Léa
Je suis devant l’immeuble. La gorge serrée, le cœur en vrac. Aujourd’hui, c’est la fin. Je le sens. Il ne le sait pas encore, mais je vais partir. Pour de bon.
Je monte. Chaque pas me coûte. Chaque étage me rappelle ce qu’on a été… ce qu’on n’a jamais su être.
La secrétaire me sourit, gênée. Tout le monde sait. Ils entendent ses cris, ses colères. Ils voient mes larmes que je cache derrière un sourire de façade. Mais aujourd’hui, je ne joue plus.
Je frappe. Pas de réponse.
J’entre.
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Nathan
Je la vois. Elle. Léa. Une dernière fois.
Elle est debout, droite, forte. Moi, affalé dans ce putain de fauteuil qui est devenu ma prison.
« C’est quoi ? T’es venue t’excuser ? » je crache, le ton sec, cynique. Je sens déjà que cette conversation va me détruire.
Elle ne répond pas. Elle me tend une enveloppe. Blanche. Froide. Mortelle.
« Ma démission. »
Les mots claquent dans l’air. Plus violents que n’importe quelle gifle.
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Léa
Il pâlit. Enfin, je crois. Il détourne les yeux. Fuit. Pour la première fois, je le vois vraiment faible.
« Je peux plus, Nathan. J’ai tout donné. Tout. Et t’as rien vu. »
Ma voix est ferme. Plus une once de tremblement. La tempête, je l’ai déjà traversée cette nuit.
Il serre les poings. Son regard devient noir. « Tu me lâches. Toi aussi. »
Je souris, triste. « Non. Tu m’as poussée dehors. T’as gagné. T’es seul. »
Je tourne les talons. Mon cœur se brise à chaque pas.
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Nathan
« Reste. » Le mot me crève la gorge. Trop tard. Trop faible.
Elle s’arrête. Mais ne se retourne pas.
« Pourquoi je resterais ? Pour me faire haïr ? Pour me faire cracher dessus tous les jours ? T’as même pas eu le courage de me demander pardon. »
Je veux lui hurler que je suis désolé. Que sans elle, je suis fini. Mais les mots restent coincés.
Elle sort.
Et cette fois, je sais qu’elle ne reviendra pas.
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Léa
La porte claque. Derrière, c’est fini.
Je m’écroule dans l’ascenseur. Les larmes montent. Mais je les ravale. J’ai assez pleuré.
Je pars. Je me sauve. Si je reste, je meurs.
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Nathan
Je fixe cette enveloppe. Elle me brûle les doigts.
Je l’ouvre. Trois lignes. Pas un mot de plus. Juste sa signature. Froide. Distante.
Je ris. Un rire amer, brisé.
C’est fini.
Elle est partie.
Et moi, j’ai plus rien.
Voici le Chapitre 9, une chute progressive. La déchéance de Nathan, son autorité brisée, et Léa qui tente de se reconstruire malgré tout.
Nathan
La bouteille est vide. Une de plus. J’en ai perdu le compte. Le whisky coule dans mes veines comme du poison, mais ça m’apporte une sorte de réconfort. L’alcool me brûle, me fait oublier un instant. Oublier la douleur de mon corps, de ma vie. Oublier qu’elle est partie.
Elle est partie.
Léa. Elle me manque d'une façon que je ne savais pas possible. Pourtant, je n’ai pas su la garder. J’ai repoussé l’amour. J’ai repoussé l’humanité. Je voulais ma carrière, mon pouvoir, ma gloire. Maintenant je n'ai plus rien de tout ça. Rien que le vide. Le silence de mon appartement. Le bruit du whisky qui tombe dans un verre cassé.
Je m’appuie contre le canapé. Chaque mouvement est un supplice. Mais la douleur physique est la seule qui compte maintenant. Au moins, elle me permet de ne pas penser. Je ferme les yeux et je laisse l’alcool envahir mes sens, me détruire un peu plus chaque jour.
Je vois son visage. Léa. Son regard triste. Son souffle saccadé. “Je t’aime. Mais je peux pas continuer à te sauver.” Et moi… moi je l’ai laissée s’échapper. J’ai laissé la seule personne qui m’aimait s’éloigner. Je suis un idiot. Un putain d’idiot.
