voulais, car mes parents trouvaient toujours le moyen de tomber à côté, peut-être parce qu’ils s’étaient fait un principe de ne jamais me voir heureuse. Seuls mes grands-parents avaient toujours fait en sorte de m’offrir les cadeaux qui se trouvaient sur mes différentes listes. La poupée de mes rêves à cinq ans, le vélo de mes rêves à dix, l’ordinateur de mes rêves à quinze… Ils étaient là pour relever le niveau. En ce qui concerne Noël… J’avais arrêté de croire au Père-Noël à six ans, parce que j’avais surpris mes parents en train de poser les cadeaux sous le sapin. J’étais sortie du lit, les ayant entendus se disputer, et j’avais tout bonnement versé toutes les larmes de mon corps en les prenant sur le fait.
En sortant du bureau, j’ai regardé l’heure. J’avais largement le temps d’aller à la boulangerie m’acheter un petit quelque chose. Tout était bon pour quitter cet endroit au moins quelques minutes. Et puis, je ne disais jamais non à un peu de nourriture.
Au départ, j’aimais bien ce lycée. Il était plutôt cool. Mais tout avait dégénéré en Première. L’ancien psy avait dit que je « ne supportais aucune forme d’autorité sauf mes grands-parents à cause du divorce de mes parents qui avait brisé le mythe des adultes dignes de confiance ». Pff. Qui croyait-il avoir avec ses longues phrases sans queue ni tête ? Je ne supportais aucune forme d’autorité au lycée, exact. Et pourquoi ça ? Simplement parce qu’ils étaient tous à côté de la plaque, voilà pourquoi ! Il n’y avait rien d’énigmatique là-dedans.
J’ai commandé un croissant et une canette de thé glacé, puis j’ai pris la direction du parc Ray qui se trouvait à cinq minutes à pied du lycée. Il n’y avait pas grand monde. Il fallait dire qu’il n’était encore que neuf heures quarante. Le parc se remplissait généralement l’après-midi.
Je me suis assise sur un banc, en-dessous d’un arbre. J’avais une jolie vue du petit bassin d’eau en face de moi. Il arrivait de temps en temps qu’on y trouve des poissons, mais je ne savais pas d’où ils sortaient.
En croquant dans mon délicieux croissant, j’ai repensé au gars de tout à l’heure, Vince. Qu’est-ce qu’il avait bien pu penser en me voyant quitter subitement le cours ? On n’avait sûrement pas tardé à lui raconter tout ce qu’il avait à savoir sur moi : que j’étais la fille qui saoulait tout le monde, que je n’en ratais pas une pour me faire remarquer dans le mauvais sens du terme, que j’étais une pauvre fille qu’il valait mieux éviter… Il devait déjà être bien endoctriné. Un autre à ajouter à la liste de mes haters !
Je me suis levée en terminant ma canette. Il fallait que j’y retourne, le cours d’écriture allait bientôt commencer. Je suis arrivée au moment où la sonnerie se terminait. Je suis allée tout droit jusqu’à la salle 22, sans jeter un regard à quiconque, mais j’ai été arrêtée dans mon élan par un groupe de pom-pom girls. À sa tête, Anya Rovski. Elle s’est postée devant moi et je l’ai observée en fronçant les sourcils. Blonde aux yeux bleus, d’une beauté fatale et possédant un corps de déesse, cette fille était la plus populaire et la plus influente du lycée. Elle était aussi, je ne savais pas trop pourquoi, ma pire ennemie. Ce n’était pas tant que j’avais quelque chose contre elle. Après tout, je ne la connaissais pas et j’essayais la plus grande partie du temps de vivre ma vie et de laisser les autres vivre la leur. Mais depuis quelques mois, elle avait décidé de m’avoir dans son viseur et me cherchait dès qu’elle en avait l’occasion, à tel point que j’essayais au maximum de l’éviter quand c’était possible.
