Livre I Le Cimetière des Affamés L’oeil du Guépard Le garçon roux marchait tranquillement dans les couloirs du lycée. Après quelques minutes, il arriva dans le hall principal de l’école. Grattant machinalement sa longue tignasse, il observa l’horloge électrique accrochée au mur. Dix-sept heures trente-deux. Personne n’avait cours après dix-sept heures. Bien. Très bien, même. Il pénétra dans un long corridor faiblement éclairé, et jeta un coup d’œil attentif aux numéros de salles devant lesquelles il passait. C56, C58, C60… C62. La voilà : C62. La salle de sciences — ou d’expérimentation si l’on se fiait à l’appellation pompeuse des professeurs. Pour le jeune homme, c’était plutôt la salle de l’ennui et de la perte de temps. Il s’approcha de la porte et posa sa main sur la poignée. Puis il s’immobilisa et tendit l’oreille. Aucun b
Main GaucheUn ciel noir. Des dunes de sable. Quelques cailloux par-ci par-là. Cela faisait peut-être plusieurs heures que Mute marchait et le paysage n’avait pas changé d’un poil.Un individu normal aurait vite trouvé ça monotone. Mais pas Mute. Le cow-boy aux cheveux écarlates n’y voyait aucun inconvénient. D’une part parce qu’il n’avait aucune mémoire et, d’autre part, parce qu’il n’avait aucune notion du temps. Le désert l’apaisait.Le réel problème était sa gorge, plus sèche que le soleil, et sa gourde, plus vide que le désert. Mute se gratta le menton et fronça les sourcils. Il appuya doucement son index contre son cou et soupira. Mute pensait présent et, à présent, il avait soif. Mute souffla du nez et tapa du pied. Il s’assit au sol et fit la moue. Il voulait boire et il ne bougerait pas tant qu’on ne lui aurait pas donné ce qu’il voulait. Il était impossible de marcher dans ces conditions.
RéveilLe noir. Un rugissement lointain. Son cœur battait à toute vitesse. Ses yeux ne voulaient plus s’ouvrir. Il avait du mal à respirer. L’odeur du sang. La douleur. Était-il en train de mourir ? Le moment vint où son cœur s’arrêta et il sombra dans les profondeurs infinies des ténèbres. Il avait froid. Un son strident vint lui percer les oreilles. Il s’intensifia, à la limite du supportable. Et soudain, plus rien. Le silence. Alors, il se laissa mourir.Doucement, son esprit s’endormit. Son âme rejoignait la lumière au bout du tunnel. La lumière. Il l’avait toujours imaginée différemment. La mort le perturbait depuis sa plus tendre enfance. Cela lui fit penser à son père qui n’avait jamais cru en lui. Son père qui avait pris goût à le frapper quand il ne lui obéissait pas ou qu’il parlait trop. Son père qui, contrairement à lui, n’avait jamais eu beaucoup d’imagination.Il pensa alors à tous les mystère
RencontreMute était essoufflé. Sa longue traversée dans le désert n’avait fait qu’intensifier sa soif. Il peinait à marcher droit et le soleil l’agaçait vraiment. Une fois, il avait même essayé de le faire partir en lui tirant dessus pour lui faire peur. Mais rien à faire. La boule jaune était restée de marbre.Il commençait à faiblir. Il voulait de l’eau. Juste de l’eau. Ça lui aurait vraiment fait plaisir. Mais de l’eau, il n’en voyait pas. Il n’y avait rien d’autre que du sable, des cailloux, du sable, d’autres cailloux, et encore du sable, une étendue rouge entourant une énorme flaque bleue, du sable...Mute s’arrêta et plissa les yeux. Une flaque bleue ? Heureux, le cow-boy tapa dans ses mains. Il avait trouvé de l’eau ! Haletant, il courut et se jeta la tête la première dans le petit lac. Il s’abreuva jusqu’à s’en faire mal au ventre. Il plongea sa gourde dans le bassin et la remplit à ras bord. Qu’i