Mais le plus détestable, c’est que je sais que je vais m’enfoncer encore plus. J’ai pas la force de sortir de ce trou. Pas la force de me battre. Je suis fatigué. Fatigué de tout.
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Léa
Je suis là, dans mon appartement, à regarder l’ombre de la nuit qui s’étend à travers la fenêtre. La ville brille, ses lumières scintillent dans le noir. Et moi, je me sens plus vide que jamais.
Je suis seule. Et cette solitude, c’est comme un poison lent. Je veux avancer, je veux oublier tout ce qu’il m’a fait, tout ce qu’on a vécu. Mais je suis trop faible pour ça. Trop faible pour couper les liens.
La démission. J’ai agi. J’ai pris cette décision, mais pourquoi je me sens encore comme une spectatrice de ma propre vie ? Pourquoi ce vide en moi, ce manque, ce besoin constant de lui ? J’essaie de me convaincre que c’est la meilleure chose à faire. Mais à chaque instant, son visage, sa voix, ses mains sur moi, me hantent. Me consument.
Je prends mon téléphone. Je pense à lui. Mais je ne peux pas appeler. Pas maintenant. Il m’a rejetée. Et moi, j’ai baissé les bras trop facilement. Je m’en veux. Je m’en veux de l’aimer encore, de vouloir le sauver.
Je pose le téléphone, la tête entre les mains. Je pleure. Et je hais ces larmes. Elles me rendent plus faible encore. Chaque soupir, chaque regard, chaque pensée me ramène à lui. Mais c’est fini. Je le sais. Il est trop loin de moi, et je ne peux plus être cette personne qui attend.
Je me relève, en essayant de ne pas montrer ma douleur. Il faut que j’avance. C’est tout ce qui me reste.
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Nathan
Je suis bourré. Complètement bourré. La tête tourne, la douleur dans mes os est comme une marée montante, mais je m’en fous. Je regarde mes mains. Mes bras. Ces bras qui m’ont toujours permis de contrôler tout ce que je touchais, de tout maîtriser. Et maintenant… maintenant, ils sont bons à rien.
Je ferme les yeux, et je sens le poids de ma propre déchéance. Mon corps se fait envahir par une vague de douleur insupportable. Mais je ne me relève pas. Je laisse tout me consumer. Parce que, au fond, c’est ce que je mérite. C’est ce que je suis. Un homme brisé, un roi sans trône.
Je n’ai plus de projet. Plus de but. Juste des journées qui se mélangent, une noirceur infinie et une solitude glacée. Léa a raison. Je l’ai repoussée. Je l’ai détruite.
Je n’ai plus le courage de faire semblant. La colère, la frustration, tout ce qui m’a caractérisé… ça ne me fait plus rien. Je suis juste fatigué. Épuisé de me battre contre moi-même.
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Léa
Je suis dehors, dans un café, seule. Les gens autour de moi discutent, rient, vivent leurs vies, mais moi… je suis juste là. Comme une spectatrice. Une ombre parmi d’autres.
Je suis venue ici pour changer d’air, pour fuir mes pensées, pour me convaincre que tout ira bien. Mais tout est faux. Mes yeux cherchent encore à l’apercevoir. Mon cœur bat encore pour lui. J’ai beau vouloir le fuir, le renier, je sais au fond de moi que je l’aime encore. Et peut-être que je l’aimerai toujours.
J’entends son rire, je revois son regard intense, celui qui me faisait frissonner. Mais où est-il maintenant ? Ce Nathan-là n’existe plus. Il s’est perdu dans la spirale de sa propre destruction.
Je veux avancer, mais… comment ? Par où commencer ?
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Nathan
Je n’ai plus de mots. Plus d’espoir. Plus rien. La nuit est infinie.
Je regarde autour de moi, le silence me dévore. J’ai envie de crier. De tout casser. Mais tout est déjà cassé.
Léa m’a laissé partir, Sophia m’a quitté, et moi… je suis là, seul, en train de m’effondrer. Et personne ne viendra. Parce que je l’ai voulu. Parce que j’ai tout détruit.
Je me laisse glisser sur le sol, l’alcool m’éteint petit
à petit. Mais ça ne change rien. Je n’ai plus la force de me relever. J’attends. J’attends que le sommeil vienne m’emporter dans un abîme de noirceur.