Du coup, j’ai essayé de la contourner comme à mon habitude, mais elle m’a arrêtée en me faisant un croche-pied. J’ai manqué de me casser la figure et me suis rattrapée de justesse au mur le plus proche, avant de me retourner vers elle et lui lancer un regard noir. Elle a simplement pouffé :
— Regarde où tu marches, pauvre gourde ! Tu as des problèmes moteurs, ou quoi ?
Elle a regardé ses trois amies, les incitant ainsi à ricaner avec elle. Je me suis contentée de soupirer et de continuer ma route. Ça ne servait à rien de répondre à ses mesquineries. J’avais vraiment mieux à faire.
J’ai été surprise de trouver Vince, assis contre le mur près de la salle, tout seul. Je me suis postée à quelques centimètres de lui en silence. J’étais en train de réfléchir à comment l’aborder quand il m’a demandé :
— Tu vas mieux ?
J’ai tourné la tête vers lui et ai été accueillie par deux lapis curieux et intéressés.
— On peut dire ça, ai-je répondu prudemment.
Il a hoché la tête en se levant, puis est venu se poster devant moi.
— Est-ce que tous les profs sont aussi sans gêne, ici ?
— Non. Ce prof n’est pas le seul à ne pas m’aimer, mais il est le seul à l’exprimer aussi ouvertement.
Il a hoché la tête en se grattant le nez.
— D’après ce que j’ai entendu, tu es l’ennemie publique numéro un.
Il fallait le reconnaître, ils étaient très forts à Owen Haims. Ils l’avaient briefé en moins de temps qu’il ne fallait à Mister Loons pour m’insulter ! Impressionnant.
— C’est vrai. Tu ferais mieux de t’éloigner si tu ne veux pas gâcher ton futur dans ce lycée.
Il a esquissé un sourire en coin en se rapprochant de quelques centimètres. Vus d’aussi près, ses yeux étaient fantastiques. Pleins de mystère et d’éclat, ils étaient si profonds que s’y perdre était naturel, mathématique, de même que un plus un font deux.
— Je ne me fie jamais aux ragots. Je préfère me faire ma propre opinion.
— Ce n’est pas comme ça qu’il faut raisonner, Vince. Si tu continues à me parler, tu vas gâcher tes chances de pouvoir t’intégrer à une bande. Tu es très beau, alors celle des populaires devrait t’être accessible facilement.
J’ai constaté à la fin de ma phrase qu’il se retenait de rire. Qu’est-ce que j’avais dit de si drôle ?
— Et puis, tout ce qu’on t’a raconté est vrai.
— Ah bon ? s’est-il écrié, l’air amusé mais en même temps un peu inquiet. Alors, tu as vraiment été surprise en train de coucher avec un footballeur dans les vestiaires de l’équipe ? Déguisée en lapine ?
Je n’ai pas pu m’empêcher d’écarquiller les yeux. Qui avait bien pu lui raconter un truc aussi dégoûtant ?
— Ouh là, peut-être pas tout, alors ! C’est complètement faux.
— Je m’en doutais.
— Pourquoi ? lui ai-je demandé, sur la défensive. Je ne suis pas assez belle pour intéresser un Sportif, c’est ça ?
Cette fois, il s’est mis à rire.
Je l’ai dévisagé, fascinée. Il avait un rire magnifique. Et c’était assez étrange qu’il rie aussi facilement avec une inconnue.
— Qu’est-ce qui te fait tant rire ?
— En fait, je me doutais que la rumeur était fausse parce que tu ne m’as pas donné l’impression d’être le genre de fille à se déguiser en lapine et à faire des cochonneries dans les vestiaires. Que tu sois assez belle pour intéresser un Sportif… (Il s’est rassis.) je n’en doute pas.
Attendez. Il venait de me complimenter, non ? Il insinuait que j’étais belle ?