PhagiasAntoine scruta les environs. Comme il s’y était attendu, l’escalier I était totalement désert. Pas d’élèves, pas de professeurs, et, surtout, pas de corps en décomposition aux cheveux roux. Cela aurait été trop simple.Il devait pourtant y avoir quelque chose. Il était impossible que tout ça n’eût été qu’un simple rêve. Il le savait, et il allait trouver de quoi le prouver. Antoine inspecta minutieusement chaque recoin de l’escalier, tout en s’assurant que personne ne l’observait. Il était censé être en cours à cette heure-ci et il serait dommage qu’il se fasse bêtement attraper par un surveillant du lycée.Il ne trouva malheureusement rien pour étayer sa théorie. Il porta alors son attention vers le couloir qui menait à la porte de sortie, à l’endroit même où Jonathan avait trouvé la mort. Peut-être pourrait-il y dénicher quelque chose, une tache de sang essuyée à la hâte ou un morceau de tissu déc
Derrière l’ascenseurQuelque chose d’inexplicable venait de se produire. C’était un sentiment plutôt étrange. Antoine n’était plus fatigué. Pire même. Il se sentait en pleine forme. Tout cela aurait pu paraître logique pour un jeune garçon en pleine santé, cela va de soi. Mais il y avait à peine quelques secondes, Antoine était si épuisé qu’il aurait été prêt à s’endormir à même le sol, au beau milieu d’un couloir du lycée. Et, soudain, tout avait disparu : sa fatigue, sa migraine et même son dégoût pour l’horrible dessin qui ornait le mur. Il ne comprenait absolument plus pourquoi le démon peint l’avait tant révulsé.Soudain, Antoine sentit qu’on le bousculait et il sortit de ses pensées. Jonathan s’était élancé vers le muet.— C’est toi qui m’as piqué mon flingue ! s’écria le jeune homme en arrachant l’arme des mains de Mute.Mais, après avoir observé le revolver d’un peu plus prè
Du coté de chezle proviseurAu sommet de la tour qui surplombait le Lycée Vile, dans un sombre bureau faiblement éclairé par quelques chandeliers vieux comme le temps, assis sur une grande chaise en bois incrustée de saphirs, le proviseur Vile réfléchissait. C’était un homme de très haute taille. Il avait le regard perçant et sévère et ses yeux, d’un noir intense, avaient la capacité de rendre docile n’importe quel élément perturbateur du Lycée Vile. Telle était la façon dont il nommait toute personne ne respectant pas les règles qu’il avait lui-même instaurées. Car ici, c’était lui le maître et nul ne pouvait le contester. Si le Lycée Vile était ce qu’il était à ce jour, c’était grâce à lui. Tant qu’il serait là, dans ce bureau froid, le Lycée Vile ne faillirait jamais. En d’autres termes, le proviseur Vile ne dirigeait pas seulement le Lycée Vile. Il était le Lycée Vile.
L’homme à la veste noireL’homme à la veste noire prenait son maigre repas dans son salon et attendait. Rien ne le perturbait. Pas même le tic-tac incessant de la petite horloge qui lui faisait face. Une fois son déjeuner terminé, il débarrassa la table et se servit une tasse de thé. Il l’avala lentement. C’était très important pour lui. Il partit ensuite dans sa cuisine pour laver la tasse. Il avait un lave-vaisselle, mais aujourd’hui il utiliserait l’évier et ses mains. Il prit le temps de bien la frotter. Il la rinça, l’essuya et la rangea dans un des placards. Celui juste dans l’angle de la pièce. Satisfait, il revint dans son salon et s’assit. Il leva les yeux et attendit. Tic-tac. Tic-tac. Tic-tac. Il regarda l’heure. Il était trois heures vingt-quatre.Il décida alors qu’il était temps. Il se leva et se dirigea vers la porte d’entrée. Il mit ses chaussures, ferma sa veste et prit ses clefs. Il posa la main sur la poignée de
ÉpilogueAntoine avait faim.Pas le genre de faim que l’on pouvait ressentir après une longue journée de travail dans un bureau étouffant à trier des papiers administratifs pour le patron. Non. La faim d’Antoine était bien plus... Non.En réalité, Antoine n’avait pas faim. Il ne rêvait pas d’aventure. Tout ce qu’il souhaitait à présent était de vivre une vie normale. Et de retrouver ses amis.Antoine lâcha la pioche qu’il tenait dans ses mains. Il quitta le puits de pétrole abandonné et s’élança dans le désert.— Marianne ! appela-t-il. Josie !Mais personne ne lui répondit. Autour de lui, il n’y avait qu’un lourd silence qui étouffait ses cris.— Jonathan ! Yvan ! Mathieu !Il continua sa course folle, sans se retourner.— Où êtes-vous ?
