Le Masque du Secret

— Nous devons partir, Miala… s’il nous retrouve…

— Je pense qu’on est en sécurité ici, surtout avec ce loup. Je ne sais pas pourquoi, mais il y a quelque chose en lui qui me donne confiance.

— Peu importe ! On doit partir d’ici.

— On ne sait même pas dans quelle meute nous nous trouvons, Miala… Si on est encore près de notre ancienne meute, on a fait tout cela pour rien et ceux qui ont été sacrifiés le seront en vain.

— Je sais, Ly… mais je me sens en sécurité ici.

Lyana soupira et ferma les yeux un instant. Elle savait que Miala avait raison. Elle aussi ressentait cette curieuse sensation de protection ici, comme si cette meute pouvait leur offrir un refuge. Pourtant, elle ne pouvait pas se permettre de se détendre. Cela faisait des mois qu’elle fuyait, masquant son odeur, brouillant ses traces, disparaissant parmi les humains comme une ombre insaisissable. Son don rare lui avait sauvé la vie plus d’une fois, mais il avait ses limites. Et la dernière meute qui l’avait accueillie... Elle serra les dents. Elle n’aurait jamais dû y rester aussi longtemps. Mais ils avaient été bons avec elle, compréhensifs. Elle s’était laissée aller à l’illusion qu’elle pouvait enfin appartenir à un groupe, qu’elle pouvait être autre chose qu’une proie. Elle s’était trompée. Le prix de son erreur ? Une meute entière effacée. Miala grogna en elle, ressentant sa douleur et sa culpabilité.

— Ce n’est pas ta faute, Ly. Tu n’as jamais demandé cette chasse.

— Non, mais c’est moi qui l’ai amenée sur eux.

Elle se redressa dans le lit, sa respiration saccadée. Elle ne pouvait pas laisser cela recommencer. Peu importe ce qu’elle ressentait ici, peu importe si l'alpha lui inspirait une étrange sensation de sécurité. Elle ne pouvait pas rester. La porte s’ouvrit brusquement. Kael. Il entra sans un mot, son regard sombre se posant sur elle comme s’il cherchait à sonder son âme. Lyana sentit son cœur rater un battement. C’était la première fois qu’elle le voyait de si près sans être affaiblie par la douleur. Grand, imposant, il dégageait une aura de dominance qui alourdissait l’air. Sa chemise entrouverte révélait une peau hâlée, des muscles sculptés par des années d’entraînement. Mais ce furent ses yeux qui la troublèrent le plus : un mélange envoûtant de gris acier et d’ambre, brillants d’une intensité féroce.

— De quoi parles-tu, murmura-t-il, sa voix grave et lente.

Son cœur accéléra. Avait-il entendu sa conversation avec Miala ?

— De rien, répondit-elle en forçant son souffle à rester calme.

— Tu es une bien mauvaise menteuse.

Un sourire en coin apparut sur les lèvres de Kael. Il s’avanca d’un pas, et elle sentit une vague de chaleur l’envahir. Il posa une main sur la table de chevet, se penchant légèrement vers elle.

— Tu caches beaucoup de choses, Lyana. Et je n’aime pas les mystères. Elle soutint son regard.

— Alors je suppose qu’on va être en désaccord. Un éclat amusé traversa ses yeux.

— Oh, je ne crois pas.

Son odeur envahit ses sens-un mélange de bois brûlé, de cuir et d’une essence sauvage. Miala frissonna en elle.

— Il nous plaît, dit Miala en ronronnant.

Non. Ce n’était pas possible. Elle n’avait pas le droit de ressentir ça. Kael semblait pourtant décidé à percer ses défenses.

— J’ai vu des loups blessés, brisés. Mais toi… Tu es différente.

— Si je suis un problème, alors laisse-moi partir.

— Non.

Le mot claqua dans l’air. La porte s’ouvrit soudain. Une femme entra avec une grâce naturelle. Ses longs cheveux argentés cascadaient sur ses épaules, et son regard perçant se posa sur eux.

— Kael, que fais-tu à cette pauvre enfant ? demanda-t-elle d’un ton sévère.

Au son de sa voix, Kael recula comme s’il avait perdu le contrôle de ses mouvements. Il semblait perplexe. Lyana observa la scène, partagée entre confusion et amusement. Un homme aussi puissant que Kael soumis par une femme si menue ?

— Je t’avais dit de la laisser se reposer, reprit-elle fermement. Kael serra la mâchoire.

— C’est une renégate sur mon territoire !

— Et c’est moi qui l’ai ramenée, trancha Liora. Alors si tu as un problème, c’est à moi que tu dois t’en prendre.

Kael resta silencieux. Lyana, elle, comprit. Liora était bien plus qu’une simple louve. Et elle venait de gagner un répit. Mais pour combien de temps ? Kael sortit de la chambre sans dire un mot de plus. Liora attendit que la porte se referme derrière Kael avant de tourner son regard vers Lyana. Un silence pesant s'installa uniquement troublé par le murmure du vent glissant à travers les fissures de la vieille bâtisse. La pièce était faiblement éclairée, baignée dans la lumière faiblement tamisée du chandelier fixé au plafond. Le regard de Liora s’adoucit légèrement, mais il demeurait perçant, perçant d’une connaissance que Lyana n’était pas certaine de vouloir découvrir.

— Tu devrais faire attention avec lui. Lyana haussa un sourcil, croisant les bras sur sa poitrine dans un geste instinctif de protection. — C’est lui qui devrait faire attention avec moi.

Liora eut un sourire énigmatique, presque amusé. Un rire léger s’échappa de ses lèvres tandis qu’elle s’approchait lentement, réduisant l’espace entre elles. Lyana sentit son propre corps se raidir sous l’intensité du regard de la femme.