— Tu me trouves belle ? me suis-je empressée de l’interroger en m’asseyant à côté de lui, réellement curieuse – ce n’était pas tous les jours qu’un canon me complimentait sur mon physique.
Il a tourné la tête vers moi en souriant. Il allait certainement répondre, mais quelqu’un l’a hélé au même moment :
— Vince Samuel Lewart ? C’est bien toi ?
C’était Jim Clayne, l’un des wide receivers de l’équipe de foot. Beau, grand et musclé, il avait tout pour plaire et usait de son charme pour obtenir ce qu’il voulait. Le seul bémol avec lui, c’était que la popularité semblait de temps en temps lui monter à la tête.
— Salut, Jim ! s’est écrié mon voisin en se levant pour aller donner l’accolade au wide receiver.
De toute évidence, il connaissait au moins une personne dans ce bahut. Un Sportif, en plus ! C’était bon, son avenir était assuré. Je n’avais plus qu’à le laisser tranquille et il ferait très vite partie du clan des populaires.
— Je croyais que tu venais dans un mois !
— Le déménagement a été accéléré. Je suis content de te voir.
— Moi aussi, cousin.
Le regard de Jim est tombé sur moi et il m’a observée en silence. Il devait se demander ce que Vince faisait avec moi, paria de mon état.
— Vous êtes dans la même classe ? s’est-il enquis auprès de celui qui était de toute évidence son cousin.
— Oui, pourquoi ?
Il est resté impassible, mais je savais très bien ce qu’il était en train de se dire. Mon pauvre Vince.
— Il faut que j’y aille. On n’a qu’à manger ensemble, Vince. J’ai plein de choses à te raconter.
C’était bien pour Vince de connaître quelqu’un, a fortiori un Sportif. Il n’aurait plus à parler à l’ennemie publique numéro un.
J’ai eu envie de mourir en montant les escaliers. Encore un rendez-vous avec un psy! J’en avais assez, à force! Les psychologues n’étaient d’aucune utilité. J’en avais eu la preuve. Je me suis assise sur une chaise dans le couloir vide que je connaissais par cœur. En presque dix mois, j’étais venue une vingtaine de fois. Toujours pour dire la même chose. Rien n’avait changé malgré tous ces rendez-vous. Alors, pourquoi continuer à voir un psy? La porte du bureau s’est ouverte sur un homme d’une quarantaine d’années, grand, les cheveux bruns un peu ondulés, une barbe de trois jours et des lunettes carrées noires. Il portait une chemise bleue, un blazer gris et un pantalon noir habillé. Un psy dans toute sa splendeur. — Roxanne? (J’ai acquiescé d’un signe de la tête.) Je t’en prie, entre. Le bureau avait un peu changé. Il y avait plus de tableaux et de plantes. Il y avait aussi un canapé, contre le mur. — Les choses ont ch
Le prof de sport m’a couvée d’un regard indulgent. C’était sans doute le seul prof qui ne me détestait pas. Du moins, il ne me détestait pas autant que les autres. Il fallait dire que j’étais une sorte d’élève modèle dans son cours: je ne faisais rien pour l’énerver. J’aimais bien le sport. C’était le seul cours pendant lequel je pouvais me détendre. Malheureusement, c’était aussi l’unique cours où je voyais vraiment à quel point j’étais seule, puisque les autres restaient entre amis. — Réessaie, Roxanne, m’a ordonné le prof d’une voix encourageante. Je me suis exécutée docilement. Les figures qu’il nous demandait de reproduire étaient assez physiques, et je n’avais aucune idée de ce que j’étais en train de faire. — Je n’y arrive pas, monsieur. — Est-ce que quelqu’un se sent capable de nous montrer cet enchaînement? Parmi tous les élèves moqueurs assis contre le mur, personne ne s’est manifesté. Du coup, M. Rowenn a désigné quelqu’
