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Chapitre 6— Frôlements

Author: L'invincible
last update Last Updated: 2025-04-08 15:44:05

Léa

Il est là, assis dans ce fauteuil qu’il déteste. Son dos droit, les mains croisées sur les accoudoirs, son regard planté dans le mien. Toujours trop intense. Toujours trop vrai.

— T’as l’air ailleurs, dit-il, tranquille.

Je hausse les épaules, tente de sourire. Mais c’est lui qui me trouble. Sa façon de rester immobile alors que tout en lui vibre. Son calme apparent est un leurre. Je le connais. Il est en ébullition à l’intérieur. Moi aussi.

Je m’approche, hésitante. Il ne peut pas venir vers moi. C’est à moi d’avancer. Et c’est peut-être ça qui me terrifie.

— Je réfléchissais.

— À quoi ?

Je me penche un peu, feignant de chercher un truc sur la table basse. Mon bras frôle le sien. Chaleur. Électricité. Rien que ça. Un simple effleurement. Et pourtant, j’ai l’impression que c’est trop. Ou pas assez.

— À toi, je murmure sans réfléchir.

Le silence s’installe. Il ne bronche pas. Mais ses doigts se crispent un peu sur l’accoudoir. Minuscule détail. Immense onde de choc.

Nathan

À moi. Elle pensait à moi. Ces mots me bousillent.

Je serre les dents. J’ai envie de la toucher, mais mes jambes restent mortes. C’est une réalité constante. Une douleur sourde que je tais depuis longtemps. Pas à cause de la douleur physique — elle est devenue une vieille compagne silencieuse — mais à cause de ce qu’elle me vole, chaque jour.

Mais Léa est là. Proche. Trop proche. Et pas assez.

— Tu devrais t’asseoir, je dis, la gorge sèche. T’as l’air de trembler.

Elle obéit, lentement, sans me lâcher des yeux. Elle s’installe à côté, sur le canapé. Pas en face. À côté. Cette nuance me fout en vrac.

— Je tremble, ouais. J’suis pas douée pour les moments… intenses.

Elle évite mon regard. Et moi, je n’ai que ça. Mon regard. Mon silence. Mon désir retenu.

Je tends la main. Elle est posée sur sa cuisse, paume ouverte. Offerte. Je ne touche pas. Je propose.

Léa

Je baisse les yeux vers sa main. Elle ne frôle pas. Elle attend. C’est pire.

Je pose la mienne dessus, lentement. Nos doigts s’entrelacent sans un mot. Et tout d’un coup, c’est le monde qui ralentit. Plus rien n’existe que ce contact. Simple. Immense.

Je me tourne vers lui. Il est beau. Même quand il souffre. Surtout quand il souffre. Il ne cherche pas à me séduire. Il est juste là. Vrai. Brisé. Et pourtant entier.

— Nathan… Tu me fais peur.

Il fronce les sourcils, surpris. Je continue, maladroite.

— Pas parce que tu es différent. Parce que je sens que si je tombe… ce sera pour de vrai.

Nathan

Elle est en train de me dire qu’elle vacille. Et moi, j’ai envie de hurler. Parce que je ne peux pas me lever, l’attraper, la plaquer contre moi. Alors je serre sa main plus fort.

— J’ai pas besoin que tu tombes. Juste que tu restes, Léa.

Elle cligne des yeux, comme si ça piquait. Comme si c’était la première fois qu’on lui parlait sans masque.

Je lève la main gauche. Celle qui tremble un peu. Je touche doucement sa joue. Ma main est maladroite, mais elle ne recule pas. Elle ferme les yeux. Inspire. Et ce souffle-là, c’est mon nouveau battement de cœur.

Léa

Sa main tremble. Pas moi.

Et pourtant, c’est lui qui m’ancre. Je pose mes lèvres sur sa paume. Juste un baiser. Rien de plus. Pas encore.

Mais c’est là que tout bascule.

Léa

Je sens sa peau encore tiède sur mes lèvres. Sa main repose toujours contre ma joue. Il ne bouge pas. Moi non plus. J’ai peur que le moindre geste brise ce qu’on vient de construire. Ce presque rien, ce presque tout.

Il me regarde. Ses yeux sont d’un calme terrifiant, mais son souffle trahit autre chose. Une urgence. Une tempête.

— Pourquoi tu m’as laissée entrer dans ta vie, Nathan ? Pourquoi moi ?

Je ne sais même pas pourquoi je pose la question. Peut-être pour me rassurer. Peut-être pour fuir ce que je ressens là, maintenant. Mais il répond sans détour.

