Les Noces Rouges Anna s’éveille en sursaut, le souffle court. La lumière du réverbère filtre à travers les rideaux, baignant la chambre d’un éclat blafard. L’odeur du fer emplit l’air. Un frisson la traverse. Ce n’est pas une sueur nocturne ni un mauvais rêve. C’est bien réel. Sous les draps froissés, une chaleur moite l’englue. Elle se redresse lentement, sent un liquide visqueux coller à sa peau. Son cœur cogne contre ses côtes lorsqu’elle baisse les yeux. Un corps est là. Allongé à ses côtés. Le hurlement meurt dans sa gorge. Le drap, autrefois blanc, est maculé d’écarlate. Une large entaille court le long de la gorge de l’homme étendu à ses côtés. Ses yeux vitreux la fixent. Anna tremble. Elle cherche l’air, cherche à comprendre. Mais le vide. Son esprit refuse de reconstituer les dernières heures. Le bruit du verre brisé. Une voix chuchotée. Des doigts sur sa peau. Puis... rien. Ses mains, trempées de sang, se crispent sur le matelas. L’odeur du whisky flotte encore dans l’air. Son regard dérive vers la table de chevet. Un couteau de cuisine repose là, luisant sous la lueur pâle. C’est elle. Elle a fait ça. Mais pourquoi ? Elle chancelle en sortant du lit, glisse dans une flaque rouge, son reflet déformé dans le carrelage luisant. Un rire nerveux secoue sa poitrine. Un rire hystérique. Lui, c’était son amant. Son dernier amour. Un bruit la fait sursauter. Une vibration sourde. Son téléphone. Un message. "Tu as bien joué ta part, mon amour. Nous sommes liés par le sang à présent. Ne crains rien, je veille sur toi." Anna fronce les sourcils. Ses doigts tremblants tapotent l’écran. Qui ? Comment ?
View MoreAnna
Le froid.
C'est la première chose que je ressens. Un frisson glisse sur ma peau nue, me tirant lentement d’un sommeil profond et sans rêve. Mon esprit flotte entre la conscience et l’oubli, engourdi par une lourdeur étrange. Mes paupières sont lourdes, mes muscles endoloris.
Puis vient l’odeur.
Épaisse. Métallique. Un relent de fer et de rouille me prend à la gorge, si fort que mon estomac se contracte douloureusement. Ce n’est pas une simple odeur. C’est un mur, une prison invisible qui m’enserre et m’étouffe.
Quelque chose ne va pas.
Je fronce les sourcils, tâtonne lentement du bout des doigts à la recherche des draps. Mais mes mains rencontrent autre chose. Un liquide tiède, poisseux, qui colle à ma peau. Un frisson d’angoisse me traverse l’échine.
J’ouvre les yeux.
Le monde est rouge.
Il y a du sang partout. Sur mes draps. Sur mes bras. Sur ma poitrine nue. Des traînées sombres s’étirent sur mes doigts comme une peinture malsaine. L’oreiller est imbibé, des coulées écarlates s’étendent sur le matelas en vagues sinistres.
Et à mes côtés…
Un cadavre.
Je hurle.
Le cri déchire le silence oppressant de la pièce. Mon souffle se bloque dans ma gorge, mon cœur cogne violemment contre mes côtes. Mon corps se crispe dans un spasme brutal. Je recule précipitamment, mais mes jambes tremblent trop fort. Je glisse, tombe du lit, mes genoux heurtant le sol dans un bruit sourd.
L’homme est allongé sur le dos, la gorge tranchée d’une oreille à l’autre. Ses yeux sont ouverts, vitreux, vides. Une plaie béante découpe son cou, exposant une chair éclatée, encore humide. Son sang coule lentement, imbibant mes draps, mes mains, ma peau.
Je suffoque.
Je ne comprends pas. Je ne me souviens de rien.
Hier soir… Qu’ai-je fait hier soir ?
Des images floues me traversent l’esprit. Un bar. Une lumière tamisée. Des rires. Des verres qui s’entrechoquent. Un homme ? Je crois… Je crois que j’étais avec quelqu’un. Mais qui ? Ma mémoire est un gouffre noir, avalant chaque souvenir avant que je ne puisse l’attraper.
Je tente de me relever, mais mes jambes refusent de me porter. Mon souffle est erratique, mes mains tremblent violemment. Je dois sortir d’ici. Je dois appeler la police.
Non.
L’instinct parle avant la raison. Je ne peux pas. Qui croirait à une innocence dont je ne suis même pas certaine ?
Mes doigts agrippent le rebord du lit pour me redresser. Mon regard dérive, cherchant désespérément une explication. Un indice. Quelque chose.
C’est là que je le vois.