Je suis sortie en trombe de la salle d’allemand. J’avais trois minutes chrono avant de devoir me présenter au bureau du psy. Ça me laissait tout juste le temps de passer au petit coin. Au moment de tourner à l’angle d’un couloir, j’ai percuté quelqu’un, me retrouvant propulsée au sol, mon sac disparaissant de mon champ de vision. Je me suis redressée péniblement en pestant. La personne avec laquelle je venais d’entrer en collision s’est accroupie devant moi. — Ça va? J’ai relevé les yeux et me suis retrouvée nez à nez avec Jim Clayne. Il me regardait d’un air un peu inquiet, comme si comment j’allais lui importait vraiment. — Euh, on va dire ça. Il m’a tendu la main en souriant. Je m’en suis emparée et il m’a tirée en avant. — Je suis désolé, s’est-il excusé en se dirigeant vers mon sac à main, qui s’était envolé à quelques mètres. — Non, tu n’y es pour rien, ai-je répliqué alors qu’il revenait vers moi. Il a sour
Je me suis assise prudemment à côté de Vince, sans un mot. Il ne m’a même pas regardée, trop occupé qu’il était à discuter avec la fille de la table de devant. Franchement, il n’avait pas mis beaucoup de temps à s’intégrer. En trois jours, c’était fait! Qu’il me donne son secret! J’ai sorti mon cahier et l’ai balancé sur la table. Il est allé tout droit se loger contre l’avant-bras de Vince. Celui-ci m’a jeté un rapide coup d’œil, avant de reprendre sa conversation avec Mercy Capes. Une fille avec un prénom pareil, je vous jure… Aucune pitié. — Tu n’as pas l’intention de t’inscrire au foot? Mais pourquoi? — Franchement, le foot, ce n’est pas mon truc. — Arrête. Et ces gros muscles, alors, tu les as eus comment? J’ai suivi la main de Mercy, qui est venue entourer les biceps saillants de Vince. Waouh, moi qui pensais que cette fille était timide! Elle était, en fait, tout le contraire. Sa timidité en cours n’é
Le regard d’Anya est tombé sur moi et je n’ai eu qu’une envie: déguerpir. Mes journées n’étaient déjà pas géniales quand j’avais une interaction avec elle une fois, alors deux… Jim, quant à lui, nous a adressé un sourire. C’était apparemment devenu son habitude de relever mon existence. — Salut, vous deux! On était justement en train de parler de toi, Vince. Tu vas venir nous voir nous entraîner, ou pas? Tu es la bienvenue aussi, Roxanne. J’ai levé les yeux vers Vince, qui me regardait aussi. Il avait l’air d’hésiter. — Je ne sais pas trop. On a eu un contrôle de physique tout à l’heure, on est un peu crevés. Je ne sais pas si c’est pareil pour toi, Roxanne? — Oui, carrément, ai-je répondu en m’étirant machinalement le cou. Il est à quelle heure, votre entraînement? — On commence dans une heure, et les cheerleaders, quinze minutes après. C’était si dur que ça, ce contrôle? Vince a so
Je me suis approchée de Vince en silence. Il discutait avec des gars de l’équipe de foot. Il m’a repérée au moment où j’arrivais derrière un de ses potes et il a esquissé un grand sourire. J’ai senti mon cœur battre plus vite devant un sourire aussi lumineux. Il avait vraiment un beau sourire. Ce n’était pas facile de continuer à marcher normalement couvée par un tel regard chaleureux. Les autres ont suivi le regard de Vince et m’ont dévisagée. Quand je suis arrivée à leur niveau, ils ont prétexté avoir un pote à voir et sont partis. Restés seuls, Vince et moi nous sommes observés en silence. L’océan de ses yeux me happait dans ses profondeurs et je n’arrivais pas à remonter à la surface. — Salut, a-t-il finalement soufflé. — Salut, ai-je répondu doucement. Ça va? — Ça va très bien, oui. Et toi? Tu as passé un bon week-end? — Oui, ça a été. Je n’avais pas besoin de lui expliquer que mes parents m’exaspéraient au plus haut poi