Nathan

— Parce que t’as pas eu peur. Pas une seule seconde.

Sa voix est rauque. Je le sais, je l’entends. J’ai oublié la mienne. Elle est restée quelque part entre son regard et ma peau.

— Si, je murmure. J’ai eu peur. Mais pas de toi.

Je sens son genou contre ma cuisse. Il ne l’a pas bougé, pas volontairement. Mais ce simple contact me ramène à la réalité. À son corps. À ce qu’il vit chaque jour. À ce qu’il m’offre, malgré tout.

— Je veux pas t’abîmer, Nathan.

Il rit doucement. Un rire sans joie.

Nathan

— Léa, je suis déjà abîmé.

Mais elle secoue la tête, furieuse. Elle se penche vers moi, proche. Trop. Et pourtant pas assez. Ses mains tremblent sur mes cuisses, juste au bord. Comme si elle n’osait pas aller plus loin. Comme si elle me demandait la permission.

Je hoche la tête.

Et elle pose sa tête contre mon torse.

Je reste figé. Mon cœur cogne, affolé. J’ai pas senti ça depuis… je sais même plus. Elle ferme les yeux. Son corps contre le mien. Doux. Lent. Immobile. C’est presque rien. Mais pour moi, c’est vertigineux.

Léa

Son torse est chaud sous ma joue. J’entends son cœur. Il bat. Fort. Il est vivant. Il est là.

Je voudrais y rester des heures. Je voudrais qu’il me serre, qu’il m’attrape, qu’il me dise qu’il me veut. Mais je sais que tout est plus compliqué. Que son corps, que sa douleur, que sa peur… tout se mêle dans ce silence entre nous.

Je me redresse un peu. Je l’embrasse. Juste sous la mâchoire. Là où sa barbe commence. Il frissonne. Je le sens. Il me regarde, dévasté.

Et soudain…

— Nathan ?

La voix vient de l’entrée. Je sursaute. Me recule. Trop vite.

Une femme. Grande. Élégante. Trente-cinq ans, peut-être. Elle porte un tailleur beige, des escarpins trop chers. Ses cheveux sont noués dans une queue basse, parfaite.

Elle nous fixe. Moi, surtout.

Nathan

— Maëlle…

Je serre les dents. C’est pas le moment. Pas maintenant.

Elle s’avance, le regard acéré. Elle regarde Léa comme si elle venait de salir quelque chose de précieux.

— Tu ne répondais pas. Je passais dans le coin. J’avais des papiers à te faire signer.

Elle pose une enveloppe sur la table sans me quitter des yeux. Puis elle se tourne vers Léa.

— Je ne savais pas que tu avais de la visite. Et encore moins ce genre de visite.

Léa

Je me lève. Mon cœur bat à cent à l’heure. Je n’aime pas son ton. Je n’aime pas ce qu’elle insinue. Et surtout, je n’aime pas l’effet qu’elle semble avoir sur Nathan. Il se ferme. Il devient une statue.

— Je m’en allais, dis-je froidement.

Mais Nathan attrape mon poignet. Faiblement. Mais assez.

— Non. Reste.

C’est un ordre. Un cri étouffé. Un appel.

Je reste. Malgré elle. Malgré moi.

Maëlle

— Tu ne changes pas, Nathan. Toujours aussi impulsif.

Elle sourit. Faussement. Puis elle me dévisage.

— Vous êtes qui, exactement ?

— Léa.

C’est tout ce que je dis. Pas de justification. Pas d’excuse. Je suis Léa. Et j’étais dans ses bras.

Elle ricane doucement, comme si ça confirmait ce qu’elle pensait. Puis elle se penche vers Nathan.

— Je reviendrai plus tard.

Et elle s’en va. Sans claquer la porte, mais presque.

Nathan

Le silence revient. Léa est debout. Moi, toujours là. Prisonnier de mon fauteuil et de mes souvenirs.

Elle me regarde. Différemment. Pas avec pitié. Pas avec colère. Avec… quelque chose de brut. D’étrange.

— C’était qui ? je demande.

Elle hésite. Puis répond :

— Celle qui t’a abîmé avant moi ?

Je baisse les yeux. Elle a compris.

Léa

Je m’approche. Je m’agenouille devant lui. Je prends son visage entre mes mains.

— Dis-moi que t’as pas peur.

— J’ai peur que tu partes.

Alors

je l’embrasse.

Pas un effleurement. Pas une promesse. Un vrai baiser. Viscéral. Lent. Profond.

Et dans ce baiser, je comprends que je suis déjà en train de tomber. Pour de vrai.

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