Sur la table de chevet, un couteau.
Rouge.
Mes empreintes dessus.
Je recule brusquement, mon cœur battant contre ma cage thoracique comme un oiseau paniqué. Ce n’est pas possible. Ce n’est pas moi. Ça ne peut pas être moi.
Je ferme les yeux une seconde, deux secondes, priant pour me réveiller d’un cauchemar.
Mais lorsque je les ouvre, mon reflet dans le miroir en face du lit me fixe.
Et ce que je vois me glace le sang plus encore que la scène macabre qui m’entoure.
Mon reflet…
Il me sourit.
L’air me manque.
Je suis figée, incapable de détacher mes yeux du miroir. Mon propre reflet me fixe avec une expression que je ne reconnais pas. Un sourire. Léger, à peine esquissé, mais bien réel. Mon cœur cogne si fort que je l’entends résonner dans ma tête.
Je secoue la tête, essayant de me convaincre que ce n’est qu’un jeu de mon esprit paniqué. Que je suis en état de choc. Mais quelque chose me murmure que ce n’est pas ça.
Mon reflet ne bouge pas immédiatement quand je le fais.
Un frisson me traverse, plus glacial encore que le sang séché sur ma peau.
— Non… Non… Ce n’est pas possible.
Ma voix est rauque, tremblante. Je tends lentement la main vers la surface du miroir, cherchant un point d’ancrage, un contact tangible avec la réalité. Mon reflet m’imite… mais avec une fraction de seconde de retard.
Je recule brusquement, percutant la table de chevet. Un bruit sec. Le couteau tombe sur le sol, son éclat d’acier souillé tranchant le silence.
Le cadavre est toujours là. Le sang aussi. Tout est réel.
Alors pourquoi ai-je l’impression qu’il y a quelqu’un d’autre dans cette pièce ?
Quelqu’un d’autre… en moi.
Je ferme les yeux un instant, inspire profondément, essayant de calmer les tremblements de mon corps. Il faut que je pense. Il faut que je trouve un moyen de comprendre ce qui se passe.
Hier soir.
Les souvenirs sont flous, comme noyés dans un brouillard épais. Je revois le bar, les lumières tamisées, des verres d’alcool entre mes doigts. J’entends des rires. Un homme ? Oui, j’étais avec un homme. Mais son visage m’échappe, comme si quelqu’un avait pris soin de l’effacer de ma mémoire.
Pourquoi ?
Ma respiration est hachée, mes doigts s’accrochent à la table de chevet pour ne pas sombrer. Je dois sortir d’ici. Trouver de l’aide. Mais qui croirait à mon innocence ? Moi-même, je ne suis plus sûre de rien.
Un mouvement attire mon regard vers le miroir.
Mon reflet… Il n’a plus ce sourire.
Non. Maintenant, il me regarde.
Ses yeux, pourtant les miens, semblent… différents. Plus sombres. Plus profonds. Comme s’ils abritaient quelque chose qui ne m’appartient pas.
Un rire résonne dans ma tête.
"Tu ne te souviens pas, n'est-ce pas ?"
Je suffoque. Je recule précipitamment, me cognant contre le mur. Ce n’est pas possible. Je deviens folle.
Mais la voix continue, douce et sinistre à la fois, s’infiltrant sous ma peau comme un venin.
"Tu as toujours été là, Anna. Mais moi aussi."
— Arrête…
Je plaque mes mains sur mes oreilles, comme si cela pouvait faire taire ce murmure qui semble venir de l’intérieur de moi-même. Mais le rire continue, glissant dans mon esprit comme une caresse malsaine.
"Tu ne veux pas savoir la vérité ?"
Mon regard revient vers le couteau sur le sol.
Rouge.
Mes empreintes dessus.
Le cadavre sur le lit.
Je veux fuir. Je veux sortir de cette chambre. Mais mes jambes ne bougent pas.
Et, dans le miroir, mon reflet me fixe toujours.
Puis, lentement… il incline la tête.
Comme s’il m’observait avec amusement.