Je me suis dirigée vers le club de journalisme à la récréation. Il ne fallait pas que Kentin croie que j’avais lâché l’affaire. Cette fois-ci, c’est Aurélien qui m’a ouvert. Il a plissé les yeux en me voyant. Cependant, il n’avait pas l’air surpris. Son meilleur ami lui avait donc transmis le message. — Salut. Kentin est là? Le concerné est arrivé, un petit sourire affiché sur le visage. D’autres membres étaient présents et me dévisageaient d’un air bizarre. — Allons dans le bureau. Je les ai suivis jusqu’au bureau du président et du vice-président. Tout était bien rangé, strict, ce qui ne m’étonnait pas. Ces deux-là étaient comme ça. — Kentin m’a appris que tu voulais intégrer le club. Je ne comprends pas tes motivations. Ah ouais? Je croyais pourtant qu’il était monsieur-je-sais-et-comprends-tout! Mais bon, je me suis retenue de lui lancer ça à la figure, parce qu’il allait influer d’une manière ou d’une autre sur m
— Alors, Roxanne, qu’est-ce que tu as pensé du film? m’a interrogée Jim en sortant du cinéma. — C’était super. Certains passages étaient vraiment hilarants. — Je pense la même chose. Je n’ai pas été déçu. Je me suis tournée vers Vince, qui regardait sa montre d’un œil distrait. Je n’ai même pas eu le temps de lui adresser la parole que déjà Anya Rovski se joignait à nous, prenant simultanément le bras des deux cousins. — Jamie et Vicky n’ont pas pu venir, elles ont été retenues par Terrence. Il a invité toute l’équipe, ils sont tous là-bas. On y va, Jim, Vince? Ils nous attendent. Clairement mise à l’écart par cette invitation, j’ai tenté un regard vers Vince. Il était en train de regarder Anya d’un air préoccupé. — Roxanne et moi avions prévu… — Je suis sûre qu’elle peut comprendre qu’il y a d’autres urgences. Pas vrai? Ça te dérange que Vince rejoigne l’équipepour le reste de l’aprèm? Son
— Je n’arrive pas à croire que tu sois venue. Je me suis tournée à temps pour intercepter la main d’Anya Rovski. Cette folle était sur le point de me tirer les cheveux! — Mais qu’est-ce que tu me veux, Anya?! lui ai-je demandé en m’écartant. J’étais sortie dans le jardin pour m’aérer un peu, mais je n’avais pas prévu qu’une peste à moitié folle viendrait m’y rejoindre. J’avais besoin de respirer, et ce n’était pas en sa présence que ça allait être le cas. — Qu’est-ce que tu fais là? Voilà ce que j’aimerais savoir. — J’ai été invitée par Jim. C’est l’anniversaire de Vince, pas le tien. Tu n’as aucun droit de regard sur la liste d’invités. Elle a soupiré en croisant les bras. — Je vois que tu ne comprends pas quand on te parle. — Oui, je sais ce que tu vas me dire. Que je n’ai pas à m’approcher de Jim ni de Vince, que je suis une moins que rien. Je t’ai assez écoutée me rabaisser, c’est bon. C’est termin
J’ai sonné à la porte des Clayne en soufflant un bon coup. C’est Jim qui est venu m’ouvrir. Il m’a souri gaiement en me faisant signe d’entrer. Mon grand-père est parti quand je lui ai fait un signe de la main. — Tu as pu trouver facilement? — Oui, sans problème. Est-ce qu’il y a déjà du monde? lui ai-je demandé pendant qu’il me prenait mon manteau. — Il y a déjà une vingtaine de personnes, oui. Mais oncle Sam et Vince ne sont pas encore là. Je vais poser ce cadeau dans le salon. Suis-moi. Je me suis exécutée en souriant. La maison de Jim était très jolie et accueillante. Il y avait beaucoup de fleurs, de tableaux, de décorations en tout genre. Les invités qui étaient arrivés avant moi étaient déjà en train de grignoter et de danser. J’ai repéré Mélina, Mercy et Anya. Les autres étaient des Sportifs et des pom-pom girls que je ne connaissais pas. Enfin, je les avais déjà vus, mais je ne connaissais que leurs prénoms, tout au plus.