LéaIl est là, assis dans ce fauteuil qu’il déteste. Son dos droit, les mains croisées sur les accoudoirs, son regard planté dans le mien. Toujours trop intense. Toujours trop vrai.— T’as l’air ailleurs, dit-il, tranquille.Je hausse les épaules, tente de sourire. Mais c’est lui qui me trouble. Sa façon de rester immobile alors que tout en lui vibre. Son calme apparent est un leurre. Je le connais. Il est en ébullition à l’intérieur. Moi aussi.Je m’approche, hésitante. Il ne peut pas venir vers moi. C’est à moi d’avancer. Et c’est peut-être ça qui me terrifie.— Je réfléchissais.— À quoi ?Je me penche un peu, feignant de chercher un truc sur la table basse. Mon bras frôle le sien. Chaleur. Électricité. Rien que ça. Un simple effleurement. Et pourtant, j’ai l’impression que c’est trop. Ou pas assez.— À toi, je murmure sans réfléchir.Le silence s’installe. Il ne bronche pas. Mais ses doigts se crispent un peu sur l’accoudoir. Minuscule détail. Immense onde de choc.NathanÀ moi. E
LéaJe me réveille en sursaut. Le matin est encore jeune, une lumière blafarde filtre à travers les rideaux. Je suis allongée sur le canapé, les draps m'entourent comme un cocon brisé. Le souvenir de la nuit dernière me hante déjà. Nathan, ses yeux fixés sur moi, sa main tendue, ce baiser que je n’aurai jamais cru possible. C’était tellement réel, tellement vrai, et pourtant tout semble déjà échapper. Tout semble déjà brisé avant même d’avoir eu le temps de se reconstruire.Je tourne la tête. Nathan est là, figé dans son fauteuil, son regard perdu dans le vide. Il n’a pas bougé. Pas un centimètre. Peut-être qu’il n’a même pas dormi. Il est épuisé, et moi aussi. Mais c’est la peur qui m’écrase, cette peur sourde et insidieuse qui me ronge depuis que j’ai franchi ce seuil, depuis que j’ai accepté de tomber dans cet abîme avec lui.Je me lève lentement, mes jambes encore lourdes de sommeil. Je m’approche de lui, mais je n'ose pas le toucher. Je sais qu’il a besoin de cet espace, même si
LéaLe silence dans la pièce est suffocant. Mon cœur bat plus vite, mes mains tremblent légèrement alors que je me force à garder mon calme. Nathan se tient devant moi, figé dans son fauteuil, son regard perdu dans le vide. Je vois ses yeux fatigués, ses lèvres tremblantes. Même immobile, il semble englouti dans une souffrance que je ne sais plus comment comprendre. C’est comme si son corps, tout entier, refusait d’accepter sa propre douleur. Comme si, dans cette paralysie, il avait perdu la capacité de se battre.Je pourrais fuir. C'est la solution la plus simple, la plus logique. Mais je ne le fais pas. Pourquoi ? Parce que j'ai l'impression qu’il me faut prouver quelque chose. Pas à lui. Pas au monde. Mais à moi-même. Peut-être que je me suis laissée trop emporter, trop entraîner dans cet enchevêtrement de sentiments et de peurs. Peut-être que je devrais enfin accepter la réalité : Nathan ne veut pas être sauvé.Je m’avance un peu, brisant la distance qui nous sépare. Mais je n’ose
LéaLe lendemain matin, la lumière pâle perce à travers les rideaux tirés. Le jour s’installe lentement, comme s’il avait peur de troubler l’équilibre fragile de cette pièce trop silencieuse. Le genre de lumière qui ne réchauffe pas encore, mais qui éclaire cruellement ce qu’on aurait préféré garder dans l’ombre.Je suis réveillée depuis longtemps. Allongée sur le petit canapé, la nuque raidie, les muscles endoloris, je regarde le plafond sans vraiment le voir. J’écoute. Pas un mot. Pas un mouvement. Mais je sais qu’il est éveillé. Je le sens dans l’atmosphère, dans la tension contenue qui flotte entre les murs. Sa respiration n’est plus celle du sommeil. Elle est plus lente, plus profonde, presque maîtrisée. Comme s’il essayait de se faire oublier. Ou de se convaincre lui-même qu’il n’est pas là.Je me lève sans bruit. Mes pieds nus effleurent le sol froid. Je traverse la pièce en silence, évitant de faire grincer les lattes du parquet. La cafetière gémit doucement, relâchant des bou