— Peut-être. Mais ce que tu ressens… cette attraction…

Lyana sentit une onde glacée lui parcourir l’échine. Elle se redressa aussitôt, ses muscles tendus comme des cordes prêtes à rompre.

— Je ne ressens rien.

— Bien sûr que non, répondit Liora avec un sourire mystérieux.

Ses yeux d’un gris argenté brillaient d’une étrange lueur, comme si elle lisait au plus profond de son âme. Lyana n’aimait pas ça. Elle n’aimait pas la façon dont cette femme voyait au-delà des barrières qu’elle avait si soigneusement érigées.

— J’espère juste que tu es prête pour ce qui t’attend.

Un silence pesant s’abattit sur la pièce. Lyana ne répondit pas. Pour la première fois depuis longtemps, elle n’était plus certaine d’être prête à fuir. Liora recula lentement, rompant leur échange visuel. Elle se dirigea vers une petite table de bois lustrée située dans un coin de la pièce. Sur celle-ci reposait un plateau parsemé de fioles en verre, certaines remplies d’un liquide sombre et épais, d’autres semblants vides à première vue. Mais Lyana savait que les apparences étaient souvent trompeuses. Soudain, sans qu’aucun bruit n’annonce une présence, Liora prononça d’une voix calme :

— Entrez.

Aussitôt, la porte s’ouvrit dans un souffle feutré. Deux jeunes femmes entrèrent, identiques et pourtant différentes. Leur visage était le même, mais l’une arborait une chevelure d’un brun profond tandis que l’autre portait une cascade dorée. Leur beauté était frappante, presque irréelle, et leur présence dégageait une aura d’influence subtile, comme si elles étaient nées pour obéir aux ordres de Liora. Sans un mot, elles se placèrent de chaque côté de la table et, sur un simple geste de leur maîtresse, elles déplacèrent le plateau contenant les fioles pour le poser juste devant Lyana. Liora s’approcha à nouveau, ses pas feutrés trahissant une grâce naturelle.

— Depuis combien de temps te caches-tu ? Lyana cligna des yeux, surprise par la question. Elle s’attendait à tout sauf à ça.

— Vous voulez savoir si je vais bien ? demanda-t-elle d’une voix plus sèche qu’elle ne l’aurait voulu.

Liora ne répondit pas immédiatement. Elle prit délicatement les mains de Lyana dans les siennes, ses doigts effleurant sa peau avec une douceur troublante. Un frisson parcourut l’échine de Lyana, et avant même qu’elle ne puisse réagir, une sensation étrange l’envahit. Une chaleur diffuse, presque enivrante, se propagea à travers son corps. Elle tenta d’appeler Miala, sa louve intérieure. Mais aucune réponse ne lui parvint. Un vide. Un silence inquiétant.

— Miala ?! appela-t-elle encore, plus fort cette fois.

Mais son esprit resta silencieux. Son cœur s’emballa, son souffle devint erratique. Ses doigts tremblèrent entre ceux de Liora alors que cette dernière accentuait la pression de son massage, intensifiant la sensation d’étrangeté qui l’enveloppait.

— Elle ne te répondra pas, murmura Liora d’une voix presque maternelle.

— Comment… ? Qui êtes-vous ?

— Réponds à ma question, et je répondrai à la tienne. Depuis combien de temps te caches-tu ?

Lyana serra les dents. Elle n’avait aucune envie de répondre. Pourtant, quelque chose en elle l’incitait à parler, une force invisible qui tentait de briser sa résistance. Liora observa sa lutte silencieuse avant d’ordonner aux jumelles :

— Ouvrez l’ambre.

La brune prit une fiole et l’approcha de Lyana. Rien ne se produisit. La blonde répéta le même geste avec une seconde fiole. Toujours rien. L’une après l’autre, elles ouvrirent les fioles, sans aucun effet sur Lyana.

— Il ne reste que deux options, déclara la brune. Le tue-loup et la jadéite.

— Le tue-loup ne lui fera rien, répondit Liora avec une certitude glaciale. Ouvrez la jadéite.

Dès que la fiole fut débouchée, une douleur fulgurante irradia son corps. Un picotement désagréable coula sous sa peau, suivi d’une pression insoutenable sur son esprit. Ses poings se crispèrent tandis qu’elle luttait contre cette sensation d’étourdissement, comme si son être était tiraillé entre deux mondes. Elle voulut parler, appeler à nouveau Miala, mais aucun son ne franchit ses lèvres. Son souffle se coupa, et elle sentit une vague de panique s’emparer d’elle. Liora resserra légèrement sa prise sur ses mains.

— Ne lutte pas, Lyana. Laisse-toi aller.

Mais elle ne pouvait pas. Elle ne voulait pas. Un violent frisson secoua son corps, et la pression devint insoutenable. Soudain, Liora posa un doigt sur son front, et une chaleur oppressante envahit son être.

— Reviens à toi, ordonna-t-elle.

Un cri silencieux déchira la gorge de Lyana tandis qu’une vague invisible la submergeait. La douleur grimpa en flèche, puis s’arrêta brutalement. Elle s’effondra sur lit, haletante. Son corps tremblait sous l’impact, son souffle était court et ses membres lourds. Elle ouvrit les yeux, croisant ceux de Liora, posés sur elle avec une intensité troublante.

— Qu’est-ce que vous avez fait ?

— Je t’ai aidé ou plutôt sauvé, répondit Liora avec un sourire énigmatique.

Lyana sentit son estomac se tordre. Et alors, tout bascula.