Au sortir de l’histoire de l’art, j’ai décidé de me rendre en ville pour trouver un cadeau à Vince. Je ne savais pas trop ce qu’il aimait, ce n’était donc pas une mince affaire. Mais bon, je n’allais pas débarquer à la fête d’anniversaire les mains vides. J’avais un peu d’argent dans un petit porte-monnaie que je gardais toujours avec moi depuis que j’avais pris l’habitude de manger ailleurs qu’à la cafète. Vu que je remangeais à la cafétéria, j’avais quelques économies. Je pouvais acheter quelque chose de bien. Dire que pendant que je partais à la recherche d’un cadeau pour lui, Vince passait du bon temps avec une autre! Qu’est-ce qu’il pouvait bien trouver à Mercy Capes, d’ailleurs? Bon, il fallait avouer qu’elle était canon et qu’elle n’était pas mauvaise niveau notes. Mais elle n’était pas sérieuse. Elle était frivole, elle nous l’avait bien montré. J’avais toujours pensé que c’était une fille timide, sérieuse, qui faisait passer ses études av
En rentrant chez moi après le cours d’allemand que j’avais passé à pleurer intérieurement, j’ai vu ma mère, assise autour de la table avec ma grand-mère. — Coucou, maman. — Bonjour, ma chérie. — Qu’est-ce que tu fais là? me suis-je enquise en lui faisant la bise. J’ai fait un bisou à ma mima avant de m’asseoir à côté d’elle, face à ma mère. — Je suis venue discuter avec ma maman. — C’est à propos de papa? (Elle a hoché la tête.) Ça a avancé, entre vous? Elle a souri en prenant une gorgée de jus d’orange. Elle avait l’air d’aller mieux. Elle avait repris des couleurs et avait l’air moins triste qu’avant. — Ça avance, oui, mais on y va doucement. On s’apprivoise de nouveau, peu à peu. Ça fait plus d’un an que nous n’avons pas fait quelque chose tous les deux pour le plaisir. Alors lundi soir, nous avons dîné au restaurant. C’était une soirée très agréable. Hier, nous sommes allés au cinéma. (Elle a ri.)
Je me suis assise dans les gradins en attendant que Jim finisse son entraînement. Il était temps d’amorcer la mission. Franchement, ça ne me faisait pas plaisir. Je ne voulais pas sortir avec Jim juste à cause d’une mission. Ça ne se faisait pas. Mais il fallait surtout s’en prendre à l’oncle Samuel. Je n’étais qu’une exécutante. J’ai bâillé en posant ma tête sur mon sac. J’avais vraiment sommeil. Je n’avais dormi que trois ou quatre heures, encore une fois. Ça devenait de plus en plus problématique. J’en avais marre de ne pas réussir à dormir. Mais ce que Vince m’avait dit me tracassait trop. En plus, je ne savais pas vraiment ce qu’il ressentait pour moi. Il m’avait seulement affirmé qu’il voulait me faire «sienne». O.K., c’était assez fort comme propos, mais qu’est-ce que ça voulait dire, au final? Il me voulait, ouais, mais pourquoi? Pour faire ce qu’il avait fait avec Mercy Capes? Hors de question. Ce n’était pas sur ma liste de pri