NathanL’eau a fini par devenir tiède, puis presque froide. Je suis resté trop longtemps sous la douche. Pas parce que j’en avais besoin physiquement. Mais parce que je repoussais le moment de sortir. Le moment de me confronter à ce qu’elle allait voir.Mon corps. Ce qu’il en reste.Pas seulement les plaies, les cicatrices, les lignes de tension qu’on ne montre pas à la lumière. Mais tout ce que je ne peux plus faire. Le silence de mes jambes. Le vide entre ce que j’étais et ce que je suis devenu.Quand j’ai fini par appeler — un simple “Léa ?” à peine audible, étranglé entre mes dents — elle est venue. Tout de suite. Pas un mot, pas une question. Elle a ouvert la porte, lentement, sans bruit, comme si elle pénétrait dans un sanctuaire fra
NathanJe croyais qu’elle allait me laisser tranquille, ce matin. Après la douche. Après le café. Après ce moment suspendu où nos mains se sont frôlées sans un mot. J’avais cru qu’elle comprendrait que c’était déjà beaucoup. Que c’était suffisant. Que je ne voulais pas plus. Pas aujourd’hui.Mais non.Léa se lève. Me laisse seul quelques instants dans la chambre, puis revient avec un plateau. Elle s’installe sur le bord du lit avec cette assurance tranquille qui m’a toujours dérangé, même quand elle n’était que mon assistante. Surtout depuis qu’elle est bien plus que ça. Plus proche. Trop proche, parfois.— Tu manges, dit-elle.Pas de question. Pas de “vous voulez ?”. Juste un ordre. Doux, mais ferme.Elle a toujours été comme ça. Même au bureau, elle ne demandait pas. Elle savait. Elle lisait entre les lignes. Elle anticipait. Quand j’étais encore debout, encore maître de tout ce qui m’entourait, Léa n’était pas qu’une ombre derrière moi. Elle était la mécanique silencieuse qui faisa
Nathan LevasseurLe centre a cette odeur familière que je déteste. Un mélange de javel, de café réchauffé et de papier administratif. L’air est trop propre, trop froid. Comme s’il voulait effacer ce qui fait mal. On veut croire qu’en rendant les lieux aseptisés, tout ce qu’il y a autour est purifié, réinitialisé. Mais je sais. Je sais que cette fausse propreté est là pour camoufler les cicatrices invisibles, celles qui n’ont pas de pansements.Léa pousse doucement mon fauteuil. Elle ne parle pas. Moi non plus. Le bruit des roues sur le sol ciré fait un cliquetis régulier, presque hypnotique. Chaque tour de roue résonne dans mon crâne, comme une lourde mélodie de stress, de tension, et d’angoisse. Je suis loin de la facilité d’autrefois. Chaque centimètre parcouru est une bataille.Les couloirs sont larges, longs, presque interminables. Chaque porte fermée derrière nous semble être une barrière que je ne peux franchir, chaque fenêtre trop haute pour apercevoir ce qui se cache derrière.
NathanJe croyais qu’elle allait me laisser tranquille, ce matin. Après la douche. Après le café. Après ce moment suspendu où nos mains se sont frôlées sans un mot. J’avais cru qu’elle comprendrait que c’était déjà beaucoup. Que c’était suffisant. Que je ne voulais pas plus. Pas aujourd’hui.Mais non.Léa se lève. Me laisse seul quelques instants dans la chambre, puis revient avec un plateau. Elle s’installe sur le bord du lit avec cette assurance tranquille qui m’a toujours dérangé, même quand elle n’était que mon assistante. Surtout depuis qu’elle est bien plus que ça. Plus proche. Trop proche, parfois.— Tu manges, dit-elle.Pas de question. Pas de “vous voulez ?”.