Dernier chapitreAlors Mute se souvint. La voix de son père. La chaleur de sa mère. L’écho de ses chansons.— Mon petit cow-boy, l’appelait-elle.Et sa mort. La balle de pistolet traversant sa bulle d’innocence et venant le percuter de plein fouet. Le sang, dégoulinant autour de lui. Le sang qui le noyait. Rouge. Si rouge.Mute perdit son sourire. Il passa sa main dans ses cheveux.Le passé. Le futur. La vie. La mort.Tout lui vint à l’esprit en une fraction de seconde. Il tomba sur ses genoux et sanglota silencieusement. Avoir des souvenirs était douloureux. Très douloureux.— Je suis désolé, Mute, lui dit l’être. Je me suis trompé. Tu ne devrais pas être ici, en Enfer, avec les autres. Tu es innocent.Mute hoqueta. Il se sentit soudain très seul. Seul et abandonné. Il voulait qu’on
Dernier LivrePremier chapitreJosie ouvrit les yeux. Au-dessus d’elle, la lune, belle et lumineuse, illuminait le ciel sombre. Elle bougea sa main et agrippa un tas de sable poussiéreux.Elle était vivante.Elle se leva. Elle était au milieu du désert. Un peu plus loin, devant elle, se trouvait une cabane branlante et vieille comme le temps. Mais ça, Josie s’en moquait.— Marianne ? dit-elle.Elle s’accroupit auprès de la jeune fille blonde allongée sur le sable, les yeux fermés. Josie la secoua gentiment.— Jo... Josie ?— Comment ça va, Marianne ?La jeune fille fronça les sourcils, comme si elle voyait la petite brune pour la première fois. Josie se leva.— Attends, dit-elle.Elle se retourna. Son rega
L’enfant du NéantLe vide. Ni blanc ni noir. Ni son ni silence. Ni haut ni bas. Rien que le vide. Tel était le Néant.Antoine ne flottait pas. Il était bloqué. Comme accroché à une réalité dans laquelle il ne pouvait pas bouger. Autour de lui, Marianne et Josie n’arrivaient pas non plus à se mouvoir. Mute tournait sur lui-même en souriant, tout comme si les règles du vide ne s’appliquaient pas à lui.Antoine essaya une nouvelle fois de bouger ses bras sans succès. Une lumière d’une blancheur éclatante l’aveugla. Dans cette lumière se trouvait une cabane.De la cabane s’échappa une voix forte et puissante.— Mes enfants, fit la voix. Vous voilà ici réunis devant moi. Vous êtes les derniers de votre espèce. Seuls morceaux de Tout dans cet océan de vide.La lumière devint plus forte.— Je vous l’avoue, poursuivi
Face à LuiLe soleil brillait de mille feux. Antoine avait cru qu’il ne le reverrait plus jamais. Il serra la main de Marianne de toutes ses forces avant de soudainement la lâcher.— Antoine ? l’interrogea la jeune fille, inquiète.— Une seconde, répondit-il en collant sa main en visière.Ses yeux s’étaient habitués à l’obscurité et la clarté éblouissante du paysage l’empêchait de distinguer correctement ce qui l’entourait.La première chose qu’il vit fut un énorme morceau de roche dépassant d’une structure au-dessus de sa tête. Il leva les yeux et constata qu’il se trouvait sous ce qui semblait être un flanc de montagne. Sur sa droite se situait un sentier en pente qui menait vraisemblablement vers le sommet. La mine devait se trouver sous la montagne.Les traits de son visage se contractèrent alors en une expression de stupeur.