Je suis entrée dans la salle d’anglais avec la boule au ventre. J’avais vraiment super peur de revoir Vince. On pourrait croire que le week-end m’avait porté conseil, mais en fait, pas du tout. Tout ce que j’avais fait, c’était espérer que tout roule pour mes parents et que leur dernière chance soit la bonne. Et j’avais fait mes devoirs, bien sûr. Et j’avais pensé à Vince, c’est vrai. Même à Jim, d’ailleurs. Mais je n’étais pas encore préparée moralement à les revoir, ni l’un ni l’autre. Enfin, l’un encore moins que l’autre. Il était assis sur la table, en train de discuter avec un gars et une fille d’une autre classe. Quand son regard s’est posé sur moi tandis que je m’approchais, mon cœur s’est mis à battre plus vite. Il était franchement beau, n’empêche. C’était comme si le week-end l’avait encore embelli. Mais ce n’était pas possible, pas vrai? Ouais… on ne devient pas plus beau en deux jours. — Salut, Roxanne, m’a saluée le mec de l’autre classe pendant qu
J’ai souri à mon père quand il est entré dans la maison. Ouf, il n’avait pas amené sa blonde! Il s’en était tenu à ce qu’il m’avait promis. Ma mère s’est levée du canapé en voyant mon père entrer dans le salon. Elle a lissé sa jupe avant de s’avancer vers lui en silence. Ce n’est qu’une fois arrivée devant lui qu’elle l’a salué et lui a fait la bise. J’ai remarqué que mon père a été assez déstabilisé par ce geste, ce que je pouvais comprendre. Ça faisait au moins plus de vingt ans qu’ils ne s’étaient pas fait la bise. Il y avait donc de quoi être interpellé. De plus, depuis le divorce, ils ne se saluaient jamais quand ils se voyaient. — C’est super que vous ayez tous les deux accepté de venir. — Pourquoi nous avoir demandé de passer une après-midi ensemble, Roxanne? Qui t’a donné cette idée? s’est enquis mon père. Cette fois, je pouvais le leur avouer. — C’est mon psy. Il veut que je passe plus de temps avec vous. Pou
Jim m’a souri pendant que je ramassais mon manuel d’allemand, et je lui ai rendu son sourire, quand même toujours déstabilisée qu’il me sourie comme ça, sans aucune raison. — Roxanne, a-t-il fait en s’approchant, nous sommes amis, n’est-ce pas? Je me suis figée. Sans blague? On était amis, lui et moi? Je n’avais jamais vu les choses comme ça. J’avais même prévu de dire au psy Lewart que j’avais raté sa mission. Mais… Jim était mon ami. — Euh… oui. — Bon. J’aurais un conseil à te demander. À ton avis, comment est-ce que je pourrais confesser mes sentiments à une fille sans lui faire peur? O.K., que plus personne ne bouge! Jim Clayne était en train de me demander à moi, Roxanne «Paria» Stunley, des conseils pour pouvoir avouer son amour à une fille? Ce n’était pas possible. — Euh, franchement, je pense que tu t’adresses
J’ai offert mon plus beau sourire à ma mère en espérant la mettre à l’aise. Elle a simplement esquissé un rictus bizarre. — Ça ne va pas? — Si, si, ma chérie, ne t’en fais pas. Tout va très bien. Et je peux enfin passer une après-midi avec toi, comme au bon vieux temps. Je n’ai vraiment pas à me plaindre! J’ai esquissé un petit sourire. Elle mentait, elle n’allait pas bien. Je ne l’avais que très peu vue depuis dix mois, mais je connaissais encore ma mère. — Ça te dit d’acheter des cookies? lui ai-je proposé en montrant une boulangerie du doigt. — Non, pas pour moi. Enfin, je veux bien t’en prendre. — Mais comment ça? Tu adores les cookies. — Oui, enfin, il est clair que j’aime beaucoup trop de choses. Je dois arrêter. Comme tu as pu le remarquer, j’ai pris quelques kilos. Je l’ai dévisagée sans trop savoir que dire. Je ne m’attendais pas à ça. — Mais maman, tu es superbe! Tu es l’u