LéaIl ne m’a pas lâchée de la nuit.Sa main dans la mienne, ses doigts serrés comme s’il avait peur que je disparaisse pendant son sommeil. Comme si mon départ était une possibilité plus tangible que ma présence. Et moi, je suis restée là, au sol, adossée à son fauteuil, à écouter sa respiration se faire moins erratique. À attendre que son cœur trouve un tempo qui ne m’étrangle pas d’inquiétude.Je ne dors pas non plus. Mais cette nuit, l’insomnie est différente.Moins douloureuse. Moins glaciale.Je sens son pouce effleurer ma peau par moments. Des gestes minuscules, presque involontaires. Des appels de détresse sans mots. Alors je serre un peu plus fort. Je suis là, Nathan. Je suis là.Quand le matin perce à travers les rideaux, mes os me rappellent leur existence. J’ai la nuque en feu, les jambes engourdies, la peau collée par la fatigue. Mais je m’en fiche. Il est encore là. Et pour la première fois depuis des semaines, ses yeux croisent les miens sans se détourner.Il reste. Il
Nathan LevasseurJe ne dors plus. Les nuits s’étirent comme des couloirs vides, interminables. Je reste éveillé, les yeux fixés sur le plafond, comme s’il allait finir par s’effondrer sur moi et me libérer de ce corps trop lourd. J’ai beau essayer de rassembler mes forces, il ne reste rien. Rien qu’un vide épuisant, un trou dans lequel je me laisse couler, jour après jour. Le silence est devenu mon langage. Une forme d’abandon. Le refus de me battre encore.Mais ce soir, le silence est brisé par une présence.Léa.Elle est là, assise dans le fauteuil près du lit, jambes repliées contre sa poitrine, les bras serrés autour d’un coussin comme s’il était tout ce qu’elle avait. Elle pense que je dors, mais je la vois. Elle a les traits tirés, les yeux rouges. Elle est fatiguée. Épuisée. À bout. Et je suis responsable de ça. De cette douleur qui s’imprime sur ses traits chaque fois qu’elle me regarde et que je détourne les yeux.Elle ne me dit rien. Elle ne me demande rien. Et pourtant, son
LéaLa réunion se termine dans un murmure indistinct, une série de décisions prises sans que Nathan ne fasse le moindre geste. Il n’a pas bougé de son fauteuil. Pas une parole, pas un regard vers ceux qui l’entourent. Et pourtant, je sens l’effort qu’il met à maintenir cette façade. Il est là, mais il est absent. Il n’y a plus de combativité dans ses yeux. Plus de flamme.Je ferme l'ordinateur portable devant moi, ramassant les documents avec une précision calculée, comme si j'étais encore dans ce rôle de gestionnaire, de remplaçant. Mais ce n’est pas moi qui devrais être là. C’est lui. Lui qui a façonné cette entreprise, lui qui était le maître du jeu. Mais tout a changé. Il a changé. Et maintenant, je me retrouve coincée dans un rôle que je n’ai jamais voulu, une responsabilité qui pèse sur mes épaules, plus lourde chaque jour.Je me tourne vers lui. Il reste là, immobile, dans son fauteuil roulant. Il me semble plus petit, plus fragile, comme une statue abandonnée. Je veux lui parl
LéaJe suis debout devant le tableau, ajustant les derniers détails de la présentation. Tout doit être parfait, chaque graphique, chaque argument, chaque chiffre. La salle de réunion est silencieuse, presque trop silencieuse. Les employés attendent dans un calme qui frôle l'attente, mais je sais que leur esprit est ailleurs, que leur regard est fixé sur l'homme qui les a dirigés avec poigne, qui les a vus réussir et échouer sous son autorité. Aujourd'hui, il n'est plus que l'ombre de cet homme. Et je suis là, à prendre sa place, à m’assurer que les rouages de cette machine continuent de tourner malgré lui.Je tourne la tête vers la porte. Nathan n’est pas encore arrivé. Je me demande s’il viendra. J’ai l’impression qu’il est de plus en plus absent, non seulement physiquement, mais aussi mentalement. L’homme que j’ai connu, celui qui aurait fait face à cette réunion avec cette détermination glaciale, ne semble plus exister. Il est devenu une figure floue, imprécise. Et malgré tout, je