AnnaLa pluie tombe doucement sur le monde. Chaque goutte semble porter une part de ce que j’ai vécu, de ce que j’ai dû traverser. Elle effleure la terre, se pose sur les feuilles des arbres, et je la sens, ici, contre ma peau, comme un dernier souvenir de tout ce qui a été. Le vent, lui, murmure des promesses brisées, des mots d’adieu non dits, mais je les accueille. Car c’est tout ce qui reste à la fin : l’écho de ce qui a été, la résonance de ce que l’on a traversé ensemble.Il est là, à mes côtés. Léo. Angel. Les deux hommes qui m’ont redéfinie. L’un par sa douceur, l’autre par sa passion. L’un par son regard de feu, l’autre par ses bras solides, prêts à me soutenir quoi qu’il arrive. Leur présence me fait me sentir complète, comme si le vide en moi, celui que j’ai toujours cherché à combler, était enfin comblé. Parce que, je le sais, ce n’est pas une question de tout avoir, mais de savoir choisir ce que l’on garde."Tu es prête ?" La voix de Léo brise le silence, doux et clair co
AnnaLe silence, enfin.Pas celui qui oppresse, pas celui qui serre la gorge et fait trembler les mains.Non.Celui qui enveloppe, celui qui rassure, celui qui crée un espace entre les battements du cœur et les soubresauts du monde extérieur.Je suis allongée entre eux, dans cette étrange sérénité où le temps semble suspendu, comme si le monde ne pouvait exister au-delà de la chaleur de leurs corps.La lumière du matin filtre à travers la toile fine qui nous abrite, tremblante, timide. Elle s’invite, comme un rayon secret, et danse sur nos peaux. Elle trouve ses chemins dans les creux, sur les courbes, sur les lignes de vie et de combat.Léo est encore plongé dans un sommeil profond, son visage détendu, marqué par les traces des heures passées à lutter contre tout ce qui nous sépare. Ses mains reposent sur mon ventre, doucement, comme un ancrage. Comme un souffle.Il n’a pas bougé. Pas encore.Angel, lui, se tient un peu à l’écart. Il ne dort pas. Ses yeux sont ouverts, mais il ne me
AnnaIls dorment.Ou ils essaient.Moi, je reste au bord.Assise contre la pierre froide.À distance de leurs souffles.Je ne veux pas les réveiller.Parce que cette nuit… ce n’est pas d’eux que j’ai peur.C’est de moi.Je tremble.Pas de froid. De cette tension que je retiens depuis trop longtemps. Ce cri qui n’est jamais sorti. Cette rage, ce chagrin, cette solitude que j’ai recouverte de silence.Alors je me lève.Je marche dans l’obscurité. Pieds nus.Le vent accroche ma peau. Mais c’est bon.Ça me rappelle que je suis encore là.Je m’éloigne. Un peu.Mais pas assez.Car il me suit.Eliel.Toujours lui.Je m’arrête. Il ne dit rien. Je ne dis rien.Puis je craque.« Tu crois que c’est facile ? » ma voix explose sans prévenir.Elle tremble. Elle se brise.Il ne répond pas.Alors je continue. Parce que si je m’arrête, je m’effondre.« Tu crois que j’ai choisi ça ? Que j’ai choisi de porter un pouvoir qui me consume ? Que j’ai demandé à aimer des gens que je vais sûrement tuer sans le
LéoJe la cherche du regard.Même à travers le chaos, même dans ce monde qui s’effondre, je saurais reconnaître sa silhouette.Même brisée. Même changée.Surtout changée.Parce que ce n’est plus la même Anna.Et pourtant, elle est toujours là.Je l’ai vue s’effondrer. Je l’ai vue se relever.Et quand j’ai cru qu’elle ne reviendrait jamais, qu’elle s’était trop éloignée de nous, j’ai compris : c’est à moi de faire le chemin.Alors j’avance.Angel est à mes côtés.Silencieux, comme toujours.On ne se parle pas.Mais on sait pourquoi on est là.AngelJe n’ai jamais cessé de l’aimer.Même quand elle s’est éloignée. Même quand elle a choisi d’être autre chose.Même quand elle m’a oublié, un peu.Ce n’était pas une décision. C’était une évidence. Une fatalité.Elle vit dans chaque battement de mon cœur, même quand il se fend.Et Léo le sait. Je le vois à sa mâchoire serrée, à ses doigts crispés sur son arme.On est deux à aimer la même fille.Mais on n’est pas ennemis.On est les deux phare
ElielSa main dans la mienne. Elle tremble.Et pourtant, c’est elle qui m’a tendu la sienne.Elle, l’éclat brisé.Elle, la fille que le monde regarde comme un danger.Elle, l’ultime espoir.Je la sens prête à fuir, à se retirer au moindre signe. Mais elle reste.Alors je serre doucement ses doigts, comme on attrape une flamme. Sans vouloir l’éteindre.AnnaJe l’ai choisi.Pas comme on choisit un sauveur. Pas comme on choisit un soldat.Je l’ai choisi comme on choisit une vérité : en sachant qu’elle fera mal.Il me regarde. Je ne détourne pas les yeux.« Il faut entrer dans le cercle, Anna. » dit-il.Je hoche la tête.On y entre. Ensemble.Le sol est marqué de symboles anciens. Le vent se lève. Quelque chose s’éveille sous la terre. Quelque chose de très vieux. Très pur. Ou très terrible.Je sens mes os vibrer.Eliel« Le feu va te tester. » je dis.Elle ne bouge pas.« Tu peux encore faire demi-tour. »« Non. »Sa voix est claire. Inflexible.Alors je recule.Elle s’avance.Et la lumi