JohanAntoine s’était enfoncé dans les profondeurs de l’Enfer et, alors que sa chute ne semblait plus vouloir se terminer, son corps avait heurté le sol. À cet instant, il s’était vu mourir.Il avait senti ses jambes s’écraser contre la pierre. Il avait eu la sensation que tous les os de son corps s’étaient brisés. Il avait cru que son crâne s’était fendu en deux.Pourtant, rien de tout cela n’était arrivé. Le sol était mou.Antoine ouvrit les yeux. Au-dessus de lui, l’immense puits obscur ne laissait pas même filtrer les rayons du soleil. Il se tourna sur le côté et palpa ce qui avait amorti sa chute. Il se trouvait sur ce qui ressemblait à un gigantesque matelas gonflable.— Qu’est-ce que c’est que ce truc ? s’exclama-t-il.Antoine se leva avec difficulté, le matelas tremblant sous son poids et le déstabilisant. Il fit quelques pas
Aigle 26Au loin se dessinaient les montagnes rouges. Le sable disparaissait lentement pour laisser place à la roche. Mute ramassa un caillou et le jeta sur le sol.Il tapa dans ses mains, excité.— Les montagnes, dit Mathieu en les pointant du doigt. Je pense qu’on peut les atteindre d’ici ce soir.— Et comment tu comptes les contourner ? fit Antoine, irrité.— Il y a des passages souterrains. Il nous suffira d’emprunter l’un d’eux.Antoine poussa un grognement. Mais ça, Josie ne l’entendit pas.La jeune fille marchait à quelques mètres du reste du groupe, la tête baissée. Elle avançait beaucoup plus vite que les autres. Plus le temps passait, plus Josie accélérait le pas. Elle regardait à peine où elle se dirigeait. En réalité, elle se moquait d’où elle allait. Elle voulait juste à tout prix éviter de crois
RêvesL’homme à la veste noire prenait son maigre repas dans son salon et attendait. Rien ne le perturbait. Pas même le tic-tac incessant de la petite horloge qui lui faisait face. Une fois son déjeuner terminé, il débarrassa la table et se servit une tasse de thé. Il l’avala lentement. C’était très important pour lui. Il partit ensuite dans sa cuisine pour laver la tasse. Il avait un lave-vaisselle, mais aujourd’hui il utiliserait l’évier et ses mains. Il prit le temps de bien la frotter. Puis, il la rinça, l’essuya et la rangea dans un des placards. Celui juste dans l’angle de la pièce. Satisfait, il revint dans son salon et s’assit. Il leva les yeux et attendit. Tic-tac. Tic-tac. Tic-tac. Il regarda l’heure. Il était trois heures vingt-quatre.Il décida alors qu’il était temps.Il se leva et se dirigea vers la porte d’entrée. Il mit ses chaussures, ferma sa veste et prit ses clefs. Il posa la main sur la
SaphirsIls arrivèrent dans le couloir menant au hall. Ils devaient seulement s’enfuir avant que Pierre ne se rende compte qu’ils s’étaient échappés, en espérant que Mathieu et les autres ne les aient pas laissés tomber. Sans Mute, il serait extrêmement difficile pour eux de partir du Lycée Vile. Mis à part le cow-boy, aucun d’entre eux n’était armé.— Mute, dit-il tout haut. D’où viens-tu ?Antoine secoua la tête. Ce n’était pas important pour le moment. Ils arrivèrent enfin dans le grand hall. À son plus grand soulagement, il vit que Mathieu, Josie et Mute étaient présents, comme ils l’avaient promis.— Marianne ! cria Josie.Elle courut dans leur direction, le sourire aux lèvres.— Josie ! lui répondit la jeune fille blonde.Réjoui par ce spectacle, Mute applaudit. Mathieu poussa un soupir.