Nathan LevasseurLe bruit des roues, des cliquetis réguliers sur le sol, résonne comme un écho de mes pensées. Léa pousse mon fauteuil sans dire un mot, sans chercher à me rassurer. Elle sait qu’aucun mot ne pourrait m’atteindre, pas maintenant. Tout est plus lourd, plus dur. Mon bureau, l’air autour de moi, les regards furtifs des employés, tout semble plus grand. Les murs semblent se resserrer autour de moi, comme pour me rappeler que j’ai toujours été là, toujours dans cette machine, ce système qui, aujourd’hui, m’étouffe.Je serre les dents. L’odeur du papier, l’éclat de la lumière artificielle me rappellent l’ancienne époque, celle où chaque décision m’appartenait, où je dirigeais avec cette confiance inébranlable. Maintenant, c’est un autre homme qui s’assoit à ma place. Un autre homme qui prend ce qu’il peut sans même lever les yeux. Et moi, je suis là. J’assiste à ce déclin, ce petit à petit qui me ronge. Et tout ce que je peux faire, c’est observer. Observer et encaisser.Léa
NathanJe croyais qu’elle allait me laisser tranquille, ce matin. Après la douche. Après le café. Après ce moment suspendu où nos mains se sont frôlées sans un mot. J’avais cru qu’elle comprendrait que c’était déjà beaucoup. Que c’était suffisant. Que je ne voulais pas plus. Pas aujourd’hui.Mais non.Léa se lève. Me laisse seul quelques instants dans la chambre, puis revient avec un plateau. Elle s’installe sur le bord du lit avec cette assurance tranquille qui m’a toujours dérangé, même quand elle n’était que mon assistante. Surtout depuis qu’elle est bien plus que ça. Plus proche. Trop proche, parfois.— Tu manges, dit-elle.Pas de question. Pas de “vous voulez ?”.
Nathan LevasseurLe centre a cette odeur familière que je déteste. Un mélange de javel, de café réchauffé et de papier administratif. L’air est trop propre, trop froid. Comme s’il voulait effacer ce qui fait mal. On veut croire qu’en rendant les lieux aseptisés, tout ce qu’il y a autour est purifié, réinitialisé. Mais je sais. Je sais que cette fausse propreté est là pour camoufler les cicatrices invisibles, celles qui n’ont pas de pansements.Léa pousse doucement mon fauteuil. Elle ne parle pas. Moi non plus. Le bruit des roues sur le sol ciré fait un cliquetis régulier, presque hypnotique. Chaque tour de roue résonne dans mon crâne, comme une lourde mélodie de stress, de tension, et d’angoisse. Je suis loin de la facilité d’autrefois. Chaque centimètre parcouru est une bataille.Les couloirs sont larges, longs, presque interminables. Chaque porte fermée derrière nous semble être une barrière que je ne peux franchir, chaque fenêtre trop haute pour apercevoir ce qui se cache derrière.
NathanJe croyais qu’elle allait me laisser tranquille, ce matin. Après la douche. Après le café. Après ce moment suspendu où nos mains se sont frôlées sans un mot. J’avais cru qu’elle comprendrait que c’était déjà beaucoup. Que c’était suffisant. Que je ne voulais pas plus. Pas aujourd’hui.Mais non.Léa se lève. Me laisse seul quelques instants dans la chambre, puis revient avec un plateau. Elle s’installe sur le bord du lit avec cette assurance tranquille qui m’a toujours dérangé, même quand elle n’était que mon assistante. Surtout depuis qu’elle est bien plus que ça. Plus proche. Trop proche, parfois.— Tu manges, dit-elle.Pas de question. Pas de “vous voulez ?”. Juste un ordre. Doux, mais ferme.Elle a toujours été comme ça. Même au bureau, elle ne demandait pas. Elle savait. Elle lisait entre les lignes. Elle anticipait. Quand j’étais encore debout, encore maître de tout ce qui m’entourait, Léa n’était pas qu’une ombre derrière moi. Elle était la mécanique silencieuse qui faisa
NathanL’eau a fini par devenir tiède, puis presque froide. Je suis resté trop longtemps sous la douche. Pas parce que j’en avais besoin physiquement. Mais parce que je repoussais le moment de sortir. Le moment de me confronter à ce qu’elle allait voir.Mon corps. Ce qu’il en reste.Pas seulement les plaies, les cicatrices, les lignes de tension qu’on ne montre pas à la lumière. Mais tout ce que je ne peux plus faire. Le silence de mes jambes. Le vide entre ce que j’étais et ce que je suis devenu.Quand j’ai fini par appeler — un simple “Léa ?” à peine audible, étranglé entre mes dents — elle est venue. Tout de suite. Pas un mot, pas une question. Elle a ouvert la porte, lentement, sans bruit, comme si elle pénétrait dans un sanctuaire fra