AnnaMais ce n’est pas le Eliel que j’ai connu. Pas celui qui avait encore l’espoir au bord des lèvres. Son visage est plus dur. Son regard, plus sombre. Il a vu des choses. Et il porte quelque chose en lui. Une douleur vivante.« Pourquoi es-tu là ? » ma voix tremble malgré moi.Il s’approche d’un pas, puis s’arrête.« Parce que le monde va se fendre, Anna. Et que toi seule peux empêcher qu’il s’effondre. »Je déglutis. Chaque mot est une lame.« Tu savais, n’est-ce pas ? Tu savais ce que j’étais. »Il ferme les yeux. Puis, d’une voix basse :« Je savais que tu étais plus que ce qu’on t’avait dit. Mais je ne savais pas que tu étais… l’éclat brisé. »« L’éclat brisé ? »Il me regarde avec une intensité glaciale.« Celle qui a le pouvoir de refaire le monde… ou de le détruire entièrement. »Le silence tombe, plus lourd que jamais.Je sens mon cœur battre dans mes tempes.« Et toi ? Tu viens m’aider ? Ou m’arrêter ? »Un silence. Long. Tranchant.Puis il murmure :« Je ne sais pas encor
AnnaUn cercle de pierres se dessinait dans la clairière, parfaitement symétrique. Au centre, une colonne de lumière bleutée s’élevait du sol, sans source apparente. L’air y vibrait, distordu, chargé d’une magie ancienne et inaltérable. C’était comme si le monde retenait son souffle.Je sentis mes jambes trembler, mais je restai droite. Pas cette fois. Je voulais savoir. Je voulais tout affronter.« Qu’est-ce que c’est ? » soufflai-je, hypnotisée.« Le seuil. » La voix de ma mère était douce mais ferme. « Le lien entre ce qui a été et ce qui peut être. C’est ici que les gardiens veillent. C’est ici que tu sauras. »« Les gardiens ? »Elle me regarda, et pour la première fois, j’y lus de la peur.« Ils ont connu la vérité avant nous. Ils ont vu les erreurs, les sacrifices, les serments trahis. Et maintenant… ils attendent ton choix. »Je reculai d’un pas.« Mon choix ? »« Tu es celle qui brise le cycle, Anna. Mais tu es aussi celle qui peut en créer un nouveau. »Un grondement sourd m
AnnaLe sol sous mes pieds vibre à chaque pas. Une pulsation sourde, presque imperceptible, comme si la terre elle-même réagissait à notre passage. Ma main ne quitte pas celle de ma mère. Je sens sa chaleur, sa force, son énergie fluide, ancrée en moi comme une certitude. Nous avançons en silence, mais nos pensées sont bruyantes.Je sens le poids du monde s'alléger. Non pas parce que le danger a disparu, mais parce que, pour la première fois, j'avance sans fuir. J'avance pour comprendre. Pour choisir. Pour affronter.La forêt s'efface lentement, remplacée par des clairières où la lumière lunaire coule comme du lait sur les feuilles argentées. Puis un sentier, une ouverture dans l’obscurité, bordée de pierres anciennes, couvertes de mousse. L’air change. Il devient plus dense, chargé de souvenirs que je ne reconnais pas mais que mon corps semble connaître. Mon sang palpite d’une mémoire plus vieille que moi.« Nous y sommes presque », souffle ma mère, la voix tremblante d’un pressentim
AnnaEt au fond de moi, je savais que même si les ombres du passé ne disparaîtraient jamais complètement, j'étais prête à affronter quoi que ce soit. Avec ma mère à mes côtés, nous pourrions braver toutes les tempêtes à venir. L'héritage de nos ancêtres continuait de vivre à travers nous, et ensemble, nous étions invincibles.Mais quelles autres ombres se cachaient encore dans les recoins de notre avenir ?Alors que le silence s'étendait autour de nous, je me relevai lentement, encore tremblante d'émotions. La forêt, autrefois assombrie par l'angoisse et le danger, semblait maintenant vibrant d'une nouvelle énergie. Le souffle du vent caressait ma peau, porteur d'un ressenti de renouveau. Mais les luttes passées assombrissaient toujours mes pensées. Que se passerait-il maintenant ? Ma mère se tenait à mes côtés, une aura de sérénité émanant de sa présence. Je pouvais lire dans ses yeux qu'elle ressentait la douleur et la fatigue que je portais dans mon cœur. Mais elle avait aussi une
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